L’évolution des frontières entre cabinets de Conseil : convergence ou différenciation ?

Dossier : Le conseil en managementMagazine N°548 Octobre 1999
Par Alain VOURCH (86)
Par Jacques GARAÏALDE (76)

Les cabinets de Conseil, un monde encore mal connu

« Les cabi­nets de Conseil, géo-maîtres du monde ! » Tel était le titre, il y a quelques mois, d’un sup­plé­ment du Monde consa­cré aux métiers du Conseil de direc­tion géné­rale. Sans aller aus­si loin, il est vrai que ces acti­vi­tés exercent encore aujourd’­hui un éton­nant mélange de fas­ci­na­tion et de méfiance, sou­vent lié à la vision très floue qu’en ont les observateurs.

Une enquête récente, réa­li­sée par le Bos­ton Consul­ting Group auprès de 1 200 étu­diants des prin­ci­pales grandes écoles en France fait res­sor­tir une connais­sance par­ti­cu­liè­re­ment faible des acti­vi­tés de Conseil sur le cam­pus de l’X.

Moins de 5 % des X envi­sagent d’ailleurs le Conseil dans leurs pers­pec­tives pro­fes­sion­nelles à court ou moyen terme, contre 15 à 20 % pour les autres grandes écoles d’in­gé­nieurs et 20 à 30 % pour les prin­ci­pales grandes écoles de commerce.

Pour ten­ter de dis­si­per le flou qui entoure les acti­vi­tés de Conseil, il nous a paru utile de pré­ci­ser les dif­fé­rents métiers concer­nés ain­si que l’é­vo­lu­tion de leurs frontières.

On peut sché­ma­ti­que­ment dis­tin­guer trois grands types d’acteurs :

  • les cabi­nets de Conseil de direc­tion générale,
  • les cabi­nets de Conseil en sys­tèmes d’in­for­ma­tions et en organisation,
  • les spé­cia­listes fonctionnels.

Les cabinets de Conseil de direction générale

Le péri­mètre d’ac­ti­vi­té des cabi­nets de Conseil de direc­tion géné­rale se confond avec l’a­gen­da des diri­geants des grands groupes internationaux.

Ces diri­geants, ou leurs prin­ci­paux col­la­bo­ra­teurs, s’ap­puient sur de tels cabi­nets lors­qu’ils sont confron­tés à des pro­blèmes très divers :

  • stra­té­gie : de nou­veaux concur­rents, une oppor­tu­ni­té d’ac­qui­si­tion, un ralen­tis­se­ment de la crois­sance, l’é­mer­gence de nou­velles tech­no­lo­gies, etc.,
  • orga­ni­sa­tion et amé­lio­ra­tion des per­for­mances : une fusion à réa­li­ser, des usines à ratio­na­li­ser, une logis­tique à adap­ter à l’é­vo­lu­tion de la dis­tri­bu­tion, une amé­lio­ra­tion néces­saire de la com­pé­ti­ti­vi­té, etc.


L’as­sis­tance appor­tée par ce type de cabi­net à leurs clients couvre aus­si bien l’é­la­bo­ra­tion des solu­tions que leur mise en œuvre. Le seg­ment cor­res­pon­dant, long­temps sous-déve­lop­pé en France par rap­port aux pays anglo-saxons et à l’Al­le­magne, connaît une forte crois­sance, de l’ordre de 15 % par an ces der­nières années.

Notre groupe en est aujourd’­hui le lea­der en France, grâce à un posi­tion­ne­ment unique, repo­sant sur trois piliers :

  • tout d’a­bord, l’am­bi­tion et les com­pé­tences pour aider ses clients à déve­lop­per sur leurs mar­chés des approches radi­ca­le­ment inno­vantes, créa­trices d’a­van­tages concur­ren­tiels durables,
  • ensuite, la tra­duc­tion des solu­tions iden­ti­fiées en résul­tats concrets, mesu­rables, et source de créa­tion de valeur importante,
  • enfin, la confiance excep­tion­nelle entre­te­nue avec ses clients, qui repose sur une col­la­bo­ra­tion étroite à tous les niveaux de l’en­tre­prise et sur une éthique très stricte.

 
Une large majo­ri­té de l’ac­ti­vi­té à Paris est réa­li­sée auprès de clients ayant tra­vaillé avec notre groupe depuis au moins cinq ans, sur des sujets très dif­fé­rents. Un nombre impor­tant de ces clients figurent au clas­se­ment des socié­tés ayant créé le plus de valeur pour leurs action­naires (et le plus d’emplois !).

Les cabinets de Conseil en systèmes d’information et en organisation

Par­mi les cabi­nets de Conseil en sys­tèmes d’in­for­ma­tion et en orga­ni­sa­tion, on trouve deux grands types d’entreprises :

– les « Big Five », issus de l’au­dit (Ander­sen, KPMG, Price/Coopers, Deloitte, Ernst & Young),
– les dépar­te­ments ou filiales conseils de groupes infor­ma­tiques, qu’ils soient construc­teurs ou SSII.

Une part impor­tante de leur acti­vi­té est cen­trée sur le choix et la mise en œuvre de sys­tèmes d’in­for­ma­tion, et notam­ment des pro­gi­ciels de ges­tion (de type SAP ou Oracle). Pour faci­li­ter le déve­lop­pe­ment de cette acti­vi­té et pour la com­plé­ter, la plu­part de ces entre­prises ont éga­le­ment déve­lop­pé des pres­ta­tions tou­chant à l’or­ga­ni­sa­tion des pro­ces­sus (reen­gi­nee­ring, orga­ni­sa­tion de la chaîne d’ap­pro­vi­sion­ne­ment, etc.).

Ce seg­ment du conseil béné­fi­cie éga­le­ment d’une forte crois­sance, sous l’ef­fet de la dif­fu­sion gran­dis­sante des pro­gi­ciels cor­res­pon­dants, mais aus­si de l’ap­pel d’air pro­vo­qué par l’eu­ro et le pas­sage à l’an 2000.

Les spécialistes fonctionnels

Enfin, les spé­cia­listes fonc­tion­nels aident tel ou tel dépar­te­ment dans l’en­tre­prise à opti­mi­ser sa per­for­mance. Ils peuvent par exemple inter­ve­nir auprès de direc­tions logis­tiques (opti­mi­ser la ges­tion d’une flotte de camions…), ou de direc­tions indus­trielles (amé­lio­rer l’ef­fi­ca­ci­té de la main­te­nance d’un site, etc.). Il s’a­git géné­ra­le­ment de cabi­nets de taille plus réduite, mais pou­vant avoir bâti une solide répu­ta­tion dans leur domaine.

L’évolution des frontières entre cabinets de Conseil : convergence ou différenciation ?

La ques­tion de l’é­vo­lu­tion des fron­tières entre seg­ments, notam­ment entre Conseil de direc­tion géné­rale et Conseil en sys­tèmes d’in­for­ma­tion et en orga­ni­sa­tion, est sou­vent évo­quée, sous l’ef­fet de deux facteurs.

D’une part, l’am­pleur et le carac­tère stra­té­gique des inves­tis­se­ments en sys­tèmes d’in­for­ma­tion, notam­ment dans les métiers de ser­vice. Ceux-ci conduisent les direc­tions géné­rales à s’im­pli­quer direc­te­ment dans les grands choix liés aux sys­tèmes d’in­for­ma­tion (allo­ca­tion de res­sources, archi­tec­ture, paris tech­no­lo­giques…), et dans la conduite de pro­jets majeurs ayant une inci­dence directe sur la per­for­mance de l’entreprise.

Ayant rejoint l’a­gen­da des diri­geants, ces ques­tions se retrouvent natu­rel­le­ment dans le péri­mètre d’in­ter­ven­tion des Conseils de direc­tion générale.

D’autre part, le déve­lop­pe­ment de pres­ta­tions « amont » est très ten­tant pour les socié­tés de Conseil en sys­tèmes d’in­for­ma­tion et en orga­ni­sa­tion. D’a­bord pour des ques­tions d’i­mage, auprès des clients et des recrues poten­tielles. Mais aus­si et sur­tout pour des rai­sons éco­no­miques, si ces pres­ta­tions amont – même modestes – leur per­mettent de géné­rer en aval des pro­grammes impor­tants de mise en œuvre de pro­gi­ciels et de reen­gi­nee­ring.

À ces ten­ta­tions de conver­gence s’op­posent des obs­tacles majeurs, sou­vent igno­rés ou sous-estimés.

Le pre­mier est orga­ni­sa­tion­nel et culturel.

Entre ces deux types d’ac­teurs (Conseil de direc­tion géné­rale et Conseil en sys­tèmes d’in­for­ma­tion et orga­ni­sa­tion), le fos­sé est impor­tant sur le plan des hommes comme sur celui du mode de mana­ge­ment. Les équipes dans les cabi­nets de Conseil de direc­tion géné­rale sont de taille plus réduite, la struc­ture moins pyra­mi­dale, et le modèle éco­no­mique radi­ca­le­ment différent.

Le second obs­tacle, encore plus fon­da­men­tal, tient à l’in­té­rêt des clients. Devant l’ac­cé­lé­ra­tion de l’in­no­va­tion tech­no­lo­gique et l’am­pleur des inves­tis­se­ments dans les sys­tèmes d’in­for­ma­tion, les diri­geants sont par­fois dému­nis, n’ayant pas néces­sai­re­ment eux-mêmes toutes les com­pé­tences pour effec­tuer les arbi­trages essen­tiels. Dans cette situa­tion, s’ap­puyer sur un inter­lo­cu­teur unique, en charge de vali­der les choix puis de mettre en œuvre les sys­tèmes d’in­for­ma­tion cor­res­pon­dants, pose des pro­blèmes évi­dents de conflit d’intérêt.

Félix Roha­tyn, ambas­sa­deur des États-Unis en France, évo­quait des risques simi­laires lors­qu’il était en charge de fusions-acqui­si­tions dans une grande banque d’af­faires : Fees are often ten times higher when you close a deal than when you don’t, so, you’d have to be a saint not to be affec­ted by the num­bers invol­ved.

De même, seuls des consul­tants com­plè­te­ment indé­pen­dants mais dis­po­sant de l’ex­per­tise requise peuvent appor­ter l’ob­jec­ti­vi­té néces­saire. Et démon­trer ain­si au mana­ge­ment, si c’est le cas, que les sys­tèmes rete­nus ne sup­portent que fai­ble­ment la stra­té­gie de l’en­tre­prise, que le déve­lop­pe­ment de solu­tions spé­ci­fiques ou la mise en place de lourds pro­gi­ciels sont inutiles, ou que les dépenses infor­ma­tiques peuvent être réduites de 15 % tout en créant davan­tage de valeur pour l’entreprise.

Ain­si, le monde du Conseil recouvre-t-il des métiers très dif­fé­rents, ayant cha­cun sa propre dyna­mique et son attrait. On assiste à une redé­fi­ni­tion des fron­tières entre cabi­nets de Conseil de direc­tion géné­rale et cabi­nets de Conseil en sys­tèmes d’in­for­ma­tion et en orga­ni­sa­tion. Plu­tôt qu’à une confu­sion des rôles pré­ju­di­ciables aux clients, il faut s’at­tendre à une plus grande com­plé­men­ta­ri­té et à une col­la­bo­ra­tion accrue entre acteurs des dif­fé­rents seg­ments. Après tout, dans un uni­vers aus­si prag­ma­tique que le bâti­ment, la règle de sépa­ra­tion entre assis­tance à maî­trise d’ou­vrage et maî­trise d’œuvre n’est-elle pas essentielle ?

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