Le réseau transeuropéen de transport : un équipement essentiel aux retards préoccupants

Dossier : Les travaux publicsMagazine N°614 Avril 2006
Par Daniel VINCENT (53)

Le rôle essen­tiel du trans­port dans la réus­site de l’Eu­rope semble par­fois per­du de vue. Le sujet est rare­ment repris à l’ordre du jour des Conseils euro­péens, ces réunions au som­met qui ras­semblent quatre ou cinq fois par an les plus hautes auto­ri­tés de chaque État membre.

Une orga­ni­sa­tion des trans­ports insuf­fi­sam­ment inté­grée, insuf­fi­sam­ment ouverte à la concur­rence et dis­po­sant d’é­qui­pe­ments trop sou­vent obso­lètes entraîne pour­tant des pertes éco­no­miques consi­dé­rables, des nui­sances pour l’en­vi­ron­ne­ment et de mul­tiples incon­vé­nients pour les citoyens.

La conges­tion, les encom­bre­ments et l’in­sé­cu­ri­té sont les révé­la­teurs d’une situa­tion peu satisfaisante.

Ce n’est pas que les « pères fon­da­teurs » de l’Eu­rope aient igno­ré l’im­por­tance du trans­port : un cha­pitre spé­cial lui était consa­cré, comme pour l’a­gri­cul­ture ou le com­merce, dans le trai­té signé à Rome en 1957.

Mais la diver­gence des inté­rêts natio­naux était telle qu’il fal­lut attendre la fin des années 1980 pour que pro­gres­si­ve­ment le mar­ché euro­péen du trans­port s’ouvre et pour que s’ins­taure un début de concur­rence entre les modes et entre les entre­prises. Ce pro­ces­sus est actuel­le­ment en voie d’achèvement.

Réseau de transport trans-européen

De bonnes infrastructures pour une Europe sans frontières

Il fal­lut plus de temps encore pour que soit pris en consi­dé­ra­tion ce qui appa­raît pour­tant comme une évi­dence. Aus­si ouvert soit-il, un sys­tème de trans­port perd toute effi­ca­ci­té s’il ne dis­pose pas d’in­fra­struc­tures de qua­li­té. Et c’est au niveau euro­péen que ce réseau doit être conçu. Chaque pas­sage de fron­tière est, par nature, un gou­let d’é­tran­gle­ment. Une Europe où les fron­tières internes ont été abo­lies ne peut se satis­faire d’une simple jux­ta­po­si­tion des réseaux natio­naux dont l’ob­jec­tif se limite à la satis­fac­tion des besoins propres à chaque État, et cela d’au­tant plus que les flux intraeu­ro­péens ne cessent de croître (d’i­ci 2020, ils vont encore doubler).

Nom­mé pré­sident de la Com­mis­sion euro­péenne en 1985, Jacques Delors se fit l’a­vo­cat de la créa­tion d’un véri­table réseau euro­péen. Dans le trai­té de Maas­tricht, entré en vigueur le 1er novembre 1993, figure un cha­pitre consa­cré aux « réseaux tran­seu­ro­péens », pour les trans­ports, les télé­com­mu­ni­ca­tions et l’énergie.

Je cite le pré­sident Delors : « Les réseaux sont les artères nour­ri­cières du grand mar­ché. Leurs défaillances étouffent la com­pé­ti­ti­vi­té, gâchent les occa­sions de créer de nou­veaux mar­chés, ce qui a pour consé­quence que l’Eu­rope crée moins d’emplois qu’elle ne le pour­rait. »

Douze années ont pas­sé depuis lors et le réseau tran­seu­ro­péen de trans­port devient pro­gres­si­ve­ment une réa­li­té. En 1994, à Essen, 14 pro­jets hau­te­ment prio­ri­taires ont été iden­ti­fiés. Aujourd’­hui, l’Eu­rope s’est élar­gie, elle compte 25 États membres, couvre 4 mil­lions de km2 et ras­semble 460 mil­lions de citoyens.

La liste des pro­jets prio­ri­taires a été com­plé­tée (ils sont 30 main­te­nant) grâce notam­ment aux tra­vaux menés par un groupe de tra­vail ani­mé par l’an­cien Com­mis­saire Karel Van Miert.

30 projets prioritaires à l’horizon 2020 pour 250 milliards d’euros

Ache­ver dans son inté­gra­li­té le réseau tran­seu­ro­péen sup­pose d’i­ci 2020 un inves­tis­se­ment éva­lué à 600 mil­liards d’eu­ros. Le coût des 30 pro­jets prio­ri­taires, essen­tiel­le­ment des liai­sons trans­fron­ta­lières, a été fin 2005 esti­mé à envi­ron 250 mil­liards d’euros.

Ce chiffre peut paraître consi­dé­rable, mais il faut se rendre compte qu’il est infé­rieur au mon­tant dont aug­mente en une seule année le PIB euro­péen : celui-ci dépasse en effet les 10 000 mil­liards d’eu­ros et la crois­sance fluc­tue actuel­le­ment entre 2,5 et 3 %. Comme la réa­li­sa­tion des 30 pro­jets doit s’é­ta­ler sur une période de quinze ans, c’est 0,16 % du PIB qu’il fau­dra mobi­li­ser chaque année, alors que l’on estime à 0,23 % le sur­plus de crois­sance qui devrait en découler.

Force cepen­dant est de consta­ter que la réa­li­sa­tion du réseau tran­seu­ro­péen accu­mule les retards.

Seuls trois des qua­torze pro­jets d’Es­sen ont été menés à bonne fin. Dans un Livre blanc publié fin 2001, la Com­mis­sion euro­péenne dénonce tout à la fois le manque de volon­té poli­tique, la prio­ri­té don­née aux pro­jets natio­naux et l’in­ca­pa­ci­té de s’at­ta­quer au « casse-tête du financement ».

RÉSEAU TRANSEUROPÉEN DE TRANSPORT PROJETS PRIORITAIRES Inves­tis­se­ments pré­vus d’ici 2020 (mil­lions €)
INTITULÉ DU PROJET MODE COÛT
1 Ber­lin-Véro­ne/­Mi­lan-Bologne-Naples-Mes­sine-Palerme rail-route 32 380
2 Paris-Bruxelles-Cologne-Amsterdam-Londres rail GV 2 680
3 Axe sud-ouest de l’Europe rail GV 32 378
4 TGV Est rail GV 2 839
5 Ligne de la Betuwe (fret) rail 555
6 Lyon-Tries­te/­Ko­per-Lubl­ja­na-Buda­pest-fron­tière Ukraine rail 35 731
7 Igou­me­nit­sa/­Pa­tras-Athènes-Sofia-Buda­pest route 7 789
8 Por­tu­gal-Espagne-reste de l’Europe rail-route-air-maritime 6 150
9 Cork-Dublin-Belfast-Stranraer rail achevé
10 Aéro­port de Malpensa air achevé
11 Lien fixe Oresund rail-route achevé
12 Tri­angle nordique rail-route 7 683
13 UK/Irlande/Benelux route 2 231
14 West coast main line rail 1 186
15 Galileo navigation 3 400
16 Axe fer­ro­viaire de fret Sines/Al­ge­ci­ras-Madrid-Paris rail 6 060
17 Paris-Strasbourg-Stuttgart-Vienne-Bratislava rail 7 681
18 Rhin/­Meuse-Main-Danube fluvial 1 745
19 Inter­opé­ra­bi­li­té dans la pénin­sule ibérique rail 19 828
20 Feh­marn Belt rail 7 047
21 Auto­routes de la mer maritime pm
22 Athènes-Sofia-Buda­pest-Vienne-Prague-Nurem­berg/­Dresde rail 11 125
23 Gdansk-Var­so­vie-Brno/­Bra­ti­sla­va-Vienne rail 4 637
24 Lyon/­Ge­nève-Bâle-Duis­burg-Rot­ter­dam/An­vers rail 21 243
25 Gdansk-Brno/­Bra­ti­sla­va-Vienne route 7 756
26 Irlande-Royaume-Uni-Europe continentale rail-route 2 629
27 “ Rail Bal­ti­ca ” Varsovie-Kaunas-Riga-Tallinn-Helsinki rail 2 650
28 “ Euro­ca­prail ” Bruxelles-Luxembourg-Strasbourg rail 1 409
29 Cor­ri­dor inter­mo­dal mer Ionienne/Adriatique rail ; 2 489
30 Seine-Escaut fluvial 2 471
Esti­ma­tion 2004 233 772
Rééva­lua­tion 2005 252 000

Le casse-tête du financement

C’est effec­ti­ve­ment l’in­suf­fi­sance des moyens finan­ciers qui consti­tue la cause prin­ci­pale du fos­sé gran­dis­sant entre les besoins et les équi­pe­ments en infra­struc­ture. Les bud­gets natio­naux, qui consti­tuent la source prin­ci­pale des finan­ce­ments, consacrent aujourd’­hui moins de 1 % du PIB aux infra­struc­tures contre 1,5 % il y a vingt ans.

Quant aux res­sources en pro­ve­nance du bud­get com­mu­nau­taire, elles sont loin d’at­teindre un niveau satisfaisant.

Il est vrai que, dans les régions éco­no­mi­que­ment défa­vo­ri­sées, l’aide appor­tée au réseau tran­seu­ro­péen de trans­port par les Fonds struc­tu­rels et le Fonds de cohé­sion n’est pas négli­geable (envi­ron 20 mil­liards d’eu­ros pour la période 2000–2006). Mais ce sont les moyens spé­ci­fiques ins­crits au bud­get euro­péen pour four­nir l’im­pul­sion néces­saire au finan­ce­ment des grands pro­jets qui font le plus cruel­le­ment défaut.

Leur volume, de 600 mil­lions d’eu­ros par an entre 2000 et 2006, est tel­le­ment insuf­fi­sant qu’il fau­drait le quin­tu­pler pour atteindre une véri­table efficacité.

Le réseau transeuropéen de transport, grand oublié du débat budgétaire

C’est sans suc­cès que la Com­mis­sion a pro­po­sé cet accrois­se­ment de cré­dit pour la période 2007–2013. Le réseau de trans­port a été le grand oublié dans le débat bud­gé­taire qui a agi­té l’U­nion euro­péenne à la fin de l’an­née der­nière et c’est fina­le­ment un simple dou­ble­ment qui a été rete­nu. Main­te­nir l’aide à l’a­gri­cul­ture, déve­lop­per les régions les plus pauvres, favo­ri­ser la recherche et l’in­no­va­tion sont certes des objec­tifs res­pec­tables, mais, sans com­mu­ni­ca­tions, leur réa­li­sa­tion sera for­te­ment compromise.

De toutes les façons, même avec des efforts bud­gé­taires accrus, le bou­clage des plans de finan­ce­ment avec des moyens clas­siques res­te­rait pro­blé­ma­tique. Il faut inno­ver et, si les idées ne manquent pas, leur appli­ca­tion fait encore défaut. Citons à titre d’exemple le recours à un grand emprunt, un méca­nisme per­met­tant d’oc­troyer des garan­ties d’emprunt ain­si que l’ap­pli­ca­tion de sur­péages sur les routes situées dans les régions montagneuses.

Il est de plus indis­pen­sable de faire davan­tage appel aux res­sources du sec­teur pri­vé. Ce n’est pas en soi-même une nou­veau­té, le sys­tème des conces­sions notam­ment est bien connu, mais le par­tage des risques entre le public et le pri­vé pose encore, pour les pro­jets les moins ren­tables comme les pro­jets fer­ro­viaires, de sérieux pro­blèmes. L’en­vi­ron­ne­ment juri­dique des par­te­na­riats public-pri­vé ou PPP fait actuel­le­ment l’ob­jet de nou­velles pro­po­si­tions de la Commission.

Le Com­mis­saire euro­péen aux trans­ports, le Fran­çais Jacques Bar­rot, a récem­ment affir­mé sa volon­té de « mener à bien le défi de la réa­li­sa­tion du réseau tran­seu­ro­péen de trans­port ». Il a notam­ment char­gé six per­son­na­li­tés poli­tiques, dont ses deux pré­dé­ces­seurs Karel Van Miert et Loyo­la de Pala­cio, d’as­su­rer la coor­di­na­tion néces­saire pour le lan­ce­ment des grands pro­jets transfrontaliers.

Il faut espé­rer que, mal­gré les res­tric­tions bud­gé­taires, la déter­mi­na­tion de M. Bar­rot per­met­tra de sur­mon­ter les obs­tacles qui contra­rient la mise en œuvre d’un pro­jet certes ambi­tieux, mais essen­tiel pour l’a­ve­nir de l’Europe.

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