Les écoles de Production

Les Écoles de Production

Dossier : ExpressionsMagazine N°738 Octobre 2018
Par Jacques DENANTES (49)
Par Claude SEIBEL (54)

Beau­coup d’entreprises indus­trielles n’arrivent pas à recru­ter le per­son­nel qua­li­fié qui leur per­met­trait de se déve­lop­per. Mal­gré le niveau éle­vé du chô­mage, on éva­lue à plu­sieurs dizaines de mil­liers le nombre d’emplois offerts qui res­tent non pour­vus dans les seules indus­tries méca­niques. Par­mi les chô­meurs, il y a les jeunes de 16 à 24 ans, qui, pour la plu­part, n’ont aucune qua­li­fi­ca­tion. On les appelle « décro­cheurs » parce qu’ils ont ter­mi­né leur sco­la­ri­té en situa­tion d’échec. Les Écoles de pro­duc­tion pro­posent à ces décro­cheurs une for­ma­tion qui leur ouvre l’accès à ces emplois indus­triels non pour­vus. Nous avons visi­té une de ces écoles à Lyon et nous avons ren­con­tré Domi­nique Hiesse, le pré­sident de la Fédé­ra­tion natio­nale des écoles de pro­duc­tion qui les ras­semble (la FNEP). 

Un enseignement technique valorisé

L’École de pro­duc­tion de Gorge-de-Loup est un ate­lier de méca­nique fabri­quant à la demande des pièces métal­liques. Nous avons été accueillis par le direc­teur dont le bureau est sépa­ré par un vitrage de l’atelier où tra­vaillent 45 jeunes qui pré­parent soit le CAP en deux ans, soit le bac pro­fes­sion­nel en deux ans de plus. Âgés entre 15 et 20 ans, avec cinq filles par­mi eux, ils passent en ate­lier les deux tiers du temps de leur for­ma­tion et le reste en salle de cours où des ensei­gnants qua­li­fiés leur dis­pensent les matières du pro­gramme, fran­çais, maths, anglais… 

Dans l’atelier qui est équi­pé de machines à com­mandes numé­riques de der­nière géné­ra­tion, les élèves sont enca­drés par cinq maîtres pro­fes­sion­nels, la plu­part anciens élèves de l’école. Chaque client four­nit avec sa com­mande les plans de la pièce à fabri­quer. Les maîtres pro­fes­sion­nels tiennent compte de leur com­plexi­té pour répar­tir le tra­vail en fonc­tion de la pro­gres­sion en qua­li­fi­ca­tion des élèves. 

Les élèves passent en atelier les deux tiers du temps de leur formation
Les élèves passent en ate­lier les deux tiers du temps de leur formation.

Des élèves courtisés dès l’école

L’école vend ses tra­vaux au prix du mar­ché ; et le pro­duit de la vente per­met de cou­vrir un tiers des dépenses, le reste du bud­get étant assu­ré par la col­lecte de la taxe d’apprentissage auprès des entre­prises et des sub­ven­tions de la région. Le direc­teur éva­lue le coût de la for­ma­tion d’un élève équi­valent à celui d’un élève en lycée professionnel. 

L’atelier est une école : nous y sommes allés pour ren­con­trer des élèves. Ceux que nous avons inter­ro­gés nous ont confir­mé qu’ils étaient sous sta­tut sco­laire et ne tou­chaient aucun salaire. Mais ils avaient la cer­ti­tude d’un emploi en fin de for­ma­tion ou d’un maître d’apprentissage pour ceux qui vou­laient pour­suivre en BTS. Cette cer­ti­tude, ils la reti­raient des ren­contres avec les clients qui, venant s’enquérir de leur com­mande, les voyaient tra­vailler et par­fois leur pro­po­saient direc­te­ment un emploi chez eux.
« Si vous saviez le nombre d’offres d’emploi que je reçois, nous a confir­mé le direc­teur. En ce moment sur mon bureau, il y en a 84 pour 15 élèves en fin de scolarité. » 

L’école va s’agrandir pour dou­bler l’effectif des élèves et mieux satis­faire les besoins des entre­prises en per­son­nel qua­li­fié. Elle a fait l’acquisition d’un ter­rain adja­cent au sien qui lui per­met­tra d’augmenter la sur­per­fi­cie de l’atelier de 50 %. 

École de production de Gorge-de-Loup à Lyon
Deux élèves dans l’atelier de l’École de pro­duc­tion de Gorge-de-Loup à Lyon.

Genèse lyonnaise des Écoles de production 

En 1882, le père Boi­sard, ingé­nieur deve­nu prêtre, a fon­dé à Lyon les Ate­liers d’apprentissage de l’industrie dont la mis­sion était de for­mer des jeunes en déshé­rence afin de leur don­ner une qua­li­fi­ca­tion qui per­mette à un chef d’entreprise, comme lui-même l’avait été, de les recru­ter. Il était per­sua­dé que la mise au tra­vail était la méthode la plus adap­tée pour ceux qui vou­laient apprendre un métier. « Faites d’abord, expli­quez après », disait-il. 

À par­tir de la fin du xixe siècle, plu­sieurs ate­liers d’apprentissage ont fonc­tion­né en région lyon­naise où des jeunes appre­naient leur métier en le pra­ti­quant dans des ate­liers tra­vaillant pour des clients. 

Les dif­fé­rentes filières des Écoles de Production

  • Construction 
  • Industrie 
  • Automobile 
  • Restauration 
  • Métiers paysagers 
  • Métiers du bois 
  • Digital 

https://www.ecoles-de-production.com/

Un réseau structuré et ambitieux

Plus récem­ment, le groupe Icam (Ins­ti­tut catho­lique des arts et métiers) a ouvert une École de Pro­duc­tion sur 5 de ses 6 implan­ta­tions en France. La proxi­mi­té des Écoles de pro­duc­tion avec les for­ma­tions d’ingénieurs per­met des échanges qui béné­fi­cient autant aux élèves ingé­nieurs qu’à ceux des Écoles de production. 

En France, il y a actuel­le­ment 25 écoles qui forment chaque année 800 jeunes à des emplois qua­li­fiés. Chaque école est spé­cia­li­sée dans une acti­vi­té pro­fes­sion­nelle. Elle a le sta­tut d’une asso­cia­tion, qui est à la fois un centre de for­ma­tion déli­vrant des diplômes d’État et une entre­prise ven­dant sa pro­duc­tion. Le direc­teur est nom­mé par le conseil d’administration qui est com­po­sé d’anciens élèves et de repré­sen­tants du patro­nat local. 

Excellent taux de réussite au CAP et au bac pro
Les écoles ont un excellent taux de réus­site au CAP
et au bac pro. 

D’excellents taux de réussite

Les jeunes sont recru­tés à par­tir de 15 ans à la sor­tie du col­lège. Les Écoles de pro­duc­tion se font connaître en se pro­po­sant comme entre­prises d’accueil pour les stages que doivent effec­tuer les élèves de troi­sième. Elles accueillent aus­si des élèves plus âgés, notam­ment ceux qui aban­donnent le lycée pro­fes­sion­nel en cours de sco­la­ri­té ou des appren­tis en rup­ture de contrat. 

Par­tout comme à Lyon, les écoles ont un excellent taux de réus­site au CAP (93 %) et au bac pro (100 %). La for­ma­tion leur garan­tit un débou­ché emploi ou un patron d’apprentissage pour ceux qui veulent pour­suivre leur for­ma­tion jusqu’au BTS. 

École de production des métiers du bois
Un élève dans l’atelier d’une École de pro­duc­tion des métiers du bois.

Un complément efficace du système éducatif traditionnel

Consti­tuées en réseau dans le cadre de la Fédé­ra­tion natio­nale des écoles de pro­duc­tion, les 25 Écoles de pro­duc­tion avaient jusqu’à pré­sent le sta­tut d’écoles tech­niques pri­vées hors contrat. Elles étaient décla­rées au rec­to­rat, mais sans aucune sub­ven­tion de l’État, ni pour le fonc­tion­ne­ment, ni pour les inves­tis­se­ments. La loi « Liber­té pour choi­sir son ave­nir pro­fes­sion­nel » du 1er août 2018 a accor­dé la recon­nais­sance de l’État aux Écoles de pro­duc­tion, son article 25 pré­ci­sant que « gérées par des orga­nismes à but non lucra­tif, elles per­mettent notam­ment de faci­li­ter l’insertion pro­fes­sion­nelle de jeunes dépour­vus de qua­li­fi­ca­tion, met­tant en œuvre une péda­go­gie adap­tée qui s’appuie sur une mise en condi­tion réelle de pro­duc­tion… Elles peuvent nouer des conven­tions, notam­ment à carac­tère finan­cier, avec l’État, les col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales et les entreprises. » 

Elles couvrent déjà un large éven­tail de métiers, la méca­nique, la répa­ra­tion auto­mo­bile, l’industrie tex­tile, le tra­vail du bois, la res­tau­ra­tion, le numé­rique… Avec cette nou­velle loi et compte tenu du sou­tien de nom­breuses fon­da­tions et de plus en plus de régions, la FNEP s’est don­né pour objec­tif d’atteindre 100 écoles dans dix ans qui for­me­raient 4 000 jeunes par an, pour « que tout jeune en France puisse trou­ver une École de pro­duc­tion près de chez lui ». La Fon­da­tion Total a signé en mars 2018 avec la FNEP une conven­tion dans laquelle elle s’engage à ver­ser 60 mil­lions d’euros en dix ans pour créer soixante Écoles de production. 

École de production de la restauration
Un élève dans la cui­sine d’une École de pro­duc­tion de la restauration.

Une solution à l’introuvable relation formation-emploi ?

En 1986, des cher­cheurs ont publié un ouvrage inti­tu­lé L’introuvable rela­tion for­ma­tion-emploi : un état des recherches en France, où ils ren­daient compte de leurs obser­va­tions sur la dif­fi­cul­té d’ajuster la for­ma­tion aux besoins du mar­ché du tra­vail. Nous avons ici l’exemple de l’industrie dont le déve­lop­pe­ment est péna­li­sé par un défi­cit de plu­sieurs dizaines de mil­liers d’emplois alors que chaque année 100 000 jeunes qui ter­minent leur sco­la­ri­té sans qua­li­fi­ca­tion se trouvent condam­nés au chô­mage. La per­sis­tence de ce dés­équi­libre appelle des solu­tions qui sortent des voies clas­siques de for­ma­tion, lycées pro­fes­sion­nels ou centres de for­ma­tion d’apprentis. Les Écoles de pro­duc­tion obtiennent des résul­tats en bous­cu­lant les règles, celles de la péda­go­gie et aus­si celles du droit du tra­vail. Leur per­for­mance est recon­nue dans les milieux de l’industrie qui prennent des enga­ge­ments pour finan­cer leur déve­lop­pe­ment. Elles viennent d’être recon­nues par l’État. La FNEP attend main­te­nant des indus­triels de toutes tailles qu’ils se regroupent par métier et qu’ils prennent l’initiative de créer des Écoles de production. 

Pour en savoir plus : https://www.ecoles-de-production.com/

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