Le poids du logement dans le budget des ménages

Dossier : Le logement, un enjeu de sociétéMagazine N°681 Janvier 2013
Par Jean-Paul DRIANT

REPÈRES

REPÈRES
Le terme de crise immo­bi­lière s’était fait plus rare au cours des années 1990, avec une baisse des prix les plus éle­vés, notam­ment dans l’agglomération pari­sienne. Conju­guée avec quelques belles années de crois­sance éco­no­mique et de recul du chô­mage, cette baisse avait per­mis entre 1995 et 1998, une rela­tive détente de la demande de loge­ment, et un regain des sor­ties du parc social, per­met­tant une réduc­tion des files d’attente et favo­ri­sant un cer­tain retour au mythique « par­cours rési­den­tiel ascen­dant » des années 1970.
Le cercle ver­tueux a com­men­cé à se déli­ter dès la fin de la décen­nie 1990, et de nou­velles sources de blo­cage sont appa­rues tout au long des douze der­nières années.

Une hausse historiquement inédite

Sur la longue durée, la hausse des prix immo­bi­liers en France est conti­nue, mais ne s’est écar­tée de celle de l’ensemble des prix (indice des prix à la consom­ma­tion, IPC) qu’à par­tir du milieu des années 1980. À par­tir de ce moment, le mar­ché immo­bi­lier fran­çais a connu deux phases de cycle sen­si­ble­ment différentes.

Accal­mie trompeuse
Entre 1992 et 1997, années de crise immo­bi­lière, les prix pari­siens ont bais­sé de plus de 30%, alors que les prix natio­naux stag­naient et décro­chaient à nou­veau par rap­port à l’inflation.
C’est ain­si que la fin des années 1990 est mar­quée par des prix modé­rés qui faci­litent une reprise de la pri­mo-acces­sion des classes moyennes. Mais cette phase de calme a pré­cé­dé une nou­velle envo­lée, encore plus spectaculaire.

La pre­mière, qui com­mence en 1982, a été mar­quée par une forte hausse à Paris et dans quelques villes très recher­chées du midi de la France. Entre 1982 et 1991, les prix pari­siens ont en effet aug­men­té de 191 %, alors que ceux de l’ensemble du ter­ri­toire n’ont crû « que » de 80 %, pour un IPC de 50 %. Il s’agissait, pour les prix natio­naux, d’un rat­tra­page après la forte infla­tion des années 1974–1983 qui n’avait tou­ché l’immobilier rési­den­tiel que dans une moindre mesure. Pour Paris, il s’agissait en revanche d’une phase spé­cu­la­tive qui a tou­ché la plu­part des métro­poles mon­diales et s’est ter­mi­née en 1991 par un retour­ne­ment brutal.

Les années 2000 se dis­tinguent par trois carac­té­ris­tiques : l’ampleur du décro­che­ment par rap­port à l’inflation, la durée de la hausse (onze ans) et le fait que les prix aient aug­men­té sur l’ensemble du ter­ri­toire. La crise enta­mée en 2008 ren­verse la ten­dance l’année sui­vante et dis­tingue à nou­veau l’agglomération pari­sienne, qui ne tarde pas à reprendre sa hausse, du reste du ter­ri­toire où les prix se sta­bi­lisent au niveau de 2008.

Au total, en 2012, le prix des loge­ments anciens est de 2,5 fois supé­rieur à celui de 2000 à Paris et de 2,1 fois supé­rieur à l’échelle nationale.

Une hausse liée aux conditions de crédit

En 2012, le prix des loge­ments anciens est de 2,5 fois supé­rieur à celui de 2000 à Paris

Le mar­ché du cré­dit, très favo­rable aux emprun­teurs, a nota­ble­ment contri­bué à la hausse des prix. Le retour­ne­ment de 2008–2009 doit beau­coup à la crise finan­cière et éco­no­mique venue des États-Unis à par­tir de 2007. Cette phase de cycle immo­bi­lier revêt aus­si quelques par­ti­cu­la­ri­tés fran­çaises, notam­ment la sol­va­bi­li­sa­tion des emprun­teurs par l’allongement, inédit chez nous, de la durée des prêts.

En effet, long­temps, le mar­ché fran­çais du cré­dit immo­bi­lier s’est carac­té­ri­sé par des durées de prêt modé­rées (moins de quinze ans en moyenne). La forte baisse des taux a ren­du pos­sible d’envisager un allon­ge­ment des durées de rem­bour­se­ment à par­tir du début des années 2000, ce qui a eu pour consé­quence un accrois­se­ment sen­sible de la sol­va­bi­li­té appa­rente des emprun­teurs. La hausse des taux fin 2008 a momen­ta­né­ment frei­né la ten­dance, mais le retour rapide à un niveau bas et stable a per­mis une sta­bi­li­sa­tion des prix à leur niveau éle­vé, voire une reprise de la hausse là où la demande est forte.

Au total, l’évolution des prix semble devoir beau­coup plus à l’évolution des condi­tions du cré­dit qu’au dés­équi­libre quan­ti­ta­tif entre l’offre et la demande de logements.

Une hausse modérée des loyers

Au cours des qua­rante der­nières années, les loyers ont connu des évo­lu­tions moins heur­tées et plus conformes à l’indice des prix. Une fois pas­sée la période de forte infla­tion des années 1970 à 1983, pen­dant laquelle les loyers ont aug­men­té à un rythme infé­rieur à celui de l’IPC, un décro­che­ment s’opère et, à par­tir du milieu des années 1980, les loyers ont crû net­te­ment plus vite, rat­tra­pant leur retard sur les prix à la consom­ma­tion (1984−1995).

Une ten­dance générale
La hausse des prix immo­bi­liers est un phé­no­mène mon­dial tout au long des années 2000. Seuls ont été épar­gnés quelques pays à faible pres­sion démo­gra­phique et forte majo­ri­té loca­tive, tels que l’Allemagne.

Alors que ces der­niers aug­mentent pen­dant la période de 47%, les loyers, eux, gagnent près de 80%. La période de crise immo­bi­lière est mar­quée par un bref retour à la modé­ra­tion, avant une reprise de la hausse pen­dant les années 2000 : entre 1999 et 2011, les loyers ont aug­men­té de 30% en moyenne natio­nale, alors que les prix ne l’ont fait que de 23%.

L’évolution est sur­tout liée à l’évolution des condi­tions du crédit

Contrai­re­ment à ce que nous obser­vions pour les valeurs vénales, on observe un écart signi­fi­ca­tif entre les loyers natio­naux et ceux des villes les plus chères. C’est le cas pour Paris. L’indice d’évolution des loyers de Paris, four­ni par l’Observatoire des loyers de l’agglomération pari­sienne (OLAP), indique que ceux-ci ont aug­men­té de près de 43 % entre 1999 et 2011, soit net­te­ment plus que l’inflation. Ces hausses de loyer touchent lour­de­ment les loca­taires des grandes villes.

Un effort financier en hausse continue

Ren­ta­bi­li­té loca­tive en baisse
Le dif­fé­ren­tiel de hausse entre les loyers et les valeurs vénales a dégra­dé la ren­ta­bi­li­té de l’in­ves­tis­se­ment loca­tif, sur­tout dans les villes où les prix sont les plus éle­vés. Au cours des années 2000, cette ten­dance a été par­tiel­le­ment com­pen­sée par les avan­tages fis­caux liés à l’in­ves­tis­se­ment dans le neuf et, dans les villes les plus chères, par les plus-values de revente.
Mais ces inci­ta­tions fis­cales se font géné­ra­le­ment au prix de fortes spé­ci­fi­ci­tés por­tant sur les loca­li­sa­tions et la taille des loge­ments, et les ventes accé­lèrent la réduc­tion du volume de l’offre loca­tive, par­ti­cu­lié­re­ment accen­tuée à Paris.

Entre 1992 et 2006 (voir tableau), le reve­nu moyen des ménages, en euros cou­rants, a aug­men­té de 1,9% par an et leur charge finan­cière nette en matière de loge­ment d’à peine moins de 2 %, ce qui indique que, de façon agré­gée, l’effort finan­cier s’est main­te­nu à un niveau pra­ti­que­ment inchan­gé aux alen­tours de 16,8 % après déduc­tion des aides à la personne.

Ce résul­tat reflète un effet de struc­ture lié à l’accroissement de la part des pro­prié­taires libé­rés de toute charge de rem­bour­se­ment (ils étaient 30 % en 1992 contre 38 % en 2006) et masque de très fortes disparités.

Disparités dans l’évolution des dépenses

En effet, pen­dant la même période, les reve­nus moyens des loca­taires (sec­teurs libre et social) n’ont aug­men­té qu’à un rythme annuel moyen infé­rieur à 1 % et même à 0,5 % entre les deux der­nières enquêtes, alors que leurs dépenses de loge­ment aug­men­taient for­te­ment, à un rythme de 2,2 % sur qua­torze ans et même de 2,8 % en HLM et 3,5 % en sec­teur libre entre 2002 et 2006. Leurs taux d’effort nets moyens sont ain­si pas­sés, pour le sec­teur social, de 20,5 % à 22,5 % et pour le sec­teur libre, de 24,2 % à 27,4%.

Pour les accé­dants à la pro­prié­té, l’écart entre l’accroissement des reve­nus et celui des charges de loge­ment est moindre, sur­tout sur longue période (entre 1992 et 2002, reve­nus et charge nette ont aug­men­té au même rythme), mais la hausse des prix des années 2000 se fait sen­tir par une plus forte sélec­ti­vi­té en termes de reve­nus (le reve­nu moyen des accé­dants a aug­men­té à un rythme annuel de 2,8% entre 2002 et 2006) et par un accrois­se­ment de la charge finan­cière de 5 % par an.

Il en résulte que le taux d’effort net moyen des accé­dants à la pro­prié­té a aug­men­té de deux points en quatre ans, pas­sant de 22,3 % à 24,3%.

ÉVOLUTION DES REVENUS MOYENS ET DES CHARGES TOTALES NETTES DE LOGEMENT (EN EUROS)
Tous les ménages 1992 2002 2006 Crois­sance moyenne
annuelle sur 14 ans
(1992−2006)
Crois­sance moyenne
annuelle sur 4 ans
(2002−2006)
Reve­nu total moyen 22 961 27 311 29 799 1,88 % 2,20 %
Charge totale nette 3 819 4 391 5 021 1,97 % 3,41 %
Taux d’effort net moyen 16,6 % 16,1 % 16,8 % - -
Loca­taires sec­teur social
Reve­nu total moyen 17 887 20 157 20 538 0,99 % 0,47 %
Charge totale nette 3 433 4 142 4 625 2,15 % 2,80 %
Taux d’effort net moyen 19,2 % 20,5 % 22,5 % - -
Locatai​res sec­teur libre
Reve­nu total moyen 20 806 23 393 23 724 0,94 % 0,35 %
Charge totale nette 4 781 5 670 6 499 2,22 % 3,47 %
Taux d’effort net moyen 23,0 % 24,2 % 27,4 % - -
Accé­dants à la propriété
Reve­nu total moyen 31 457 37 837 42 227 2,13 % 2,78 %
Charge totale nette 7 023 8 436 10 259 2,74 % 5,01 %
Taux d’effort net moyen 22,3 % 22,3 % 24,3 % - -
Source : Insee – Enquêtes logement

Inégalités sociales

L’analyse des taux d’effort en fonc­tion du niveau des reve­nus per­met de mesu­rer l’ampleur des inéga­li­tés sociales face à la charge du loge­ment. Les aides à la per­sonne jouent par­tiel­le­ment leur rôle en rédui­sant les taux d’effort entre les dif­fé­rents niveaux de reve­nus. Elles n’inversent cepen­dant pas la hié­rar­chie ; ce sont tou­jours les plus pauvres qui font l’effort le plus impor­tant et la période la plus récente (2002−2006) est mar­quée par une accen­tua­tion des écarts.

Décro­chage
Les chiffres de l’Insee montrent un décro­chage entre les sta­tuts d’occupation, avec un accrois­se­ment des écarts de reve­nus entre loca­taires et accé­dants à la pro­prié­té : le rap­port entre les reve­nus moyens des loca­taires HLM et ceux des accé­dants est ain­si pas­sé de 1,9 à 2,1 entre 2002 et 2006 ; la capa­ci­té des ménages de pas­ser d’un sec­teur à l’autre s’en est trou­vée consi­dé­ra­ble­ment réduite, nous y reviendrons.

Dans le parc social, le taux d’effort des ménages rele­vant du pre­mier quin­tile (1,5 mil­lion de ménages, un tiers des loca­taires HLM) bon­dit de 5 points, pas­sant de 24,6 % à 29,6 %, alors que celui des ménages du deuxième quin­tile n’augmente que de 2 points. Pour ces ménages à bas reve­nu, le bud­get rési­duel moyen, après les dépenses de loge­ment, n’est plus que de 635€ par mois, alors qu’il atteint 1 555€ pour les loca­taires HLM à reve­nus moyens (troi­sième quintile).

Dans le parc pri­vé, la situa­tion est encore pire. Entre 2002 et 2006, le taux d’effort des ménages du pre­mier quin­tile est pas­sé de 39 % à 48 % (1,4 mil­lion de ménages en 2006, un quart des loca­taires du sec­teur pri­vé, dont 13 % d’étudiants, 18 % de chô­meurs, 16 % de retrai­tés). En quatre ans, le reve­nu rési­duel moyen de ces ménages est pas­sé de 432 € par mois à 383€.

Des trajectoires résidentielles bloquées

Ce sont tou­jours les plus pauvres qui font l’effort le plus important

La conjonc­tion de l’augmentation des prix et des loyers avec la hausse des taux d’effort nets a pour effet d’accroître l’ampleur de l’effort sup­plé­men­taire que repré­sente un démé­na­ge­ment, sauf pour les pro­prié­taires. Pour ces der­niers, la situa­tion est plu­tôt favo­rable. La hausse des prix leur per­met de réa­li­ser une plus-value de revente consé­quente et de consti­tuer un apport impor­tant qui leur ouvre les portes d’un cré­dit à bon mar­ché s’ils sou­haitent s’agrandir ou amé­lio­rer leur loca­li­sa­tion résidentielle.

Un loca­taire ins­tal­lé de longue date dans son loge­ment paie le loyer de sa date d’emménagement indexé à l’indice de réfé­rence des loyers, très proche de l’inflation. S’il veut démé­na­ger vers un autre loge­ment loca­tif, il paie­ra le loyer de mar­ché du moment, c’est-à-dire net­te­ment plus cher, même pour un loge­ment équi­valent. Le rai­son­ne­ment vaut aus­si pour le parc social, sur­tout si l’on passe d’un loge­ment construit dans les années 1970 à un immeuble récent.

Moins d’accédants à la propriété
S’agissant des accé­dants à la pro­prié­té, l’intensité de l’effort est telle pour les ménages à bas reve­nus, que leur nombre a consi­dé­ra­ble­ment bais­sé : 610 000 en 1992 par­mi les ménages du pre­mier quin­tile (12% des accé­dants); 340 000 en 2006 (7% des accé­dants), alors que pour presque tous les autres accé­dants les taux d’effort nets res­tent conte­nus sous la barre des 30%.

La marche la plus haute à fran­chir, dans un tel contexte, est la pri­mo-acces­sion. En effet, mal­gré l’amélioration des condi­tions de cré­dit, la hausse des prix a contri­bué à écar­ter du mar­ché les ménages à reve­nus moyens, sur­tout dans les villes les plus chères. Il est deve­nu très dif­fi­cile pour eux de consti­tuer l’apport mini­mum requis par les banques pour accé­der aux prêts les plus avan­ta­geux, sauf s’ils dis­posent d’une aide fami­liale ou du pro­duit de la revente d’un autre bien.

C’est ce qui explique que, même si le volume glo­bal de la pri­mo-acces­sion n’a pas bais­sé, celle-ci est deve­nue de plus en plus sélec­tive. Nous en avons déjà obser­vé plu­sieurs indices : la hausse du reve­nu moyen des accé­dants entre 2002 et 2006 et la baisse du nombre d’accédants par­mi les ménages à bas revenus.

La marche la plus haute à fran­chir est la primoaccession

L’une des consé­quences les plus notables de cette évo­lu­tion est la réduc­tion du nombre de mobi­li­tés entre le parc social et l’accession à la pro­prié­té. Selon les deux der­nières enquêtes loge­ments, entre 1998 et 2001, ils avaient été plus de 520 000 à avoir fait ce che­min ; entre 2003 et 2006, ils n’étaient plus que 465 000.

Pour le parc social, la conjonc­tion des divers freins à la mobi­li­té sor­tante s‘est tra­duite par une forte baisse du taux de rota­tion, pas­sé de près de 13% en 1998 à moins de 10% en 2010.

En Île-de-France, au cours de la même période, ce taux est pas­sé de 10,1 % à 6,5 %. Sachant qu’au niveau natio­nal la perte d’un point de rota­tion repré­sente une baisse de la capa­ci­té annuelle d’accueil dans le parc social de près de 45 000 nou­veaux ménages, on com­prend dès lors que les files d’attente pour y accé­der se soient nota­ble­ment allon­gées et qu’en bout de chaîne le mal-loge­ment ait conti­nué à prospérer.

SOURCES

Les don­nées sur l’évolution des prix de l’immobilier et des loyers sont celles réunies, trai­tées et mises en forme par Jacques Frig­git (Conseil géné­ral de l’environnement et du déve­lop­pe­ment durable, CGEDD), et régu­liè­re­ment mises à jour sur le site du CGEDD :

www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/rubrique.php3?id_rubrique=138.

Celles por­tant sur l’effort finan­cier sont tirées de l’Enquête loge­ment de l’Insee, dont la der­nière édi­tion date de 2006.

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