Les X n’ont jamais arrêté d’écrire !

Dossier : Les X et l'écritureMagazine N°660 Décembre 2010
Par Christian MARBACH (56)

Faire un dos­sier sur les X et l’é­cri­ture, ce n’est pas seule­ment pour­suivre le tra­vail d’in­ven­taire et de ras­sem­ble­ment des innom­brables ouvrages écrits par nos cama­rades décé­dés ou contem­po­rains. C’est aus­si décou­vrir chez ces scien­ti­fiques un goût pro­non­cé pour les lettres et un grand éclec­tisme dans l’é­cri­ture. Décou­verte qui amène à s’in­ter­ro­ger sur une pos­sible spé­ci­fi­ci­té des écrits polytechniciens.

L’i­dée de ce dos­sier sur les poly­tech­ni­ciens et l’é­cri­ture m’est venue peu à peu. La pre­mière rai­son en est le regard que je porte, depuis des dizaines d’an­nées, sur la tri­bu poly­tech­ni­cienne, atten­tif à repé­rer cer­taines carac­té­ris­tiques géné­rales tout en m’é­ton­nant d’in­nom­brables des­tins sin­gu­liers. Et une bonne manière de les connaître davan­tage est sans doute d’a­na­ly­ser ce qu’ils ont écrit. Ajou­tons que c’est un vrai plai­sir de lire, et que, comme beau­coup de poly­tech­ni­ciens, je cultive ce plai­sir depuis long­temps. L’a­mour des livres, ceux qu’on dévore avec appé­tit ou ceux dont on déguste avec gour­man­dise les illus­tra­tions, ceux qu’on par­court en for­mat de poche dans les voi­tures de trans­ports publics et ceux qu’on consulte avec un inté­rêt reli­gieux à la biblio­thèque de l’É­cole polytechnique.


REPÈRES

La pré­pa­ra­tion du Bicen­te­naire, comme la res­pon­sa­bi­li­té de la Sabix et donc la fré­quen­ta­tion d’his­to­riens des sciences, mais aus­si le simple hasard d’une lec­ture m’ont sou­vent don­né l’en­vie d’en savoir plus sur tel ou tel de nos cama­rades. Ain­si Hya­cinthe de Bou­gain­ville (1797), navi­ga­teur aus­si excep­tion­nel que son père. Ou Jules Roche (1872) dont je décou­vris le tra­gique des­tin en lisant Le Trans­sa­ha­rien de Mar­cel Cas­sou (61). Ain­si s’est impo­sée à moi cette évi­dence : les X n’ont jamais arrê­té d’écrire !


Lire de l’X

Je peux lire des ouvrages d’X dans une biblio­thèque, pour m’a­mu­ser du style qu’u­ti­lise Ara­go dans ses trai­tés d’as­tro­no­mie ; mais je n’ai pas besoin de ces excur­sions dans le pas­sé loin­tain pour lire de l’X, je suis fas­ci­né par les com­bats rela­tés de Robert Sau­nal (40) qu’il relate avec une tran­quille modes­tie dans Le Par­cours d’un Fran­çais libre. J’ad­mire le der­nier essai cosi­gné par Robert Dau­tray (49) et Jacques Lesourne (48) sur L’Hu­ma­ni­té face au chan­ge­ment cli­ma­tique dont La Jaune et la Rouge a publié une recen­sion en avril 2010. En jux­ta­po­sant ces exemples, je rends déjà hom­mage aux divers genres lit­té­raires et aux nom­breux centres d’in­té­rêt sur les­quels les X ont écrit.

« Une bonne manière de connaître les polytechniciens est d’analyser ce qu’ils ont écrit. »

Une grande créativité

L’exa­men des ouvrages écrits par mes cama­rades de pro­mo­tion (56) est une autre illus­tra­tion de cet éclec­tisme. Lors du cin­quan­tième anni­ver­saire de notre pro­mo­tion, j’a­vais sug­gé­ré à mes cocons de venir avec leurs livres, his­toire d’ap­pré­cier visuel­le­ment ce qu’é­tait la pro­duc­tion écrite d’une pro­mo­tion. J’a­vais l’ob­jec­tif de la connais­sance, mesu­rée et sus­cep­tible d’être clas­sée, on n’est pas X pour rien, et nous avons ras­sem­blé en sachant que nous n’é­tions pas exhaus­tifs 25 auteurs et une cen­taine d’ou­vrages. Mais aus­si l’ob­jec­tif de la col­lecte : s’il était pos­sible, le ras­sem­ble­ment de tous les ouvrages écrits par tous les X me paraî­trait une inté­res­sante approche, certes par­tielle mais inté­res­sante quand même, de la créa­tion poly­tech­ni­cienne ! Évi­dem­ment nous savons que notre créa­tion dépasse de beau­coup les seuls livres : nous avons aus­si créé des entre­prises, des armées, des règle­ments admi­nis­tra­tifs, des théo­ries scien­ti­fiques, des machines et des barrages.

Par­fois, le plus sou­vent, nos livres sont étroi­te­ment liés à notre acti­vi­té prin­ci­pale, les cours de Cau­chy (1805) étant sur­tout le sup­port de ses ensei­gne­ments et de ses décou­vertes et le récit de la Cam­pagne de l’ar­mée du Nord en 1870- 1871 par Louis Faid­herbe (1838) la pré­sen­ta­tion de ses actions de défense. Mais il nous est aus­si arri­vé d’être capables de créa­tions d’un autre ordre, en quelque sorte sup­plé­men­taire, appor­tant un éclai­rage dif­fé­rent sur un per­son­nage, une époque, une socié­té : les œuvres de Louis de Lau­nay (1879) sont certes sou­vent consa­crées à sa spé­cia­li­té, la géo­lo­gie, mais cet ingé­nieur des Mines fut aus­si un bio­graphe pro­lixe et un poète ins­pi­ré. Et que dire de celles de Jacques Atta­li (63) ? En écri­vant, les X ne cherchent pas sim­ple­ment à » expli­quer » ou » racon­ter « , mais par­fois aus­si à » inven­ter » ou » imaginer « .

Mais un dos­sier sur les X et l’é­cri­ture ne peut pas seule­ment être la consti­tu­tion, au demeu­rant déjà enta­mée à la biblio­thèque de la Sabix, d’une sorte d’en­cy­clo­pé­die avec la liste docu­men­tée de leurs œuvres. Il peut aus­si mener à une ten­ta­tive d’a­na­lyse sur la spé­ci­fi­ci­té, si elle existe, de leur écri­ture. Et, ce qui est encore plus utile, à une réflexion sur la meilleure méthode pour aider les jeunes X à acqué­rir les bons outils d’une écri­ture utile et agréable. L’i­dée de pla­cer des cha­pitres » apprendre à écrire » au milieu de cha­pitres » savoir racon­ter » ou » savoir convaincre » s’est donc vite imposée.

Des choix difficiles

Notre ambi­tion d’ap­pré­hen­der les rap­ports des X avec l’é­cri­ture ne peut s’ins­crire dans un dos­sier de taille limi­tée qu’au prix de sacri­fices. Il a fal­lu pré­fé­rer des exemples à une vue glo­bale (je crois que Buf­fon disait à peu près ceci, à pro­pos des ani­maux de son His­toire natu­relle : comme il est très dif­fi­cile de pré­tendre à la véri­té de leur connais­sance, je me conten­te­rai d’une énu­mé­ra­tion à peu près clas­sée et des­crip­tive).

Nous savons que notre créa­tion dépasse de beau­coup les seuls livres

Il a fal­lu par­fois pro­cé­der par résu­més ou approxi­ma­tions, quitte à sol­li­ci­ter des réac­tions ulté­rieures de la part de nos lec­teurs. Espé­rons que, mal­gré des pré­sen­ta­tions par­fois rapides, ce dos­sier four­ni­ra aux lec­teurs des élé­ments de qua­li­té pour nour­rir leur mémoire et leur réflexion.

Il leur don­ne­ra aus­si l’oc­ca­sion de voya­ger à tra­vers des livres de toutes sortes, espé­rons que cela leur fera plai­sir. Fau­dra-t-il pré­ci­ser ce qu’on appelle un livre ? Dif­fi­cile… Et de décou­vrir ou retrou­ver une foule d’au­teurs à tra­vers leur oeuvre écrite. Évi­dem­ment, leur liste ne sau­rait en rien repré­sen­ter une liste com­plète des X auteurs. Fau­dra-t-il pré­ci­ser ce que nous enten­dons par auteur ? Dif­fi­cile… Il y en a sans doute plus d’une dizaine de mil­liers, sur les presque cin­quante mil­liers de poly­tech­ni­ciens. Non seule­ment, les per­son­nages cités ne seront qu’un modeste échan­tillon des per­son­nages sus­cep­tibles d’être cités, mais leur sélec­tion n’est pas l’ex­pres­sion d’une pré­fé­rence. Aus­si je pro­pose aux lec­teurs qui auront légi­ti­me­ment envie d’ap­por­ter des com­plé­ments ou des cor­rec­tions ou mieux encore des appro­fon­dis­se­ments comme le Livre du Cen­te­naire en a réa­li­sés en 1894 de le faire, avec déter­mi­na­tion ! Et de nous aider à com­plé­ter cette biblio­thèque, vir­tuelle ou réelle des ouvrages de poly­tech­ni­ciens que nous essayons de rassembler.


De la littérature à l’écriture

Ceux des lec­teurs de La Jaune et la Rouge qui se sou­vien­dront de l’ex­cellent numé­ro de mai 1995 éta­bli sous la direc­tion de Gérard Pilé se ren­dront donc compte que l’ob­jec­tif de notre dos­sier est dif­fé­rent, en quelque sorte com­plé­men­taire : Gérard Pilé avait cen­tré son sujet sur les X et la lit­té­ra­ture, et pré­sen­té des roman­ciers ou poètes qui font hon­neur à Poly­tech­nique et à la lit­té­ra­ture fran­çaise. Ici, nous cher­chons à cou­vrir, de manière plus géné­rale, tous les rap­ports des X avec l’écriture.


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