Le défi du traitement des infrastructures

Dossier : Le changement climatique ............................ 2e partie : Les MesuresMagazine N°680 Décembre 2012
Par Yves ENNESSER

REPÈRES

REPÈRES
Le conte­nu de cet article reflète l’expérience d’Egis, groupe fran­çais d’ingénierie, de mon­tage et d’exploitation d’infrastructures en France et à l’international, qui s’est inves­ti ces der­nières années dans deux impor­tants pro­grammes de recherche sur l’adaptation au chan­ge­ment cli­ma­tique des infra­struc­tures de trans­port : GERICI (Ges­tion des risques liés au chan­ge­ment cli­ma­tique pour les infra­struc­tures) dans le cadre d’un appel à pro­jet natio­nal du Réseau génie civil et urbain, et RIMAROCC (Risk Mana­ge­ment for Roads in a Chan­ging Cli­mate) au titre du pro­gramme euro­péen ERA-NET Road.

Il est tout d’abord utile de rap­pe­ler en deux points la vul­né­ra­bi­li­té des infra­struc­tures face aux aléas climatiques.

Des infrastructures vulnérables

D’une part, si les infra­struc­tures (trans­port, éner­gie, eau, etc.) sont rela­ti­ve­ment peu sen­sibles à une évo­lu­tion gra­duelle des valeurs moyennes des para­mètres cli­ma­tiques – car elles sont conçues pour fonc­tion­ner dans de larges gammes de tem­pé­ra­tures, de pré­ci­pi­ta­tions, etc. –, en revanche, elles le sont par­ti­cu­liè­re­ment aux évé­ne­ments cli­ma­tiques extrêmes, dont les hypo­thèses de valeurs limites sont géné­ra­le­ment consi­dé­rées comme des élé­ments-clés dans les cal­culs de struc­ture et de dimen­sion­ne­ment. Il faut donc bien connaître ces évé­ne­ments, ain­si que leur évo­lu­tion dans le temps et dans l’espace.

Les infra­struc­tures pèsent très lourd en termes éco­no­miques et humains

D’autre part, les infra­struc­tures pèsent très lourd en termes éco­no­miques et humains. Le chiffre d’affaires de la Fédé­ra­tion natio­nale des tra­vaux publics est d’environ 40 mil­liards d’euros, la valeur totale du capi­tal d’infrastructures d’environ 200 mil­liards pour le seul sec­teur rou­tier. Les retom­bées éco­no­miques du sec­teur sont à l’avenant : la pro­duc­tion annuelle en valeur de l’ensemble du sec­teur du trans­port est de 150 mil­liards d’euros. Aus­si la cou­pure de réseaux d’infrastructures induite par cer­tains évé­ne­ments cli­ma­tiques engendre-t- elle des coûts impor­tants pour la col­lec­ti­vi­té. S’ajoute évi­dem­ment le coût humain et social de ces évé­ne­ments (sinistres, décès).

Une situation critique

La com­bi­nai­son de cer­tains fac­teurs rend ces sujets pro­gres­si­ve­ment plus critiques.

Les défis du chan­ge­ment cli­ma­tique vont exi­ger des col­la­bo­ra­tions beau­coup plus étroites

L’environnement des infra­struc­tures s’est sou­vent urba­ni­sé, et l’imperméabilisation crois­sante des bas­sins amont rend les crues plus fré­quentes et plus vio­lentes. Ain­si, une infra­struc­ture construite dans les années 1970 pour une crue de type cen­ten­nal peut se retrou­ver aujourd’hui concer­née par de tels débits à une fré­quence infé­rieure à dix ans. Les tra­fics emprun­tant ces infra­struc­tures sont de plus en plus éle­vés et congestionnés.

Les infra­struc­tures ont sou­vent été construites entre 1945 et 1980, sur la base d’anciennes régle­men­ta­tions tech­niques, et vieillissent, ce qui accroît leur vul­né­ra­bi­li­té. De plus, l’acceptabilité des risques par les usa­gers s’est réduite en quelques décen­nies, avec l’augmentation moyenne du niveau de vie et la dégra­da­tion conco­mi­tante des condi­tions de cir­cu­la­tion. Il faut donc abor­der avec humi­li­té et prag­ma­tisme ces pro­blé­ma­tiques com­plexes, sans attendre pour agir que de nou­velles catas­trophes nous confirment ce que l’on pressent déjà aujourd’hui.

L’information est cruciale

Par rap­port aux évé­ne­ments cri­tiques, les ques­tions-clés des ges­tion­naires d’infrastructures aux météo­ro­logues et cli­ma­to­logues sont les sui­vantes. Quels vont être les chan­ge­ments cli­ma­tiques les plus impor­tants, à quelles échéances, avec quelle pro­ba­bi­li­té ? Quelle est la réso­lu­tion spa­tiale des pré­vi­sions actuelles et futures (et quand ces der­nières seront-elles dis­po­nibles) ? Com­ment gérer effi­ca­ce­ment la ques­tion des incer­ti­tudes ? Est-il pos­sible d’exprimer les évé­ne­ments cli­ma­tiques extrêmes en pro­ba­bi­li­té d’occurrence pour chaque variable météo­ro­lo­gique à fort impact sur la vul­né­ra­bi­li­té des infra­struc­tures ? Enfin, com­ment com­bi­ner les don­nées obser­vées sur les évé­ne­ments cli­ma­tiques extrêmes et les pro­jec­tions liées au chan­ge­ment climatique ?

Échelles ter­ri­to­riales
Pour les infra­struc­tures, la demande de des­cente d’échelle (amé­lio­ra­tion des pro­jec­tions cli­ma­tiques à une échelle locale ou régio­nale) est d’autant plus néces­saire que les aléas cli­ma­tiques peuvent avoir des spé­ci­fi­ci­tés régio­nales mar­quées, et que la concep­tion des mesures d’adaptation peut en tenir compte effi­ca­ce­ment (uti­li­sa­tion directe pour le cal­cul des ouvrages). Chaque échelle d’analyse fait sens : grand ouvrage spé­ci­fique à fort enjeu, sec­tion impor­tante d’une infra­struc­ture cri­tique, réseau entier d’une infra­struc­ture modale, approche glo­bale régionale.
Des évé­ne­ments et des conséquences
Les phé­no­mènes cri­tiques et leurs consé­quences sur les infra­struc­tures sont aujourd’hui rela­ti­ve­ment bien iden­ti­fiés : pluies extrêmes (inon­da­tion de l’infrastructure, arrêt du tra­fic, éro­sion, glis­se­ment de ter­rain, etc.), pré­ci­pi­ta­tions annuelles ou sai­son­nières (glis­se­ment de ter­rain, fis­su­ra­tion de la chaus­sée), mon­tée du niveau de la mer (cou­pure et éro­sion des routes côtières), tem­pé­ra­tures maxi­males (risques d’orniérage de cer­tains enro­bés bitu­mi­neux, dila­ta­tion des ponts, bétons et rails, incen­dies), vents vio­lents (chutes de pan­neaux, d’arbres, cou­pure d’alimentation éner­gé­tique). Notons que les évé­ne­ments cri­tiques com­binent géné­ra­le­ment plu­sieurs fac­teurs de risques (pluie et vent, cani­cule et séche­resse, etc.).

Un travail commun

Il n’est pas aisé d’y répondre, mais dans le dia­logue entre ges­tion­naires d’infrastructures et spé­cia­listes du cli­mat, plu­sieurs axes de pro­grès sont iden­ti­fiables. Les défis du chan­ge­ment cli­ma­tique vont exi­ger des col­la­bo­ra­tions beau­coup plus étroites, un tra­vail d’équipe cen­tré sur la réso­lu­tion des pro­blèmes des maîtres d’ouvrage, des exploi­tants et des usa­gers. Un vrai pro­ces­sus ité­ra­tif de conver­gence et d’optimisation est néces­saire. Les indi­ca­teurs météo­ro­lo­giques devront être adap­tés aux besoins des ges­tion­naires d’infrastructures, notam­ment en termes de pré­ci­sion et de disponibilité.

La connais­sance com­mune des valeurs cri­tiques par type d’infrastructure per­met­tra d’optimiser la chaîne d’intervention, depuis la trans­mis­sion d’informations météo per­ti­nentes, le trai­te­ment appro­prié de cette infor­ma­tion avec d’éventuels outils-modèles déve­lop­pés en com­mun, jusqu’à des actions concrètes d’adaptation (à court et moyen terme).

Savoir anticiper

Un hori­zon à dix ans est plus facile à appré­hen­der qu’une échéance à cent ans

Sou­li­gnons que les pas de temps dans le sec­teur des infra­struc­tures sont très éle­vés : la durée de vie des ouvrages est très longue (de cent à plu­sieurs cen­taines d’années pour les ponts et les bar­rages). Pour la concep­tion de nou­velles infra­struc­tures, les pro­jec­tions cli­ma­tiques à long terme sont donc néces­saires, même si elles sont for­cé­ment enta­chées d’incertitudes.

Des pré­vi­sions suf­fi­sam­ment fiables à court terme (dix, vingt, ou trente ans) sont éga­le­ment requises pour déci­der de pro­grammes d’investissement, de réha­bi­li­ta­tion et d’adaptation de l’existant. Les rai­sons en sont mul­tiples : poids des coûts d’adaptation des infra­struc­tures exis­tantes dans des contextes bud­gé­taires, contrac­tuels et de tra­fic très contraints ; opti­mi­sa­tion du pha­sage finan­cier de ces inves­tis­se­ments ; inté­rêt d’intégrer les mesures d’adaptation pro­gres­si­ve­ment dans les cycles de réha­bi­li­ta­tion-entre­tien des ouvrages exis­tants ; com­plexi­té et cri­ti­ci­té crois­santes du pro­ces­sus de gou­ver­nance, qui exige une rigueur et une trans­pa­rence abso­lues dans le pro­ces­sus décisionnel.

Enfin, il faut noter le carac­tère péda­go­gique de la démarche, un hori­zon à dix ans étant beau­coup plus facile à appré­hen­der pour le ges­tion­naire d’une infra­struc­ture qu’une échéance à cent ans. Ain­si, cer­taines infor­ma­tions per­ti­nentes sur le chan­ge­ment cli­ma­tique actuel ou à court terme peuvent déci­der des maîtres d’ouvrage à anti­ci­per le ren­for­ce­ment de cer­tains ouvrages qu’ils savent déjà très fragiles.

L’approche métho­do­lo­gique de GERICI.

Pas­ser aux actes
Contrai­re­ment aux idées reçues, d’une part il n’y a pas de temps à perdre ; d’autre part il est pos­sible aujourd’hui d’agir uti­le­ment. Trois familles de mesures s’imposent. Cer­taines règles de concep­tion, notam­ment celles uti­li­sées pour le dimen­sion­ne­ment des ouvrages hydrau­liques, doivent être modi­fiées. Fon­dées sur l’utilisation de séries sta­tis­tiques sous un cli­mat sup­po­sé immuable, elles se révèlent obso­lètes – voire dan­ge­reuses – avec un cli­mat évo­luant rapi­de­ment. Ces approches nor­ma­tives sont ame­nées à être pro­gres­si­ve­ment rem­pla­cées par des méthodes fai­sant appel à l’analyse des risques, déjà uti­li­sées en asso­cia­tion avec des ana­lyses coût-béné­fice sur des sites à enjeu majeur de pro­tec­tion contre les risques natu­rels. Notons que le sur­coût de l’adaptation est géné­ra­le­ment faible lorsque l’action est déci­dée dès la conception.

Adapter les processus

Les pro­ces­sus de concep­tion et d’exploitation doivent être adap­tés. Ils doivent s’ouvrir à des coopé­ra­tions plus larges : avec les ser­vices météo­ro­lo­giques, entre concep­teurs et exploi­tants (juste équi­libre entre le « dur­cis­se­ment » de l’infrastructure et l’adaptation des condi­tions de main­te­nance et d’exploitation), entre les modes de trans­port (afin de garan­tir la conti­nui­té du ser­vice aux usa­gers), avec les acteurs du ter­ri­toire (pour inté­grer les enjeux socio-éco­no­miques). La notion de « niveau de ser­vice dégra­dé mais accep­table » doit se déve­lop­per concrè­te­ment, pour mieux opti­mi­ser l’exploitation des infra­struc­tures pen­dant les crises, qui peuvent deve­nir plus fré­quentes et moins pré­vi­sibles. Les sys­tèmes contrac­tuels (par exemple les conces­sions ou par­te­na­riats public-pri­vé) doivent inté­grer les enjeux du chan­ge­ment cli­ma­tique. Les méca­nismes inci­ta­tifs peuvent à ce titre avoir un effet de levier très positif.

Commentaire

Ajouter un commentaire

Mar­tial Chevreuilrépondre
14 décembre 2012 à 9 h 36 min

Adap­ta­tion et infra­struc­tures
Bra­vo pour cet article. Les infra­struc­tures exis­tantes ont éga­le­ment viel­li et demandent dans tous les cas à être réha­bi­li­tées… Il faut en pro­fi­ter pour prendre en compte les mesures d’adaptation

Répondre