Les Chemins de la Défense

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°625 Mai 2007Par : Jacques BONGRAND (68)Rédacteur : Gérard BLANC (68)

Cet ouvrage vise à faire décou­vrir le monde de la défense à tra­vers l’expérience directe de Jacques Bon­grand, ingé­nieur géné­ral de l’armement, qui a entiè­re­ment effec­tué sa car­rière de plus de trente ans au sein du minis­tère de la Défense. Il a, entre autres, diri­gé la délé­ga­tion fran­çaise pour le pilo­tage des pro­grammes euro­péens d’hélicoptères de com­bat, puis le ser­vice de la recherche de la Direc­tion géné­rale de l’armement. Il pré­side actuel­le­ment le Conseil pour la recherche et la tech­no­lo­gie de l’OTAN.

Pour abor­der cet uni­vers com­plexe et par­fois opaque aux yeux du pro­fane, l’auteur a choi­si une approche sys­té­mique très struc­tu­rée. Il décrit d’abord les grands acteurs, le minis­tère lui-même, les indus­triels et les cher­cheurs, puis deux fonc­tions essen­tielles, le ren­sei­gne­ment et la ges­tion bud­gé­taire, ensuite les inter­ac­tions avec les autres pays à tra­vers la coopé­ra­tion et les ventes d’armes et ter­mine avec un cha­pitre pros­pec­tif sur la défense demain.

Le minis­tère de la Défense consti­tue une « com­mu­nau­té mécon­nue », regrou­pant trois caté­go­ries fonc­tion­nelles ayant des cultures bien dif­fé­ren­ciées : les guer­riers, les arti­sans et les admi­nis­tra­teurs. Après la spec­ta­cu­laire réduc­tion de for­mat liée à la pro­fes­sion­na­li­sa­tion de l’armée fran­çaise, il a atteint une taille qui ne devrait guère varier, bien qu’il soit contraint à une évo­lu­tion per­ma­nente. L’industrie fran­çaise de la défense a, elle aus­si, dimi­nué en taille depuis les années 1990. Ses liens avec l’État doivent être exa­mi­nés simul­ta­né­ment sous deux angles dif­fé­rents, comme rap­ports clas­siques de client à four­nis­seur et aus­si comme « acti­vi­té réga­lienne où l’État client dis­pose de pré­ro­ga­tives jus­ti­fiées par sa mis­sion fondamentale ».

Qu’en est-il de la recherche mili­taire dont l’importance dépasse lar­ge­ment l’impact finan­cier direct ? C’est le domaine de pré­di­lec­tion de l’auteur qui for­mule quelques recom­man­da­tions issues de son expé­rience. L’une d’entre elles concerne l’innovation qui doit pas­ser « par le croi­se­ment des approches et des dis­ci­plines ». Une autre concerne la néces­si­té d’évaluer l’utilité des tra­vaux menés et des dépenses consen­ties afin de « trou­ver un équi­libre entre le dyna­misme du foi­son­ne­ment des idées et la régu­la­tion indis­pen­sable ». Remar­quons que ces remarques s’appliquent éga­le­ment à la plu­part des sec­teurs de haute technologie.

Com­ment est pré­pa­ré et exé­cu­té le bud­get dans le cadre de la loi de pro­gram­ma­tion mili­taire ? Jacques Bon­grand four­nit une des­crip­tion – de l’intérieur – du pro­ces­sus bud­gé­taire du minis­tère de la Défense, « lour­de­ment dépen­sier ». Il en fait com­prendre les contraintes, les étapes, les allers-retours, les stra­té­gies des dif­fé­rents pro­ta­go­nistes, les dis­cus­sions et les néces­saires arbi­trages financiers.

Le cha­pitre sur la coopé­ra­tion en matière de défense est l’un des plus ori­gi­naux du livre. Il expose de nom­breuses réflexions fort per­ti­nentes, notam­ment sur les écarts entre les sou­haits et la réa­li­té quo­ti­dienne dans les grands pro­jets, la manière de trai­ter les PME et la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale entre minis­tères ou entre indus­triels. Elles s’appliquent à la défense comme à bien d’autres sec­teurs ; à l’heure où les pro­blèmes d’EADS pour l’aviation civile sont éta­lés au grand jour, n’y aurait-il pas quelques leçons à prendre des coopé­ra­tions réus­sies en matière d’aviation militaire ?

L’exploration de l’avenir de la défense s’articule autour de quatre inter­ro­ga­tions : quelle place et quelles mis­sions pour la défense ? com­ment se situe­ra la France par rap­port à l’Europe, à l’OTAN et à l’ensemble du monde ? quel sera le deve­nir des acteurs et des moyens actuel­le­ment sous l’autorité du minis­tère de la Défense ? quelle sera la place des autres acteurs, l’industrie, la recherche et l’ensemble des citoyens ? L’auteur esquisse une défi­ni­tion de la mis­sion future des orga­nismes de défense natio­nale : « force d’intervention poly­va­lente des nations, au pro­fit de la sécu­ri­té com­mune, en milieu inha­bi­té ou hos­tile, avec des moyens tech­no­lo­giques puis­sants ». Il pro­pose éga­le­ment de répar­tir les acti­vi­tés en six fonc­tions : « la détec­tion et le trai­te­ment de l’information, la mobi­li­té et la pré­sence, la frappe et les autres actions d’urgence ». Ce clas­se­ment semble opé­ra­tion­nel pour abor­der à la fois la défi­ni­tion des sys­tèmes d’armes et l’organisation géné­rale des acti­vi­tés militaires.

Enfin, la défense doit s’intégrer dans la pers­pec­tive plus vaste de la sécu­ri­té glo­bale et à ce titre relève de la res­pon­sa­bi­li­té de tous les citoyens, dans tous les lieux de la socié­té. Jacques Bon­grand vou­drait que le lec­teur par­tage avec lui cette conclu­sion qui repré­sente une des plus fruc­tueuses pers­pec­tives pour envi­sa­ger l’avenir des acti­vi­tés de défense.

Un livre indis­pen­sable à qui­conque sou­haite mieux com­prendre les ques­tions de défense.

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