Le Japon face au déclin de sa population

Dossier : Démographie, un monde de disparitésMagazine N°685 Mai 2013
Par Jacques VÉRON

Le Japon a vécu ce der­nier demi-siècle une « fenêtre démo­gra­phique » favo­rable, avec une grande pro­por­tion de popu­la­tion dans les âges actifs, de 15 à 64 ans. Cette pro­por­tion, qui était de 58 % dès 1920, monte à 60 % en 1950 et culmine à 69% en 1970. Elle est encore de 64 % aujourd’hui. Cette évo­lu­tion s’accompagne d’un bas­cu­le­ment des enfants vers les seniors. Les moins de 14 ans, qui étaient 36% en 1920, ne sont plus que 13%, tan­dis que dans le même temps la pro­por­tion des seniors a crû de 6 % à 23 %.

Il est loin le temps où les entre­prises japo­naises publiaient avec fier­té la moyenne d’âge par­ti­cu­liè­re­ment jeune de leur personnel.

REPÈRES
En 1721, le Japon agri­cole se consi­dé­rait déjà comme sur­peu­plé, avec 26 mil­lions d’ha­bi­tants. Il pra­ti­quait lar­ge­ment l’a­vor­te­ment, la vente d’en­fants et même l’in­fan­ti­cide. Le Japon indus­triel d’au­jourd’­hui compte 127 mil­lions d’habitants.
En conqué­rant un empire, les Japo­nais crurent résoudre leur pro­blème de sur­peu­ple­ment. Après 1945, il fal­lut regar­der la réa­li­té en face. La crois­sance japo­naise est alors de plus d’un mil­lion d’ha­bi­tants par an tan­dis que le pays est dévas­té et rui­né. En 1948, la loi dite « de pro­tec­tion eugé­nique » contri­bue à la dif­fu­sion de la contra­cep­tion, libé­ra­lise l’a­vor­te­ment et auto­rise la stérilisation.
Le nombre moyen d’en­fants par femme baisse de 4 à 2 entre 1947 et 1957. Il n’est plus aujourd’­hui que de 1,3 enfant par femme.

Des changements familiaux

Élé­ment tout à fait remar­quable de la socié­té japo­naise, l’espérance de vie est la plus éle­vée au monde. Entre 1950 et aujourd’hui, elle a crû de 59 à 79 ans pour les hommes et, encore plus remar­quable, de 63 à 86 ans pour les femmes.

L’espérance de vie est la plus éle­vée au monde

Cela s’accompagne de chan­ge­ments fami­liaux impor­tants. L’âge de la mère lors de la nais­sance du pre­mier enfant passe de 25 à 28,5 ans entre 1950 et 2009. La pro­por­tion de céli­ba­taires, chez les femmes de 30 à 34 ans, passe de 6% en 1950 à 34% aujourd’hui. Il faut aus­si tenir compte d’un élé­ment essen­tiel : contrai­re­ment aux pays déve­lop­pés d’Occident, la pro­por­tion des nais­sances hors mariage reste très faible, seule­ment 2 %.

La com­bi­nai­son de ces deux élé­ments a, bien sûr, un effet impor­tant sur la nata­li­té. Ajou­tons une grande aug­men­ta­tion du nombre des per­sonnes vivant seules, tan­dis que les foyers où vivent trois géné­ra­tions, qui comp­taient encore pour 54% de la popu­la­tion en 1975, n’en concernent plus que 21 % aujourd’hui.

Entre innovation et tradition

Le Japon pré­sente un mélange très par­ti­cu­lier d’innovation et de tra­di­tion. Les rela­tions entre hommes et femmes ont peu évo­lué. Le cycle du tra­vail pro­fes­sion­nel fémi­nin demeure très tra­di­tion­nel avec un pre­mier maxi­mum (70 % vers l’âge de 25 à 28 ans, un creux pro­non­cé, puis un second maxi­mum à peine plus éle­vé que le pre­mier vers 45 à 55 ans.

La socié­té japo­naise ne refuse pas vrai­ment l’enfant, mais elle a une claire conscience de son coût en l’absence de toute poli­tique familiale.

Une pyramide tourmentée

Des immi­grés qui vieillissent
La solu­tion pour­rait-elle être un recours à l’immigration ? Il y a 2 mil­lions d’immigrés dans l’archipel (Coréens : 29%, Chi­nois : 27%, Bré­si­liens d’origine japo­naise : 15 %, Phi­lip­pins : 9%).
Mais, d’une part, l’immigration est d’une effi­ca­ci­té médiocre contre le vieillis­se­ment car les immi­grés vieillissent à leur tour. Et, d’autre part, les condi­tions d’immigration, même récem­ment amé­lio­rées, res­tent difficiles.
Ajoutons‑y la xéno­pho­bie tra­di­tion­nelle des Japo­nais, même envers les Bré­si­liens d’origine japo­naise, et la vul­né­ra­bi­li­té des emplois des immi­grés en cas de crise.

La pyra­mide des âges japo­naise est, bien sûr, très tour­men­tée. On y dis­tingue immé­dia­te­ment la guerre puis le court baby-boom d’après-guerre. La fai­blesse récente et actuelle de la nata­li­té lui donne une forme de poire très pro­non­cée, même s’il y a une légère remon­tée ces deux der­nières années. Cette pyra­mide est typique d’une socié­té en voie de vieillis­se­ment à la fois par le haut (grande espé­rance de vie) et par le bas (nata­li­té insuffisante).

Les pré­vi­sions pour 2025, 2055 et 2105 se font, bien sûr, selon la méthode clas­sique, avec une hypo­thèse haute, une hypo­thèse moyenne et une hypo­thèse basse, tant pour la nata­li­té que pour la mor­ta­li­té. Même l’hypothèse haute de nata­li­té n’ose pré­voir un retour au rem­pla­ce­ment des géné­ra­tions, elle se contente de remon­ter l’indice à envi­ron 1,6 enfant par femme.

Un vieux sur deux à la fin du siècle

Trois fois plus de vieillards que de nouveau-nés

Dans ces condi­tions, on assiste à une décrois­sance, d’abord lente, puis de plus en plus rapide, de la popu­la­tion japo­naise : 120 mil­lions en 2025, entre 84 et 98 mil­lions en 2055, entre 35 et 75 mil­lions en 2105. Mais c’est la pyra­mide des âges de 2055 qui est la plus impressionnante.

La cohorte la plus nom­breuse, c’est-à-dire l’ensemble des per­sonnes nées la même année, est celle de 81 ans, donc celle née en 1974 – les enfants de ceux nés pen­dant le baby-boom –, et cette cohorte est trois fois plus nom­breuse que celle des nou­veau-nés. La pro­por­tion des seniors dépas­se­ra sans doute 40 % et appro­che­ra peut-être 50 % pen­dant la deuxième moi­tié du siècle.

Les Japo­nais sont conscients de cette situa­tion. Le grand public en a pris conscience en 1995, lors du « choc des 1,53 » (enfant par femme). Pris entre ces sombres pers­pec­tives et la grande den­si­té actuelle de l’archipel, les Japo­nais cherchent des solu­tions. Le défi auquel le Japon est confron­té est un défi vital. S’il s’en sort, son exemple sera utile à l’humanité entière.

Quelques ques­tions

Y a‑t-il beau­coup de cas de stérilité ?
Leur pro­por­tion n’a guère varié et ne sau­rait en aucun cas expli­quer les évo­lu­tions récentes.

En Alle­magne, on observe un refus de l’enfant, même chez de nom­breux couples mariés. En est-il de même au Japon ?
Non, ce que l’on voit au Japon, c’est un refus de la famille tra­di­tion­nelle. Mais rares sont les couples mariés qui n’ont pas au moins un enfant.

L’opinion publique est consciente de la situation.
Ne serait-ce pas à cause de la ques­tion des retraites ?

Pour beau­coup, le pro­blème des retraites est l’arbre qui cache la forêt, la par­tie émer­gée de l’iceberg, mais ce n’est pas géné­ral. De très nom­breux Japo­nais com­prennent par­fai­te­ment que les retraites ne sont que l’un des aspects du pro­blème. L’exemple de Sin­ga­pour incite à la réflexion. Long­temps, le gou­ver­ne­ment de Sin­ga­pour a pous­sé, avec suc­cès, à la limi­ta­tion des nais­sances par diverses mesures inci­ta­tives. S’étant ren­du compte qu’il était allé trop loin, il tente de ren­ver­ser la vapeur, mais s’aperçoit que c’est une tâche beau­coup plus difficile.

Quelle est l’influence de la crise sur le Japon ?
> En matière de démo­gra­phie, l’influence de la crise est un recul des pos­si­bi­li­tés d’immigration. Elle aura cer­tai­ne­ment aus­si une influence sur la natalité.

La nata­li­té dépend-elle essen­tiel­le­ment du rap­port du reve­nu des jeunes couples à celui de leurs aînés ?
> On observe des retour­ne­ments inex­pli­qués, mais il faut por­ter la plus grande atten­tion à ces phé­no­mènes. Il fau­dra sans doute que l’Europe adopte une poli­tique volon­ta­riste vigou­reuse en démographie.

Commentaire

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Denis Gar­nierrépondre
29 mai 2013 à 20 h 40 min

Le Japon sau­ra faire face au déclin de sa population

Les 336 habi­tants au kilo­mètre car­ré du Japon cor­res­pon­draient à 185 mil­lions de fran­çais : pour qui aime la nature et les espaces « sau­vages » de notre pays, ça ne serait pas une pers­pec­tive si réjouis­sante que cela… Pour­quoi ce qui sem­ble­rait mau­vais ici devrait-il per­du­rer là bas ?


Si la décrois­sance de la popu­la­tion du Japon se fait dans la dou­ceur, je ne me fais pas trop de sou­ci pour cet auguste peuple qui sau­ra rebon­dir le moment venu. De toute façon, on est dans un cas très dif­fé­rent de la décrois­sance démo­gra­phique de la « grande » Rus­sie qui pour­rait éven­tuel­le­ment atti­ser la convoi­tise de ses voisins.

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