Ecole nationale des Travaux publics de l'Etat à Vaulx-en-Velin

Le témoignage d’un habitant de Vaulx-en-Velin

Dossier : L'exclusion sociale, un défiMagazine N°538 Octobre 1998
Par François PERDRIZET (61)

Comment j’ai découvert l’exclusion sur le terrain

Comment j’ai découvert l’exclusion sur le terrain

Je ne pré­tends pas que ma pre­mière expé­rience soit exem­plaire, mais seule­ment qu’elle peut don­ner à réflé­chir. J’ai eu l’oc­ca­sion d’être délé­gué de parents d’é­lèves : quand on est nou­veau à ce poste, on ne sait pas très bien ce qu’on attend de nous. J’ai pris la réso­lu­tion d’al­ler voir les familles, chaque fois que des cas étaient évo­qués, pour essayer de com­prendre ce qui se passait.

Ma pre­mière visite a eu lieu dans une cité de tran­sit où il n’y avait que des Por­tu­gais. Sitôt entré chez les gens que j’al­lais voir, j’ai com­pris où était le pro­blème : il n’y avait qu’une grande salle et une chambre à cou­cher, ce qui ren­dait dif­fi­cile les devoirs à la mai­son. J’ai dis­cu­té avec la mère qui m’a dit : « C’est bien, vous, on vous com­prend. C’est pas comme les ensei­gnants. » Puis elle a ajou­té : « ça me sou­cie beau­coup, mais moi je ne sais pas lire, alors tous les soirs, quand il rentre, je prends son cahier de textes et je le regarde ; je fais sem­blant de savoir lire et j’es­saie de pilo­ter, mais j’y arrive mal. »

Cela s’est ter­mi­né de la façon sui­vante : j’ai pro­po­sé au direc­teur du col­lège de mon­ter un sou­tien sco­laire. J’a­vais repé­ré une bicoque qui pou­vait ser­vir de salle de classe. J’ai pris contact avec les parents d’é­lèves, le maire, etc., et on a mon­té cette classe de sou­tien dans la cité de transit.

Sou­vent il suf­fit d’al­ler à la ren­contre des gens, de mon­ter un pro­jet avec eux. C’est vrai qu’il y a une dis­tance entre nous, mais on peut la sur­mon­ter avec un pro­jet com­mun. Pour mon­ter et réus­sir ce pro­jet, il faut recher­cher le face à face, être un peu dis­po­nible et s’ap­puyer sur les gens de bonne volonté.

Le logement social

Ma seconde expé­rience est dans le loge­ment social. Une Direc­tion dépar­te­men­tale de l’É­qui­pe­ment ne s’oc­cupe pas que de ponts et de chaus­sées, mais aus­si d’ur­ba­nisme et de loge­ment. En Moselle, nous avions une défi­ni­tion exi­geante du ser­vice public : au-delà des strictes pres­ta­tions régle­men­taires, nous esti­mions avoir une res­pon­sa­bi­li­té vis-à-vis des gens qui se mani­fes­taient le moins. C’est ce qui nous a ame­nés à nous pré­oc­cu­per du loge­ment des plus défavorisés.

Nous dis­cu­tions avec les direc­tions des orga­nismes HLM qui nous fai­saient valoir l’im­pos­si­bi­li­té de loger des familles ris­quant de per­tur­ber toute une cage d’es­ca­lier. Nous étions enfer­més dans un dilemme : à la fois loger les familles en dif­fi­cul­té et prendre en consi­dé­ra­tion les argu­ments des pro­fes­sion­nels du loge­ment social. Nous nous sommes ren­du compte que le pro­blème était mal posé : nous vou­lions faire entrer ces familles dans des cos­tumes de « prêt- à‑porter » alors qu’il fal­lait du « sur mesure ».

Au lieu de vou­loir à tout prix que ces familles s’a­daptent aux loge­ments HLM, nous avons déci­dé de mettre en place des « ouvreurs de l’ha­bi­tat », c’est-à-dire des gens dis­po­sant d’un cer­tain pou­voir, ayant cha­cun reçu la mis­sion de mon­ter des solu­tions pour loger 20 familles par an, par­mi celles répu­tées dif­fi­ciles. Cela a démar­ré len­te­ment, mais au bout d’un peu de temps, on est arri­vé de cette façon, à loger 150 familles par an (cf. page 33).

L’École nationale des Travaux publics de l’État à Vaulx-en-Velin

J’en viens à ma troi­sième expé­rience, dans l’É­cole que je dirige, où nous for­mons des fonc­tion­naires de l’É­qui­pe­ment, qui, en grande majo­ri­té, s’oc­cu­pe­ront plus tard d’ur­ba­nisme et de loge­ment. Tous les élèves reçoivent un salaire alors que l’é­cole se trouve située en plein milieu d’un quar­tier où vivent un grand nombre de jeunes en situa­tion difficile.

Il y a entre eux et nous un gra­dient très fort, d’où résulte un défi qu’il nous faut affron­ter : com­ment faire en sorte qu’un élève ayant pas­sé trois ans à Vaulx-en-Velin en parte avec l’im­pres­sion d’a­voir vécu une expé­rience construc­tive plu­tôt qu’a­vec un mau­vais sou­ve­nir et la ferme réso­lu­tion de ne plus y remettre les pieds. Autre­ment dit : com­ment vivre de façon posi­tive le séjour dans une ville où, de temps en temps, se mani­feste la vio­lence, où les voi­tures brûlent et où volent les cock­tails Molotov ?

Un exemple pour mon­trer com­ment se vit ce genre de situa­tion : un soir, dix jeunes du quar­tier sont venus au foyer des élèves. Ils mar­chaient comme une troupe romaine, se sont ins­tal­lés dans la mez­za­nine près du billard, et, pen­dant une heure, les élèves les ont regar­dés. Il y avait des com­men­taires, mais en réa­li­té, tout le monde avait la trouille. Cer­tains par­laient même d’ap­pe­ler la police, mais fina­le­ment un membre de l’ad­mi­nis­tra­tion de l’é­cole a dit : « Il faut aller dis­cu­ter : si on ne parle pas, on n’ar­rive à rien. » ça n’a pas été facile car les jeunes avaient aus­si peur que nous. En défi­ni­tive, ça s’est bien ter­mi­né et nous avons conve­nu un gent­le­man’s agree­ment.

Cela montre bien qu’on ne peut tout régler par des mesures de sécu­ri­té. On peut bien dire : « Fer­mons tout, met­tons des camé­ras par­tout, pré­voyons des contrôles », mais en réa­li­té il est impos­sible d’ob­te­nir que les élèves ferment les portes. Aus­si vaut-il mieux ne pas s’en­fer­mer dans un block­haus, plu­tôt mul­ti­plier les rela­tions avec les asso­cia­tions du quar­tier, le com­mis­sa­riat de police et l’en­semble de la ville.

Nous avons signé des conven­tions d’é­tudes et de recherche, nous fai­sons des confé­rences dans les asso­cia­tions spor­tives et beau­coup d’autres choses. 60 élèves font du sou­tien sco­laire. Nous avons vou­lu de cette façon mettre un peu à l’é­cart le sou­ci de sécu­ri­té et éta­blir une rela­tion construc­tive et ami­cale avec le quartier.

Je suis frap­pé de trou­ver qu’à l’É­cole poly­tech­nique il manque une rela­tion entre l’É­cole et ce monde qui vit dans les dif­fi­cul­tés. Il existe dans le Nord un mou­ve­ment qui s’ap­pelle « Le Mou­ve­ment des Orga­ni­sa­tions citoyennes », dont le but est de vivre avec son envi­ron­ne­ment, de le modi­fier à la fois sur les plans de l’emploi, de l’ex­clu­sion sociale et de l’en­vi­ron­ne­ment physique.

Je pense que cha­cune de nos orga­ni­sa­tions devrait tendre vers ce genre de citoyen­ne­té en mani­fes­tant sa volon­té d’a­gir sur son envi­ron­ne­ment. L’Or­chestre de Lille nous montre l’exemple : il donne des cours de musique dans les classes pri­maires et de col­lège des quar­tiers les plus défa­vo­ri­sés, sus­ci­tant des voca­tions qui révèlent ensuite d’ex­cel­lents musi­ciens. Cela devrait nous inspirer.

Des jeunes à Vaulx-en-Velin

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