Les robots sauront-ils un jour faire quelque chose ?

Dossier : La RobotiqueMagazine N°655 Mai 2010
Par Florent LAMIRAUX (90)

REPÈRES

REPÈRES
La cou­ver­ture du numé­ro de juin 1960 de Science et Vie annonce un article inti­tu­lé » Le robot à tout faire : mythe ou pos­si­bi­li­té ? « . Elle est illus­trée par le des­sin d’une machine à forme vague­ment humaine avec six bras, cha­cun réa­li­sant une tâche ména­gère dif­fé­rente, du repas­sage à la vais­selle, en pas­sant par l’as­pi­ra­teur. En par­cou­rant l’ar­ticle, il n’y fait aucun doute que, vingt ou trente ans plus tard, les tâches ména­gères ne seront plus du res­sort des humains. Cin­quante ans après, nous sommes encore très loin de ces rêves.

Une grande dif­fi­cul­té réside dans la varia­bi­li­té des tâches et de l’environnement

Après l’en­trée en force des robots mani­pu­la­teurs dans les usines auto­mo­biles au cours des années 1970–1980, on se prit à rêver que les capa­ci­tés de mani­pu­la­tion de ces machines, addi­tion­nées à des facul­tés de rai­son­ne­ment auto­ma­tique allaient faire sor­tir ces robots des usines pour rem­pla­cer l’homme dans une grande varié­té de tâches pénibles. L’in­tel­li­gence arti­fi­cielle allait révo­lu­tion­ner le monde. Si dans le monde indus­triel, de nom­breux métiers ont été rem­pla­cés par des machines, pour­quoi les robots tardent-ils donc à entrer chez Mon­sieur Tout-le-monde ?

Appréhender l’environnement


 Le robot Asi­mo est le résul­tat d’un pro­gramme de recherche du construc­teur auto­mo­bile Hon­da, tenu secret entre 1986 et 1996
© Hon­da

Les obs­tacles sont d’a­bord scien­ti­fiques et tech­niques. Pour les illus­trer, consi­dé­rons une tâche domes­tique usuelle : prendre une assiette dans un pla­card et la poser sur une table. La sim­pli­ci­té appa­rente de cette tâche cache en fait une mon­tagne de dif­fi­cul­tés : d’a­bord, ouvrir la porte du pla­card, c’est-à-dire, per­ce­voir, recon­naître puis sai­sir la poi­gnée, appli­quer une force de quelques new­tons, accom­pa­gner le mou­ve­ment de la porte ; ensuite, per­ce­voir l’in­té­rieur du pla­card, recon­naître une assiette, cal­cu­ler sa posi­tion puis la sai­sir sans entrer en col­li­sion avec les verres, dépla­cer l’as­siette jus­qu’à la table puis poser l’as­siette sans la cas­ser. Une grande dif­fi­cul­té réside dans la varia­bi­li­té des tâches et de l’en­vi­ron­ne­ment. En effet, si un robot est capable d’exé­cu­ter la séquence de tâches énon­cée ci-des­sus, il doit être éga­le­ment capable de se dépla­cer dans un envi­ron­ne­ment domes­tique quel­conque, de mani­pu­ler divers types d’ob­jets, durs, mous, colo­rés ou trans­pa­rents. Ce type de tâche élé­men­taire mobi­lise diverses com­mu­nau­tés de cher­cheurs en robo­tique. La vision arti­fi­cielle par exemple trans­forme des images sous forme de matrices de mil­lions de pixels en infor­ma­tions sym­bo­liques : objets, lieux.

Recon­naître et loca­li­ser dans une image un objet dont on a un modèle tri­di­men­sion­nel fait encore aujourd’­hui l’ob­jet de recherches actives en vision par ordinateur.

Le robot HRP2
Le robot HRP2 du JSK Robo­tics Sys­tem Labo­ra­to­ry © Uni­ver­si­té de Tokyo

Vision à améliorer

L’ap­pa­rente sim­pli­ci­té de la vision humaine cache en fait des pro­ces­sus céré­braux très com­plexes et effi­caces encore mal connus.
La vision est impré­cise, l’ap­pa­rence des objets change avec les condi­tions d’é­clai­rage et rend les algo­rithmes fra­giles. Pour cette rai­son, lorsque les robots pénètrent dans un milieu indus­triel, le milieu est adap­té à la machine afin de sim­pli­fier les pro­blèmes dus à la varia­bi­li­té de l’environnement.
Par exemple, dans les usines auto­mo­biles, les machines exé­cutent des tâches répé­ti­tives avec grande pré­ci­sion, mais l’en­vi­ron­ne­ment conçu pour eux ne change jamais.

Définir des modèles de représentation

Carte de l’environnement
Construire un modèle géo­mé­trique de l’en­vi­ron­ne­ment (on dit aus­si une carte) amène à obser­ver l’en­vi­ron­ne­ment à par­tir de plu­sieurs points de vue dis­tincts. Dans la pre­mière vue, on sélec­tionne des élé­ments recon­nais­sables – des amers – et on cal­cule leur posi­tion par rap­port au robot. Ensuite, le robot se déplace et prend une autre vue. Il faut alors recon­naître les amers déjà per­çus, cal­cu­ler leur posi­tion par rap­port au robot, en déduire la posi­tion du robot dans la carte, ce qui per­met de loca­li­ser les nou­veaux amers dans la carte et de l’en­ri­chir. Pour tenir compte des erreurs de mesure, on uti­lise des modèles sto­chas­tiques qui aug­mentent la com­plexi­té des calculs.

Pour agir, un robot a besoin de modèles pré­cis. Ain­si pour pla­ni­fier un mou­ve­ment dans un envi­ron­ne­ment d’in­té­rieur, faut-il une connais­sance par­faite de la forme et de la posi­tion des obs­tacles, à savoir les murs, les meubles et autres objets. Construire un tel modèle à par­tir de cap­teurs tri­di­men­sion­nels relève encore du défi scien­ti­fique. Ce domaine, appe­lé loca­li­sa­tion et construc­tion de carte simul­ta­née en est encore à un stade très pré­li­mi­naire. La dif­fi­cul­té intrin­sèque du pro­blème réside dans l’ad­jec­tif » simultané « .

Obstacles contextuels

La robo­tique est une science de l’in­té­gra­tion. Or, la recherche en robo­tique est orga­ni­sée en com­mu­nau­tés thé­ma­tiques s’in­té­res­sant aux dif­fé­rents pro­blèmes – vision, com­mande, méca­tro­nique, pla­ni­fi­ca­tion de mou­ve­ment – de manière rela­ti­ve­ment hermétique.

La robo­tique est une science de l’intégration

De plus, l’é­va­lua­tion de la recherche essen­tiel­le­ment fon­dée sur le nombre de publi­ca­tions et de bre­vets n’en­cou­rage pas les efforts d’in­té­gra­tion car ils sont consom­ma­teurs de temps et peu ren­tables vis-à-vis des cri­tères men­tion­nés pré­cé­dem­ment. L’in­dus­trie, quant à elle, hésite à inves­tir les efforts néces­saires en rai­son du manque d’ap­pli­ca­tions ren­tables à court terme. Les cin­quante der­nières années ont vu un pro­grès lent et conti­nu des outils scien­ti­fiques et tech­niques liés à la robo­tique. Les choses pour­raient s’ac­cé­lé­rer dans les pro­chaines années si l’é­mer­gence de mar­chés rend le domaine attrac­tif pour les inves­tis­se­ments indus­triels. Les pré­cur­seurs seront alors récom­pen­sés de leurs efforts.

Quelques pré­cur­seurs
Au Japon, les construc­teurs auto­mo­biles Hon­da et Toyo­ta inves­tissent sur leurs fonds propres dans la recherche en robo­tique per­son­nelle. Aux États-Unis, les appli­ca­tions mili­taires sus­citent des inves­tis­se­ments impor­tants dans le domaine. En France, Alde­ba­ran Robo­tics mise sur la robo­tique per­son­nelle en ciblant dans un pre­mier temps le mar­ché du loisir.

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