Couverture du livre du général Desportes : La guerre probable

Le visage changeant de la guerre

Dossier : ExpressionsMagazine N°685 Mai 2013
Par Vincent DESPORTES

Une évolution en quatre D

L’évolution des opé­ra­tions est mar­quée par quatre D : durée, dur­cis­se­ment, diver­si­fi­ca­tion et dis­per­sion. La durée d’abord. Les opé­ra­tions que nous condui­sons sont tou­jours des opé­ra­tions longues qui ne pro­duisent leurs effets que dans la durée. Notre déter­mi­na­tion est donc mise à l’épreuve de façon per­ma­nente tant pour sou­te­nir les efforts finan­ciers que pour entre­te­nir le sou­tien constant de l’opinion publique. 

Le dur­cis­se­ment des crises se pro­duit sous l’effet conju­gué de la dis­sé­mi­na­tion des armes conven­tion­nelles sophis­ti­quées et puis­santes, cou­plée à la dis­po­ni­bi­li­té sur les mar­chés civils de nom­breuses tech­no­lo­gies duales, et de la déter­mi­na­tion crois­sante de nombre de nos adver­saires potentiels. 

Nous avons trop misé sur la tech­no­lo­gie cen­sée nous rendre invincibles 

La diver­si­té des opé­ra­tions est aus­si celle de nos adver­saires : ils vont des orga­ni­sa­tions mili­taires éta­tiques aux bandes armées à la grande mobi­li­té et aux actes for­te­ment média­ti­sés. Ils uti­lisent aus­si bien la menace des armes de des­truc­tion mas­sive que les engins explo­sifs impro­vi­sés, et conjuguent sou­vent ces moyens d’une extrême varié­té dans des temps et des lieux très resserrés. 

Enfin, la dis­per­sion des zones de crise est un défi ardu, syno­nyme d’élongation logis­tique, de dupli­ca­tion des chaînes de com­man­de­ment et de sou­tien, de mul­ti­pli­ca­tion des cadres juri­diques, de répar­ti­tion dif­fi­cile des efforts entre les dif­fé­rents théâtres d’opérations. Sur chaque théâtre, elle implique un équi­libre dif­fi­cile à trou­ver entre la dilu­tion des forces pour contrô­ler des zones éten­dues et leur concen­tra­tion sur des points clés. 

Intégrer la totalité de l’action militaire

À la ques­tion de notre adap­ta­tion aux « 4D » des opé­ra­tions, il n’y a pas de réponse évi­dente, mais une cer­ti­tude : pour répondre aux enjeux des opé­ra­tions mili­taires d’aujourd’hui, il faut une approche élar­gie, qui intègre la tota­li­té des dimen­sions d’une action militaire. 

Cela se tra­duit par une pre­mière exi­gence : pou­voir agir sur tout le spectre des opé­ra­tions. Ce point est impor­tant, car il va contre une illu­sion, celle du choix de nos enga­ge­ments et donc de leur prévisibilité. 

Comprendre notre adversaire

Dia­lec­tique de la guerre
Le dur­cis­se­ment des conflits ne fait que mani­fes­ter le retour de la dia­lec­tique de la guerre : nous fai­sons face aujourd’hui à des situa­tions dans les­quelles il est de plus en plus évident que « chaque adver­saire fait la loi de l’autre », selon l’expression de Clausewitz. 

La seconde exi­gence est l’attention por­tée aux leçons du ter­rain. Il est indis­pen­sable de garan­tir la conti­nui­té entre l’emploi des forces et la pré­pa­ra­tion des capacités. 

Nous avons trop misé sur la tech­no­lo­gie cen­sée nous rendre invin­cibles. C’est mécon­naître la pre­mière loi de la guerre, celle du contour­ne­ment. Nous devons pou­voir com­prendre l’évolution de nos adver­saires, faire bas­cu­ler très vite les efforts, en fonc­tion des ensei­gne­ments de nos enga­ge­ments opé­ra­tion­nels les plus récents. 

La guerre au milieu des populations

Au para­digme de la guerre clas­sique s’est sub­sti­tué pour par­tie celui d’affrontements entre acteurs dés­éta­ti­sés. La guerre a chan­gé de visage. Les guerres dans la durée et au milieu des popu­la­tions sont désor­mais notre hori­zon visible, comme en Irak et en Afgha­nis­tan ou au Mali. 

La guerre conven­tion­nelle, ins­ti­tu­tion­nelle et symé­trique, est tou­jours pos­sible, mais elle est impro­bable à court et moyen terme, pour de nom­breuses rai­sons. Devant ce constat de rup­ture, de pas­sage d’une ère domi­née essen­tiel­le­ment par la menace conven­tion­nelle à une autre carac­té­ri­sée par la géné­ra­li­sa­tion des guerres au milieu des popu­la­tions, la ques­tion se pose de savoir si notre modèle de force cor­res­pond au besoin. 

On ne peut choisir

Modèles dépas­sés
Les modèles actuels sont le pro­duit d’une concep­tion aujourd’hui par­tiel­le­ment erro­née de l’emploi de la force. Notre approche quan­ti­ta­tive des rap­ports de puis­sance tend à pri­vi­lé­gier l’acte de des­truc­tion et à igno­rer les dimen­sions imma­té­rielles. Sous l’impulsion amé­ri­caine, l’apport de la tech­no­lo­gie a lais­sé pen­ser qu’il était pos­sible et même sou­hai­table de sub­sti­tuer des effec­tifs au contact par des équi­pe­ments d’acquisition et de frappe. 

Il faut se gar­der de l’illusion selon laquelle il y aurait des opé­ra­tions de dif­fé­rents types, étroi­te­ment cloi­son­nées entre elles et sub­stan­tiel­le­ment dif­fé­rentes, entre les­quelles nous pour­rions choisir. 

En réa­li­té, nous ne choi­sis­sons pas : nous agis­sons le plus sou­vent par néces­si­té et en réac­tion. Et, quelles que soient les opé­ra­tions dans les­quelles nous nous enga­geons, le déploie­ment d’une force mili­taire implique tou­jours d’envisager l’épreuve de force avec les autres acteurs armés ou civils au ser­vice d’un objec­tif politique. 

Affrontement des volontés

Les modes d’action clas­siques sont opé­rants face à un adver­saire régu­lier mais se révèlent inopé­rants face à un adver­saire qui choi­sit d’évoluer dans les zones où notre puis­sance tech­no­lo­gique ne peut don­ner sa pleine mesure, clan­des­tin au milieu de la popu­la­tion, en zone urbaine et en ter­rain difficile. 

La ren­ta­bi­li­té des sys­tèmes de force opti­mi­sés pour la des­truc­tion dimi­nue alors sen­si­ble­ment, en même temps que le nombre des cibles lucra­tives. Nous assis­tons là à une inver­sion dans le pro­ces­sus de construc­tion de l’efficacité mili­taire. « L’affrontement des volon­tés » prend le pas sur « le tri­bu­nal de la force ». 

Repenser notre rapport à la technologie

La tech­no­lo­gie en elle-même n’a que rare­ment déci­dé de l’issue d’une confron­ta­tion parce qu’elle n’est qu’une des dimen­sions de l’efficacité stra­té­gique. Mais sur­tout, la guerre est d’abord un phé­no­mène social ; l’issue d’une confron­ta­tion dépend d’abord des élé­ments d’environnement – poli­tique, éco­no­mique, cultu­rel, géos­tra­té­gique – de cha­cun des adversaires. 

La diver­si­té des opé­ra­tions est aus­si celle de nos adversaires 

Les dés­équi­libres tech­no­lo­giques sont d’autant moins les fac­teurs essen­tiels des échecs ou des suc­cès stra­té­giques que des choix poli­tiques, stra­té­giques ou tac­tiques judi­cieux per­mettent le plus sou­vent de com­pen­ser les infé­rio­ri­tés techniques. 

L’armement doit en effet être pen­sé en fonc­tion de ses effets mili­taires, mais pas seule­ment. L’essentiel est rede­ve­nu la sub­stance poli­tique de l’armement.

Un adversaire différent de nous

L’avenir de l’esprit
Dans la guerre pro­bable – donc au sein des popu­la­tions –, notre meilleure tech­no­lo­gie est sou­vent mise en défaut sim­ple­ment parce qu’elle ne trouve pas à s’appliquer ; l’adversaire, connais­sant nos avan­tages, les contourne et les rend vains. L’avenir n’est pas la tech­no­lo­gie ; l’avenir, c’est l’esprit. La tech­no­lo­gie n’en est que le moyen. La supé­rio­ri­té tech­no­lo­gique n’est pas une fina­li­té en soi. Elle ne peut suf­fire, par elle-même, à sol­der le pro­blème de la guerre. 

La ratio­na­li­té occi­den­tale nous conduit à « orga­ni­ser » l’adversaire comme nous le sommes nous­mêmes. Or, l’intelligence de l’adversaire l’a conduit à s’organiser autre­ment, à adop­ter des struc­tures réti­cu­laires qui sur­vivent sans grande dif­fi­cul­té aux coups que l’on cherche à por­ter à ses centres vitaux qui n’existent pas. 

L’autre par­ti­cu­la­ri­té de l’adversaire est qu’il est rare­ment unique. Hors l’espace court de la phase ini­tiale de l’intervention au cours de laquelle l’ennemi peut être atta­qué comme une enti­té unique, l’adversaire consti­tue très vite de mul­tiples enti­tés indé­pen­dantes pour­sui­vant des objec­tifs dif­fé­rents et rare­ment elles­mêmes orga­ni­sées en système. 

C’est donc sur une gerbe de plu­sieurs non-sys­tèmes très vague­ment cor­ré­lés qu’il s’agit le plus sou­vent d’agir, ce qui exclut d’emblée les solu­tions sim­plistes et centralisées. 

Un adversaire qui s’adapte

Notre puis­sance de feu est vaine, en elle-même, sur la durée contre cet adver­saire. Sa résis­tance aux pertes est bien supé­rieure à celle des pays inter­ve­nants. L’adversaire s’adapte de plus en plus vite au cours même de cette intervention. 

Ce qui compte donc, c’est notre sou­plesse, notre capa­ci­té d’adaptation et de réac­tion à l’évolution des circonstances. 

Primauté du politique sur le militaire

Les guerres pro­bables deman­de­ront des réponses poli­ti­co-mili­taires inté­grées : il n’y a plus, en effet, de solu­tions mili­taires simples et déci­sives aux pro­blèmes du monde. Le suc­cès y est condi­tion­né à l’adoption d’une manœuvre glo­bale. La force inter­vien­dra lorsque tout le reste aura échoué. Dans ces situa­tions tou­jours dif­fi­ciles, l’intervention mili­taire devra être conçue sous l’impérieuse néces­si­té de la conver­gence des actions des dif­fé­rents intervenants. 

« L’affrontement des volon­tés » prend le pas sur « le tri­bu­nal de la force » 

Puisque l’effet recher­ché est fina­le­ment un effet poli­tique, la pri­mau­té de la démarche poli­tique sur la démarche pure­ment mili­taire doit y être la règle. 

Dans la guerre pro­bable, la vio­lence irré­gu­lière peut être conte­nue par des outils mili­taires, mais elle ne peut être défaite que par des moyens politiques. 

Un nouveau continuum des opérations

Guerre totale
L’une des grandes dif­fi­cul­tés de nos guerres pro­bables est qu’elles ne seront des conflits limi­tés que pour nous-mêmes. La valeur des fins poli­tiques en jeu sera sûre­ment limi­tée pour nous – et nous adop­te­rons donc une approche « limi­tée » – alors qu’elle aura le plus sou­vent une valeur abso­lue pour l’Autre.
L’ampleur des enjeux qui le motivent le condui­ra à adop­ter natu­rel­le­ment ce que nous appe­lons une logique de guerre totale, c’est-à-dire mar­quée par la radicalité. 

Les « guerres pro­bables » peuvent se décrire comme la suc­ces­sion dans le temps de trois phases qui s’inscrivent dans un conti­nuum : l’intervention, la sta­bi­li­sa­tion et la nor­ma­li­sa­tion. Ces phases n’ont pas de limite pré­cise, elles se recouvrent par­tiel­le­ment et pré­sentent des carac­té­ris­tiques assez dis­tinctes. L’intervention est indis­pen­sable et vise à pré­pa­rer au mieux les condi­tions poli­tiques de la phase suivante. 

La sta­bi­li­sa­tion devient la phase cru­ciale. Elle a pour objec­tif de conso­li­der l’ordre tem­po­raire acquis en dimi­nuant puis en conte­nant la vio­lence au niveau le plus bas pos­sible. Les forces armées, en coor­di­na­tion avec des acteurs non mili­taires, ont pour rôle de res­tau­rer la sta­bi­li­té par une maî­trise de la zone et de per­mettre le retour à la confiance entre les pro­ta­go­nistes. Cette phase, doré­na­vant essen­tielle, per­met d’établir les condi­tions pour la réa­li­sa­tion de l’objectif stratégique. 

La nor­ma­li­sa­tion est la phase du retour à la paix. Grâce à la sta­bi­li­té rela­tive obte­nue, un sys­tème poli­tique, juri­dique et social peut être rebâ­ti. Le défi se révèle donc, à l’analyse, d’une extrême complexité. 

Le rôle décisif de la consolidation

C’est la phase de sta­bi­li­sa­tion – de pro­grès vers la nor­ma­li­sa­tion par une pré­sence au sol, au contact, dans la durée – qui, par l’usage appro­prié de la force, sera véri­ta­ble­ment déci­sive. Ain­si, les armées n’ont plus à être conçues seule­ment pour affron­ter leurs équi­va­lentes, mais pour être en mesure de réta­blir la paix civile, donc autant dans une logique de recons­truc­tion que de destruction. 

Aus­si, dans son action, dans ses manières de guerre, le chef mili­taire doit-il constam­ment gar­der à l’esprit la pers­pec­tive de la phase de « nor­ma­li­sa­tion ». Encore plus qu’hier, la tac­tique et la tech­nique doivent être subor­don­nées à la stra­té­gie et à la politique. 

Une guerre dans des espaces fermés

Convaincre plus que vaincre
La réa­li­té de la guerre pro­bable nous a pro­gres­si­ve­ment fait reve­nir à une meilleure per­cep­tion du vrai rôle de la guerre qui est d’abord un rôle de com­mu­ni­ca­tion : com­mu­ni­ca­tion vers un pou­voir adverse, vers une popu­la­tion que l’on veut contrô­ler, par­fois – pour des rai­sons de poli­tique inté­rieure – vers sa propre opi­nion publique, etc. Toute opé­ra­tion majeure est désor­mais d’abord une opé­ra­tion de com­mu­ni­ca­tion. La guerre pro­bable, ce n’est plus vaincre, c’est beau­coup moins contraindre, c’est convaincre. 

Le lieu de la guerre a chan­gé. Hier, elle se condui­sait en trois dimen­sions, dans des espaces ouverts, au milieu des armées. Désor­mais, elle se conduit au contact, dans des espaces fer­més, au milieu des populations. 

Une guerre en milieu urbain

La ville est deve­nue la zone des affron­te­ments. On peut dire que la ville s’impose comme l’espace emblé­ma­tique à la fois de la com­plexi­fi­ca­tion du métier mili­taire et de sa dua­li­té : la ville exige de repen­ser les condi­tions de l’efficacité des armées. 

Restaurer l’État au profit d’une population

Hier les phases de cœr­ci­tion consti­tuaient l’essentiel des inter­ven­tions, parce qu’il s’agissait de contraindre un État et de détruire pour ce faire ses capa­ci­tés militaires. 

Les moyens de des­truc­tion consti­tuaient donc l’argument majeur de l’efficacité mili­taire et politique. 

Aujourd’hui, il s’agira le plus sou­vent et le plus lon­gue­ment d’agir non pas contre un adver­saire de ce type, mais au contraire d’agir pour res­tau­rer l’État et au pro­fit d’une population. 

Reconstruire le contrat social

Fina­le­ment, le fait fon­da­men­tal que les années d’après la guerre froide font émer­ger, c’est que nous assis­tons à une muta­tion défi­ni­tive de la fina­li­té de l’action mili­taire. Aupa­ra­vant, le suc­cès mili­taire condui­sait direc­te­ment à l’objectif stratégique. 

Désor­mais, le suc­cès mili­taire conduit sim­ple­ment à l’établissement des condi­tions qui, elles, per­met­tront le suc­cès stra­té­gique. Il s’agit d’établir, au sein des popu­la­tions, les condi­tions qui per­met­tront l’établissement de la paix et la recons­truc­tion du contrat social. 

Un partage du monde différent est en vue

Les bud­gets défense de la Rus­sie, de la Chine, du Pakis­tan, du Bré­sil sont actuel­le­ment en aug­men­ta­tion d’environ 10 % par an, ce qui est énorme, tan­dis qu’à cause des défi­cits les bud­gets occi­den­taux pla­fonnent ou décroissent. 

Cela ne condui­ra pas obli­ga­toi­re­ment à la guerre, mais les rela­tions inter­na­tio­nales vont néces­sai­re­ment être bou­le­ver­sées et un par­tage du monde dif­fé­rent est en vue. 

Les idées et les valeurs de l’Occident vont sans doute recu­ler, au moins provisoirement. 

Le seul vrai suc­cès est politique
Les hommes poli­tiques occi­den­taux qui se sont lan­cés dans la guerre de Libye ont pris leurs dési­rs pour des réa­li­tés : la guerre n’a pas duré quelques semaines, mais huit mois, de mars à octobre 2011.
Une fois de plus, on a pu véri­fier que la tech­no­lo­gie n’ouvre pas toutes les portes, et la pro­gres­sion des opé­ra­tions a sui­vi seule­ment l’évolution des affron­te­ments au sol.
Les forces pro-Kadha­fi ont promp­te­ment trou­vé les parades à la supé­rio­ri­té tech­nique des Occi­den­taux : leurs forces blin­dées, au lieu d’effectuer de grands raids ris­qués dans le désert, se sont mises dans les villes au milieu de la popu­la­tion civile et donc à l’abri des coups de l’aviation de l’OTAN. Enfin, et sur­tout, la pre­mière bataille – qui a bien conduit à la mort de Kadha­fi et à la chute de son régime – s’est trans­for­mée en échec stra­té­gique : elle ne s’est pas tra­duite par un « état de paix meilleur que le précédent ».
À la chute de Kadha­fi ont suc­cé­dé un État impuis­sant, des luttes de tri­bus à l’arme lourde au Fez­zan, des milices rivales omni­pré­sentes ; la Libye est deve­nue un vaste super­mar­ché où viennent s’approvisionner en armes les groupes armés et ter­ro­ristes de la région, à com­men­cer par ceux du Sahel.
Les chefs de Ben­gha­zi n’acceptent plus les Fran­çais sur leur ter­ri­toire, alors même que l’armée fran­çaise a pro­té­gé la ville des mas­sacres annon­cés par le dic­ta­teur. Notre inter­ven­tion au Mali est ain­si, pour une part, une consé­quence de notre inca­pa­ci­té à trans­for­mer notre suc­cès mili­taire en Libye en un suc­cès poli­tique, le seul qui vaille. 

Se préparer à vivre un autre monde

Les formes de guerre ont fon­da­men­ta­le­ment chan­gé et, avec elles, le rôle et la forme utile de l’appareil mili­taire. Nous allons vers un monde for­cé­ment bel­li­queux, parce que l’histoire du monde prouve lar­ge­ment que, lorsque les res­sources vont dimi­nuant et qu’augmente le nombre de ceux qui les dési­rent, il est rare que le ver­dict de la guerre ne soit pas le juge final des grandes répartitions. 

Recréer un ser­vice militaire
Il n’est pas pen­sable que ce ser­vice puisse être réta­bli, sauf cir­cons­tances tout à fait excep­tion­nelles, mais il faut bien com­prendre qu’en envoyant 500 000 sol­dats en Algé­rie, le gou­ver­ne­ment don­nait à l’armée fran­çaise les moyens de tenir effec­ti­ve­ment le ter­rain : le rap­port déci­sif d’un sol­dat pour vingt civils était atteint. Consi­dé­rons la bataille d’Alger : cette ville comp­tait 370 000 habi­tants et la bataille a pu être gagnée. Aujourd’hui la ville de Kaboul a 3 mil­lions d’habitants et celle de Bag­dad 5 mil­lions, on est bien loin des effec­tifs locaux de 150 000 et 250 000 qui seraient nécessaires 

Comme les valeurs ne valent que par la puis­sance qui les porte, nos valeurs occi­den­tales se trouvent déva­lo­ri­sées et notre capa­ci­té d’influence for­te­ment diminuée. 

Déré­gu­la­tion du monde, mon­tée en puis­sance de nou­veaux acteurs aux appé­tits puis­sants, pro­li­fé­ra­tion nucléaire que l’on ne pour­ra conte­nir : autant d’évolutions qui devraient pous­ser les États res­pon­sables – rede­ve­nus des acteurs majeurs du monde d’aujourd’hui – à ne pas trop vite se dépar­tir, comme nous le fai­sons, des outils de défense qui pour­raient, hélas, jouer à nou­veau demain un rôle essen­tiel pour la sur­vie des nations et de leurs populations. 

Des guerres limitées mais permanentes

Nous avons pré­pa­ré depuis presque deux siècles une guerre totale mais ponc­tuelle ; nous menons dès aujourd’hui, et nous allons mener, de plus en plus, des guerres limi­tées mais permanentes. 

Nous assis­tons à une muta­tion dans la fina­li­té de l’action militaire 

Nous allons nous enga­ger dans des guerres réelles aux enjeux limi­tés au regard des guerres du XXe siècle, nous y enga­ge­rons à chaque fois des moyens limi­tés, et nous devrons accep­ter la pers­pec­tive de suc­cès limi­tés, même si la pos­si­bi­li­té de mon­tée aux extrêmes reste présente. 

Adap­ter en per­ma­nence les para­mètres de cette équa­tion poli­ti­co-mili­taire néces­site une pro­fonde réno­va­tion de notre façon de conce­voir la guerre.

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