Le difficile chemin vers la nécessaire rationalisation

Dossier : Géo-information et SociétéMagazine N°662 Février 2011
Par Patrice PARISÉ

REPÈRES

REPÈRES
L’IGN est un éta­blis­se­ment public de l’É­tat à carac­tère admi­nis­tra­tif. Il est l’o­pé­ra­teur de l’É­tat pour l’in­for­ma­tion géo­gra­phique de réfé­rence. Citons les pho­to­gra­phies aériennes (de 1921 à nos jours) : 4,5 mil­lions ; les points géo­dé­siques, 74 000 et repères de nivel­le­ment, 350000 ; les cartes édi­tées sur papier, 3600 titres et 3,7 mil­lions d’exem­plaires impri­més par an ; cartes anciennes et actuelles, fran­çaises et étran­gères (car­to­thèque), 500 000.
Les bases de géo­don­nées, 67 téra­oc­tets au total, com­prennent notam­ment le Réfé­ren­tiel à grande échelle (RGE) de pré­ci­sion métrique avec quatre couches d’in­for­ma­tion (topo­gra­phique, pho­to­gra­phique, par­cel­laire, adresses géo­lo­ca­li­sées), l’al­ti­mé­trie (mesure du relief) com­plète du ter­ri­toire, la BD Car­to (des­crip­tion du ter­ri­toire à moyenne échelle (pré­ci­sion déca­mé­trique), Géo­fla (limites admi­nis­tra­tives, mises à jour à par­tir des infor­ma­tions de l’IN­SEE, routes, réseau rou­tier au niveau régio­nal ou national).

Par­mi les mis­sions d’in­té­rêt géné­ral que l’É­tat a confiées à l’Ins­ti­tut géo­gra­phique natio­nal figure celle consis­tant à consti­tuer et tenir à jour un réfé­ren­tiel géo­gra­phique numé­rique décri­vant l’en­semble du ter­ri­toire national.

Pour­quoi cette mis­sion et pour­quoi est-elle d’in­té­rêt géné­ral ? Tout sim­ple­ment parce qu’un tel réfé­ren­tiel est indis­pen­sable au bon fonc­tion­ne­ment d’un pays comme le nôtre et qu’il n’exis­te­rait pas sans l’i­ni­tia­tive de l’É­tat. Il est indis­pen­sable, car un grand nombre d’ad­mi­nis­tra­tions et d’en­tre­prises uti­lisent quo­ti­dien­ne­ment l’in­for­ma­tion géographique.

Les sys­tèmes d’in­for­ma­tion géo­gra­phique sont deve­nus des outils irremplaçables

Pour beau­coup d’entre elles, notam­ment celles inter­ve­nant dans les domaines des trans­ports, de l’ur­ba­nisme, des réseaux, de l’a­mé­na­ge­ment, de la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment, des secours aux per­sonnes ou de la pré­ven­tion des risques, les sys­tèmes d’in­for­ma­tion géo­gra­phique sont même deve­nus des outils irremplaçables.

Il n’exis­te­rait pas sans l’i­ni­tia­tive de l’É­tat, car le mar­ché ne le pro­dui­rait pas spon­ta­né­ment avec les spé­ci­fi­ca­tions requises au regard des besoins. Il se pas­se­rait ce qu’on a consta­té pour la télé­pho­nie mobile ou l’In­ter­net à haut débit, seules seraient cou­vertes les zones pour les­quelles l’in­ves­tis­se­ment ini­tial et les dépenses de mise à jour qu’il repré­sente seraient sus­cep­tibles d’être finan­cés par des recettes.

Nous ne dis­po­se­rions ain­si, au gré des ini­tia­tives des uns et des autres, que d’une mosaïque incom­plète de réfé­ren­tiels dis­sem­blables ayant des pré­ci­sions, des échelles et des conte­nus différents.

Garantir la disponibilité d’un référentiel socle homogène et de qualité connue

Cer­tains objec­te­ront qu’il existe main­te­nant une car­to­gra­phie mon­diale faci­le­ment et gra­tui­te­ment acces­sible au moyen d’In­ter­net et que par ailleurs, grâce aux géo­na­vi­ga­teurs et à la géo­col­la­bo­ra­tion, le moment est proche où les cartes seront éla­bo­rées par les citoyens eux-mêmes sans qu’il en coûte aux contri­buables. Outre que les édi­teurs de globes vir­tuels s’ap­pro­vi­sionnent en don­nées géo­gra­phiques direc­te­ment ou indi­rec­te­ment auprès des ins­ti­tuts natio­naux de géo­gra­phie, rien ne garan­tit, avec un degré de cer­ti­tude en rap­port avec les besoins des États, la dis­po­ni­bi­li­té, l’ho­mo­gé­néi­té et l’ac­tua­li­té de cette car­to­gra­phie ou de celle éma­nant de réseaux sociaux.

Les com­po­santes super­po­sables du RGE (de haut en bas : ortho­pho­to, topo­gra­phie, par­cel­laire, adresses postales

Un système numérique intégré de description du territoire

Géo­por­tail et géocatalogue
Ces outils per­mettent de consul­ter l’en­semble des infor­ma­tions visua­li­sables en 2D ou 3D et éven­tuel­le­ment de les télé­char­ger. De plus, tout uti­li­sa­teur peut inter­fa­cer son propre site grâce à l’A­PI (Appli­ca­tion Pro­gram­ming Inter­face) et visua­li­ser en fond d’é­cran les couches d’in­for­ma­tion du Géoportail.
www.geoportail.fr (15 mil­lions de visites en 2009).

Telles sont les rai­sons qui ont conduit l’É­tat à deman­der à l’I­GN de consti­tuer et tenir à jour un réfé­ren­tiel décri­vant l’en­semble de la France avec une pré­ci­sion métrique, au moyen de quatre grandes bases de don­nées numé­riques : une base ortho­pho­to­gra­phique déli­vrant une vue aérienne ver­ti­cale et conti­nue du ter­ri­toire com­po­sée de pixels posi­tion­nés dans le sys­tème légal de réfé­rence, une base topo­gra­phique décri­vant notam­ment les réseaux de trans­ports, les cours d’eau, les bâti­ments, le relief et la végé­ta­tion, une base par­cel­laire res­ti­tuant les par­celles cadas­trales sous la forme d’un conti­nuum natio­nal et une base d’a­dresses loca­li­sant les 28 mil­lions d’a­dresses fran­çaises. Les objets décrits par ces bases sont exac­te­ment super­po­sables. Ce réfé­ren­tiel, com­men­cé en 2000, a été ache­vé en 2008. Il est, depuis, mis à jour en continu.

Gagner en efficacité

La situa­tion est-elle pour autant satisfaisante ?

Mal­heu­reu­se­ment non.

La plu­part des auto­ri­tés publiques, ser­vices de l’É­tat, régions, dépar­te­ments, inter­com­mu­na­li­tés, com­munes, se sont dotées de réfé­ren­tiels et de sys­tèmes d’in­for­ma­tion géo­gra­phique pour pou­voir exer­cer leurs res­pon­sa­bi­li­tés. Elles les ont légi­ti­me­ment conçus de façon à ce qu’ils répondent le mieux pos­sible à leurs besoins propres.

Des éco­no­mies et des gains d’ef­fi­ca­ci­té peuvent être reti­rés d’une rationalisation

Mais, si une car­to­gra­phie com­mu­nale suf­fit pour gérer les affaires de la com­mune, y com­pris lorsque cette car­to­gra­phie est dif­fé­rente de celle des com­munes adja­centes par son conte­nu ou son échelle, on com­prend bien en revanche que le conseil géné­ral ait besoin, pour admi­nis­trer les affaires dépar­te­men­tales, d’un réfé­ren­tiel cou­vrant l’en­semble des com­munes du dépar­te­ment de façon homogène.

De la même façon, la ges­tion des affaires dépar­te­men­tales n’exige pas que le réfé­ren­tiel du dépar­te­ment obéisse aux mêmes spé­ci­fi­ca­tions que celui de ses voi­sins, alors que cette simi­li­tude pré­sen­te­rait l’a­van­tage d’é­vi­ter à la région de consti­tuer sa propre car­to­gra­phie. Et ain­si de chaque niveau d’ad­mi­nis­tra­tion au niveau immé­dia­te­ment supé­rieur, jus­qu’à celui de l’É­tat, voire de l’U­nion européenne.

Le chantier est ouvert

Un moyen de déve­lop­per l’ad­mi­nis­tra­tion électronique

La situa­tion ain­si décrite, en des­sous de la réa­li­té si l’on consi­dère qu’au sein d’or­ga­nismes impor­tants il n’est pas rare de consta­ter que plu­sieurs sys­tèmes d’in­for­ma­tion géo­gra­phique uti­li­sant des réfé­ren­tiels dif­fé­rents ont été déve­lop­pés, donne une idée des éco­no­mies et des gains d’ef­fi­ca­ci­té qui pour­raient être reti­rés d’une ratio­na­li­sa­tion de la pro­duc­tion et de l’u­ti­li­sa­tion de l’in­for­ma­tion géographique.

Le chan­tier est ouvert. La créa­tion de pla­te­formes régio­nales d’in­for­ma­tion géo­gra­phique asso­ciant de nom­breux par­te­naires et le début de la mise en oeuvre de la direc­tive euro­péenne Ins­pire, qui vise à créer les condi­tions d’un par­tage des don­nées géo­gra­phiques entre auto­ri­tés publiques aus­si libre que pos­sible, en sont les tra­duc­tions les plus concrètes.

En rai­son du nombre des acteurs qu’il implique, mais aus­si parce qu’il ne peut être mené que sur une base volon­taire et consen­suelle, ce tra­vail de ratio­na­li­sa­tion est une tâche de longue haleine.

Rallier le plus grand nombre

La mer et le littoral
L’é­ta­blis­se­ment public de l’É­tat char­gé de la car­to­gra­phie marine est le http://www.shom.frSHOM (Ser­vice hydro­gra­phique et océa­no­gra­phique de la marine, http://www.shom.fr). Com­pé­tent sur l’ac­qui­si­tion, le trai­te­ment et la mise en forme des don­nées sur l’en­vi­ron­ne­ment marin, sa triple voca­tion porte sur l’in­for­ma­tion néces­saire à la sécu­ri­té de la navi­ga­tion, celle rela­tive à l’en­vi­ron­ne­ment hydro­gra­phique, océa­no­gra­phique et météo­ro­lo­gique pour les besoins de la défense, celle enfin néces­saire aux poli­tiques publiques, par exemple à la ges­tion inté­grée des zones côtières. Il copro­duit avec l’I­GN le modèle Litto3D de don­nées de pré­ci­sion (alti­mé­trie et bathy­mé­trie) sur le lit­to­ral, notam­ment sur l’es­tran, ain­si qu’une car­to­gra­phie terre-mer, Scan Lit­to­ral, acces­sible via le Géoportail.

L’une des condi­tions de son accé­lé­ra­tion est que le plus grand nombre pos­sible d’ad­mi­nis­tra­tions de l’É­tat et de col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales uti­lise le même réfé­ren­tiel sous-jacent.

Outre l’é­co­no­mie que cela repré­sen­te­rait pour les finances publiques, ce serait éga­le­ment un moyen de déve­lop­per l’ad­mi­nis­tra­tion élec­tro­nique et les pos­si­bi­li­tés d’ac­com­plir des for­ma­li­tés en ligne ; envi­ron 70 % des actions ou déci­sions des admi­nis­tra­tions com­portent une dimen­sion géo­gra­phique, et beau­coup d’entre elles sont liées par nature ou parce que cer­taines com­pé­tences sont par­ta­gées entre plu­sieurs autorités.

Déve­lop­per des pro­cé­dures élec­tro­niques de manière trans­ver­sale sur la base d’un même réfé­ren­tiel géo­gra­phique serait infi­ni­ment plus effi­cace que de jux­ta­po­ser des sys­tèmes en « tuyaux d’orgue » sou­vent inca­pables de communiquer.

Faciliter l’accès au référentiel à grande échelle de l’IGN

La géné­ra­li­sa­tion d’un réfé­ren­tiel socle pré­sen­tant ces avan­tages col­lec­tifs tout en per­met­tant aux acteurs publics d’y » accro­cher » leurs don­nées métier ou d’y ajou­ter, à leur conve­nance, des couches de des­crip­tion du ter­ri­toire, plus réso­lues ou plus pré­cises en fonc­tion de leurs besoins spé­ci­fiques, sup­pose qu’il soit faci­le­ment acces­sible. Avec le sou­tien de l’É­tat, le Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion de l’I­GN a donc déci­dé de dif­fu­ser le réfé­ren­tiel à grande échelle de l’Ins­ti­tut au seul coût de repro­duc­tion et de dif­fu­sion des don­nées concer­nées dès lors qu’il sera des­ti­né à l’exer­cice d’une mis­sion de ser­vice public ne revê­tant pas un carac­tère indus­triel ou com­mer­cial et, ain­si, de mettre fin à l’an­ti­no­mie entre la voca­tion de ce réfé­ren­tiel à être le plus lar­ge­ment uti­li­sé et sa dif­fu­sion aux auto­ri­tés publiques à titre onéreux.

Ces nou­velles moda­li­tés de dif­fu­sion ne seront pas en soi suf­fi­santes pour par­ve­nir à la ratio­na­li­sa­tion émi­nem­ment sou­hai­table de la pro­duc­tion et de l’u­ti­li­sa­tion de l’in­for­ma­tion géo­gra­phique dans notre pays, mais leur mise en œuvre en est une condi­tion abso­lu­ment nécessaire.

Le plan cadas­tral informatisé
La géo-infor­ma­tion cadas­trale (par­cel­laire et attri­buts) est évi­dem­ment une com­po­sante indis­pen­sable du réfé­ren­tiel à grande échelle. Elle trouve sa source dans le plan cadas­tral, qui couvre tout le ter­ri­toire (602000 plans orga­ni­sés par sec­tion cadas­trale et par com­mune) et est pro­duit et géré par le minis­tère du Bud­get (Direc­tion géné­rale des finances publiques – DGFiP). L’in­for­ma­ti­sa­tion du plan cadas­tral a démar­ré dans les années 1990, à la demande des col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales qui en ont finan­cé la numé­ri­sa­tion, sous le contrôle de la DGFiP, qui a, pour sa part, scan­né les plans res­tant non numérisés.
À par­tir de 2001, cette infor­ma­ti­sa­tion a per­mis à l’I­GN, en accord avec la DGFiP, de consti­tuer la couche par­cel­laire du RGE, sous une forme adap­tée en géo­mé­trie et en conti­nui­té d’une com­mune à l’autre. Cette couche dite » par­cel­laire » est main­te­nant dis­po­nible et consul­table sur le Géo­por­tail en super­po­si­tion avec les autres couches du RGE (topo­gra­phique, pho­to­gra­phique, adresses).
Conscients des pro­blèmes que pose l’exis­tence de deux géo­mé­tries du décou­page par­cel­laire, la DGFiP et l’I­GN s’ef­forcent de les faire converger.

Poster un commentaire