Coûts non salariaux du travail dans l’industrie (% des coûts salariaux 1996)

Les Entreprises et l’emploi : pour une réforme de l’économie française au service de l’emploi

Dossier : Dossier emploiMagazine N°542 Février 1999
Par Bertrand COLLOMB (60)

Quelques constats d’évidence

Quelques constats d’évidence

C’est l’ac­ti­vi­té qui crée les emplois et non la redis­tri­bu­tion des emplois exis­tants. Depuis plus de vingt ans, la poli­tique fran­çaise de l’emploi repose sur un pos­tu­lat constam­ment démen­ti par les faits : faute de créer des emplois il serait pos­sible d’at­té­nuer les effets néga­tifs du chô­mage en rédui­sant le taux d’ac­ti­vi­té par des retraits mas­sifs du mar­ché du tra­vail. Aujourd’­hui, moins de 40 % des hommes de 55 à 65 ans sont encore actifs et la sco­la­ri­sa­tion des 16–25 ans atteint le niveau record de 65 %. Pour autant le taux de chô­mage n’a pas ces­sé de croître.

À l’op­po­sé ce sont les pays qui connaissent des taux d’ac­ti­vi­té éle­vés de leur popu­la­tion en âge de tra­vailler (la Grande-Bre­tagne dont le taux s’é­ta­blit à 75 % contre 65 % pour la France), ou même qui ont accru la par­ti­ci­pa­tion au mar­ché du tra­vail (les Pays-Bas), qui ont enre­gis­tré les meilleurs résul­tats en termes d’emploi.

La France se pré­pare de nou­veau à per­sé­vé­rer dans cette voie en met­tant en œuvre, mal­gré l’é­chec de la ten­ta­tive de 1981, une réduc­tion mas­sive et uni­forme du temps de tra­vail. Les mesures d’in­ci­ta­tion finan­cière dont est assor­ti le méca­nisme des négo­cia­tions de réduc­tion de la durée du tra­vail ne per­met­tront sans doute de créer que quelques mil­liers d’emplois, alors que le mou­ve­ment spon­ta­né de la crois­sance en a géné­ré près de 300 000 dans les douze der­niers mois. Le coût de ces aides est éle­vé : 170 000 F par emploi créé la pre­mière année. La charge que le finan­ce­ment de ce pro­gramme fera peser sur l’é­co­no­mie sera de nature à détruire autant, sinon davan­tage, d’emplois qu’il aura contri­bué à en créer.

C’est le sec­teur pri­vé qui doit créer des emplois et non le sec­teur public. La créa­tion d’emplois publics ou sub­ven­tion­nés par des fonds publics conduit à détruire des emplois pri­vés. Sur une longue période, les pays qui ont créé au total le plus grand nombre d’emplois sont ceux qui ont sta­bi­li­sé ou réduit le nombre d’emplois publics. Le cas des États-Unis est exem­plaire : le nombre d’emplois y a dou­blé pen­dant les trente der­nières années, exclu­si­ve­ment du fait du sec­teur pri­vé. En Europe la pro­gres­sion sur la même période était seule­ment de 10 %, inté­gra­le­ment impu­table à la créa­tion d’emplois publics. Seuls les Pays-Bas ont créé l’é­qui­valent de plu­sieurs mil­lions d’emplois à l’é­chelle de la France, alors qu’ils rédui­saient de 10 points la part de la dépense publique dans leur PIB en agis­sant essen­tiel­le­ment sur les dépenses de fonc­tion­ne­ment et les dépenses sociales.

Pour créer des emplois le sec­teur pri­vé a besoin de flexi­bi­li­té. Notre apti­tude à dia­bo­li­ser les mots ne change rien à ce constat. Le besoin de flexi­bi­li­té est même plus fort aujourd’­hui qu’­hier dans la mesure où les fluc­tua­tions conjonc­tu­relles sont plus fortes. En effet les États, notam­ment les États euro­péens, ont per­du la maî­trise des variables d’a­jus­te­ment tra­di­tion­nelles : taux de change, taux d’in­té­rêt, bud­gets… Les entre­prises sont donc expo­sées de plein fouet, à un moment où elles sont elles-mêmes for­te­ment contraintes au niveau de leurs résul­tats, que ce soit par la pres­sion des mar­chés ou leurs besoins d’au­to­fi­nan­ce­ment. Dans ces condi­tions elles doivent pou­voir ajus­ter leurs coûts, ce que les rigi­di­tés sociales fran­çaises rendent dif­fi­cile, et ce qui les conduit donc à beau­coup de pru­dence dans la créa­tion d’emplois.

Le déve­lop­pe­ment des contrats à durée déter­mi­née et de l’in­té­rim a per­mis de répondre, en France, de manière impar­faite et coû­teuse, à l’ab­sence de flexi­bi­li­té des dis­po­si­tions régis­sant la rela­tion de tra­vail. Les pro­jets annon­cés récem­ment de péna­li­sa­tion du tra­vail dit « pré­caire » ne s’at­taquent pas aux causes mais aux consé­quences, et, dans ces condi­tions, géné­re­ront de nou­veaux effets per­vers défa­vo­rables à l’emploi.

À l’in­verse du sec­teur public le sec­teur pri­vé crée des emplois sous contrainte de ren­ta­bi­li­té. Ceci signi­fie que tout emploi créé doit géné­rer une acti­vi­té à laquelle cor­res­pond une demande sol­vable. En France, aujourd’­hui, le coût du tra­vail, trop éle­vé en incluant les charges sociales sala­riales et patro­nales, concourt à exclure les moins qua­li­fiés du mar­ché du tra­vail et à inter­dire le déve­lop­pe­ment de cer­taines acti­vi­tés de ser­vice. Dans d’autres pays, ces acti­vi­tés per­mettent l’ac­cueil de tra­vailleurs peu qua­li­fiés ou jouent un rôle de sas per­met­tant l’in­ser­tion pro­fes­sion­nelle de nom­breux jeunes sor­tant du sys­tème de formation.

De ce point de vue l’é­tude de Tho­mas Picket­ty a mis en évi­dence que si la France avait déve­lop­pé deux sec­teurs d’ac­ti­vi­té de ser­vices : com­merce et hôtel­le­rie res­tau­ra­tion, dans les mêmes pro­por­tions que les États-Unis (rela­ti­ve­ment à l’en­semble de sa popu­la­tion active) elle aurait créé 2 800 000 emplois sup­plé­men­taires. La même étude impute au coût glo­bal du tra­vail, sin­gu­liè­re­ment du SMIC, la res­pon­sa­bi­li­té de cette situa­tion. En effet, aux États-Unis, le coût des emplois cor­res­pon­dants, pour l’employeur et donc pour le consom­ma­teur, est de l’ordre de 40 % moins éle­vé qu’en France alors même que, expri­mé en termes de pari­té de pou­voir d’a­chat, le reve­nu net du sala­rié n’y est pas infé­rieur. Cette obser­va­tion illustre le poids et les consé­quences des pré­lè­ve­ments sociaux et de leur crois­sance conti­nue pen­dant les vingt der­nières années. Notre inca­pa­ci­té à maî­tri­ser les dépenses sociales consti­tue une cause majeure de main­tien du chô­mage à un niveau élevé.

La créa­tion d’en­tre­prises et le déve­lop­pe­ment des PME repré­sentent le lieu prin­ci­pal de créa­tion d’emplois. L’ac­ti­vi­té des grandes entre­prises indus­trielles reste un fac­teur impor­tant de dyna­misme éco­no­mique. Mais leur recours crois­sant à des pres­ta­tions d’en­tre­prises exté­rieures loca­lise dans ces entre­prises les emplois cor­res­pon­dants. Et les sec­teurs inno­vants et en crois­sance se déve­loppent beau­coup par créa­tion d’en­tre­prises nou­velles. Or la France crée rela­ti­ve­ment peu d’en­tre­prises, et les PME y occupent une place moins impor­tante que dans les pays de niveau de déve­lop­pe­ment éco­no­mique comparable.

Plus que d’une nou­velle forme de l’ex­cep­tion fran­çaise cette défi­cience est plus sim­ple­ment la mani­fes­ta­tion d’un com­por­te­ment ration­nel des acteurs ! En effet, en France, la créa­tion d’en­tre­prise est un jeu à somme néga­tive. En cas de suc­cès, l’É­tat, par l’in­ter­mé­diaire de l’im­po­si­tion des plus-values ou des droits de suc­ces­sion, s’ap­pro­prie la plus grande part du gain. En cas d’é­chec il laisse le créa­teur seul face à ses pertes. Ce n’est pas le goût d’en­tre­prendre qui manque aux Fran­çais c’est un envi­ron­ne­ment fis­cal, finan­cier et social favo­rable : moins de 300 000 créa­tions d’en­tre­prises ont été recen­sées en France l’an der­nier alors que 700 000 Fran­çais se déclarent por­teurs d’un pro­jet prêt à être mis en œuvre. Les pou­voirs publics com­mencent à en prendre conscience mais il reste beau­coup de che­min à parcourir.

Il n’y a pas de créa­tion d’emplois sans com­pé­ti­ti­vi­té et dans une éco­no­mie ouverte l’in­no­va­tion consti­tue le fon­de­ment de la com­pé­ti­ti­vi­té. Or, de ce point de vue, la France souffre de deux handicaps.

Le pre­mier est que nous avons une pro­pen­sion exces­sive à assi­mi­ler inno­va­tion et décou­verte tech­no­lo­gique. Pour autant, l’in­no­va­tion qui fait la dif­fé­rence sur le mar­ché n’est pas tou­jours une consé­quence de la R & D. Elle peut être orga­ni­sa­tion­nelle, com­mer­ciale, sociale, comme l’illustre la réus­site mon­diale de notre indus­trie hôte­lière ou de la dis­tri­bu­tion. La tech­no­lo­gie n’est pas la seule ni même la prin­ci­pale source d’in­no­va­tion c’est seule­ment la plus appa­rente mais notre culture d’in­gé­nieur souffre à le recon­naître et, dans ces condi­tions, le dis­po­si­tif d’in­ci­ta­tions est prin­ci­pa­le­ment orien­té vers la technologie.

Le second est repré­sen­té par le faible ren­de­ment indus­triel de l’ef­fort de R & D. La France consacre 2,5 % de son PIB à la R & D soit autant et même davan­tage que la plu­part de ses concur­rents. Or elle dépose trois ou quatre fois moins de bre­vets que l’Al­le­magne et sa balance tech­no­lo­gique est défi­ci­taire. L’or­ga­ni­sa­tion de notre effort de recherche autour de quelques grands pôles de recherche publics sans véri­tables rela­tions avec l’in­dus­trie n’est pas étran­gère à l’ex­pli­ca­tion de ce paradoxe.

Pour autant la France dispose d’atouts incontestables

Un séminaire sur l’attractivité de la France organisé en septembre dernier par l’Institut de l’Entreprise a bien mis en évidence les atouts dont dispose la France

  • . Une situa­tion géo­gra­phique excep­tion­nelle au cœur de l’Eu­ro­land. Notre pays est une véri­table plaque tour­nante entre l’Eu­rope du Nord et l’Eu­rope du Sud avec une façade mari­time très importante.
  • Un sys­tème d’in­fra­struc­ture moderne et per­for­mant, qu’il s’a­gisse de trans­ports, de télé­com­mu­ni­ca­tions, d’éner­gie ou d’in­fra­struc­tures intel­lec­tuelles (édu­ca­tion, recherche…). Mais un pro­blème de taille demeure, celui du coût de fonc­tion­ne­ment et d’en­tre­tien de ces infra­struc­tures dont la ges­tion relève encore, en grande par­tie, de l’É­tat. Or celui-ci éprouve des dif­fi­cul­tés crois­santes à régu­ler le sec­teur public, et à évi­ter les mou­ve­ments sociaux qui le para­lysent trop souvent.
  • Une excel­lente pro­duc­ti­vi­té de la main-d’œuvre qui com­pense un coût de tra­vail éle­vé. L’aug­men­ta­tion de la pro­duc­ti­vi­té du tra­vail dans l’in­dus­trie en France depuis 1990 a été la deuxième du G7 après celle du Japon. La qua­li­té de la force de tra­vail fran­çaise reste très appré­ciée par les employeurs industriels.

Toutes ces rai­sons font que la France est une des­ti­na­tion pri­vi­lé­giée de l’in­ves­tis­se­ment indus­triel étran­ger en Europe et occupe tou­jours le 4e rang des expor­ta­teurs dans le Monde.

Mais à l’opposé, ce séminaire a mis en évidence des faiblesses significatives

Elles se situent pour l’es­sen­tiel dans le poids exces­sif que l’É­tat et le sec­teur public font peser sur la richesse natio­nale, dans un sys­tème fis­cal et un droit du tra­vail qui sont deve­nus indé­chif­frables à force de com­plexi­té, et dans une recherche mal adap­tée aux besoins de l’économie.

• La France est de très loin le grand pays indus­triel où le poids des admi­nis­tra­tions publiques dans la richesse natio­nale est le plus éle­vé. En 1997, 54,1 % de son PIB sont consa­crés à la dépense publique. L’I­ta­lie, qui dépas­sait la France en 1993, a rame­né son pour­cen­tage à 50,6 % en 1996 et le Cana­da est pas­sé de 51,1 % à 42,6 % de 1992 à 1996.

Une autre mesure de ce poids exces­sif est le pour­cen­tage d’emploi du sec­teur public dans l’emploi total : 25 % en France en 1996, ce qui nous place dans le pelo­ton de queue de l’OCDE. Seuls le Dane­mark et la Suède ont plus de 30 %. Par contre, le Royaume-Uni et les États-Unis sont aux alen­tours de 14–15 %. Cet excès de « puis­sance publique » a pour consé­quence un cadre légal et régle­men­taire géné­ra­teur de surcoûts.

La régle­men­ta­tion fis­cale est sou­vent modi­fiée, par­fois avec rétro­ac­ti­vi­té, et rend, de ce fait, la déci­sion d’in­ves­tis­se­ment plus difficile.

Le code du tra­vail est un monstre admi­nis­tra­tif dans les méandres duquel seuls quelques experts très poin­tus peuvent se retrou­ver. L’in­ter­pré­ta­tion des textes, par l’ad­mi­nis­tra­tion du tra­vail ou par les tri­bu­naux, crée une grande insé­cu­ri­té juri­dique. Enfin, le poids excep­tion­nel du sec­teur public fran­çais dans l’é­co­no­mie conduit à un niveau de pré­lè­ve­ments obli­ga­toires nui­sible à la com­pé­ti­ti­vi­té. Un ratio trop éle­vé de coûts non sala­riaux (voir tableau 1) nuit de deux manières à la com­pé­ti­ti­vi­té des entre­prises. Il dimi­nue l’in­ci­ta­tion des chô­meurs à trou­ver un emploi et l’in­té­rêt, pour les tra­vailleurs, d’aug­men­ter leur performance.

• L’ef­fort de recherche n’est pas adap­té. La part des bre­vets fran­çais dépo­sés dans le sys­tème des bre­vets euro­péens a régres­sé. La recherche finan­cée sur fonds publics est trop fon­da­men­tale et, à l’ex­cep­tion de l’aé­ro­nau­tique, les sec­teurs qui reçoivent le plus de finan­ce­ments publics ne sont pas les points forts des entre­prises fran­çaises dans le com­merce inter­na­tio­nal. Les struc­tures de coopé­ra­tion entre labo­ra­toires et entre­prises sont peu uti­li­sées par les PME.

Ces fai­blesses qui masquent les atouts de la France sont la mani­fes­ta­tion de ses propres dérè­gle­ments et de son inca­pa­ci­té à mettre en œuvre les réformes éco­no­miques et sociales néces­saires. Ces réformes, l’Ins­ti­tut de l’En­tre­prise en a pré­sen­té les grandes orien­ta­tions dans 17 pro­po­si­tions pré­sen­tées en juillet 1997.

Une réforme libérale pour la croissance et l’emploi

Les 17 pro­po­si­tions de l’Ins­ti­tut de l’En­tre­prise s’or­ga­nisent autour de quelques grands thèmes.

Les entreprises sont au centre de la vie économique

Le dyna­misme de notre éco­no­mie repose sur l’es­prit d’en­tre­prise, la capa­ci­té à inno­ver, à inves­tir et à conqué­rir des marchés.

Indice de production industrielle (1989 = 100)Pen­dant la période 1989–1996, la pro­duc­tion indus­trielle fran­çaise a aug­men­té plus fai­ble­ment que celle de nos par­te­naires du G7 (voir tableau 2) et nos inves­tis­se­ments ont régres­sé : – 15,5 % en termes réels.

Les entre­prises sont le moteur de la crois­sance et de la com­pé­ti­ti­vi­té éco­no­mique. Elles sont en concur­rence dans une éco­no­mie mon­diale de plus en plus ouverte. Il faut les » libé­rer » de régle­men­ta­tions exces­sives et de charges éle­vées pesant sur le coût du travail.

C’est une néces­si­té abso­lue pour qu’elles puissent amé­lio­rer leur posi­tion sur le mar­ché inté­rieur euro­péen et sur les mar­chés étran­gers ; c’est aus­si une condi­tion de leur indé­pen­dance. Or leur niveau de ren­ta­bi­li­té est insuf­fi­sant puisque le retour moyen des fonds propres a été en 1997 de 10,2 % en France contre 13,6 % en Alle­magne, 14 % en Ita­lie, 21,5 % aux États-Unis et 24 % au Royaume-Uni. Contrai­re­ment à une croyance trop répan­due, les entre­prises fran­çaises ne gagnent pas assez d’argent.

L’État doit être fort et centré sur ses responsabilités régaliennes

• Un État fort n’est pas un État sur­ad­mi­nis­tré. La fonc­tion publique est plé­tho­rique et, mal­gré ses qua­li­tés, elle ne peut jouer son rôle parce que ses res­pon­sa­bi­li­tés et ses mis­sions sont mal défi­nies et les cir­cuits de déci­sion compliqués.

L’É­tat n’est pas l’ac­teur de la crois­sance éco­no­mique mais son faci­li­ta­teur ; il n’a pas à gérer l’é­co­no­mie et doit donc pour­suivre les pri­va­ti­sa­tions. Il doit par contre déter­mi­ner et faire res­pec­ter les règles du jeu sans les modi­fier trop sou­vent. Il fait, bien évi­dem­ment, fonc­tion­ner effi­ca­ce­ment les ser­vices de sou­ve­rai­ne­té (armée, jus­tice, sécu­ri­té, affaires étrangères).

Il faut abou­tir à la sim­pli­fi­ca­tion des règles admi­nis­tra­tives, notam­ment celles favo­ri­sant la créa­tion d’en­tre­prises, et à l’ap­pli­ca­tion du prin­cipe de sub­si­dia­ri­té par l’in­ter­dic­tion du cumul des man­dats poli­tiques ; ceci implique un véri­table trans­fert de res­pon­sa­bi­li­tés aux régions et une réor­ga­ni­sa­tion des compétences.

Est-il normal :

– que dans l’É­du­ca­tion natio­nale le nombre d’en­sei­gnants qui ne sont pas devant une classe soit pas­sé de 11 % à 15 % au cours des dix der­nières années ?
– que le minis­tère des Anciens Com­bat­tants conti­nue à employer 4 300 agents mal­gré la dimi­nu­tion constante du nombre des bénéficiaires ?
– que 55 000 lits d’hô­pi­taux, sur un total de 690 000, ne soient pas ou mal utilisés ?

Les entre­prises se sont, depuis quinze ans, enga­gées dans de pro­fondes muta­tions. L’É­tat peut le faire aus­si. Il a l’o­bli­ga­tion dans le monde d’au­jourd’­hui de faire mieux avec moins, pour être plus effi­cace, et lais­ser davan­tage de res­sources aux entre­prises et aux ménages.

Il est vrai qu’une mis­sion impor­tante de l’É­tat est le main­tien de la cohé­sion sociale. Nos sys­tèmes de pro­tec­tion sociale et notre Édu­ca­tion natio­nale sont les deux ins­tru­ments de cette cohé­sion, mais il faut les adap­ter si nous ne vou­lons pas péna­li­ser les géné­ra­tions futures. L’ef­fet démo­gra­phique, iné­luc­table, conduit à mettre en place à côté de la retraite par répar­ti­tion des fonds de pen­sion ; après une loi votée, mais inap­pli­quée, le gou­ver­ne­ment actuel semble vou­loir s’en­ga­ger, encore pru­dem­ment, dans cette voie.

Dépense publique et chômage en 1997En matière de san­té, il est urgent de rendre effec­tive la réforme des sys­tèmes de san­té qui cherche à obte­nir un contrôle plus effi­cace des coûts et une ratio­na­li­sa­tion du système.

Dans le sec­teur de l’É­du­ca­tion natio­nale, le nombre de pro­fes­seurs aug­mente sans que l’ef­fi­ca­ci­té soit amé­lio­rée. On pour­rait au mini­mum s’ef­for­cer de mieux répar­tir les moyens et de don­ner plus d’au­to­no­mie aux lycées, aux col­lèges, aux universités.

Ces remarques ne font que sur­vo­ler quelques aspects du mau­vais fonc­tion­ne­ment de l’É­tat qui sont la cause d’une dépense publique exces­sive, dont l’une des consé­quences est un taux de chô­mage éle­vé (tableau 3).

• Pour un sys­tème fis­cal plus effi­cace. Notre sys­tème fis­cal déjà ancien, résul­tat de bri­co­lages suc­ces­sifs, péna­lise le tra­vail, est puni­tif pour les per­sonnes les plus per­for­mantes, n’en­cou­rage pas l’es­prit d’en­tre­prise et encore moins l’é­pargne ; or il ne peut y avoir créa­tion d’emplois sans crois­sance. Il ne peut y avoir crois­sance sans inves­tis­se­ment et il ne peut y avoir inves­tis­se­ment sans épargne. Notre pays a besoin d’une remise à plat com­plète de notre sys­tème fis­cal, local aus­si bien que natio­nal, et d’une réforme en pro­fon­deur plu­tôt qu’une suc­ces­sion de mesures par­tielles, sources de mécon­ten­te­ments catégoriels.

Le travail doit être valorisé

Les entre­prises, et plus par­ti­cu­liè­re­ment les PME, ont du mal à créer des emplois et à embaucher.

La pre­mière rai­son est le coût du travail.

Entre 1978 et 1995, le pou­voir d’a­chat du salaire moyen en France a aug­men­té de 20 % et l’emploi uni­que­ment de 3,8 %. Aux États-Unis par contre, sur la même période, le salaire moyen a aug­men­té de 4,7 % et l’emploi de 36,8 %.

Quand on observe ce qui s’est pas­sé dans d’autres pays de l’OCDE, comme les Pays-Bas par exemple, on constate une bonne cor­ré­la­tion entre coût du tra­vail et créa­tion d’emplois. Il faut donc bais­ser les charges qui pèsent sur les salaires, plus spé­cia­le­ment les bas salaires, pour favo­ri­ser la créa­tion d’emplois par les PME, notam­ment celles du sec­teur ter­tiaire. Une meilleure maî­trise des dépenses sociales doit favo­ri­ser la réduc­tion des prélèvements.

La deuxième dif­fi­cul­té ren­con­trée par les entre­prises est la pré­fé­rence de cer­taines per­sonnes pour le non-tra­vail, encou­ra­gée par les aides qu’elles reçoivent. Le rap­port Duca­min (Com­mis­sion d’é­tudes sur les pré­lè­ve­ments fis­caux et sociaux pesant sur les ménages) montre que pour un céli­ba­taire ayant deux enfants à charge, le pas­sage du RMI à un tra­vail payé au SMIC lui fait perdre 10 000 F en reve­nu net ; ceci est dû tout sim­ple­ment à la perte des pres­ta­tions attri­buées sous condi­tions de res­sources, aux coti­sa­tions sociales, à l’im­pôt… C’est un encou­ra­ge­ment au tra­vail au noir. Il est par consé­quent urgent de remettre à plat les aides au chô­mage et le RMI en l’as­sor­tis­sant d’une obli­ga­tion de tra­vail d’in­té­rêt géné­ral, type CES, orga­ni­sé par les col­lec­ti­vi­tés locales. On peut aus­si ima­gi­ner un impôt néga­tif comme aux États-Unis. Il consiste à don­ner à celui qui a un tra­vail, mais un reve­nu faible, un sur­croît de reve­nu sous la forme d’un rever­se­ment fiscal.

• Le sec­teur des ser­vices est un gise­ment de créa­tion d’emplois très important.

Il a pro­gres­sé depuis 1970 à un rythme de 3,5 % contre 2,5 % pour le reste de l’é­co­no­mie. Il faut que ce mou­ve­ment s’am­pli­fie. Pour cela, plu­sieurs condi­tions sont à remplir :

– modi­fier des régle­men­ta­tions ou des conven­tions col­lec­tives inadap­tées, notam­ment dans les domaines de la dis­tri­bu­tion, de la banque et des services ;
– déve­lop­per le capi­tal-risque pour finan­cer des PME de ser­vice dyna­miques et innovantes ;
– pour­suivre la pri­va­ti­sa­tion des ser­vices mar­chands encore contrô­lés par l’État ;
– tirer plei­ne­ment par­ti des tech­no­lo­gies de la com­mu­ni­ca­tion et de l’information ;
– au risque de se répé­ter, dimi­nuer le coût du tra­vail qua­li­fié et non qualifié.

C’est, enfin, l’or­ga­ni­sa­tion du tra­vail plus effi­cace qui aide­ra la créa­tion d’emplois et non la réduc­tion du temps de travail.

Entre 1970 et 1995, la durée du tra­vail a bais­sé en France de 16,5 % et de 4,1 % aux États-Unis. Sur la même période, 871 000 emplois mar­chands ont été détruits en France et 39 500 000 créés aux États-Unis. Plu­tôt que réduire le temps de tra­vail, il est pré­fé­rable de l’a­mé­na­ger en bri­sant les rigi­di­tés du cadre actuel.

L’ac­cord du 31.10.1995, signé par les orga­ni­sa­tions syn­di­cales du CNPF, avait pré­vu des négo­cia­tions sur l’a­mé­na­ge­ment du temps de tra­vail. Le pro­ces­sus a été arrê­té de fait après l’a­dop­tion de la loi Robien, et la loi Aubry sur les 35 heures. L’ef­fet per­vers de cette régle­men­ta­tion ne va pas man­quer de se faire sentir.

On touche ici du doigt un des pro­blèmes fon­da­men­taux de la socié­té fran­çaise : la défiance. Les entre­prises ne font pas confiance aux syn­di­cats, les syn­di­cats ne font pas confiance aux entre­prises et l’É­tat – ne fai­sant confiance ni aux uns ni aux autres – s’in­gère constam­ment dans le dia­logue social. Ce dia­logue doit être lais­sé aux entre­prises et aux repré­sen­tants du per­son­nel pla­cés le plus près pos­sible du ter­rain. C’est ce qu’a pré­vu un autre accord inter­pro­fes­sion­nel du 31.10.1995, qui orga­nise l’ar­ti­cu­la­tion des dif­fé­rents niveaux de négo­cia­tion, y com­pris dans les entre­prises qui n’ont pas de repré­sen­ta­tion syn­di­cale. Cet accord ouvre des pos­si­bi­li­tés qu’il faut exploi­ter. Les accords de branche doivent se limi­ter au mini­mum de règles com­munes de soli­da­ri­té, et lais­ser à la négo­cia­tion d’en­tre­prise et d’é­ta­blis­se­ment la pos­si­bi­li­té de s’a­dap­ter à des situa­tions d’or­ga­ni­sa­tion, de mar­ché et de concur­rence très diverses. L’É­tat, quant à lui, doit s’abs­te­nir d’in­ter­ve­nir, sauf pour faire res­pec­ter les règles du jeu.

Le problème des jeunes doit être abordé franchement

On ne peut pas trai­ter le pro­blème de l’emploi sans évo­quer spé­ci­fi­que­ment le pro­blème de l’emploi des jeunes. En effet le chô­mage des jeunes (25 % des 16–24 ans non sco­la­ri­sés) se situe en France au plus haut niveau par rap­port aux pays com­pa­rables et il repré­sente depuis long­temps le double du taux de chô­mage moyen. Or ce sont les jeunes les moins qua­li­fiés qui four­nissent l’es­sen­tiel du chô­mage des jeunes. En réa­li­té le chô­mage des jeunes est au confluent de deux réalités.

• Un pro­blème de coût du tra­vail car de nom­breux jeunes, lors­qu’ils se pré­sentent sur le mar­ché du tra­vail, ne sont pas employables à un coût qui se situe au mini­mum aux envi­rons de 10 000 F men­suels. En effet ils ne génèrent pas une offre de biens ou de ser­vices fac­tu­rable à ce prix à des clients sur un mar­ché. La solu­tion est d’a­gir sur les charges sociales mais en gageant leur réduc­tion sur des éco­no­mies réa­li­sées au niveau des dépenses et non sur un trans­fert au détri­ment d’autres agents de l’é­co­no­mie. Le MEDEF a récem­ment pro­po­sé une mesure géné­rale de réduc­tion des charges patro­nales en éta­blis­sant une fran­chise pour les 5 000 pre­miers francs de salaire. L’Ins­ti­tut de l’En­tre­prise pré­co­nise, pour les jeunes, une mesure com­pa­rable dans son ins­pi­ra­tion qui consis­te­rait à éta­blir une pro­gres­si­vi­té des charges patro­nales entre 16 et 25 ans en par­tant d’un taux nul à 16 ans pour atteindre le taux nor­mal à 25 ans.

• Un pro­blème de qua­li­fi­ca­tion, car trop de jeunes sortent encore du sys­tème de for­ma­tion ini­tiale sans maî­tri­ser les appren­tis­sages de base (lec­ture, écri­ture et cal­cul) ou sans dis­po­ser d’une qua­li­fi­ca­tion pro­fes­sion­nelle recon­nue par le mar­ché. La très forte pous­sée de la sco­la­ri­sa­tion qui s’est mise en place depuis une dizaine d’an­nées a pri­vi­lé­gié les qua­li­fi­ca­tions sco­laires au détri­ment du déve­lop­pe­ment des com­pé­tences pro­fes­sion­nelles. Nous sommes ain­si confron­tés à une « sur­abon­dance de diplô­més et à une pénu­rie de professionnels ».

Une com­mis­sion de l’Ins­ti­tut de l’En­tre­prise a réflé­chi pen­dant deux ans à l’emploi des jeunes et plu­tôt que rédi­ger un nième rap­port sur ce sujet a pré­fé­ré faire des pro­po­si­tions d’ac­tions pour les entre­prises adhé­rentes de l’Ins­ti­tut. Ces pro­po­si­tions s’ar­ti­culent autour de quatre idées :

• L’exi­gence de trans­pa­rence. Les entre­prises peuvent inter­ve­nir uti­le­ment en appui du sys­tème de for­ma­tion en infor­mant sur les métiers, en orien­tant la taxe pro­fes­sion­nelle vers les éta­blis­se­ments accep­tant de publier leurs résul­tats d’in­ser­tion pro­fes­sion­nelle, en offrant des stages aux conseillers d’o­rien­ta­tion et aux enseignants.

• Le besoin d’une double dimen­sion aca­dé­mique et pro­fes­sion­nelle. Il s’a­git essen­tiel­le­ment de déve­lop­per la for­ma­tion en alter­nance et d’ai­der ensuite les jeunes dans leurs recherches d’emploi.

• L’ur­gence de nou­velles oppor­tu­ni­tés d’emploi. Il s’a­git d’a­bord d’é­car­ter l’obs­tacle du coût du tra­vail des jeunes, ensuite de favo­ri­ser leur ouver­ture au monde notam­ment par l’ex­ten­sion du sys­tème CSNE, enfin d’ai­der ceux qui sou­haitent créer leur entreprise.

• Le devoir d’une réelle soli­da­ri­té. Les entre­prises peuvent favo­ri­ser la créa­tion d’en­tre­prises d’in­ser­tion de jeunes mar­gi­naux en leur confiant des acti­vi­tés de proxi­mi­té. Une autre pos­si­bi­li­té est d’of­frir aux jeunes un double tuto­rat éco­no­mique et social en par­te­na­riat avec les col­lec­ti­vi­tés locales et les acteurs sociaux.

Conclusion

C’est seule­ment dans une réforme glo­bale de l’é­co­no­mie et des modes de fonc­tion­ne­ment de notre socié­té que l’on peut trou­ver les remèdes à nos pro­blèmes d’emploi. Les mesures ponc­tuelles, par­tielles ou tem­po­raires ont fait la preuve de leur inefficacité.

Mais il ne peut y avoir de réforme sans chan­ge­ment des com­por­te­ments, et sans accep­ta­tion par nos conci­toyens de la néces­si­té de ce chan­ge­ment. Il ne suf­fit pas pour l’É­tat de vou­loir dimi­nuer les dépenses publiques, il faut que les Fran­çais en soient convain­cus. Il ne suf­fit pas de « prê­cher » pour un meilleur dia­logue social, il faut que les par­te­naires sociaux acceptent de l’or­ga­ni­ser le plus près pos­sible du ter­rain. Il ne suf­fit pas pour les entre­prises d’être plus ouvertes sur le monde et plus com­pé­ti­tives, il faut qu’elles com­mu­niquent mieux sur leurs réa­li­tés et leurs contraintes, concrè­te­ment, et en dehors de toute idéologie.

Répondre à cette exi­gence de com­mu­ni­ca­tion, par­ti­ci­per au débat public sur la réforme est aus­si une res­pon­sa­bi­li­té des entreprises.

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