Les nouvelles règles de la solvabilité

Dossier : L'assurance face aux risques nouveauxMagazine N°665 Mai 2011
Par Jean-Marie LEVAUX (64)

REPÈRES

REPÈRES
La direc­tive du 25 novembre 2009, dési­gnée en géné­ral sous le terme » Sol­va­bi­li­té II « , défi­nit les nou­velles règles en matière de sol­va­bi­li­té des entre­prises d’as­su­rances et de réas­su­rances euro­péennes. Cette réforme du cadre régle­men­taire intro­duit des modi­fi­ca­tions pro­fondes par rap­port aux règles pru­den­tielles actuelles en matière d’as­su­rances, en met­tant davan­tage l’ac­cent sur la ges­tion des risques. Même si la régle­men­ta­tion fran­çaise actuelle s’est révé­lée robuste, le cadre pru­den­tiel actuel en matière de sol­va­bi­li­té des assu­rances, » Sol­va­bi­li­té I « , n’est pas suf­fi­sam­ment sen­sible à la dis­cri­mi­na­tion des risques asso­ciés à chaque type d’ac­ti­vi­té. Il com­porte peu d’in­ci­ta­tions à l’é­mer­gence des meilleures pra­tiques de maî­trise des risques.

Les risques fon­da­men­taux (sous­crip­tion, mar­ché, contre­par­tie notam­ment) ne sont pas suf­fi­sam­ment pris en compte dans le cal­cul des exi­gences actuelles. En outre, le cadre régle­men­taire exis­tant for­mule peu d’exi­gences qua­li­ta­tives en ce qui concerne la ges­tion des risques et la gouvernance.

La nou­velle direc­tive Sol­va­bi­li­té II vise à faire conver­ger la régle­men­ta­tion et les pra­tiques de contrôle entre les dif­fé­rents États membres afin d’as­su­rer un niveau simi­laire de pro­tec­tion des assu­rés, un trai­te­ment équi­table des entre­prises contrô­lées (level playing field) et une meilleure super­vi­sion des groupes internationaux.

Les prin­ci­paux enjeux de la réforme sont d’as­su­rer une appli­ca­tion har­mo­ni­sée de la réforme dans tous les pays de l’U­nion euro­péenne, de ren­for­cer la sol­va­bi­li­té des assu­reurs, de conduire les entre­prises à mieux connaître et gérer leurs risques et de faci­li­ter la super­vi­sion de la sol­va­bi­li­té des entre­prises par les auto­ri­tés de contrôle, tout cela afin d’a­mé­lio­rer la pro­tec­tion des assurés.

Un calendrier très exigeant

L’en­trée en vigueur de la direc­tive Sol­va­bi­li­té II est pré­vue pour le 1er jan­vier 2013

Il faut noter qu’il s’a­git de la pre­mière direc­tive assu­rance s’ins­cri­vant dans le cadre du pro­ces­sus légis­la­tif Lam­fa­lus­sy. Ce pro­ces­sus consiste en une défi­ni­tion dans la direc­tive de prin­cipes-cadres adop­tés par le Conseil et le Par­le­ment euro­péens (niveau I). L’in­ter­pré­ta­tion des prin­cipes condui­sant à pré­ci­ser les mesures néces­saires à leur appli­ca­tion (niveau II) est conduite ensuite par la Com­mis­sion assis­tée des États membres.

Enfin, les orien­ta­tions tech­niques com­plé­men­taires (niveau III) sont pré­ci­sées par le Comi­té des contrô­leurs d’as­su­rances et de pen­sions pro­fes­sion­nelles (CEIOPS en anglais) – dont l’Au­to­ri­té de contrôle pru­den­tiel (ACP) en France est un membre actif -, puis approu­vées par la Com­mis­sion européenne.

L’en­trée en vigueur de la direc­tive est pré­vue pour le 1er jan­vier 2013, ce qui est un calen­drier très exi­geant eu égard à l’am­pleur de la tâche à accom­plir à la fois en matière d’é­la­bo­ra­tion nor­ma­tive et de mise en œuvre.

L’évaluation des actifs et des passifs

Sol­va­bi­li­té II repose sur trois piliers.

Le pilier 1 a pour objec­tif de défi­nir les normes quan­ti­ta­tives de l’é­va­lua­tion des actifs et des pas­sifs (dont les pro­vi­sions tech­niques, qui repré­sentent les obli­ga­tions envers les assu­rés), des fonds propres, des exi­gences de capi­tal, et les règles d’in­ves­tis­se­ment. L’exis­tence de deux niveaux de capi­tal régle­men­taire est pré­vue : le capi­tal mini­mum requis (MCR), défi­ni comme le niveau de capi­tal en des­sous duquel une com­pa­gnie d’as­su­rances ne peut fonc­tion­ner nor­ma­le­ment, et le capi­tal de sol­va­bi­li­té requis (SCR), qui repré­sente le capi­tal cible néces­saire pour absor­ber le choc pro­vo­qué par un risque majeur.

Le niveau du SCR sera cal­cu­lé soit à par­tir d’une for­mule stan­dard, soit, autre nou­veau­té intro­duite par Sol­va­bi­li­té II, par le biais d’un modèle interne sous réserve qu’il ait préa­la­ble­ment été auto­ri­sé par l’au­to­ri­té de contrôle. L’exa­men et, le cas échéant, l’au­to­ri­sa­tion des modèles internes néces­si­te­ront du temps et des com­pé­tences spé­ci­fiques. Mais, un défi sup­plé­men­taire rési­de­ra dans l’har­mo­ni­sa­tion au niveau euro­péen clai­re­ment affir­mée comme un objec­tif de Sol­va­bi­li­té II. Les auto­ri­tés de contrôle auront à pro­mou­voir une culture com­mune pour mettre en place des cri­tères de juge­ment plei­ne­ment par­ta­gés et garan­tir ain­si une éga­li­té de trai­te­ment entre les dif­fé­rents orga­nismes d’as­su­rances du mar­ché européen.

L’évaluation du suivi des risques

Le pilier 2 a pour objec­tif de fixer des normes qua­li­ta­tives de sui­vi des risques par les orga­nismes d’as­su­rances, et les moda­li­tés selon les­quelles l’au­to­ri­té de contrôle doit exer­cer ses pou­voirs de surveillance.

L’é­va­lua­tion interne du risque et de la sol­va­bi­li­té est obligatoire

L’i­den­ti­fi­ca­tion des socié­tés » les plus ris­quées » est un objec­tif et les auto­ri­tés de contrôle auront en leur pou­voir la pos­si­bi­li­té, dans des condi­tions bien enca­drées, de deman­der à ces orga­nismes de déte­nir un capi­tal plus éle­vé que le mon­tant sug­gé­ré par le cal­cul du SCR (capi­tal add-on) ou de réduire leur expo­si­tion aux risques.

La direc­tive indique que l’im­po­si­tion d’exi­gences rigou­reuses en matière de gou­ver­nance est une condi­tion préa­lable à l’ef­fi­ca­ci­té d’un régime de sol­va­bi­li­té. Ain­si la soli­di­té du sys­tème de gou­ver­nance revêt-elle une impor­tance cri­tique pour la qua­li­té de la ges­tion de l’as­su­reur et pour l’ef­fi­ca­ci­té du sys­tème de contrôle. Pour impli­quer la direc­tion dans cette gou­ver­nance, la poli­tique de l’en­tre­prise rela­tive au contrôle interne et à l’au­dit interne doit être rigou­reu­se­ment for­ma­li­sée et faire l’ob­jet d’une appro­ba­tion par le conseil d’ad­mi­nis­tra­tion ou son équivalent.

Ce sys­tème inclut aus­si l’é­va­lua­tion interne du risque et de la sol­va­bi­li­té (ORSA, Own Risk and Sol­ven­cy Assess­ment), qui est obli­ga­toire et dont le résul­tat doit être com­mu­ni­qué aux auto­ri­tés de contrôle.

L’information du public

Le pilier 3 a pour objec­tif de défi­nir l’en­semble des infor­ma­tions détaillées auquel le public aura accès, d’une part, et qui sera trans­mis aux auto­ri­tés de contrôle pour l’exer­cice de leur mis­sion de sur­veillance, d’autre part. Sol­va­bi­li­té II vise notam­ment à accroître la trans­pa­rence de l’in­for­ma­tion dif­fu­sée au public (assu­rés, cour­tiers, ana­lystes finan­ciers, etc.), afin de garan­tir une meilleure dis­ci­pline de marché.

Par ailleurs, le prin­cipe actuel de l’o­bli­ga­tion de com­mu­ni­quer toute infor­ma­tion néces­saire aux fins du contrôle est main­te­nu ; la nou­veau­té est que la Com­mis­sion et le CEIOPS tra­vaillent actuel­le­ment sur des mesures d’ap­pli­ca­tion per­met­tant d’as­su­rer une conver­gence des états de repor­ting régle­men­taires au niveau euro­péen. Le CEIOPS – dont les pou­voirs seront pro­chai­ne­ment ren­for­cés et qui devien­dra l’EIO­PA (Euro­pean Insu­rance and Occu­pa­tio­nal Pen­sions Autho­ri­ty) dans le cadre des mesures enga­gées au niveau euro­péen pour répondre aux fai­blesses que la crise finan­cière a mises en évi­dence (fai­sant suite au rap­port « De Laro­sière ») – a un rôle par­ti­cu­lier à jouer dans la pro­mo­tion d’une appli­ca­tion cohé­rente de la direc­tive et dans la conver­gence des pra­tiques prudentielles.

Un travail de préparation

L’en­semble des orga­nismes d’as­su­rances doit se pré­pa­rer acti­ve­ment à la mise en oeuvre opé­ra­tion­nelle de ce nou­veau cadre régle­men­taire, afin d’être en mesure de se confor­mer aux nou­velles règles pru­den­tielles dès leur entrée en vigueur. La pré­pa­ra­tion aux nou­velles normes de sol­va­bi­li­té passe notam­ment par une connais­sance de leurs prin­cipes au sein des orga­nismes d’assurances.

Leur appro­pria­tion doit dépas­ser le cercle des spé­cia­listes et se dif­fu­ser à l’en­semble des fonc­tions au sein de chaque orga­nisme, c’est-à-dire non seule­ment la direc­tion géné­rale et le conseil d’ad­mi­nis­tra­tion, mais aus­si les opé­ra­tion­nels, les juristes, les comp­tables, en bref, l’en­semble des équipes. Les orga­nismes d’as­su­rances devront éga­le­ment adap­ter leurs sys­tèmes d’in­for­ma­tion afin de trai­ter les don­nées pru­den­tielles. Ain­si, avant la fin de l’an­née 2012, des chan­tiers impor­tants doivent être ache­vés par les entre­prises d’as­su­rances et de réassurances.

Une prise en compte du mar­ché français
Les études d’im­pact, conduites par la Com­mis­sion euro­péenne avec l’ap­pui tech­nique du CEIOPS, visent à mettre en évi­dence les réper­cus­sions du nou­veau sys­tème auprès des acteurs du marché.
Actuel­le­ment, les assu­reurs et réas­su­reurs testent la cin­quième étude d’im­pact (QIS 5 : Quan­ti­ta­tive Impact Stu­dy n° 5), qui va per­mettre de défi­nir le cali­brage fin des dif­fé­rentes exi­gences de capi­tal (Pilier 1). Une par­ti­ci­pa­tion large et de qua­li­té des orga­nismes d’as­su­rances fran­çais au QIS 5, qui s’est dérou­lée d’août à novembre 2010, a été essen­tielle pour assu­rer la meilleure prise en compte des carac­té­ris­tiques du mar­ché français.
Alors que les négo­cia­tions sont en cours sur les mesures de niveau 2 et les recom­man­da­tions de niveau 3, les résul­tats du QIS 5 vont avoir un poids très impor­tant. La com­mu­ni­ca­tion des résul­tats par le CEIOPS et les auto­ri­tés de contrôle natio­nales doit avoir lieu en mars 2011.

Une compétitivité renforcée

Sol­va­bi­li­té II impli­que­ra des coûts ini­tiaux impor­tants, tant pour les orga­nismes d’as­su­rances qui n’ont pas encore mis en place des sys­tèmes per­for­mants de ges­tion des risques, que pour les auto­ri­tés de contrôle.

Mais, pour une part signi­fi­ca­tive, il s’a­gi­ra d’ac­tions de for­ma­tion des équipes, d’op­ti­mi­sa­tion ou de réno­va­tion des sys­tèmes et de revue des orga­ni­sa­tions, qui auront de toute façon à être conduites et qui per­met­tront de s’a­li­gner sur les meilleures pra­tiques en vigueur. Les orga­nismes d’as­su­rances et de réas­su­rances euro­péens devraient voir leur com­pé­ti­ti­vi­té ren­for­cée par un meilleur ali­gne­ment des exi­gences régle­men­taires sur la réa­li­té éco­no­mique des risques qu’ils encourent.

Sur­tout, la meilleure appré­hen­sion de ces der­niers que per­met­tra Sol­va­bi­li­té II doit conduire à une ges­tion plus sécu­ri­sée de la part des entre­prises et à une sur­veillance pru­den­tielle plus effi­cace de la part des auto­ri­tés de contrôle. En effet, Sol­va­bi­li­té II sera un suc­cès si elle per­met, dans le contexte actuel de crise éco­no­mique et finan­cière, de garan­tir une plus grande sta­bi­li­té du sys­tème finan­cier et une pro­tec­tion adé­quate des assurés.

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