Le transport d’électricité, garant de la qualité d’approvisionnement

Dossier : ExpressionsMagazine N°689 Novembre 2013
Par Dominique MAILLARD (68)

Évoquer la tran­si­tion éner­gé­tique, c’est exa­mi­ner d’abord l’évolution du parc de pro­duc­tion. S’agissant du nucléaire, la durée de vie d’exploitation du parc actuel consti­tue le prin­ci­pal fac­teur d’évolution de l’offre fran­çaise à long terme.

Les éner­gies renou­ve­lables ne réduisent pas les besoins de trans­port d’électricité

Si la lon­gé­vi­té des groupes devait être un para­mètre déter­mi­nant de l’évolution de la part du nucléaire dans le bou­quet élec­trique fran­çais, les régions où la pro­duc­tion nucléaire est à la fois plus ancienne et la plus concen­trée seraient majo­ri­tai­re­ment concer­nées, val­lée du Rhône et Val-de-Loire en tête.

Les consé­quences en termes de flux d’électricité sur le réseau ne sont pas neutres et néces­sitent une nou­velle topo­gra­phie du maillage qui consti­tue le réseau de trans­port d’électricité, pour sécu­ri­ser l’approvisionnement de zones jusque-là for­te­ment pro­duc­trices et conti­nuer de garan­tir l’équilibre entre offre et demande sur l’ensemble du territoire.

S’adapter aux énergies nouvelles renouvelables

Le déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables ne s’accompagne pas d’une réduc­tion des besoins en réseau de trans­port d’électricité. Au contraire, il en ren­force la néces­si­té, et cela même si la consom­ma­tion d’électricité stagne ou dimi­nue depuis plu­sieurs années. Les efforts de maî­trise de la consom­ma­tion d’énergie n’annuleront pas ce paradoxe.

Sto­ckage et consommation
Le besoin de sto­ckage dif­fère selon que les carac­té­ris­tiques de consom­ma­tion régio­nale s’accordent plus ou moins aux régimes de pro­duc­tion éolienne ou pho­to­vol­taïque. Ain­si, en Irlande, le régime diurne des vents se tra­duit par des pics de pro­duc­tion éolienne cor­res­pon­dant géné­ra­le­ment aux périodes de forte consom­ma­tion. De même, dans les pays médi­ter­ra­néens où la cli­ma­ti­sa­tion est bien plus déve­lop­pée qu’ailleurs en Europe, l’apogée de la pro­duc­tion pho­to­vol­taïque cor­res­pond éga­le­ment à des consom­ma­tions élec­triques élevées.

Les nou­veaux sites de pro­duc­tion, éoliens ou pho­to­vol­taïques, sont géné­ra­le­ment situés dans des zones éloi­gnées des centres de consom­ma­tion. Le trans­port de l’énergie éolienne pro­duite en mer du Nord vers les centres de consom­ma­tion du Sud est un enjeu majeur en Alle­magne et, en l’absence de capa­ci­tés de trans­port suf­fi­santes, la pro­duc­tion renou­ve­lable doit par­fois être bri­dée, un gas­pillage phy­sique et économique.

Par ailleurs, les formes décen­tra­li­sées de pro­duc­tion d’électricité ne garan­tissent pas la cou­ver­ture de la consom­ma­tion au niveau local. Ain­si, l’électricité pro­duite par des pan­neaux pho­to­vol­taïques ins­tal­lés sur les toits d’un quar­tier rési­den­tiel a toutes les chances d’être per­due au moment du pic de la pro­duc­tion, en milieu de jour­née, si le réseau ne per­met pas de l’acheminer vers des centres de consom­ma­tion. Le réseau en retour per­met­tra de cou­vrir les besoins de cette même popu­la­tion la nuit et les jours peu ou pas ensoleillés.

Poser la question du stockage

Le recours au sto­ckage, pour autant qu’il soit lui aus­si dis­per­sé et répar­ti, serait de nature à mieux conci­lier l’intermittence de la pro­duc­tion renou­ve­lable et la varia­bi­li­té de la consom­ma­tion d’électricité. Mais, à ce jour, les solu­tions tech­niques, effi­caces et ren­tables, font défaut et le meilleur sto­ckage de grande échelle est consti­tué aujourd’hui par les « sta­tions de pom­page hydrau­lique » dont le déve­lop­pe­ment est limi­té aux zones de relief et dont la loca­li­sa­tion néces­site aus­si le ren­for­ce­ment de trans­port d’électricité.

Toujours le réseau

Les orien­ta­tions européennes
La Com­mis­sion euro­péenne a par­fai­te­ment iden­ti­fié le besoin de soli­da­ri­té entre réseaux et, au tra­vers du « paquet infra­struc­tures », pousse à la sim­pli­fi­ca­tion et à la ratio­na­li­sa­tion des pro­cé­dures admi­nis­tra­tives, au moins pour les pro­jets labé­li­sés « pro­jet d’intérêt com­mun ». Bien sûr, il ne s’agit pas de s’affranchir de pro­cé­dures qui répondent à un devoir d’information et de dia­logue indis­pen­sable, mais bien de réduire l’écart de temps entre déci­sion et réa­li­sa­tion. Les pro­jets de construc­tion de site de pro­duc­tion ther­mique ou renou­ve­lable se réa­lisent en moyenne en quelques années. C’est loin d’être le cas pour la construc­tion d’une ligne à haute ou très haute ten­sion qui peut voir s’écouler près de dix ans avant qu’elle ne soit opé­ra­tion­nelle. Il reste à trans­crire les orien­ta­tions euro­péennes dans le droit fran­çais et peut-être à ima­gi­ner dans quelle mesure d’autres pro­jets, tout aus­si impor­tants pour la sta­bi­li­té et la sécu­ri­té du réseau de trans­port d’électricité fran­çais, pour­raient béné­fi­cier d’un trai­te­ment similaire.

En assu­rant l’acheminement de l’électricité des zones de pro­duc­tion, où qu’elles soient, vers les zones de consom­ma­tion, le réseau reste donc la solu­tion la plus adap­tée à l’accueil et à la valo­ri­sa­tion des éner­gies renou­ve­lables, tant sur le plan éco­no­mique qu’environnemental. Cette mise en com­mun per­met en effet d’augmenter les dif­fé­rentes sources d’énergie et de dimi­nuer les inves­tis­se­ments, qui seraient autre­ment néces­saires pour pal­lier leur variabilité.

En mutua­li­sant les moyens de pro­duc­tion et en uti­li­sant les syner­gies et les com­plé­men­ta­ri­tés des ter­ri­toires, on par­ti­cipe au déve­lop­pe­ment d’une éco­no­mie sobre en car­bone tout en assu­rant la soli­da­ri­té élec­trique entre les territoires.

Moduler la consommation

Les modes de pro­duc­tion « pilo­tables » déve­lop­pés jusqu’au début des années 1990 ont ame­né à consi­dé­rer la pro­duc­tion comme devant s’adapter à la consom­ma­tion. L’opérateur de réseau devait s’assurer d’ajuster la pro­duc­tion d’électricité aux varia­tions de consom­ma­tion afin de garan­tir un équi­libre per­ma­nent entre pro­duc­tion et consom­ma­tion d’électricité.

Le déve­lop­pe­ment de nou­veaux usages de l’électricité (cli­ma­ti­sa­tion, mul­ti­pli­ca­tion des équi­pe­ments élec­tro­niques, télé­pho­nie mobile, etc.) et les trans­ferts d’usage atten­dus notam­ment dans le sec­teur du trans­port (véhi­cules élec­triques) néces­sitent de maî­tri­ser la consom­ma­tion actuelle de manière à ne pas satu­rer le parc de pro­duc­tion et les réseaux électriques.

Du consommateur au « consommacteur »

RTE est par­ti­cu­liè­re­ment moteur dans la valo­ri­sa­tion de tous les types d’effacement, qu’ils soient dif­fus dans le sec­teur rési­den­tiel ou qu’ils concernent les sites industriels.

Plu­sieurs outils per­met­tront de trans­for­mer le consom­ma­teur en consom­mac­teur. Le signal tari­faire est un moyen dis­sua­sif évident de maî­trise de la consom­ma­tion d’électricité, mais il est dif­fi­cile à déve­lop­per dans le contexte éco­no­mique actuel. Des dis­po­si­tifs d’appel à la maî­trise de la consom­ma­tion d’électricité ont été déve­lop­pés en Bre­tagne et dans la région PACA.

Intro­duire la flexibilité
La vague de froid que nous avons connue en février 2012 et les pics de consom­ma­tion qu’elle a entraî­nés illus­trent la néces­si­té de modu­ler la consom­ma­tion élec­trique pour faire face à des situa­tions ten­dues. Au total, c’est davan­tage de flexi­bi­li­té qu’il faut intro­duire dans le sys­tème élec­trique, en par­ti­cu­lier du côté de la consommation.

En mobi­li­sant l’opinion pour l’inciter à dif­fé­rer ses consom­ma­tions, notam­ment lors des pics de consom­ma­tion hiver­naux, ces démarches inter­ac­tives répondent à la demande accrue d’informations de la part de cer­tains consom­ma­teurs pour mieux maî­tri­ser leurs consom­ma­tions et consti­tuent une pre­mière étape dans la ges­tion de la consom­ma­tion éner­gé­tique par l’utilisateur, ges­tion que les nou­velles tech­no­lo­gies de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion per­met­tront d’étendre et de systématiser.

Les récents appels d’offres ont per­mis une forte aug­men­ta­tion des volumes d’effacement depuis leur appa­ri­tion en 2010 (de 100 MW pour la pre­mière expé­ri­men­ta­tion à 700 MW fin 2013). Les nou­veaux méca­nismes de mar­ché qui seront mis en place dans les années à venir, dont le méca­nisme de capa­ci­té, devraient per­mettre de sou­te­nir cette ten­dance et contri­buer ain­si à intro­duire davan­tage de flexi­bi­li­té du côté de la demande d’électricité.

L’importance de l’échelon européen

La France est un véri­table car­re­four d’électricité en Europe. À l’instar du réseau de trans­port d’électricité natio­nal, les échanges trans­na­tio­naux d’électricité se sont orga­ni­sés dès le début du XXe siècle. À l’origine, leur fonc­tion essen­tielle était d’améliorer la sécu­ri­té d’approvisionnement des pays en appe­lant au secours mutuel.

Assu­rer la soli­da­ri­té élec­trique entre les territoires

Si cette fonc­tion demeure pré­sente, et l’expérience en a été faite à de nom­breuses reprises, s’ajoute aujourd’hui la néces­si­té d’augmenter la contri­bu­tion des sources d’énergie renou­ve­lable, l’éolien de la mer du Nord, l’hydraulique de la Scan­di­na­vie ou des Alpes, ou encore le solaire des pays médi­ter­ra­néens, à une plus grande échelle.

Sur le plan euro­péen, 80% des déve­lop­pe­ments de réseau sont aujourd’hui moti­vés par l’essor des éner­gies renou­ve­lables, que ce soit pour le rac­cor­de­ment des nou­velles ins­tal­la­tions ou pour le ren­for­ce­ment des réseaux en amont.

Une solidarité entre réseaux

L’Europe au charbon ?
L’exemplarité de l’Europe en matière de dimi­nu­tion des gaz à effet de serre est mena­cée. Le bou­le­ver­se­ment des gaz de schiste aux États-Unis, en libé­rant de vastes quan­ti­tés de char­bon pour l’Europe, a eu pour effet une aug­men­ta­tion de la consom­ma­tion euro­péenne de char­bon, phé­no­mène aggra­vé par le faible prix de la tonne de CO2 sur le mar­ché européen.

Sa posi­tion géo­gra­phique confère à la France une res­pon­sa­bi­li­té par­ti­cu­lière puisqu’elle doit prendre en compte l’évolution des bou­quets éner­gé­tiques voi­sins. L’arrêt pro­gram­mé du nucléaire en Alle­magne, l’essor des éner­gies renou­ve­lables en Alle­magne, Espagne et Ita­lie et les spé­ci­fi­ci­tés du bou­quet éner­gé­tique fran­çais accen­tuent le besoin d’interconnexions transfrontalières.

La soli­da­ri­té entre réseaux de trans­port euro­péens est plus que jamais indis­pen­sable pour à la fois répondre à une vague de froid en France, expor­ter vers l’Europe une pro­duc­tion excé­den­taire d’éolien espa­gnol ou encore absor­ber la pro­duc­tion de pho­to­vol­taïque des toits bava­rois, pro­duc­tions qui, même si elles sont dif­fuses, impactent en volume le sys­tème élec­trique européen.

Cou­plés à la tran­si­tion éner­gé­tique fran­çaise, ces chan­ge­ments accroissent le besoin de res­pi­ra­tion per­mise par les interconnexions.

Revoir l’architecture du marché de l’énergie

Le mar­ché inté­rieur de l’électricité souffre aujourd’hui de plu­sieurs dys­fonc­tion­ne­ments dont il faut tenir compte dès à pré­sent. Le déve­lop­pe­ment des éner­gies nou­velles renou­ve­lables, plus rapide qu’anticipé et pro­mu par des méca­nismes régu­lés hors mar­ché, se tra­duit dans cer­tains pays, y com­pris en France, par l’apparition spo­ra­dique de prix néga­tifs sur les mar­chés de gros et menace la com­pé­ti­ti­vi­té de moyens conven­tion­nels pour­tant abso­lu­ment nécessaires.

La mul­ti­pli­ci­té des annonces de fer­me­ture de cen­trales ther­miques à gaz par­tout en Europe en témoigne. Les marges de sécu­ri­té aujourd’hui dis­po­nibles, et qui ont per­mis le pas­sage de la vague de froid de 2012, décroissent sur toute la période 2014–2018 avec une baisse mar­quée entre 2015 et 2016. Si un évé­ne­ment du type de la vague de froid de février 2012 venait à se repro­duire sous les mêmes condi­tions cli­ma­tiques (vent, enso­leille­ment, tem­pé­ra­ture), on pour­rait appro­cher près de qua­rante heures d’interruption locale de four­ni­ture d’électricité dès 2016.

Le mar­ché de l’électricité peine aujourd’hui à envoyer les signaux de long terme effi­caces, indis­pen­sables pour mener à bien les ambi­tions éner­gé­tiques et cli­ma­tiques euro­péennes. De la bonne prise en compte de l’interaction de ces enjeux dépend aus­si la qua­li­té d’approvisionnement élec­trique, dont les réseaux de trans­port consti­tuent l’un des garants essentiels.

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