PROPORTION DE PROPRIÉTAIRES OCCUPANTS POUR UNE SÉLECTION DE PAYS

Les déterminants du choix entre accession et location

Dossier : Le logement, un enjeu de sociétéMagazine N°681 Janvier 2013
Par Claude TAFFIN (69)

REPÈRES
On connaît l’anecdote selon laquelle un ministre fran­çais du Loge­ment en visite en Espagne y témoi­gna de son admi­ra­tion pour ce pays qui déte­nait le record de l’Union euro­péenne pour la pro­por­tion de ménages pro­prié­taires de leur rési­dence principale.

REPÈRES
On connaît l’anecdote selon laquelle un ministre fran­çais du Loge­ment en visite en Espagne y témoi­gna de son admi­ra­tion pour ce pays qui déte­nait le record de l’Union euro­péenne pour la pro­por­tion de ménages pro­prié­taires de leur rési­dence principale.
Or, son col­lègue espa­gnol se mon­tra au contraire envieux de notre pays qui par­ve­nait à main­te­nir une offre loca­tive impor­tante. Véri­té en deçà des Pyré­nées, erreur au-delà !
L’anecdote illustre les limites de la poli­tique du tout acces­sion et la dif­fi­cul­té à trou­ver un équi­libre satis­fai­sant entre les sta­tuts d’occupation.

La politique du tout accession et ses limites

La plu­part des pays encou­ragent l’accession à la pro­prié­té, et elle seule. Ils ont pour cela plu­sieurs rai­sons : les pro­prié­taires sont plus moti­vés pour assu­rer un entre­tien conve­nable des immeubles ; ils n’auront plus de charge de loyer à l’heure de la retraite ; les aides au loge­ment atteignent direc­te­ment le béné­fi­ciaire final, elles sont donc plus effi­caces et mieux ciblées.

La plu­part des pays encou­ragent l’accession à la pro­prié­té, et elle seule

C’est aus­si le sta­tut que pré­fèrent la majo­ri­té des ménages, parce qu’il repré­sente une pro­mo­tion sociale, la sécu­ri­té et un espoir de plus-values ; l’argument de la retraite est éga­le­ment fort.

Dans de nom­breux pays, le sta­tut de loca­taire est un sta­tut par défaut, solu­tion d’attente pour les jeunes ménages, ceux qui n’ont pas, ou pas encore, accès au cré­dit, les tra­vailleurs immi­grés de fraîche date ou les étudiants.

Un frein à la mobilité

Il a fal­lu la crise des sub­primes pour mettre en évi­dence les limites du tout acces­sion. Aupa­ra­vant, la prin­ci­pale cri­tique adres­sée à l’accession consis­tait à sou­li­gner qu’elle repré­sen­tait un obs­tacle à la mobi­li­té rési­den­tielle et donc à l’employabilité. Oswald avait ten­té d’établir un lien entre la mon­tée de l’accession en Europe et celle du chô­mage1. Il est clair que la mobi­li­té des pro­prié­taires est géné­ra­le­ment plus coû­teuse que celle des locataires.

Sta­tut social
Le cli­vage entre pro­prié­taires et loca­taires est par­ti­cu­liè­re­ment net aux États-Unis où l’accès à la pro­prié­té ouvre éga­le­ment l’accès aux equi­ty loans, les prêts hypo­thé­caires à la consom­ma­tion, bien moins coû­teux que les prêts ordi­naires puisque assor­tis d’une garan­tie solide, et, qui plus est, fis­ca­le­ment déduc­tibles à hau­teur d’un mil­lion de dol­lars. Barack Oba­ma n’a jamais pu s’attaquer à cette niche fis­cale qui coûte envi­ron 100 mil­liards de dol­lars chaque année.

Qui plus est, le creu­se­ment des dés­équi­libres régio­naux inter­dit de fait à un pro­prié­taire d’accepter un dépla­ce­ment tem­po­raire : dans un sens il devra com­bler la dif­fé­rence de prix, et dans l’autre c’est son retour qui pose­ra problème.

Quant à conser­ver son bien en le louant et deve­nir tem­po­rai­re­ment loca­taire, il évi­te­ra les frais et les délais de deux muta­tions, mais sera impo­sé sur son reve­nu loca­tif. Conscient du pro­blème, le légis­la­teur fran­çais a accor­dé une déduc­tion spé­ci­fique de 10%, mais assor­tie de diverses restrictions.

La solu­tion tech­nique consiste à impo­ser les loyers « fic­tifs », c’est-à-dire la valeur du ser­vice de la loca­tion à soi-même que se rendent les pro­prié­taires. De rares pays la pra­tiquent. Ce n’est pas un hasard si la Suisse, qui en fait par­tie, a le taux de pro­prié­taires le plus bas d’Europe. La France n’impose plus les loyers fic­tifs depuis 1960, et un retour ne semble pas poli­ti­que­ment envisageable.

Pour­tant, les dif­fé­rences entre pays ne tiennent pas seule­ment aux dif­fé­rences de sta­tut : ain­si, la mobi­li­té est beau­coup plus forte aux États-Unis qu’en Alle­magne alors que le taux de pro­prié­taires y est net­te­ment plus élevé.

Lutter contre l’étalement urbain

Concen­tra­tion du risque
La pra­tique, fré­quente en Alle­magne, qui consiste à être loca­taire de sa rési­dence prin­ci­pale et pro­prié­taire bailleur d’un autre loge­ment, paraît la plus ration­nelle en ce qu’elle per­met de décon­nec­ter la mobi­li­té rési­den­tielle de celle du patri­moine. Ce sché­ma est peu ren­table chez nous pour les rai­sons fis­cales déjà évo­quées, à l’exception des loca­taires qui béné­fi­cient d’un bas loyer. En consé­quence, la rési­dence prin­ci­pale des classes moyennes repré­sente une part trop impor­tante de leur patri­moine, de par son carac­tère non liquide et la concen­tra­tion du risque.

Un autre argu­ment est venu plus récem­ment s’opposer au tout acces­sion, c’est la lutte contre l’étalement urbain, au nom des éco­no­mies d’énergie et de la réduc­tion du temps de transport.

Acces­sion à la pro­prié­té n’est pas exac­te­ment syno­nyme de mai­son indi­vi­duelle, mais la rela­tion est géné­ra­le­ment forte. En France, 82% des mai­sons sont occu­pées par leur pro­prié­taire ; le ratio est infé­rieur à 20 % pour les appar­te­ments (Insee, recen­se­ment de 2009).

En France, 82 % des mai­sons sont occu­pées par leur propriétaire

L’Espagne, avec une majo­ri­té de pro­prié­taires en col­lec­tif, fait excep­tion. Il est encore fré­quent que cré­dit hypo­thé­caire et inves­tis­se­ment dans une copro­prié­té soient incom­pa­tibles. L’exemple de Mexi­co est l’un des plus frap­pants. L’outil prin­ci­pal de finan­ce­ment du loge­ment, comme en Chine ou au Bré­sil, est le fonds d’épargne loge­ment, abon­dé par l’employeur et l’employé, et qui ouvre droit à des prêts pré­fé­ren­tiels. Les sala­riés sont ain­si inci­tés à acqué­rir un loge­ment dès qu’ils en ont la pos­si­bi­li­té mais, du fait de l’étalement de la méga­lo­pole et de ses pro­blèmes de trans­port, ils s’exposent à des dépla­ce­ments biquo­ti­diens de l’ordre de deux heures.

Beau­coup (le phé­no­mène n’est pas quan­ti­fié, mais il est avé­ré) aban­donnent alors ces loge­ments pour rede­ve­nir loca­taires à moindre dis­tance du centre.

Le locatif : un luxe pour pays riches ?

Si le niveau des res­sources (ain­si que leur sta­bi­li­té) est un cri­tère déter­mi­nant pour qu’un ménage puisse opter pour l’accession, ce n’est pas pour autant que le taux de pro­prié­taires est sys­té­ma­ti­que­ment plus éle­vé dans les pays riches, comme l’illustrent les cas de l’Allemagne et de la Suisse (voir gra­phique page suivante).

À l’Est, on privatise
L’Europe de l’Est nous four­nit des exemples très illus­tra­tifs : les pays les plus pauvres (Alba­nie, Rou­ma­nie, Bul­ga­rie) ont été contraints de pri­va­ti­ser mas­si­ve­ment leur parc alors que les plus riches (Pologne et sur­tout Répu­blique tchèque) ont pu conser­ver un parc loca­tif social.

Si cor­ré­la­tion il y a, elle semble plu­tôt néga­tive, et cela peut s’expliquer par le fait que main­te­nir un parc loca­tif pou­vant héber­ger de larges caté­go­ries de popu­la­tions néces­site un effort finan­cier des gou­ver­ne­ments, soit pour finan­cer un parc loca­tif social, soit pour atti­rer des inves­tis­seurs privés.

Ce fut le cas en Alle­magne dans les années qui ont sui­vi la Seconde Guerre mon­diale grâce aux géné­reuses aides fis­cales (l’amortissement accé­lé­ré qui a ser­vi de modèle à Pierre-André Péris­sol en 1996) qui ont per­mis de déve­lop­per un parc pri­vé. On a déjà cité la Suisse et sa légen­daire neu­tra­li­té, même en matière de fis­ca­li­té immo­bi­lière ; on y ajou­te­ra bien sûr la fai­blesse pré­su­mée des risques de toute nature.

Un investissement peu rentable et risqué

En dehors de cas extrêmes, l’investissement en loge­ment appa­raît sou­vent comme moins ren­table et plus ris­qué que bien d’autres. Au pre­mier plan de ces risques figure le risque poli­tique : il s’agit non seule­ment de l’instabilité fis­cale, dont la période pré­sente nous offre un exemple écla­tant, mais, plus encore, des rap­ports loca­tifs, en par­ti­cu­lier, le risque d’un contrôle des loyers.

PR​OPORTION DE PROPRIÉTAIRES OCCUPANTS POUR UNE SÉLECTION DE PAYS

Source : Hofinet.

Si l’on revient un siècle et demi en arrière, l’urbanisation et l’industrialisation ali­men­taient une forte demande loca­tive dans un monde où les pla­ce­ments finan­ciers étaient peu nom­breux et ris­qués (canal de Pana­ma, puis emprunts russes).

Cette situa­tion pré­vaut encore aujourd’hui dans les pays émer­gents : la demande de loge­ment explose du fait de l’urbanisation accé­lé­rée, et les capi­taux n’ont guère le choix qu’entre l’immobilier et les matières pre­mières, pro­vo­quant des bulles lorsque leur choix se porte sur un pro­duit précis.

Le découragement des investisseurs

Le XXe siècle a vu fleu­rir des légis­la­tions favo­rables aux loca­taires, pour des rai­sons louables quand il s’agissait de pro­té­ger les veuves de guerre (le mora­toire de 1915 en France) ou plus géné­ra­le­ment les loca­taires contre les agis­se­ments des sinistres Boy­cott en Irlande, Rach­mann en Angle­terre ou Vau­tour en France, mais par­fois aus­si par pure déma­go­gie2. En France le loyer moyen fut ain­si divi­sé par vingt entre 1914 et 1948.

Cela ne suf­fit pas à expli­quer le désen­ga­ge­ment des inves­tis­seurs ins­ti­tu­tion­nels, qui s’est pour­sui­vi bien au-delà des périodes de blo­cage des loyers. Dans cer­tains cas, c’est par crainte d’un retour aux pra­tiques antérieures.

En France le loyer moyen fut divi­sé par 20 entre 1914 et 1948

Le plus sou­vent, comme en France, c’est parce que les outils à leur dis­po­si­tion pour mesu­rer leur ren­ta­bi­li­té et leur risque se sont déve­lop­pés, alors que les pla­ce­ments finan­ciers et immo­bi­liers alter­na­tifs se mul­ti­pliaient et que les com­pa­rai­sons n’étaient pas favo­rables au loge­ment, han­di­ca­pé notam­ment par ses coûts de gestion.

Rentabilités comparées

Les inves­tis­seurs ration­nels, dont les ins­ti­tu­tion­nels font en prin­cipe par­tie, fondent leur choix sur la com­pa­rai­son des taux de ren­ta­bi­li­té, à risque et liqui­di­té égaux. En pra­tique, ils uti­lisent comme bench­mark le taux des obli­ga­tions d’État de matu­ri­té cou­rante (dix à quinze ans) et y ajoutent une prime de risque.

Des­truc­tions massives
Les lois favo­rables aux loca­taires ont certes pro­fi­té à ceux qui avaient un toit, mais les consé­quences en termes de sous-entre­tien et de retard de construc­tion furent consi­dé­rables, ce que résume la célèbre for­mule : In many cases rent control appears to be the most effi­cient tech­nique pre­sent­ly known to des­troy a city – except for bom­bing3. Par exemple, la part de la loca­tion pri­vée en Angle­terre est pas­sée de 50% à 15% entre 1950 et 1975.

S’ils recourent au cré­dit, le capi­tal inves­ti rem­place le mon­tant total de l’investissement et les annui­tés des emprunts sont retran­chées du reve­nu loca­tif dans le cal­cul du taux de ren­ta­bi­li­té. Le ren­de­ment glo­bal est la somme du reve­nu loca­tif et de la plus-value ; le pre­mier est plus facile à anti­ci­per que le second : la ten­dance à l’appréciation d’une classe d’actifs est à peu près connue sur le long terme, mais les cycles la rendent impré­vi­sible à moyen terme.

Les taux de ren­ta­bi­li­té avant impôt sur le reve­nu peuvent être cal­cu­lés et com­pa­rés pour chaque classe d’actifs et par investisseur.

La socié­té IPD (Invest­ment Pro­per­ty Data Bank), créée en 1985, est le lea­der mon­dial de la mesure de la per­for­mance immo­bi­lière. Elle est pré­sente dans 32 pays et publie des indices sur 25 d’entre eux, mais la faible part du loge­ment dans les por­te­feuilles l’exclut sou­vent des sta­tis­tiques ; c’est désor­mais le cas de la France, où 97% du parc loca­tif pri­vé est entre les mains de particuliers.

Ceux-ci ont-ils une approche moins ration­nelle ? Pro­ba­ble­ment. D’abord, ils ne dis­posent pas d’autant d’informations pour anti­ci­per le ren­de­ment futur et peuvent être influen­cés par des agents com­mer­ciaux peu scru­pu­leux. Ensuite, le taux d’actualisation qu’ils uti­lisent, le plus sou­vent impli­ci­te­ment, exprime une pré­fé­rence pour le court terme, ce qui les amène à sur­es­ti­mer les avan­tages fis­caux immé­diats. Enfin, comme ils ne pos­sèdent le plus sou­vent qu’un petit nombre de loge­ments, leur approche du risque ne sau­rait être statistique.

Le poids du cadre législatif et fiscal

Dans les exer­cices macroé­co­no­miques, l’arbitrage entre la loca­tion et l’accession repose sur un choix simi­laire à celui de l’investisseur ration­nel : ou bien le loca­taire conti­nue à payer un loyer en pla­çant son épargne sur un sup­port sans risque, ou bien il opte pour l’accession et doit éva­luer la « valeur d’usage » de son loge­ment, qui est égale à la plus-value anti­ci­pée dimi­nuée des inté­rêts d’emprunt et de l’amortissement.

En France, 97 % du parc loca­tif pri­vé est entre les mains de particuliers

Le cal­cul com­prend aus­si une prime de risque qui, en toute rigueur, est infé­rieure à celle de l’investisseur puisqu’elle ne com­prend pas de risque loca­tif (risques de vacance, de non-paie­ment du loyer ou des charges et de dégra­da­tion du bien).

Au niveau microé­co­no­mique, il existe bien d’autres fac­teurs qui font pen­cher la balance, à com­men­cer par les frais de tran­sac­tion et la fis­ca­li­té de la déten­tion. Dans le cas fran­çais, les dif­fé­rentes aides de l’État obligent à sec­to­ri­ser l’approche : la pro­pen­sion à accé­der est plus faible pour qui béné­fi­cie d’un loyer infé­rieur au mar­ché (loge­ment social) ; elle est plus éle­vée pour qui est éli­gible à un prêt aidé à l’accession (prêt à 0 %). En outre, les aides per­son­nelles sont dif­fé­rentes en loca­tif et en accession.

On n’imagine guère un loca­taire résol­vant chaque mois l’équation ci-des­sus, même s’il est clair que les pers­pec­tives de plus-values, les anti­ci­pa­tions de mobi­li­té, les aides de l’État et le coût du cré­dit sont pris en compte.

Il existe d’autres fac­teurs, variables selon les pays : le stan­ding du sta­tut de pro­prié­taire et la pré­ca­ri­té de celui de loca­taire sont très répan­dus. Ils cor­res­pondent aux pays où l’on est loca­taire par défaut et non par choix, c’est-à- dire la qua­si-tota­li­té de la pla­nète : les rares excep­tions sont en Europe conti­nen­tale (Alle­magne, Suisse, déjà cités) et en Extrême- Orient (Corée du Sud, Japon).

Ins­ti­tu­tion­nels vs particuliers
Il est un point fon­da­men­tal qui dis­tingue inves­tis­seurs par­ti­cu­liers et ins­ti­tu­tion­nels : les pre­miers peuvent modi­fier l’affectation du loge­ment (au-delà de la période de loca­tion obli­ga­toire lorsqu’ils béné­fi­cient d’une aide fis­cale) pour l’occuper eux-mêmes ou en céder l’usage à un enfant. Cette facul­té dif­fi­cile à chif­frer peut faire accep­ter une ren­ta­bi­li­té plus faible.
Il ne faut pas oublier non plus que si les inves­tis­se­ments loca­tifs issus des aides fis­cales inin­ter­rom­pues depuis 1984 ont per­mis de com­pen­ser le dés­in­ves­tis­se­ment des ins­ti­tu­tion­nels, la grande majo­ri­té des bailleurs n’ont pas acquis les loge­ments qu’ils louent : ils en ont hérité.
S’ils les ont conser­vés pour des rai­sons affec­tives, l’évolution des prix de l’immobilier au cours des quinze der­nières années leur donne raison.
Des aides discriminantes
Une étude publiée en annexe du Compte du loge­ment 2002 a mis en évi­dence le rôle dis­cri­mi­nant des aides : sur la durée, l’accession est tou­jours plus avan­ta­geuse, mais, pour un loca­taire aidé (en HLM), il faut attendre dix à quinze ans, contre quatre ou cinq pour un loca­taire payant un loyer pri­vé élevé.
Le résul­tat dans l’absolu est bien sûr très dépen­dant du point de départ et des hypo­thèses rete­nues : le cal­cul est mené ex ante et fait notam­ment l’hypothèse que les loyers et les prix évo­luent comme le PIB par ménage sur longue période, soit 1,8% en termes réels.

Solvabilité des ménages

L’équation à résoudre est alors plus simple : compte tenu de l’apport per­son­nel, le rem­bour­se­ment de l’emprunt est-il com­pa­tible avec les res­sources ? Lorsque les soli­da­ri­tés fami­liales sont fortes, par exemple autour du Bas­sin médi­ter­ra­néen, la consti­tu­tion de l’apport per­son­nel n’est pas l’obstacle majeur.

Pays émer­gents
Dans bien des pays émer­gents, l’accès au cré­dit à long terme tel que nous le pra­ti­quons est très limi­té, voire qua­si inexis­tant, en rai­son de l’instabilité éco­no­mique qui ne per­met pas de pra­ti­quer des taux rai­son­nables ou de l’absence de sécu­ri­sa­tion des titres de propriété.
Les ménages modestes n’ont d’autre choix, à moins de construire eux-mêmes, que de payer les pro­mo­teurs par ver­se­ments éche­lon­nés, sans garan­tie d’achèvement.

Il le devient pour les ménages modestes des pays déve­lop­pés notam­ment, de sorte que la demande explose lorsque les prê­teurs relâchent la contrainte sur l’apport per­son­nel ; on assiste actuel­le­ment à un mou­ve­ment inverse en France, qui pro­voque la chute des tran­sac­tions et du cré­dit au logement.

En amont se pose bien sou­vent la ques­tion de l’accès au cré­dit. L’insuffisance et l’instabilité des res­sources sont un autre motif de refus d’accès au cré­dit, et cela même en France.

Le sys­tème fran­çais offre aux accé­dants à la pro­prié­té le cré­dit le moins cher d’Europe, mais ceux qui s’écartent du modèle majo­ri­taire, parce qu’ils ne dis­posent pas de reve­nus stables ou parce que leur âge ou leur état de san­té leur inter­dit de s’assurer, ne peuvent en bénéficier.

Ces exclus du cré­dit au loge­ment consti­tuent une popu­la­tion hété­ro­gène dont l’effectif est dif­fi­cile à esti­mer, mais qui devrait s’accroître sous la double influence des évo­lu­tions du mar­ché du tra­vail et du vieillis­se­ment de la population.

La demande d’accession est très dépen­dante de l’offre de crédit

Le cré­dit au loge­ment est désor­mais prin­ci­pa­le­ment dis­tri­bué par les banques géné­ra­listes pour les­quelles le prêt au loge­ment est avant tout un ins­tru­ment de conquête et de fidé­li­sa­tion des clients : elles concentrent leur atten­tion sur la capa­ci­té de rem­bour­se­ment du client et les pers­pec­tives com­mer­ciales qu’il ouvre, et accordent peu de poids à l’autre aspect de l’opération, c’est-à-dire la valeur du bien finan­cé, car elles répugnent à mettre en œuvre la garan­tie hypothécaire.

Bidon­villes
Que se passe-t-il lorsqu’il n’existe ni offre de cré­dit ni offre loca­tive, ce qui est un cas fré­quent dans les pays émergents ?
On connaît la réponse : c’est le loge­ment « infor­mel » dans tous les sens que revêt ce terme : loge­ment de for­tune ou implan­ta­tion illé­gale, ou encore simple éva­sion fiscale.
Les études docu­men­tées sur ce sujet sont assez rares pour que l’on signale celle qui nous apprend que 91% des habi­tants des bidon­villes de Nai­ro­bi sont loca­taires, alors que 75% de ceux de Dakar sont pro­prié­taires4.

De ce fait, les per­sonnes qui ne peuvent faire la preuve de la régu­la­ri­té de leurs reve­nus auront le plus grand mal à obte­nir un prêt, même si elles ont un apport per­son­nel important.

Plus que d’autres, la socié­té fran­çaise conserve une atti­tude réser­vée à l’égard du cré­dit, et cette méfiance se reflète dans la régle­men­ta­tion, qui inter­dit de fait la tari­fi­ca­tion des frais d’instruction et du coût du risque, lorsqu’ils sont supé­rieurs à la moyenne, et dans l’attitude des juges : ain­si, la Cour de cas­sa­tion consi­dère que l’établissement de cré­dit manque à son devoir de mise en garde s’il a consen­ti à un emprun­teur un prêt dis­pro­por­tion­né au regard de ses capa­ci­tés de rem­bour­se­ment pré­sentes et à venir. Cette règle vient confor­ter la pra­tique des banques.

La demande d’accession est donc très dépen­dante de l’offre de cré­dit. Elle est aus­si moins vive lorsqu’il existe une offre loca­tive éten­due, qui soit plus qu’une solu­tion par défaut.

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1. Oswald, A. J. 1999. The Hou­sing Mar­ket and Europe’s Unem­ploy­ment : a Non-Tech­ni­cal Paper.
2. M. Vau­tour est un per­son­nage de théâtre, mais ses homo­logues anglo-saxons ont réel­le­ment existé.
3. Lind­beck, Assar, 1972, The Poli­ti­cal Eco­no­my of the New Left, Har­per and Row, New York.
4. Gulya­ni, Sumi­la, Ellen M. Bas­sett et Debra­ba­ta Taluk­dar, Living Condi­tions, Rents, and Their Deter­mi­nants in the Slums of Nai­ro­bi and Dakar, Land Eco­no­mics, vol. 88, n° 2, Uni­ver­si­ty of Wis­con­sin, mai 2012.

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Damienrépondre
13 avril 2013 à 12 h 48 min

Taux d’ac­ces­sion à la pro­prié­té et employabilité

Le sujet de l’employabilité me parait essen­tiel pour déter­mi­ner l’at­ti­tude que doit adop­ter le légis­la­teur face à la ques­tion de la pro­prié­té immo­bi­liere. Il est trai­té ici sous l’angle de la fis­ca­li­té des reve­nus loca­tifs et je ne peux être que plei­ne­ment d’ac­cord. Un pro­prié­taire qui cherche ou subit une mobi­li­té, et donc, qui contri­bue à l’op­ti­mi­sa­tion de l’offre d’emploi à la demande d’emploi, est péna­li­sé s’il conserve son loge­ment pour le mettre en loca­tion et devient loca­taire sur son nou­veau lieu de travail.


En effet, en admet­tant que les prix soient com­pa­rables sur son ancien et son nou­veau lieu de tra­vail, son pou­voir d’a­chat se ver­ra immé­dia­te­ment dégra­dé des taxes qu’il paye­ra sur ses reve­nus loca­tifs. C’est anti-éco­no­mique. Il semble évident qu’il fau­drait sup­pri­mer ou limi­ter for­te­ment cet effet. La pre­mière ques­tion que je me pose, sans y trou­ver de réponse satis­fai­sante, est « pour­quoi cela n’a-t-il pas été fait depuis longtemps ? ».


Ce même pro­prié­taire pour­rait vou­loir vendre son loge­ment pour en ache­ter un autre sur son nou­veau lieu de tra­vail. Mais là aus­si l’E­tat le péna­lise en lui pré­le­vant des frais de muta­tion, dont le nom-même, à tra­vers son double sens, démontre toutes l’a­ber­ra­tion ! Muta­tion est ici employé pour la « muta­tion du bien », mais au final, on taxe le pro­prié­taire qui subit une « muta­tion pro­fes­sion­nelle ». Là aus­si, on a donc une mesure par­fai­temnt anti-éco­no­mique, au sens de l’op­ti­mi­sa­tion sociale. Et là aus­si, j’ai tou­jours cette inter­ro­ga­tion impuis­sante : « pour­quoi cela n’a-t-il pas été sup­pri­mé depuis longtemps ? ».


Sur ce second effet, j’ai per­son­nel­le­ment envoyé un cour­rier vers mon dépu­té des Bouches du Rhône lorsque j’ai été muté de ce dépar­te­ment vers le Var, puis un second vers mon dépu­té du Var lorsque je l’ai été vers le Mor­bi­han. Je vais l’être cet été vers Paris, et je me demande si je vais encore envoyer un cour­rier qui, comme les pré­cé­dents, fera l’ob­jet d’une réponse polie d’un secré­taire par­ti­cu­lier dont la der­nière des mis­sion est de réfléchir…

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