L’encouragement des patrons des grandes entreprises

Dossier : Le quarantième anniversaire des polytechniciennesMagazine N°677 Septembre 2012
Par Michèle CYNA (76)

L’analyse des ren­con­tres avec les chefs de grandes entre­prises, orga­ni­sées sous forme de petits-déjeu­ners, fait appa­raître des points de consen­sus et des débats entre ces grands patrons. S’adressant à un public d’anciennes élèves des grandes écoles, leurs pro­pos sont tour­nés vers les femmes cadres supé­rieures et leur accès aux fonc­tions de direction.

REPÈRES
L’Association Grandes Écoles au fémi­nin (GEF), qui regroupe les asso­cia­tions d’anciens élèves de dix grandes écoles, X, Mines, Ponts, Cen­trale Paris, HEC, ESSEC, ESCP Europe, INSEAD, ENA et Sciences-po, audi­tionne depuis 2008, sous une forme à la fois dense et convi­viale, les res­pon­sables des plus impor­tantes entre­prises fran­çaises sur le thème de l’accès des femmes aux postes de direction.

LES CONSENSUS

Women matter

Tous ces patrons semblent avoir repris à leur compte le titre de l’étude McKin­sey qui mon­trait la forte cor­ré­la­tion entre pré­sence de femmes dans la hié­rar­chie des entre­prises et performance.

Quand il y a des femmes, la dis­cus­sion est plus riche

Il est, certes, encore ques­tion de jus­tice ou d’équité : « Elles ont la même for­ma­tion et la même ambi­tion que les hommes ; il faut les trai­ter de la même manière. »

Mais il s’agit sur­tout d’efficacité : la diver­si­té et la com­plé­men­ta­ri­té des talents rendent l’entreprise plus riche et plus per­for­mante. « Quand il y a des femmes, la dis­cus­sion est plus riche. »

De plus, les femmes repré­sentent 51 % de la popu­la­tion et donc la moi­tié des talents : « On ne peut pas déses­pé­rer la moi­tié du corps social. »

Des freins spécifiques

Les méfaits de la cooptation
Le modèle domi­nant est aujourd’hui mas­cu­lin et cette réa­li­té entraîne des phé­no­mènes qua­li­fiés par cer­tains de « clo­nage » qui han­di­capent les femmes dans l’accès aux postes de haute res­pon­sa­bi­li­té qui se fait sou­vent par coop­ta­tion. On parle de « culture ambiante » et de « sélec­tion naturelle ».

Tous recon­naissent l’existence de freins spé­ci­fiques aux femmes, même lorsqu’elles ont fait les mêmes études que les hommes et sont cré­di­tées, dans notre pays au moins, de la même com­pé­tence. La plu­part sont prêts à chan­ger cet état de fait même si on a enten­du : « Je sou­haite intro­duire une femme dans le comi­té exé­cu­tif : je ne serai pas popu­laire. » Le manque de confiance des femmes est très sou­vent cité en néga­tif, « elles ne sont pas convain­cues qu’elles peuvent tout faire », mais aus­si en posi­tif : « elles se vantent moins », « elles reven­diquent moins ». L’absence de réseau est évo­quée par certains.

La recherche de l’équilibre

Les mères travaillent
La troi­sième étude GEF, « Regards croi­sés hommes-femmes », montre que 96% des femmes ayant un ou deux enfants, dont un de moins de trois ans, tra­vaillent. Ce pour­cen­tage reste à 85 % pour celles qui ont trois enfants et plus, dont un de moins de trois ans. De plus, leur temps de tra­vail varie de manière non signi­fi­ca­tive. Cer­tains patrons ont même indi­qué que la mater­ni­té est un pré­texte des hommes.

Mais le prin­ci­pal point évo­qué par les hommes inter­viewés est la mater­ni­té et l’équilibre recher­ché entre vie pro­fes­sion­nelle et vie fami­liale. Les femmes le voient dif­fé­rem­ment, et cer­tains patrons ont du reste par­lé du cas de refus de pro­mo­tion « parce qu’on ne peut pas faire ça à une femme qui vient d’avoir un enfant ». On peut donc se deman­der si la mater­ni­té est un frein, plus parce qu’elle modi­fie le regard de la socié­té que pour ses consé­quences réelles sur l’envie de tra­vailler des femmes.

LES DÉBATS

Femmes intuitives ou wonder women

Tous ne pensent pas qu’il existe des spé­ci­fi­ci­tés fémi­nines : « dif­fé­ren­cier les qua­li­tés des hommes et des femmes est sexiste », dit l’un. « Elles ont la même ambi­tion et la même for­ma­tion. Il faut les trai­ter comme des hommes », dit l’autre. « Les femmes ont aus­si le goût du pouvoir. »

Effi­cace et pratique
À côté d’un voca­bu­laire posi­tif mais assez sté­réo­ty­pé, la femme cadre supé­rieur appa­raît dans tous ces entre­tiens comme « effi­cace », « plus inté­res­sée par la réa­li­té », « avec un regard beau­coup plus pra­tique que les hommes », « claire sur les sujets où elle a des choses à dire » : « elles n’ont pas de temps à perdre, elles sont plus prag­ma­tiques et plus directes ». Cette una­ni­mi­té reflète sans doute un biais de sélec­tion : une femme ne peut être cadre supé­rieur que si elle a cette efficacité.

Beau­coup, pour­tant, parlent de qua­li­tés fémi­nines : « des antennes plus larges et plus fines », « moins d’ego », « plus de sen­si­bi­li­té, un oeil plus aigu sur la nature humaine », « les verbes épa­nouir, équi­li­brer sont plus fémi­nins », « les femmes rai­sonnent plus à long terme, elles ont un radar de pré­vi­sion de l’avenir supé­rieur », « plus d’intuition, meilleure appré­hen­sion des situations ».

Les qua­li­fi­ca­tifs sont sou­vent vagues : « elles apportent beau­coup », « les dis­cus­sions sont plus riches », « les femmes ont quelque chose d’important à apporter ».

Des réformes lentes ou rapides

Beau­coup sou­lignent la dif­fi­cul­té : « Ça pren­dra du temps. »

Les femmes rai­sonnent à plus long terme

Pour cer­tains, l’évolution doit être rapide et s’appuyer sur des éva­lua­tions objec­tives d’indicateurs.

Pour d’autres, l’évolution doit être lente pour évi­ter les échecs visibles et se don­ner le temps de construire des viviers de femmes : « Ce sont les petites choses qui font avancer. »

Les mesures à prendre

Avis miti­gés sur les quotas
Les quo­tas par­tagent. Cer­tains sont réser­vés : « il ne faut pas iso­ler les femmes », « les quo­tas sont déres­pon­sa­bi­li­sant », « il faut évi­ter qu’on puisse dire : elle est là parce qu’elle est une femme ». D’autres pensent que les quo­tas sont la seule solu­tion même si elle est dif­fi­cile : « J’assume une dis­cri­mi­na­tion positive. »

L’organisation quo­ti­dienne du tra­vail est citée : « pas de réunion après 7 heures, ni de mail le ven­dre­di à 23 heures », mais, somme toute, moins qu’elle ne le serait pour d’autres caté­go­ries professionnelles.

En revanche reviennent l’identification des hauts poten­tiels sur une four­chette d’âge plus large, la prise en compte des congés de mater­ni­té, la mise en place de congés de pater­ni­té, ou l’évaluation sur des cri­tères objec­tifs. Si beau­coup insistent sur une impul­sion don­née par le haut et notam­ment par les conseils d’administration, cer­tains sou­lignent le rôle clé du middle mana­ge­ment.

LE POINT DE VUE DES FEMMES

Les quelques femmes inter­ro­gées confirment glo­ba­le­ment la vision de leurs homo­logues mas­cu­lins. Trois femmes ont été reçues par GEF, avec des pro­fils très dif­fé­rents : une phi­lo­sophe, une ministre et une chef d’entreprise, les deux der­nières anciennes élèves de nos écoles.

L’égalité n’existe pas

Un milieu mixte est plus créatif

Miche­la Mar­za­no a peint un tableau assez sombre de la situa­tion des femmes d’aujourd’hui : « Nous sommes en régres­sion. L’égalité n’existe pas de fac­to. »

Elle constate que l’attitude des femmes est de plus en plus codi­fiée et qu’on leur demande de paraître et de contrô­ler plus que de savoir faire ou savoir être. La socié­té leur demande une chose et son contraire : avoir de l’expérience sans pré­sen­ter de signe de l’âge. Pour Miche­la Mar­za­no, le cli­vage mas­cu­lin-fémi­nin sur les valeurs et les tâches est un piège. Mais, pour ter­mi­ner sur une note posi­tive, les enfants intègrent les valeurs et ni hommes ni femmes ne doivent culpabiliser.

Une société plus riche

Natha­lie Kos­cius­ko-Mori­zet (92) par­tage le pes­si­misme de Miche­la Mar­za­no en consta­tant que Le Deuxième Sexe de Simone de Beau­voir reste d’une trou­blante actua­li­té. Elle n’y voit pas de com­plot : la situa­tion des femmes vient de motifs cultu­rels et la coop­ta­tion favo­rise tou­jours les hommes.

Les L de l’X
Réseau de femmes autour des car­rières pro­fes­sion­nelles au fémi­nin, de la pro­mo­tion d’expérience pro­fes­sion­nelle de femmes, et de la pro­mo­tion des métiers scien­ti­fiques, les L de l’X orga­nisent des confé­rences sur des sujets pro­fes­sion­nels et des ren­contres sur des thèmes variés. Elles pro­meuvent les études scien­ti­fiques dans les lycées et col­lèges et la mixi­té dans les entre­prises par le biais de la par­ti­ci­pa­tion à Grandes Écoles au fémi­nin (GEF).

Sur la mater­ni­té, à rebours des cli­chés, elle évoque la culpa­bi­li­té des enfants dont les mères ont arrê­té de tra­vailler pour les éle­ver. Dans le débat sur les « qua­li­tés des femmes », elle prend très clai­re­ment le par­ti de ceux qui ne veulent pas par­ler de qua­li­tés spé­ci­fiques : « Les femmes sont aus­si bru­tales que les hommes. »

Pour elle, sou­li­gner que la fémi­ni­té est dif­fé­rente revient à consi­dé­rer que la condi­tion stan­dard est celle de l’homme. Elle n’en plaide pas moins pour une plus grande mixi­té car un « milieu mixte est plus créa­tif ». La confron­ta­tion des vues éma­nant de sexes dif­fé­rents va géné­rer une socié­té non pas plus douce mais plus riche.

Un changement naturel

Cla­ra Gay­mard trouve bien réel le « pla­fond de verre », cet obs­tacle vir­tuel qui blo­que­rait l’ascension des femmes. Aux patrons qui s’opposent aux quo­tas sous pré­texte que ce serait humi­liant pour les femmes, elle oppose que « ce qui est humi­liant est de ne pas pou­voir mon­ter la marche ». Les femmes ont cepen­dant moins de confiance en elles et craignent de ne pas être accep­tées. Pour­tant leur dif­fé­rence apporte quelque chose de plus. Cla­ra Gay­mard estime que, tant que la pro­por­tion de femmes dans les postes de diri­geants n’aura pas atteint 50 %, on recu­le­ra. Mais elle pense que dès que la prio­ri­té est don­née au chan­ge­ment, celui-ci devient naturel.

Ces vues de femmes confirment les sta­tis­tiques. Leur éner­gie et leur enga­ge­ment dans la lutte contre le pla­fond de verre sont un récon­fort pour toutes les femmes.

UN ENJEU FONDAMENTAL

Les pro­pos repris ici ne rendent évi­dem­ment pas toute la richesse et la finesse des pro­pos, et le choix des cita­tions reflète les centres d’intérêt de l’auteur. Au-delà du conte­nu, il est remar­quable que tous ces grands patrons aient pris le temps de venir à ces confé­rences et de les pré­pa­rer. Ce mes­sage sym­bo­lique fort encou­rage toutes les femmes, quel que soit leur niveau dans la vie des entre­prises, à pour­suivre leur vie professionnelle.

Ont par­ti­ci­pé à ces petits-déjeuners
Jean-Paul Bailly (La Poste), Hen­ri de Cas­tries (AXA), Pierre-André de Cha­len­dar (Saint-Gobain), Louis Gal­lois (EADS), Cla­ra Gay­mard (Gene­ral Elec­tric), Hen­ri Gis­card d’Estaing (Club Med), Andrew Gould (Schlum­ber­ger), David Jones (Havas), Natha­lie Kos­cius­ko-Mori­zet (secré­taire d’État, à l’époque de l’entretien), Michel Lan­del (Sodexo), Jean-Ber­nard Lévy (Viven­di), Chris­tophe de Mar­ge­rie (Total), Miche­la Mar­za­no (phi­lo­sophe), Fré­dé­ric Oudéa (Socié­té Géné­rale), Patrick Pela­ta (Renault), Gilles Pélis­son (Accor), Guillaume Pépy (SNCF), Benoît Potier (Air Liquide), Pierre Prin­guet (Per­nod Ricard), Bau­doin Prot (BNP Pari­bas), Sté­phane Richard (France Télé­com), Augus­tin de Roma­net (Caisse des dépôts et consi­gna­tions), Jean-Phi­lippe Thier­ry (AGF), Thier­ry de la Tour d’Artaise (SEB).
D’autres petits-déjeu­ners sont prévus.

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