Les enjeux économiques et environnementaux de la mobilité

Dossier : Transport et développement durableMagazine N°523 Mars 1997
Par Jean POULIT (57)

L’or­ga­ni­sa­tion urbaine, celle de l’ha­bi­tat comme celle de l’emploi ou des loi­sirs, sup­pose des échanges crois­sants au sein et entre des ter­ri­toires de den­si­tés variables. La mobi­li­té est ain­si deve­nue un des enjeux majeurs de la vie col­lec­tive – et de la vie quo­ti­dienne. Car elle est un moyen indis­pen­sable au bon fonc­tion­ne­ment de la société.

Pour­tant cer­tains pensent qu’il faut limi­ter voire stop­per ce phé­no­mène qui, selon eux, porte atteinte à l’en­vi­ron­ne­ment, consomme des éner­gies non renou­ve­lables, favo­rise la pol­lu­tion ou une expan­sion urbaine incon­trô­lable. D’autres pensent que les échanges sont source de déve­lop­pe­ment éco­no­mique mais aus­si de qua­li­té de vie et de liber­té, à condi­tion de prendre les pré­cau­tions indis­pen­sables pour ne plus repro­duire les erreurs du pas­sé en matière d’ur­ba­nisme ou de concep­tion des infra­struc­tures. La liber­té d’al­ler et venir n’est-elle pas un droit imprescriptible ?

Ce débat sur la mobi­li­té urbaine tient une place crois­sante dans celui, plus large, sur le deve­nir de notre socié­té. Il montre bien que le bilan des échanges com­porte des fac­teurs posi­tifs (le ser­vice ren­du par les des­ti­na­tions éco­no­miques ou récréa­tives) et des fac­teurs néga­tifs (le coût du dépla­ce­ment en temps et en argent, les nui­sances induites, les frais de main­te­nance des ouvrages empruntés).

Si les ques­tions sont nom­breuses et les déci­sions lourdes à prendre, elles ne sont pas nou­velles. Les villes se construisent depuis bien long­temps et des réseaux ont tou­jours été néces­saires pour les irri­guer. Les dépla­ce­ments des per­sonnes et des biens ont tou­jours été au centre des pré­oc­cu­pa­tions urbaines. La ges­tion et l’or­ga­ni­sa­tion, de même que l’u­ti­li­té ou la « désu­ti­li­té » de ces dépla­ce­ments aussi.

Nous devons aujourd’­hui faire face aux besoins d’une vaste col­lec­ti­vi­té. L’Île-de-France concentre près de 20 % de la popu­la­tion totale de la France sur seule­ment 2,2 % du ter­ri­toire natio­nal. Cette grande métro­pole de plus de 10 mil­lions d’ha­bi­tants se trouve ain­si confron­tée à des pro­blèmes de dépla­ce­ment d’une ampleur exceptionnelle.

Mais nous ren­con­trons aus­si des constances remar­quables dans le com­por­te­ment des popu­la­tions urbaines. Les enquêtes menées à inter­valles régu­liers pour connaître l’é­vo­lu­tion de la phy­sio­no­mie des dépla­ce­ments urbains en témoignent.

Des constances remarquables dans les échanges urbains

Pour prendre l’exemple de l’Île-de-France, les enquêtes effec­tuées au cours des vingt der­nières années dans la fou­lée des recen­se­ments de popu­la­tion ont per­mis d’ap­pré­cier des phé­no­mènes essen­tiels à la com­pré­hen­sion, mais aus­si à la pré­vi­sion, des besoins de déplacements.

Tout d’a­bord, le nombre de dépla­ce­ments reste stable. Il tourne autour de 3,5 dépla­ce­ments par per­sonne et par jour, tous modes de trans­port confon­dus, y com­pris la marche à pied. Bien sûr les modes de dépla­ce­ment évo­luent : la part des dépla­ce­ments moto­ri­sés s’ac­croît régu­liè­re­ment d’en­vi­ron 1 % par an au détri­ment de la marche à pied. Ensuite, force est de consta­ter que, contrai­re­ment aux idées reçues, le temps consa­cré quo­ti­dien­ne­ment à se dépla­cer n’é­vo­lue pas. Chaque dépla­ce­ment repré­sente en moyenne vingt-deux minutes tous modes de trans­port confon­dus, ou vingt-neuf minutes pour les seuls dépla­ce­ments moto­ri­sés. Cette moyenne recouvre des situa­tions diverses mais stables éga­le­ment. 42 % des dépla­ce­ments sont d’une durée infé­rieure à dix minutes (marche à pied incluse), moins de 10 % sont supé­rieurs à une heure et moins de 5 % supé­rieurs à une heure quinze.

Noeud routier
© DREIF-GOBRY

Le « bud­get temps » consa­cré par le Fran­ci­lien à ses échanges quo­ti­diens demeure constant, autour d’une heure trente. Il y a là une régu­la­tion qua­si bio­lo­gique, consta­tée non seule­ment en Île-de-France mais dans de nom­breuses métro­poles mon­diales (à Londres ou Los Angeles, la durée moyenne d’un dépla­ce­ment est éga­le­ment de l’ordre de vingt-sept à vingt-neuf minutes).

Il est pour­tant consta­té que la vitesse moyenne s’a­mé­liore. Les inves­tis­se­ments consen­tis pour amé­lio­rer les trans­ports en com­mun et le réseau rou­tier se sont tra­duits entre 1976 et 1990 par une hausse de la vitesse moyenne pon­dé­rée (porte à porte et à vol d’oi­seau) de 1,5 km/h, pas­sant de 12,4 km/h à 13,9 km/h.

Si le temps de dépla­ce­ment reste constant alors que la vitesse s’a­mé­liore, c’est que la por­tée des dépla­ce­ments croît. Elle aug­mente ain­si de manière conti­nue de 0,86 % par an.

Les usa­gers uti­lisent donc la plus grande per­for­mance des réseaux (les gains de vitesse) pour accroître leur domaine acces­sible. Cette aug­men­ta­tion de l’es­pace cou­vert à temps constant per­met d’ailleurs aux Fran­ci­liens d’a­gran­dir leur « bas­sin de vie » de 1,72 % par an.

L’a­mé­lio­ra­tion des por­tées a éga­le­ment pour effet indi­rect de « dila­ter » l’ur­ba­ni­sa­tion. La crois­sance annuelle de la popu­la­tion est plus modeste que la crois­sance du ter­ri­toire cou­vert par les réseaux de transport.

En Île-de-France, la crois­sance moyenne de la popu­la­tion est de 0,61 % par an alors que l’aire agglo­mé­rée croît de 1,35 % (soit un peu moins que la crois­sance annuelle de l’es­pace cou­vert par les trans­ports : 1,7 %). La den­si­té moyenne baisse ain­si de 0,74 % par an. Ce phé­no­mène est éga­le­ment obser­vé dans toutes les métro­poles des pays éco­no­mi­que­ment avancés.

La crois­sance des zones agglo­mé­rées va de pair avec la déden­si­fi­ca­tion. À la crois­sance quan­ti­ta­tive est asso­cié un phé­no­mène d’é­pa­nouis­se­ment spa­tial, source de satis­fac­tion environnementale.

En tenant compte des effets de déden­si­fi­ca­tion urbaine, la crois­sance de l’u­ni­vers de choix de des­ti­na­tions atteint 0,98 % par an si l’on consi­dère les des­ti­na­tions éco­no­miques et 2,46 % par an pour les des­ti­na­tions récréatives.

Il res­sort de ces constats que les gains de temps pro­vo­qués par la moder­ni­sa­tion des réseaux sont immé­dia­te­ment trans­for­més par les acteurs éco­no­miques en recherche de des­ti­na­tions nou­velles plus per­ti­nentes, donc en pro­grès éco­no­mique et en sup­plé­ment de PIB, sans que le temps de trans­port change. Nous mesu­rons ain­si tout l’in­té­rêt des réseaux de trans­port de per­sonnes et de biens pour la pros­pé­ri­té d’une agglomération.

De la même façon, la moder­ni­sa­tion des infra­struc­tures de trans­port aug­mente le nombre des des­ti­na­tions récréa­tives et fait pro­gres­ser la satis­fac­tion de ceux qui en béné­fi­cient. Le cita­din trans­forme le temps poten­tiel qu’il pour­rait éco­no­mi­ser en sup­plé­ment de des­ti­na­tions de détente, donc en pro­grès récréatif.

L’a­mé­lio­ra­tion des réseaux de trans­port per­met donc d’at­teindre simul­ta­né­ment deux objec­tifs qui pou­vaient paraître incompatibles :
– d’une part, un objec­tif éco­no­mique d’ac­crois­se­ment de la varié­té et de l’ef­fi­ca­ci­té des des­ti­na­tions d’ac­ti­vi­tés et de ser­vices acces­sibles, sans les­quelles il n’y a pas de vie urbaine possible ;
– d’autre part, un objec­tif récréa­tif d’ac­crois­se­ment de la varié­té et de l’in­té­rêt des espaces de détente acces­sibles, sans les­quels il n’y a pas de qua­li­té de vie urbaine.

L’utilité économique et récréative des déplacements

Pour appré­cier la satis­fac­tion que les habi­tants pour­ront reti­rer de leurs dépla­ce­ments, la richesse de leur uni­vers de choix est quan­ti­fiable. Des méthodes d’é­va­lua­tion per­mettent de connaître l’u­ti­li­té éco­no­mique et envi­ron­ne­men­tale d’une poli­tique ou d’un pro­jet de trans­port asso­cié à une poli­tique ou un pro­jet d’urbanisme.

Com­ment éva­luer l’in­té­rêt sus­ci­té chez un cita­din par les dépla­ce­ments qu’il effectue ?

Cette notion est d’a­bord simple et de bon sens : si une per­sonne se déplace, c’est qu’elle a inté­rêt à le faire.

Il faut donc que l’in­té­rêt qu’elle porte au bien ou au ser­vice qu’elle va pou­voir se pro­cu­rer en se dépla­çant soit supé­rieur à l’in­té­rêt des biens ou ser­vices dis­po­nibles sur place. Il convient même que le sup­plé­ment d’in­té­rêt soit au moins égal à la valeur en temps et en argent qu’elle consacre à ce déplacement.

On peut se déplacer à pied
© DREIF-GOBRY

D’un point de vue plus large, la diver­si­té des des­ti­na­tions d’ac­ti­vi­tés et d’af­faires, au sein de l’es­pace acces­sible quo­ti­dien­ne­ment dans un temps de trans­port constant, est source d’ef­fi­ca­ci­té éco­no­mique et de pro­duc­ti­vi­té. Si l’on consi­dère les dépla­ce­ments liés au tra­vail, un large mar­ché d’employés per­met à un actif de valo­ri­ser sa for­ma­tion pro­fes­sion­nelle ; inver­se­ment, un large mar­ché d’ac­tifs per­met à l’employeur d’or­ga­ni­ser effi­ca­ce­ment son entre­prise. Plus le mar­ché des emplois et des actifs acces­sibles s’é­lar­git, plus la pro­duc­ti­vi­té des hommes et des entre­prises pou­vant accé­der à ce mar­ché s’a­mé­liore. Un rai­son­ne­ment simi­laire peut être appli­qué aux dépla­ce­ments liés à d’autres acti­vi­tés urbaines comme les affaires pro­fes­sion­nelles ou per­son­nelles, ou encore les achats. Ils seront d’au­tant plus effi­caces que le choix des des­ti­na­tions poten­tielles sera riche.

Les ana­lyses per­mises par les enquêtes de trans­port menées dans un grand nombre d’ag­glo­mé­ra­tions en France et à l’é­tran­ger (ana­lyses basées sur la stricte appli­ca­tion de la théo­rie du sur­plus) montrent que les per­sonnes en situa­tion de choix de des­ti­na­tions attri­buent à la diver­si­té des des­ti­na­tions acces­sibles à par­tir de leur lieu de rési­dence une valeur éco­no­mique par­fai­te­ment identifiable.

À la pro­gres­sion mul­ti­pli­ca­tive du nombre des des­ti­na­tions acces­sibles dans un temps de trans­port don­né – ou plus exac­te­ment dans un coût géné­ra­li­sé de trans­port don­né – les habi­tants asso­cient une pro­gres­sion linéaire du ser­vice ren­du par ces des­ti­na­tions. En d’autres termes, le loga­rithme du nombre des des­ti­na­tions acces­sibles dans un temps don­né tra­duit la valeur attri­buée à la diver­si­té des des­ti­na­tions accessibles.

En défi­ni­tive, si les temps de trans­port (ou les coûts de trans­port) ne varient pra­ti­que­ment pas lorsque les infra­struc­tures deviennent plus per­for­mantes et faci­litent la mobi­li­té, en revanche, la valeur éco­no­mique des des­ti­na­tions acces­sibles pro­gresse rapidement.

Nous obser­vons aus­si que la varia­tion du ser­vice ren­du en fonc­tion de la taille de l’ag­glo­mé­ra­tion est stric­te­ment iden­tique à la pro­gres­sion du PIB par actif consta­tée lorsque la taille de l’ag­glo­mé­ra­tion change, c’est-à-dire lorsque le choix des des­ti­na­tions aug­mente à temps de trans­port constant.

Amé­lio­rer l’u­ti­li­té des échanges par des des­ti­na­tions plus nom­breuses reliées par des réseaux de trans­port crée du déve­lop­pe­ment – le déve­lop­pe­ment endo­gène – et crée des emplois durables, pas seule­ment des emplois de chan­tier ; ce qui consti­tue un enjeu éco­no­mique et social majeur.

Afin d’illus­trer cet enjeu lié aux infra­struc­tures de trans­port, on estime que les 136 mil­liards de francs d’in­fra­struc­tures de voi­ries rapides ins­crites au Sché­ma direc­teur de la région Île-de-France, approu­vé en avril 1994, indui­ront 48 mil­liards de francs de richesses annuelles sup­plé­men­taires et 120 000 emplois durables. Les 140 mil­liards de francs d’in­fra­struc­tures de trans­port col­lec­tif ins­crites à ce même sché­ma indui­ront de leur côté 21 mil­liards de francs de richesses annuelles sup­plé­men­taires et 52 500 emplois durables.

Outre leur effi­ca­ci­té éco­no­mique, les échanges ont une véri­table effi­ca­ci­té récréa­tive. Les dépla­ce­ments de loi­sirs repré­sentent plus de 15 % des dépla­ce­ments des Fran­ci­liens. L’u­ti­li­té récréa­tive s’ex­prime par l’é­lar­gis­se­ment des pos­si­bi­li­tés d’ac­cès aux loi­sirs et aux espaces de haute qua­li­té envi­ron­ne­men­tale, dans un temps de trans­port donné.

À la dif­fé­rence de l’u­ti­li­té éco­no­mique, qui pro­gresse avec la taille de l’ag­glo­mé­ra­tion, l’u­ti­li­té récréa­tive est très peu influen­cée par la taille des agglo­mé­ra­tions. En effet, les agglo­mé­ra­tions les plus impor­tantes, dont les espaces récréa­tifs sont plus comp­tés que ceux des agglo­mé­ra­tions plus modestes, com­pensent leur han­di­cap par la puis­sance de leurs réseaux de transport.

Déve­lop­pés, ces réseaux donnent accès à de grands espaces de détente et éco­lo­giques encore inac­ces­sibles il y a quelques années. Cette offre d’es­paces accrue consti­tue un élé­ment essen­tiel pour la satis­fac­tion des besoins d’é­pa­nouis­se­ment des habi­tants et la qua­li­té de vie dans une grande métropole.

Que ce soit dans le domaine éco­no­mique ou dans le domaine envi­ron­ne­men­tal, la trans­for­ma­tion, par les cita­dins, du temps gagné poten­tiel en des­ti­na­tions nou­velles acces­sibles est carac­té­ris­tique du phé­no­mène urbain à l’oeuvre depuis le début de la construc­tion des villes.

Avec la réa­li­sa­tion d’in­fra­struc­tures d’é­change tou­jours plus per­for­mantes, l’u­ti­li­té brute (ou l’in­té­rêt brut) des biens et ser­vices per­ti­nents choi­sis au sein des biens com­mo­dé­ment acces­sibles a pro­gres­sé régu­liè­re­ment alors que le coût géné­ra­li­sé des échanges res­tait qua­si­ment constant. D’où le pro­grès éco­no­mique endo­gène obser­vé dans les aires métro­po­li­taines au fur et à mesure de leur développement.

Aujourd’­hui, le sup­plé­ment d’u­ti­li­té brute (au-delà de l’u­ti­li­té de base en situa­tion de bien ou ser­vice unique) est très supé­rieur au coût géné­ra­li­sé des dépla­ce­ments : dans un rap­port de 5 à 1 en moyenne.

Ain­si, en Île-de-France, l’u­ti­li­té brute annuelle des échanges à voca­tion éco­no­mique est de 220 000 F par actif alors que le coût géné­ra­li­sé des dépla­ce­ments contri­buant à cette uti­li­té est de 50 000 F. En région lyon­naise, les valeurs sont res­pec­ti­ve­ment de 150 000 F et de 30 000 F.

Une obser­va­tion simi­laire et du même ordre de gran­deur peut être faite pour les échanges à voca­tion récréative.

Le poids des nuisances : l’économique au service de l’environnement

Tous ces avan­tages ne doivent pas faire oublier les fac­teurs néga­tifs des dépla­ce­ments que sont prin­ci­pa­le­ment les coûts des trans­ports, les nui­sances induites et les frais de fonc­tion­ne­ment des ouvrages.

Les nui­sances induites par le déve­lop­pe­ment des réseaux de trans­ports figurent au pre­mier rang des fac­teurs néga­tifs dans les pré­oc­cu­pa­tions des habi­tants mais aus­si de nom­breux acteurs ins­ti­tu­tion­nels ou res­pon­sables poli­tiques. Quelles sont-elles ?

Trois prin­ci­pales nui­sances sont liées aux trans­ports : l’in­sé­cu­ri­té rou­tière, le bruit et la pol­lu­tion atmosphérique.

La désu­ti­li­té de cha­cune des trois peut être éva­luée, tout au moins d’une manière appro­chée. Pour l’in­sé­cu­ri­té rou­tière, des comi­tés inter­na­tio­naux ont attri­bué des coûts aux acci­dents cor­po­rels légers, graves et aux acci­dents mor­tels. Pour le bruit, dont les habi­tants des zones agglo­mé­rées sont très nom­breux à se plaindre, la méthode consiste à éva­luer le coût des équi­pe­ments de pro­tec­tion que les rive­rains sont prêts à mettre en place pour se pro­té­ger des nui­sances pho­niques. Pour la pol­lu­tion atmo­sphé­rique, deve­nue ces der­nières années un sou­ci crois­sant des cita­dins, les équi­va­lences sont plus dif­fi­ciles à éta­blir. Elles résultent prin­ci­pa­le­ment d’é­tudes épi­dé­mio­lo­giques sur l’ef­fet que les dif­fé­rents pol­luants émis peuvent avoir sur la san­té des habitants.

Cal­cu­lé sur ces bases, l’é­qui­valent moné­taire des nui­sances donne le poids le plus lourd à l’in­sé­cu­ri­té rou­tière, sui­vie à éga­li­té par le bruit et la pol­lu­tion atmo­sphé­rique. Tou­te­fois, les valeurs obte­nues res­tent modestes com­pa­rées à l’u­ti­li­té des des­ti­na­tions acces­sibles éva­luée lorsque l’on exa­mine le poids res­pec­tif de l’u­ti­li­té des dépla­ce­ments, du coût des échanges et de la valeur des nuisances.

En effet, quand on éta­blit le bilan éco­no­mique et envi­ron­ne­men­tal d’un réseau de trans­port des­ser­vant des rési­dents échan­geant leur savoir-faire et leurs com­pé­tences, accé­dant à des ser­vices ou des espaces récréa­tifs au sein d’un « bas­sin de vie » quo­ti­dien, com­pa­ré à une situa­tion où ces rési­dents seraient iso­lés, on constate que les fac­teurs posi­tifs, c’est-à-dire l’u­ti­li­té des échanges éco­no­miques et des échanges récréa­tifs quo­ti­diens, pèsent 100 quand la valeur du coût des échanges (temps de trans­port et dépenses moné­taires) pèse 20 et la valeur des nui­sances induites 1 à 2 (dont la moi­tié pour la seule insécurité).

Si cette com­pa­rai­son rela­ti­vise le débat sur la lutte contre la pol­lu­tion urbaine, elle montre aus­si qu’en affec­tant ne serait-ce qu’une petite part de la richesse éco­no­mique pro­duite par la ville et le sup­plé­ment de mobi­li­té à la maî­trise tech­nique de la pol­lu­tion, on pour­ra réduire dras­ti­que­ment les nui­sances, sans por­ter atteinte à la mobilité.

Des solu­tions tech­niques existent en effet pour réduire dans d’im­por­tantes pro­por­tions les émis­sions des prin­ci­paux pol­luants pro­duits par la cir­cu­la­tion moto­ri­sée (oxydes de soufre, oxydes d’a­zote, ozone, monoxyde de car­bone, hydro­car­bures imbrû­lés et poussières).

La réduc­tion des émis­sions à la source est au centre des normes euro­péennes Euro 1, Euro 2 et Euro 3 appli­quées ou appli­cables aux véhi­cules neufs en 1996, 1998 et 2000. La réduc­tion des consom­ma­tions uni­taires des véhi­cules nou­veaux est éga­le­ment un objec­tif réa­liste, car des pro­grès sont encore pos­sibles. Sachant qu’au­jourd’­hui 20 % des véhi­cules en cir­cu­la­tion sont à l’o­ri­gine de la pol­lu­tion, le ren­for­ce­ment des mesures de contrôle tech­nique des véhi­cules semble une mesure par­ti­cu­liè­re­ment effi­cace. La pro­mo­tion crois­sante des car­bu­rants propres ou des véhi­cules élec­triques ou fonc­tion­nant au gaz de pétrole liqué­fié ou au gaz natu­rel est éga­le­ment un vec­teur de progrès.

Il faut par ailleurs comp­ter avec la mise en oeuvre de mesures d’ex­ploi­ta­tion de la voi­rie favo­ri­sant la flui­di­té du tra­fic, car un véhi­cule blo­qué dans un bou­chon pol­lue trois fois plus qu’un véhi­cule cir­cu­lant régu­liè­re­ment sur une voie non encombrée.

Enfin, la réa­li­sa­tion d’in­fra­struc­tures rou­tières de très grande qua­li­té est une condi­tion néces­saire à une amé­lio­ra­tion de la pol­lu­tion atmo­sphé­rique en dépit de l’aug­men­ta­tion de la por­tée des dépla­ce­ments. Il n’est pas exact de dire que toute infra­struc­ture nou­velle est immé­dia­te­ment satu­rée. Les dif­fi­cul­tés de cir­cu­la­tion sont plu­tôt impu­tables aux défauts dans le maillage des réseaux rapides, aux rup­tures de capa­ci­té des voies, à la moindre effi­ca­ci­té d’é­qui­pe­ments anciens… qui doivent encore être combattus.

L’intégration de l’urbanisme et des transports

Il ne faut pas espé­rer un trans­fert mas­sif des trans­ports indi­vi­duels vers les trans­ports col­lec­tifs dans des agglo­mé­ra­tions qui ont ten­dance, pour des rai­sons de qua­li­té de vie, à se déden­si­fier. Ces modes de trans­port sont avant tout com­plé­men­taires. Les trans­ports col­lec­tifs répondent par­ti­cu­liè­re­ment bien à la des­serte des zones urbaines denses et aux liai­sons entre pôles denses. Les trans­ports indi­vi­duels sont, eux, le moyen de dépla­ce­ment adap­té aux zones de moyenne et faible den­si­tés, dans les­quelles la demande est et sera la plus forte.

Dans ce contexte, il importe, pour sau­ve­gar­der et déve­lop­per l’é­co­no­mie des zones urbaines, et en même temps la qua­li­té de leurs espaces natu­rels ou de loi­sirs, d’a­dop­ter une vision dyna­mique de l’é­vo­lu­tion urbaine et de rai­son­ner à par­tir du concept d’in­té­gra­tion de l’ur­ba­nisme et des trans­ports dans le res­pect de l’environnement.

Les options d’ur­ba­nisme doivent favo­ri­ser les orga­ni­sa­tions mul­ti­po­laires et mul­ti­spa­tiales afin d’ob­te­nir une par­faite imbri­ca­tion des domaines bâtis et des domaines récréa­tifs, source d’é­qui­libre et de qua­li­té de vie.

Ce type d’or­ga­ni­sa­tion est favo­rable à l’u­sage des trans­ports col­lec­tifs que ce soit pour relier les zones denses ou pour satis­faire des dépla­ce­ments de proxi­mi­té. Mais il n’empêche pas l’ap­pa­ri­tion et le déve­lop­pe­ment des phé­no­mènes uni­ver­sels de déden­si­fi­ca­tion glo­bale des aires urbaines et la crois­sance des échanges entre les zones périphériques.

Il ne serait donc pas réa­liste de blo­quer la réa­li­sa­tion d’in­fra­struc­tures auto­rou­tières en milieu urbain néces­saires à la satis­fac­tion des besoins non trans­fé­rables sur les trans­ports col­lec­tifs. Ces ouvrages ont en effet une double fonc­tion : désen­cla­ver les sites en per­met­tant des échanges plus com­modes ; amé­lio­rer l’en­vi­ron­ne­ment en déles­tant les voies locales. Sur­tout ils doivent être un moyen au ser­vice d’un urba­nisme de qualité.

Ces réa­li­sa­tions sup­posent des efforts consi­dé­rables d’in­ser­tion dans le milieu urbain ou natu­rel pour sup­pri­mer tous les effets de cou­pures et les nui­sances pho­niques. Il est aus­si indis­pen­sable de créer ou réta­blir à l’oc­ca­sion des opé­ra­tions nou­velles des espaces pay­sa­gers de qualité.

Paral­lè­le­ment ces auto­routes bien conçues et bien inté­grées sou­lagent les voies locales et doivent sou­te­nir une poli­tique ambi­tieuse pour leur recon­quête au pro­fit des habi­tants : pay­sa­ge­ment des voies, trai­te­ment soi­gné des abords, implan­ta­tion de mobi­lier urbain, réa­li­sa­tion de plates-formes de trans­ports col­lec­tifs en site propre…

Seule une approche glo­bale des désu­ti­li­tés de la mobi­li­té pour la socié­té urbaine et des avan­tages socio-éco­no­miques de cette même mobi­li­té peut conci­lier les objec­tifs de pro­grès éco­no­mique et de pro­grès envi­ron­ne­men­tal au sein des agglo­mé­ra­tions. Car la mobi­li­té urbaine porte de nom­breuses ver­tus : déve­lop­pe­ment éco­no­mique, déve­lop­pe­ment récréa­tif, créa­tion d’emplois. Sans elle, la ville perd son sens, l’u­ni­vers se rétré­cit, la vie régresse. Elle est l’es­sence même de la ville, de sa richesse d’é­change et de son équi­libre durable.

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