Les nanotechnologies pour demain et après-demain

Dossier : Les nanosciencesMagazine N°702 Février 2015
Par Dominique MAILLY

Depuis bien­tôt dix ans les « nanos » font par­tie de notre quo­ti­dien. En effet, la struc­ture la plus petite dans un micro­pro­ces­seur était infé­rieure à 100 nm dès les années 2005 ; elle est main­te­nant de 14 nm dans les plus récents.

REPÈRES

L’étude des phénomènes nanophysiques est la mission du Laboratoire de photonique et de nanostructures (LPN), laboratoire d’une centaine de permanents dédié aux nanosciences et aux nanotechnologies. Les recherches qui y sont menées visent aussi bien à comprendre au niveau fondamental comment la matière se comporte aux très petites dimensions qu’à tirer parti de ces nouvelles propriétés pour imaginer des dispositifs innovants.

Course à la miniaturisation

Cette course à la minia­tu­ri­sa­tion, menée par l’industrie de la micro­élec­tro­nique dès les années 1970, a per­mis aux cher­cheurs, phy­si­ciens tout d’abord, d’accéder à des objets jusqu’alors inaccessibles.

Les nanos­ciences couvrent désor­mais l’ensemble des champs dis­ci­pli­naires jusqu’aux sciences humaines par les pro­blèmes socié­taux qu’elles sou­lèvent. La nano­phy­sique étu­die le com­por­te­ment de la matière aux très petites dimensions.

Effets quantiques

Pour­quoi la matière a‑t-elle un com­por­te­ment dif­fé­rent lorsque l’on réduit ses dimen­sions ? Il y a tout d’abord une exal­ta­tion de l’effet de surface.

“ La dualité onde-particule doit être prise en compte ”

En effet, lorsque l’on réduit la taille, le taux d’atomes en sur­face aug­mente consi­dé­ra­ble­ment par rap­port à ceux en volume. Les atomes en sur­face n’ayant pas le même envi­ron­ne­ment que ceux en volume, on s’attend donc à obser­ver des pro­prié­tés phy­siques nota­ble­ment dif­fé­rentes, avec des appli­ca­tions inté­res­santes pour les capteurs.

Vue par micro­sco­pie à force ato­mique d’une couche active à boîtes quan­tiques mon­trant la dis­tri­bu­tion des boîtes.

Mais il y a éga­le­ment des effets plus intrin­sèques, les effets quan­tiques. Ils se mani­festent sous deux aspects.

Tout d’abord la réduc­tion des dimen­sions lève la dégé­né­res­cence des niveaux d’énergie, on passe alors d’une bande conti­nue d’états à des niveaux dis­crets – l’énergie est quan­ti­fiée ain­si que toutes les autres pro­prié­tés qui en dépendent : conduc­tion élec­trique, absorp­tion optique, etc. Les den­si­tés d’états deviennent plus mar­quées, pro­prié­tés uti­li­sées dans les lasers à semi-conduc­teurs comme nous le ver­rons par la suite.

Mais éga­le­ment, sur des petites dis­tances, les par­ti­cules res­tent cohé­rentes et les effets d’interférences, qui sont sou­vent brouillés à l’échelle macro­sco­pique deviennent impor­tants : la dua­li­té onde-par­ti­cule doit être prise en compte.

Transmettre plusieurs térabits/s

Par­mi les recherches que nous menons, cer­taines auront des appli­ca­tions proches, et d’autres seront plus futu­ristes. Ain­si, les nano­struc­tures et les nano­tech­no­lo­gies sont entrées dans le domaine des diodes laser pour les com­mu­ni­ca­tions optiques.

Les lasers à semi-conduc­teurs à base de « boîtes quan­tiques » sont étu­diés pour leurs pro­prié­tés remar­quables liées au confi­ne­ment des por­teurs de charge dans les trois dimen­sions de l’espace.

Une boîte quan­tique est consti­tuée d’un îlot de maté­riau semi-conduc­teur de dimen­sion typique 10 nm x 10 nm x 10 nm. Au LPN, c’est l’élargissement inho­mo­gène du spectre de gain lié à la dis­tri­bu­tion en taille des boîtes qui a été récem­ment exploi­té dans des diodes laser en régime de ver­rouillage de modes, pour la géné­ra­tion de peignes de fréquence.

Des dizaines de canaux spec­traux à faible bruit ont pu être uti­li­sés dans des expé­riences de trans­mis­sion optique, jusqu’à un débit de 2,25 térabits/s par com­po­sant. Ces résul­tats offrent des pers­pec­tives pas­sion­nantes pour un cer­tain nombre d’applications, dont les inter­con­nec­tions optiques dans les data cen­ters.

Ce tra­vail s’effectue au LPN en par­te­na­riat avec Alca­tel 3–5 Lab et les par­te­naires du pro­jet euro­péen Bigpipes.

Spectre optique de l’émission du laser
Spectre optique de l’émission du laser en ver­rouillage de modes ;
près de 100 modes espa­cés de 20 GHz sont uti­li­sés comme canaux de transmission.

Nanolasers

L’intégration des com­po­sants optiques, au plus près de l’électronique de com­mande, passe aus­si par l’intégration hété­ro­gène de semi-conduc­teurs III‑V sur silicium.

Nanolasers
Pho­to­gra­phie prise au micro­scope élec­tro­nique à balayage d’un nano­la­ser hybride III‑V sur Si.

Il s’agit d’une tech­no­lo­gie clé pour la conver­gence de la micro­élec­tro­nique et de la pho­to­nique sur puce, un grand défi de la R & D actuelle dans le domaine des composants.

Le LPN a fait récem­ment ren­trer ce champ de recherche dans le monde de la nano­pho­to­nique en réa­li­sant des nano­la­sers à base de cris­taux pho­to­niques cou­plés de façon extrê­me­ment effi­cace à une cir­cui­te­rie sous-jacente de guides d’onde en silicium.

Ces nano­la­sers, fabri­qués de façon com­pa­tible CMOS (stan­dard de la micro­élec­tro­nique), sont extrê­me­ment com­pacts puisqu’ils occupent une sur­face de l’ordre de 10 μm2 sur le cir­cuit. Ils pré­sentent des per­for­mances très pro­met­teuses en termes de consom­ma­tion d’énergie et de rapidité.

Traitement quantique de l’information

Un des grands espoirs des nano­tech­no­lo­gies est le trai­te­ment quan­tique de l’information. Plu­tôt que de coder l’information sous forme binaire, la méca­nique quan­tique per­met de trai­ter une super­po­si­tion d’états. Il ne s’agit donc plus d’un bit qui vaut 0 ou 1 mais d’une infi­ni­té de super­po­si­tions d’états 0 et 1. La puis­sance de cal­cul est alors expo­nen­tiel­le­ment augmentée.

“ Les nanolasers occupent une surface de 10 μm2

En optique, le trai­te­ment quan­tique de l’information (cryp­to­gra­phie ou cal­cul) néces­site de contrô­ler les pho­tons indi­vi­duel­le­ment. Dans les lasers qui sont uti­li­sés dans les télé­com­mu­ni­ca­tions sur fibre, la lumière qui trans­porte l’information arrive sous forme de paquet d’un très grand nombre de pho­tons. Il est très dif­fi­cile de réa­li­ser des sources de lumière où chaque paquet contient un seul photon.

SEMI-CONDUCTEURS III‑V

Ces composants électroniques sont constitués à partir de matériaux fabriqués à partir d’un ou plusieurs éléments de la IIIe colonne du tableau de Mendeleïev (B, Al, Ga, In, etc.) et de la Ve colonne du même tableau (N, P, As, Sb, etc.)

Pour cela, on peut uti­li­ser des nano-émet­teurs à l’état solide : ils émettent des pho­tons un par un. Cepen­dant, pour faire une source effi­cace, il faut pla­cer cet émet­teur de façon très pré­cise dans une micro­ca­vi­té optique.

Pas­cale Senel­lart (93) a mis au point une tech­nique ori­gi­nale de litho­gra­phie in situ qui per­met de sélec­tion­ner un émet­teur, ici une boîte quan­tique de semi-conduc­teur, de mesu­rer sa posi­tion à 50 nm près et de façon­ner autour de celle-ci une cavi­té par­fai­te­ment adaptée.

Cette tech­nique per­met non seule­ment de contrô­ler l’émission pho­ton par pho­ton mais éga­le­ment d’avoir une brillance remar­quable, condi­tion indis­pen­sable à une uti­li­sa­tion réelle de dis­po­si­tifs. Une porte logique basique (CNOT) de logique quan­tique a déjà été réa­li­sée avec ce dispositif.

Echantillon boite quantique
À gauche l’échantillon, à droite le pic d’émission de la boîte quantique.

pic d’émission de la boîte quantique.

Une réalisation majeure

Pour faire des nanos­ciences, il faut maî­tri­ser les nano­tech­no­lo­gies qui per­mettent l’élaboration de maté­riaux et leur struc­tu­ra­tion à l’échelle nano. Le réseau Rena­tech coor­donne au niveau natio­nal les res­sources tech­no­lo­giques de six grandes centrales.

Le but est d’une part d’optimiser les inves­tis­se­ments lourds et de créer une infra­struc­ture de recherche au meilleur niveau inter­na­tio­nal, d’autre part de mettre ces moyens à la dis­po­si­tion de l’ensemble des labo­ra­toires et des entre­prises ayant des acti­vi­tés en micro et nanotechnologies.

En Île-de- France, Rena­tech sou­tient deux pla­te­formes de nano­tech­no­lo­gies, l’une au LPN qui com­prend des moyens de crois­sance de maté­riaux III‑V ain­si que 700 mètres car­rés de salle blanche, l’autre à l’Institut d’électronique fon­da­men­tale situé à l’université Paris-Sud, dis­po­sant de moyens de crois­sance de sili­cium et de 600 mètres car­rés de salle blanche.

Dans le cadre des inves­tis­se­ments d’avenir et de la créa­tion de l’Université Paris-Saclay qui ras­semble tous les éta­blis­se­ments de for­ma­tion et de recherche de la région, il a été déci­dé de fusion­ner ces deux labo­ra­toires et de créer le Centre de nanos­ciences et de nano­tech­no­lo­gies (C2N).

Ce nou­veau centre s’installera d’ici deux ans dans de nou­veaux bâti­ments sur le site du pla­teau de Saclay, à quelques cen­taines de mètres de l’École polytechnique.

Un acteur essentiel

Au niveau scien­ti­fique, le C2N repré­sen­te­ra un des plus grands labo­ra­toires de pho­to­nique d’Europe, mais éga­le­ment un labo­ra­toire majeur dans les domaines de la nano­élec­tro­nique, les micro­sys­tèmes et les maté­riaux. Avec 2 500 mètres car­rés de salle blanche, le C2N sera la plus grande cen­trale de tech­no­lo­gie aca­dé­mique de France et offri­ra des moyens à l’état de l’art aus­si bien en crois­sance de maté­riaux qu’en outils de nanofabrication.

170 mètres car­rés de salle blanche seront entiè­re­ment réser­vés à l’enseignement, le C2N sera un acteur essen­tiel de l’enseignement des nanos de la nou­velle université.

Associer formation et recherche

L’ambition est de favo­ri­ser, en asso­cia­tion avec les éta­blis­se­ments d’enseignement et les futures écoles doc­to­rales, des par­cours d’étudiants asso­ciant for­ma­tion et recherche, et faci­li­tant leur inser­tion dans le mar­ché du travail.

“ Pour faire des nanosciences, il faut maîtriser les nanotechnologies ”

L’évolution de l’écosystème du pla­teau de Saclay, avec l’arrivée notam­ment de Hori­ba et EDF, plaide éga­le­ment pour un rap­pro­che­ment entre recherche et indus­trie et le déve­lop­pe­ment du poten­tiel éco­no­mique environnant.

Le C2N met­tra à la dis­po­si­tion d’industriels ou de start-ups 200 mètres car­rés d’espace « blanc » en liai­son avec la salle blanche pour leur per­mettre de faire une étude de preuve de concept, de déve­lop­per de nou­veaux pro­duits ou de mettre au point des équipements.

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