Les banques coopératives, un modèle pour l’avenir

Dossier : L’entreprise dans la sociétéMagazine N°690 Décembre 2013
Par Étienne PFLIMLIN (61)

La plu­part des éta­blis­se­ments coopé­ra­tifs finan­ciers fran­çais sont issus de deux ini­tia­tives pri­vées et paral­lèles. D’une part, celle conduite par Wil­helm Raif­fei­sen, ins­pi­rée par le pro­tes­tan­tisme et à voca­tion rurale et, d’autre part, celle menée par Schulze-Delitzsch qui se carac­té­rise par des fon­de­ments laïcs et tour­née vers les zones périurbaines.

Ces deux ini­tia­tives repo­saient sur les prin­cipes de soli­da­ri­té, d’entraide et de contrôle démo­cra­tique des caisses mutuelles d’épargne et de prêt qui venaient de se constituer.

REPÈRES
Les banques coopé­ra­tives sont nées au XIXe siècle dans une Europe en proie à la pre­mière révo­lu­tion indus­trielle, mar­quée par une éco­no­mie libérale.
La ren­ta­bi­li­té et l’espérance de pro­fit atti­raient bon nombre d’épargnants qui se dés­in­té­res­saient des autres sec­teurs de l’économie plus ris­qués et moins ren­tables, comme, par exemple, l’agriculture.
Cette dicho­to­mie entre le monde indus­triel et le monde rural, en l’absence de toute éco­no­mie des ser­vices, se tra­dui­sait au niveau du sec­teur ban­caire. Des ini­tia­tives pri­vées virent le jour et se struc­tu­rèrent au fil de l’expérience acquise. Elles résul­taient d’une démarche à la fois phi­lo­so­phique, car ins­pi­rée de prin­cipes reli­gieux ou syn­di­ca­listes, et prag­ma­tique dans la recherche de l’efficacité et de la sim­pli­ci­té. Ces prin­cipes fon­dés sur la soli­da­ri­té et l’entraide ont per­mis la construc­tion pro­gres­sive de banques coopé­ra­tives ren­tables, sûres et performantes.

Les trois « a »

Le but est iden­tique de part et d’autre des fron­tières poli­tiques : lut­ter contre l’usure, favo­ri­ser l’accès des « petites gens » au cré­dit et aux ser­vices ban­caires et contri­buer ain­si au déve­lop­pe­ment de leurs acti­vi­tés éco­no­miques. Ain­si, dès la fin du XIXe siècle, de petites socié­tés de cré­dit mutuel se consti­tuent et pro­gres­si­ve­ment s’institutionnalisent.

C’est la res­pon­sa­bi­li­té soli­daire des membres qui prévaut

La phi­lo­so­phie de ce mou­ve­ment se décline sur la base des trois « a » :

  • auto-assis­tance : chaque socié­taire ou membre s’aide lui-même à pas­ser de la dépen­dance à l’indépendance ;
  • auto-admi­nis­tra­tion : aucune aide exté­rieure sous forme de sub­ven­tions ou d’aides de l’État ne doit inter­fé­rer dans la ges­tion de la caisse ;
  • auto-res­pon­sa­bi­li­té : aucun socié­taire n’est res­pon­sable indi­vi­duel­le­ment, mais au contraire c’est la res­pon­sa­bi­li­té soli­daire des membres qui prévaut.

Un cadre légal

Face à leur suc­cès, l’État les recon­naît et leur confère un cadre légal qui défi­nit leurs champs d’activité et régle­mente leur fonc­tion­ne­ment tout en limi­tant leur exten­sion : spé­cia­li­sa­tion des acti­vi­tés, com­po­si­tion du socié­ta­riat, enca­dre­ment d’une par­tie de leur finan­ce­ment et de leurs emplois, etc.

Pro­gres­si­ve­ment, les pou­voirs publics poussent les banques coopé­ra­tives régio­nales à créer des organes cen­traux nationaux.

Les banques coopé­ra­tives en France
Les trois groupes coopé­ra­tifs, Cré­dit Agri­cole, BPCE et Cré­dit Mutuel, tota­lisent plus de 67 mil­liards d’euros de chiffre d’affaires (PNB, pro­duit net ban­caire) cumu­lé, 160 mil­liards de fonds propres. Pre­miers réseaux ban­caires, ils repré­sentent plus de 60 % de la banque de détail, près de 75% des agences ban­caires sur le ter­ri­toire fran­çais (hors réseau de La Banque Postale).
Ils regroupent plus de 22 mil­lions de socié­taires et emploient plus de 346 000 sala­riés (deux tiers des sala­riés du sec­teur ban­caire) au ser­vice de la popu­la­tion fran­çaise qui, à près de 90 %, y détient un compte ou un livret.
Ce sont les pre­miers finan­ceurs de cré­dit : plus de 60 % de parts de mar­ché (total des cré­dits) et les pre­miers finan­ceurs des PME et du déve­lop­pe­ment local, avec 74% de parts de marché.

Une période de mutation

Entre 1945 et 1980, on observe une conso­li­da­tion d’abord régio­nale, puis natio­nale des banques coopé­ra­tives. Dès le milieu des années soixante, une série de réformes engage la déspé­cia­li­sa­tion des éta­blis­se­ments coopé­ra­tifs ain­si qu’un désen­ga­ge­ment de l’État des cir­cuits de finan­ce­ment, pous­sant pro­gres­si­ve­ment les banques de détail à aller cher­cher de l’argent sur les marchés.

La recon­fi­gu­ra­tion du pay­sage ban­caire fran­çais a sou­vent été le fait des banques coopératives

Depuis 1980, les banques coopé­ra­tives sont entrées dans une période de muta­tion liée aux évo­lu­tions de l’environnement natio­nal et inter­na­tio­nal. La réforme du sys­tème finan­cier fran­çais – lois de 1984 et 1996 – a sti­mu­lé la concur­rence, y com­pris en déna­tio­na­li­sant plu­sieurs établissements.

Les banques coopé­ra­tives ont, au cours de ces trente der­nières années, fait preuve de dyna­misme, notam­ment face aux banques com­mer­ciales clas­siques : elles ont gagné des parts de mar­ché, ont été à la pointe de l’innovation et ont pris une part impor­tante dans la récente restruc­tu­ra­tion du pay­sage ban­caire euro­péen tout en pré­ser­vant leurs emplois et leurs réseaux de proximité.

Concentration européenne

Le Cré­dit Mutuel
Asso­cia­tion de caisses locales dès son ori­gine, regrou­pées en fédé­ra­tions struc­tu­rées autour de son organe cen­tral à par­tir de 1958, le Cré­dit Mutuel entre dans la com­mu­nau­té ban­caire fran­çaise en 1984 sous la tutelle des auto­ri­tés pru­den­tielles com­munes à tout éta­blis­se­ment de cré­dit. Depuis lors, il pour­suit son déve­lop­pe­ment, de banque certes, mais aus­si de banque coopérative.
L’histoire du groupe depuis sa créa­tion est jalon­née par des inno­va­tions géné­rées par sa capa­ci­té d’adaptation. Ini­tia­teur et pro­mo­teur de la ban­cas­su­rance dans les années 1970 pour appor­ter à la classe moyenne la pano­plie com­plète de ser­vices lui per­met­tant de se consti­tuer un patri­moine qu’il pro­tège. Pro­mo­teur des ser­vices ban­caires en ligne, du mobile-ban­king, pour accom­pa­gner le socié­taire-client dans ses déplacements.

En Europe, les banques coopé­ra­tives ont amor­cé un mou­ve­ment de concen­tra­tion en pre­nant conscience que l’élargissement du mar­ché domes­tique à plus de 500 mil­lions de consom­ma­teurs avec la mise en place de la mon­naie unique allait conduire à des phé­no­mènes de dilu­tion des parts de mar­ché et que des alliances pour atteindre la taille cri­tique sur ce nou­veau mar­ché étaient nécessaires.

En France, la recon­fi­gu­ra­tion du pay­sage ban­caire natio­nal a sou­vent été le fait des banques coopé­ra­tives. Le Cré­dit Agri­cole reprend Indo­suez en 1996, puis le Cré­dit Lyon­nais ; Les Banques Popu­laires reprennent Natexis en 1997, puis créent en 2009 avec les Caisses d’épargne le groupe BPCE ; Cré­dit Mutuel rachète le CIC en 1998, puis Cofidis.

Les banques coopé­ra­tives ont évo­lué. Elles ont fait la preuve de leur qua­li­té et de leur capa­ci­té à s’adapter pour res­ter fidèles à leur mis­sion : être au ser­vice des socié­taires. Nos aînés auraient du mal à recon­naître les petites CMDP qu’ils ont créées dans des cen­taines de petites com­munes rurales alors que l’accès au cré­dit, donc à la moder­ni­sa­tion et au pro­grès, était inac­ces­sible pour les popu­la­tions rurales peu moné­ta­ri­sées et sans patrimoine.

Confiance, proximité, dialogue, durée

Être banque, c’est maî­tri­ser les élé­ments qui fondent ce métier : l’intermédiation finan­cière, la ges­tion des risques, la com­pé­tence tech­no­lo­gique. Cela induit tech­ni­ci­té, fonds propres, effi­cience, c’est-à-dire des éco­no­mies d’échelle, le par­tage des moyens, l’adaptabilité des struc­tures, la performance.

Être banque coopé­ra­tive, c’est accom­pa­gner ses membres et les inci­ter à s’engager en four­nis­sant des ser­vices de qua­li­té à juste prix, c’est assu­rer la péren­ni­té de l’entreprise en anti­ci­pant les besoins chan­geants des socié­taires et clients ; c’est main­te­nir en per­ma­nence une dif­fé­rence, une ori­gi­na­li­té qui fait contre­poids à la ten­dance à la bana­li­sa­tion ; ce qui implique confiance, proxi­mi­té, dia­logue, durée.

La règle du double regard

La gou­ver­nance des banques mutua­listes s’organise de longue date autour d’un équi­libre entre, d’une part, le conseil d’administration et son pré­sident (repré­sen­tant les socié­taires qui l’élisent selon le prin­cipe « une per­sonne, une voix ») et, d’autre part, le direc­teur géné­ral exécutif.

Bien notées
Les agences de nota­tion, après avoir été long­temps très réser­vées sur le modèle coopé­ra­tif et sa gou­ver­nance, com­mencent à recon­naître sa vali­di­té et sa per­ti­nence. Elles consi­dèrent même que cela consti­tue un réel atout consti­tu­tif de leur réus­site économique.
L’agence Fitch constate que les groupes ban­caires coopé­ra­tifs fran­çais tels que Cré­dit Agri­cole, groupe BPCE et CM-CIC mènent une stra­té­gie peu ris­quée et axée sur les volumes, qui, bien que s’exposant à des marges faibles, per­met un ren­for­ce­ment des bilans.
Les banques coopé­ra­tives conti­nuent à conso­li­der ain­si leurs sources de finan­ce­ment en atti­rant davan­tage de dépôts de la clientèle.

Cette règle mutua­liste du « double regard » a conduit, bien avant la loi ban­caire natio­nale fran­çaise impo­sant à l’ensemble des banques deux diri­geants res­pon­sables (règle dite des « quatre yeux ») et la loi rela­tive aux nou­velles régu­la­tions éco­no­miques, à dis­so­cier les fonc­tions dans les banques coopératives.

La défi­ni­tion des orien­ta­tions stra­té­giques et le contrôle de leur mise en œuvre incombent au conseil d’administration et à son pré­sident, les res­pon­sa­bi­li­tés exé­cu­tives sont exer­cées par la direc­tion générale.

Quant à l’équilibre entre élus et sala­riés, il est recher­ché par la mise en com­mun des points de vue. La prise de risque est sou­vent plus maî­tri­sée que celle des autres formes de banques et, de ce fait, exerce un effet béné­fique sur la sta­bi­li­té des sys­tèmes bancaires.

De nouvelles stratégies

L’élargissement du champ de la concur­rence directe et indi­recte, les évo­lu­tions tech­no­lo­giques, l’érosion des marges qui déplace les seuils de per­for­mance et ren­force l’impact des effets de taille, de masse cri­tique, les chan­ge­ments régle­men­taires influencent leurs stratégies.

La ter­ri­to­ria­li­té des orga­ni­sa­tions a de moins en moins de frontières

L’environnement se bana­lise. Le prix de la matière pre­mière trai­tée par les banques – l’argent – est doré­na­vant mon­dial, il se fixe sur le mar­ché des capi­taux. La ter­ri­to­ria­li­té des orga­ni­sa­tions a de moins en moins de fron­tières : les échanges élec­tro­niques per­mettent de suivre le socié­taire par­tout, de faire de chaque client un membre poten­tiel, mais aus­si de chaque membre un (banal) client.

Les moyens à mettre en œuvre pour satis­faire un consom­ma­teur de plus en plus exi­geant impliquent une concen­tra­tion capi­ta­lis­tique de moyens tech­niques qui n’est par­fois plus à la por­tée des coopé­ra­tives locales de base.

Investir avec raison

Vers la flexibilité
Dans le contexte d’une éco­no­mie glo­ba­li­sée, le cadre régle­men­taire euro­péen et inter­na­tio­nal a ten­dance à favo­ri­ser un seul et unique modèle d’entreprise, qui est le modèle de la socié­té anonyme.
À cette fin, le régu­la­teur euro­péen recourt de plus en plus à la nor­ma­li­sa­tion tous azi­muts en impo­sant un cor­pus légis­la­tif uni­forme à toute l’industrie sans aucun dis­cer­ne­ment, étant enten­du que les banques coopé­ra­tives sont des banques pri­vées. En réponse, les banques coopé­ra­tives appellent à davan­tage de flexi­bi­li­té et de pro­por­tion­na­li­té dans l’élaboration et la mise en œuvre des direc­tives européennes.

Les condi­tions d’exploitation bana­lisent sen­si­ble­ment la ges­tion des entre­prises ban­caires quel que soit leur sta­tut juri­dique. Cepen­dant, une réelle dif­fé­rence conti­nue de s’exprimer au niveau de la fina­li­té du ser­vice rendu.

S’appuyant par­fois sur les mêmes méthodes et outils de ges­tion que la concur­rence, c’est par res­pon­sa­bi­li­té éco­no­mique et indus­trielle et sans renier les convic­tions mutua­listes que plu­sieurs réseaux coopé­ra­tifs ont pris de grandes décisions.

C’est dans ce contexte d’adaptation, de réponse aux défis, que se sont ins­crites plu­sieurs reprises d’établissements cotés par les coopé­ra­tives, uti­li­sant non pas des outils spé­ci­fi­que­ment capi­ta­listes comme des échanges de titres, mais en inves­tis­sant, fruit d’une ges­tion rai­son­née, leurs réserves col­lec­ti­ve­ment constituées.

Tou­te­fois, si la plu­part des banques coopé­ra­tives résistent bien à la bana­li­sa­tion extrême, plu­sieurs dan­gers sub­sistent : les stra­té­gies de crois­sance qui pri­vi­lé­gient l’unique suc­cès éco­no­mique et le déve­lop­pe­ment par fusion, acqui­si­tion ; l’attrition du cœur coopé­ra­tif des grands réseaux qui assis­te­raient à un déli­te­ment de leur sociétariat.

C’est pour­quoi les banques coopé­ra­tives fran­çaises consi­dèrent le socié­ta­riat comme une prio­ri­té et sou­haitent faire de leurs clients autant de socié­taires. Elles entendent éga­le­ment pro­mou­voir la par­ti­ci­pa­tion de ces socié­taires à la gou­ver­nance des coopé­ra­tives et en pre­mier lieu à l’occasion des assem­blées générales.

La res­pon­sa­bi­li­té sociale de l’entreprise est une pra­tique ancienne des banques coopératives

Plus que la taille, ce qui compte, c’est le pou­voir de s’imposer comme un acteur majeur sur son mar­ché, géo­gra­phi­que­ment, par métier, le pou­voir de maî­tri­ser les coûts, soit par les outils internes et le volume, soit par la sous­trai­tance, ou les accords de par­te­na­riat dans le res­pect de l’intérêt du sociétaire.

Il doit y avoir une inter­ac­tion posi­tive entre la per­for­mance, condi­tion de sur­vie et de déve­lop­pe­ment, et le mutua­lisme à par­tir de l’engagement per­son­nel des hommes et des femmes qui font les banques coopé­ra­tives et l’application de codes d’éthique et de déon­to­lo­gie publics.

Faut-il enfin rap­pe­ler que la res­pon­sa­bi­li­té sociale de l’entreprise, thème d’actualité depuis quelques années, est une pra­tique ancienne des banques coopé­ra­tives se tra­dui­sant par de mul­tiples ini­tia­tives concrètes ?

Et que leur indé­pen­dance par rap­port à la Bourse leur évite la spé­cu­la­tion et le « court-termisme » ?

Un facteur de stabilité

Force est de consta­ter que ce modèle ori­gi­nal est un fac­teur de sta­bi­li­té et de com­pé­ti­ti­vi­té du sys­tème ban­caire euro­péen et contri­bue effi­ca­ce­ment à la réa­li­sa­tion des objec­tifs éco­no­miques et sociaux de l’Union euro­péenne. Plus pro­fon­dé­ment, il répond aux aspi­ra­tions fon­da­men­tales actuelles : res­pon­sa­bi­li­tés locales, lutte contre les exclu­sions, res­pect des per­sonnes, démo­cra­tie vivante, éthique des affaires, déve­lop­pe­ment durable.

De ce fait, fidèles à leurs racines et inno­vantes au ser­vice de leurs clien­tèles, les banques coopé­ra­tives consti­tuent un modèle d’avenir.

Assemblée générale Crédit Mutuel
Les assem­blées géné­rales consti­tuent une occa­sion de ren­contre entre les banques coopé­ra­tives et leurs socié­taires. © CRÉDIT MUTUEL

Poster un commentaire