Les entreprises de mécanique et l’environnement

Dossier : MécaniqueMagazine N°574 Avril 2002
Par Michel HENRY (59)

S’il a jamais exis­té, l’a­te­lier de méca­nique des années cin­quante, gros pro­duc­teur de copeaux par tour­nage ou frai­sage – arro­sés d’huile de coupe récu­pé­rée mais pas recy­clée – rem­pli de bruits et de pous­sières de forge, ou uti­li­sant des bains de trai­te­ment de sur­face incon­trô­lés dans leur toxi­ci­té, est une cari­ca­ture ou un loin­tain sou­ve­nir. La volon­té des indus­triels et l’é­vo­lu­tion des tech­no­lo­gies aidant, cette image néga­tive a dis­pa­ru même de la mémoire des acteurs de la vie éco­no­mique, tout au moins pour ceux qui veulent bien être au fait des réa­li­tés méca­niques du XXIe siècle. En effet, la méca­nique pol­lue peu, pol­lue de moins en moins et contri­bue, grâce à ses équi­pe­ments de tech­no­lo­gies propres, à la dépol­lu­tion, aus­si bien dans ses usines que dans celles d’autres professions.

Comment transformer les nouvelles contraintes et leurs sanctions en une démarche volontaire de progrès ?

En France, le droit de l’en­vi­ron­ne­ment indus­triel a la par­ti­cu­la­ri­té d’être à la fois rigou­reux dans l’a­bon­dance de textes détaillés d’ordre natio­nal, com­mu­nau­taire et inter­na­tio­nal, et négo­cié dans son appli­ca­tion fon­dée sur des contrôles locaux (dépar­te­men­taux) pour des rai­sons évi­dentes de sur­vie des sites industriels.

À ce double point de vue, la méca­nique n’est pas par­ti­cu­liè­re­ment visée ni mal pla­cée, car ses ins­tal­la­tions, sauf rares excep­tions, ne pré­sentent pas les risques majeurs d’autres sec­teurs. Elle est par contre, sou­vent, plus sen­sible à la poli­tique des grands don­neurs d’ordres eux-mêmes sou­mis aux groupes de pres­sion (charte éthique, ana­lyses du cycle de vie des pro­duits, orien­ta­tions impo­sées, mise en concur­rence), ce qui peut avoir des consé­quences lourdes dans ce domaine, pour les sous-trai­tants. Ces exi­gences des clients entraînent néces­sai­re­ment une réflexion ini­tia­le­ment coû­teuse mais fina­le­ment formatrice.


© CETIM

La notion de base est celle des ins­tal­la­tions clas­sées pour la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment ICPE, qui, par défi­ni­tion, sont celles pou­vant pré­sen­ter des dan­gers ou incon­vé­nients pour le voi­si­nage, la san­té, la sécu­ri­té, la salu­bri­té publique, l’a­gri­cul­ture, la pro­tec­tion de la nature et de l’en­vi­ron­ne­ment (loi du 19 juillet 1976). Son pen­dant en droit com­mu­nau­taire est la direc­tive IPPC (Inte­gra­ted pol­lu­tion pre­ven­tion and control) du 24 sep­tembre 1996, qui s’ins­pire de la régle­men­ta­tion fran­çaise et pré­voit le contrôle des émis­sions pol­luantes dans l’eau, l’air et le sol par une pro­cé­dure d’au­to­ri­sa­tion unique, et la direc­tive » Seve­so II » (9 décembre 1996) concer­nant la maî­trise des dan­gers liés aux acci­dents majeurs impli­quant des sub­stances dan­ge­reuses, qui est d’ap­pli­ca­tion raris­sime en méca­nique où les éta­blis­se­ments relèvent des régimes de la décla­ra­tion ou de la simple auto­ri­sa­tion non assor­tie de ser­vi­tudes d’u­ti­li­té publique.

Sept rubriques de la nomen­cla­ture visent le sec­teur : tra­vail mécanique/ trempe, recuit, reve­nu des métaux et alliages/bains de sels fondus/traitement des métaux et matières plastiques/décapage ou nettoyage/galvanisation, étamage/vernis, pein­ture, apprêt, colle, enduit. Le minis­tère de l’En­vi­ron­ne­ment (actuel­le­ment MATE) est par­ti­cu­liè­re­ment atten­tif aux ate­liers de trai­te­ment de sur­face : contrôles, pré­lè­ve­ments, consom­ma­tion d’eau, émis­sions de toute nature.

La trans­po­si­tion de la direc­tive visant à réduire la pro­duc­tion des pré­cur­seurs d’o­zone a conduit à fixer des pla­fonds d’é­mis­sion et, pour la méca­nique, l’u­ti­li­sa­tion des com­po­sés orga­niques vola­tils (COV) est réglementée.

Enfin, l’ap­pli­ca­tion de la direc­tive IPPC conduit à la rédac­tion de guides sur les meilleures tech­niques dis­po­nibles MTD (en anglais : best avai­lable tech­no­lo­gies BAT) appe­lées BREF pour BAT Refe­rences. Trois groupes de tra­vail concernent la méca­nique : Smi­the­ries and foun­dries, Sur­face treat­ment et Solvent bases coating.

La contre­par­tie finan­cière de cet enca­dre­ment est la taxe géné­rale sur les acti­vi­tés pol­luantes TGAP qui s’ap­plique : à l’air, aux déchets (DIB, déchets indus­triels banals, et DIS, indus­triels spé­ciaux), aux lubri­fiants et huiles usa­gés, aux ins­tal­la­tions clas­sées. L’éner­gie a été épar­gnée jus­qu’à pré­sent, la loi créant » l’é­co­taxe » ayant été jugée non conforme à la Constitution.

Paral­lè­le­ment aux réflexions sur les pro­cé­dés, se déve­loppent celles sur les pro­duits, biens et ser­vices. La stra­té­gie de la Com­mis­sion sur la poli­tique inté­grée des pro­duits, en anglais IPP, élé­ment impor­tant du sixième pro­gramme d’ac­tion pour l’en­vi­ron­ne­ment 2001–2010, a été adop­tée sous la forme d’un Livre vert en février 2001. Celui-ci exprime une volon­té d’a­gir sur l’offre et la demande de pro­duits plus éco­lo­giques pour qu’à l’a­ve­nir les 378 mil­lions de consom­ma­teurs dans l’U­nion euro­péenne s’o­rientent vers les pro­duits conçus pour uti­li­ser moins de res­sources natu­relles et exer­cer un impact moindre sur l’en­vi­ron­ne­ment, d’où trois axes d’études :

  • sti­mu­ler la demande : éti­que­tage des pro­duits, éco­la­bels, mar­chés publics verts ;
  • inci­ter les entre­prises : inven­taire et ana­lyses de cycle de vie (ACV), normalisation ;
  • uti­li­ser la taxa­tion dif­fé­ren­ciée : TVA réduite, aides d’État.


Bien qu’an­té­rieure, la direc­tive sur les embal­lages et déchets d’emballage du 20 décembre 1994, en phase de remise à jour, est un bon exemple de cette » nou­velle approche » fon­dée sur des » exi­gences essen­tielles » au nom de la tri­lo­gie : réduc­tion à la source, réuti­li­sa­tion, recy­clage. La méca­nique qui fabrique (SNFBM : boîtes métal­liques en acier ou alu) et qui uti­lise des embal­lages de consom­ma­tion a contri­bué à la mise en place et finance Éco-Embal­lages, » le point vert « , qui pro­meut la col­lecte sélec­tive et le recy­clage de ces emballages.

En France, sur le même sujet, quatre groupes de tra­vail ont été mis en place fin 2001, pour examiner :

  • les démarches volon­taires, méthodes d’é­va­lua­tion, outils pour l’é­co­con­cep­tion, normalisation ;
  • l’in­ter­na­li­sa­tion des coûts envi­ron­ne­men­taux, concur­rence, pas­sage des biens aux services ;
  • les sys­tèmes de mana­ge­ment envi­ron­ne­men­tal orien­tés pro­duits (en anglais POEMS) ;
  • les achats verts, la com­mu­ni­ca­tion envi­ron­ne­men­tale : qui ? com­ment ? vers qui ?

Les outils collectifs de la profession au service d’une action efficace

L’in­dus­trie méca­nique en France, a, rap­pe­lons-le, deux carac­té­ris­tiques principales :

  • la diver­si­té des activités
    L’é­ven­tail des pro­duits livrés soit direc­te­ment, soit en sous-trai­tance, peut en don­ner une idée : machines-outils, équi­pe­ments pour les BTP et les indus­tries agroa­li­men­taires, sys­tèmes de manu­ten­tion, outillage, com­po­sants, sous-ensembles, optique, ins­tru­ments de pré­ci­sion et de mesure, équi­pe­ments des ménages et de la santé ;
     
  • la diver­si­té des tailles
    80 % des entre­prises sont des PMI de moins de 50 sala­riés, peu d’en­tre­prises moyennes, sou­vent anciennes, 50 % ont plus de dix ans, sou­vent sous-trai­tantes de l’au­to­mo­bile, mais il existe aus­si de grandes mul­ti­na­tio­nales au total 6 600 entre­prises de 20 sala­riés et plus, 12 % de la pro­duc­tion indus­trielle française.


On com­prend, dans ces condi­tions, que, comme leurs homo­logues d’Al­le­magne par exemple (Mit­tel­stand désigne l’en­semble de ce tis­su de PMI outre-Rhin), ces entre­prises fassent appel au-delà de leurs ini­tia­tives indi­vi­duelles à des ins­tances pro­fes­sion­nelles, FIM et ses syn­di­cats en France, VDMA (Ver­band Deut­scher Maschi­nen-und Anla­gen­bau) et ses asso­cia­tions spé­cia­li­sées en Allemagne.

Il en est ain­si notam­ment en matière d’en­vi­ron­ne­ment : s’u­nir face aux risques, trou­ver ensemble les remèdes.

Quelques exemples le montrent où inter­vient sou­vent le CETIM, Centre tech­nique des indus­tries méca­niques, avec ses trois sites Sen­lis, Saint-Étienne, Nantes, et qui est, comme son nom l’in­dique, le bras armé de la pro­fes­sion dans le domaine des nou­velles tech­no­lo­gies et du mana­ge­ment environnemental :

  • pour inci­ter les entre­prises à appré­hen­der et maî­tri­ser leur situa­tion envi­ron­ne­men­tale de façon glo­bale, l’A­deme (Agence de l’en­vi­ron­ne­ment et de la maî­trise de l’éner­gie) avait mis au point une méthode opé­ra­tion­nelle, le Plan envi­ron­ne­ment entre­prise PEE 2000 en 4 par­ties : état des lieux et pre­mier pro­gramme, amé­lio­ra­tion des per­for­mances par domaine, éco-audit, ISO 14001. Le CETIM a publié un guide d’ap­pli­ca­tion du PEE 2000 au sec­teur méca­nique, qui explique et conduit pas à pas les res­pon­sables dans leur pro­gres­sion tech­nique et admi­nis­tra­tive, air, sols, eau, déchets, bruit sont pas­sés en revue par nature d’atelier ;
     
  • pour les exploi­tants, des notices spé­ci­fiques existent, éli­mi­na­tion des boues d’hy­droxydes métal­liques dans les trai­te­ments de sur­face, guide de choix et d’u­ti­li­sa­tion des sol­vants et dégrais­sants indus­triels, sta­bi­li­sa­tion des boues de rec­ti­fi­ca­tion, guide de réduc­tion et de trai­te­ment des déchets dans l’ap­pli­ca­tion des pein­tures industrielles ;
     
  • pour les clients, des guides pra­tiques ont été pré­pa­rés par des syn­di­cats, ain­si UNICLIMA (construc­teurs de maté­riel aérau­lique, ther­mique, ther­mo­dy­na­mique et fri­go­ri­fique) décrit le trai­te­ment de l’air en milieu hos­pi­ta­lier, la récep­tion d’une ins­tal­la­tion de ven­ti­la­tion méca­nique contrô­lée, la qua­li­té de l’air des ate­liers, les méthodes et tech­niques pour l’as­sai­nis­se­ment des atmo­sphères de travail… ;
     
  • pour les uti­li­sa­teurs, des » guides de bonnes pra­tiques « , exemple avec les trois minis­tères concer­nés emploi, indus­trie, envi­ron­ne­ment : la bac­té­rie Legio­nel­la et les tours aéroréfrigérantes ;
     
  • six syn­di­cats : AFPR (pompes et robi­net­te­ries), FABRILABO (appa­reils de labo­ra­toire et de mesure), SATS et SITS (appli­ca­teurs et maté­riels de trai­te­ment de sur­face), SIMMA (manu­ten­tion), UCIP (pro­cé­dés chi­miques et ali­men­taires) ont for­mé ECOMECA qui agit en leur nom et coor­donne la pré­sence aux salons et expo­si­tions, les normes, la défi­ni­tion des MTD (meilleures tech­niques dis­po­nibles), bref, la pro­mo­tion des éco-indus­tries de la mécanique ;
     
  • enfin, une publi­ca­tion tri­mes­trielle de plus en plus copieuse et rédi­gée en com­mun par l’UIMM, la FIM et la FIEEC aver­tit tous leurs adhé­rents des actua­li­tés les plus impor­tantes en la matière.

 
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Code du tra­vail, Code des douanes, Code de l’en­vi­ron­ne­ment, » ce der­nier né en 2000, ras­sem­blant 39 lois en un mil­lier d’ar­ticles, mais tou­jours incom­plet et déjà obso­lète, les textes légis­la­tifs et régle­men­taires rela­tifs à l’en­vi­ron­ne­ment ne manquent pas, sans comp­ter les 200 direc­tives de Bruxelles, à quoi s’a­joutent près de 250 conven­tions inter­na­tio­nales » (Les Échos du 9 juillet 2001).

Dans un cli­mat très émo­tif, tout se passe comme si à chaque nou­veau sinistre acci­den­tel ou catas­trophe natu­relle, les exé­cu­tifs fran­çais et euro­péen fai­saient assaut de com­plexi­té en rajou­tant des cir­cu­laires, com­blant des lacunes, ajou­tant des seuils, des échéances, des péna­li­tés, dans une ému­la­tion digne d’un meilleur sort.

Der­nières trou­vailles : les risques et les dom­mages. D’un côté, un avant-pro­jet fran­çais de loi sur la maî­trise des risques tech­no­lo­giques, résul­tat d’un débat natio­nal de 26 tables rondes régio­nales, de l’autre, un avant-pro­jet euro­péen de direc­tive sur la res­pon­sa­bi­li­té envi­ron­ne­men­tale fon­dée sur le prin­cipe bien connu pol­lueur payeur, fruit de dix ans de tergiversations.

On peut admettre que ces couches suc­ces­sives de textes depuis trente ans, certes à la mesure de ques­tions pla­né­taires mais à la limite du dérai­son­nable, aient sur­pris les déci­deurs de la méca­nique. Mais, comme le dit Franck Gam­bel­li, direc­teur à la FIM :

» Si dans un pre­mier temps, les entre­prises se sont sen­ties agres­sées et ont fait bloc, par réflexe de corps, en cri­ti­quant les acteurs sociaux : éco­lo­gistes, médias, scien­ti­fiques, un dis­cours plus posi­tif a pro­gres­si­ve­ment vu le jour… Des spé­cia­listes sont recru­tés, des indi­ca­teurs sont mis en place, les orga­ni­grammes sont modi­fiés, on inves­tit dans la maî­trise des pol­lu­tions… S’il faut avoir la luci­di­té et le cou­rage de recon­naître les dif­fi­cul­tés des entre­prises dans cette marche, il est de notre devoir d’af­fir­mer la réa­li­té des progrès. »

En effet, les moyens mis en œuvre ont per­mis jus­qu’à pré­sent d’an­ti­ci­per le res­pect des normes fran­çaises de plus en plus ser­rées et sou­vent en avance sur les européennes. 

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