Le capital-risque et les nouvelles technologies

Dossier : Capital Risque Capital risqué !Magazine N°573 Mars 2002
Par André LÉVY-LANG (56)

Le déve­lop­pe­ment remar­quable du capi­tal-risque au cours des dix années de la fin du siècle der­nier est lié à la prise de conscience par les finan­ciers de la révo­lu­tion indus­trielle que consti­tuent les tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion (TIC). La chute des valeurs bour­sières et le dégon­fle­ment de la bulle Inter­net ne doivent pas conduire à sous-esti­mer cette révo­lu­tion. Il n’est pas inutile, dans le contexte dépres­sif actuel de ce sec­teur, de rap­pe­ler en quoi elle consiste, avant de voir quelques-uns de ses effets. Nous ver­rons ensuite que le capi­tal-risque n’est qu’un des moyens de finan­ce­ment des TIC et que le suc­cès de ces entre­prises repose sur bien d’autres élé­ments de l’en­vi­ron­ne­ment d’un pays, en com­pa­rant la situa­tion fran­çaise à celle des États-Unis.

L’innovation est le moteur de la croissance économique

Dans les éco­no­mies déve­lop­pées, la crois­sance des fac­teurs de pro­duc­tion tra­vail et capi­tal est limi­tée. La crois­sance éco­no­mique, la com­pé­ti­ti­vi­té des entre­prises, la crois­sance du pou­voir d’a­chat sont déter­mi­nées par la crois­sance de la pro­duc­ti­vi­té des fac­teurs. Pour l’en­semble de l’é­co­no­mie, la crois­sance de la pro­duc­ti­vi­té du tra­vail et du capi­tal dépend à son tour d’un ensemble com­plexe d’élé­ments qui incluent les savoir-faire, le sys­tème édu­ca­tif, les moyens d’in­for­ma­tion. Elle dépend plus géné­ra­le­ment de la capa­ci­té de la socié­té à favo­ri­ser l’in­no­va­tion et à l’in­té­grer dans l’é­co­no­mie du pays.

La dif­fé­rence de taux de crois­sance entre les États-Unis et l’Eu­rope dans les années quatre-vingt-dix, à l’a­van­tage des États-Unis, s’ex­plique en grande par­tie par une plus forte pro­gres­sion de la pro­duc­ti­vi­té. Celle-ci s’a­joute à l’ac­crois­se­ment du capi­tal inves­ti et des heures tra­vaillées. Cet avan­tage de pro­duc­ti­vi­té est attri­buable à un sys­tème social, éco­no­mique et finan­cier qui a per­mis le déve­lop­pe­ment rapide des nou­velles tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion, et leur dif­fu­sion rapide dans l’en­semble de l’économie.

La mise en œuvre des TIC a contri­bué aus­si au boom des inves­tis­se­ments. Mal­gré les excès de la bulle finan­cière, et le marasme actuel du sec­teur, le bilan de cette période reste très posi­tif pour l’é­co­no­mie américaine.

La situa­tion de la France est beau­coup moins favo­rable. Il est vrai que cer­taines de nos grandes entre­prises ont réus­si à se pla­cer dans le pelo­ton de tête mon­dial du sec­teur des tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion. Mais la per­for­mance glo­bale de l’é­co­no­mie fran­çaise depuis vingt ans n’a pas été brillante : ain­si, en termes de pro­duc­tion inté­rieure brute par habi­tant, la France est pas­sée du 5e au 13e rang en vingt ans.

Ce recul rela­tif est mas­qué pour l’o­pi­nion publique par la crois­sance du pou­voir d’a­chat, mais il est révé­la­teur de la néces­si­té de réformes struc­tu­relles. Il faut en effet pou­voir tirer un meilleur par­ti de nos atouts, par­ti­cu­liè­re­ment pour tout ce qui touche au déve­lop­pe­ment et à la dif­fu­sion de l’innovation.

Les technologies de l’information et de la communication créent une nouvelle révolution industrielle

L’ap­port des TIC a été com­pa­ré à celui de l’élec­tri­ci­té, source d’une révo­lu­tion indus­trielle il y a un siècle. En per­met­tant de dis­tri­buer l’éner­gie et en en rédui­sant le coût, l’élec­tri­ci­té a modi­fié radi­ca­le­ment les condi­tions de la pro­duc­tion indus­trielle. Un paral­lèle entre éner­gie et infor­ma­tion peut être fait : l’une et l’autre sont des fac­teurs de pro­duc­tion qui inter­viennent dans tous les secteurs.

Dans le cas de l’élec­tri­ci­té, la baisse des prix a per­mis une pro­gres­sion de la consom­ma­tion de plus de 10 % par an pen­dant plu­sieurs décen­nies. Les TIC ont per­mis une pro­gres­sion encore plus forte de la consom­ma­tion d’in­for­ma­tion grâce à la baisse des coûts asso­ciés, baisse qui va se pour­suivre pen­dant les dix ans qui viennent :

  • baisse du coût de trai­te­ment, divi­sé par deux tous les dix-huit mois pour les micro­pro­ces­seurs à per­for­mance donnée ;
  • baisse du coût de trans­mis­sion, avec le déve­lop­pe­ment des fibres optiques qui réduisent le coût de la bande pas­sante et celui des tech­niques de com­pres­sion des don­nées qui en réduisent la consommation ;
  • et baisse du coût de sto­ckage des don­nées, coût qui est divi­sé par deux tous les trois ans.


Paral­lè­le­ment, la stan­dar­di­sa­tion des logi­ciels (Win­dows, Linux) et des pro­cé­dures de codi­fi­ca­tion, d’ac­cès et de trans­mis­sion des don­nées (pro­to­coles IP, XML pour les bases de don­nées, GSM pour la télé­pho­nie) per­met la pro­duc­tion en grande série des maté­riels et des logi­ciels. Le déve­lop­pe­ment d’in­fra­struc­tures de com­mu­ni­ca­tion acces­sibles à bas prix per­met une réduc­tion des coûts d’ac­cès au mar­ché pour les nou­veaux entrants et donc une accé­lé­ra­tion de la dif­fu­sion des innovations.

Avec la baisse de ses coûts, l’in­for­ma­tion est deve­nue un fac­teur impor­tant de pro­duc­tion. Cela a plu­sieurs consé­quences éco­no­miques favorables :

  • réduc­tion du capi­tal employé (stocks, fonds de rou­le­ment, équi­pe­ments) : par exemple, en inté­grant dans un sys­tème en temps réel les four­nis­seurs, la pro­duc­tion et la demande des clients, ce qu’In­ter­net per­met à un coût limi­té, le fabri­cant d’or­di­na­teurs DELL fonc­tionne avec seule­ment cinq jours de stocks, contre plu­sieurs semaines dans la pro­duc­tion tra­di­tion­nelle de maté­riel électronique ;
     
  • meilleure pro­duc­ti­vi­té du tra­vail : par le par­tage de l’in­for­ma­tion, par les aides à la déci­sion, par exemple les outils de simu­la­tion gra­phique et de cal­cul per­mettent d’ac­cé­lé­rer la mise au point de pro­to­types et de les » essayer » vir­tuel­le­ment avant même de les fabri­quer ; les rela­tions avec les clients dans les ser­vices peuvent être trai­tées en grande par­tie à dis­tance en com­bi­nant com­mu­ni­ca­tion par Inter­net et liai­son vocale ; plus géné­ra­le­ment, la délo­ca­li­sa­tion des ser­vices suc­cède à celle des fabri­ca­tions – les centres d’ap­pels, le déve­lop­pe­ment de logi­ciels peuvent être délocalisés ;
     
  • créa­tion de nou­veaux ser­vices (enchères, com­mu­nau­tés) : par exemple, la vente aux enchères entre par­ti­cu­liers, la dif­fu­sion ins­tan­ta­née des appels d’offres des entre­prises pour leurs achats, la créa­tion de com­mu­nau­tés vir­tuelles autour d’un pôle d’intérêt ;
     
  • exten­sion et accé­lé­ra­tion de la concur­rence, rédui­sant les marges et les prix : l’ac­cès immé­diat des ache­teurs à des offres dis­tantes faci­lite la com­pa­rai­son des prix, par exemple pour le trans­port aérien et le tou­risme mais aus­si pour des biens phy­siques bien iden­ti­fiés (livres, musique, films, pro­duits de marque).


Ces quelques exemples per­mettent de sou­li­gner que les TIC – et ce qu’on a appe­lé la Nou­velle Éco­no­mie – concernent avant tout les entre­prises de l’é­co­no­mie clas­sique qui en sont, avec leurs clients, les prin­ci­pales béné­fi­ciaires. Cela veut dire aus­si que la four­ni­ture de pro­duits et de ser­vices aux entre­prises » clas­siques » pour l’u­ti­li­sa­tion des TIC est le mar­ché le plus impor­tant pour les entre­prises nou­velles et pour les inves­tis­seurs en capi­tal-risque, alors qu’il appa­raît que l’u­ti­li­sa­tion mar­chande de l’In­ter­net par le grand public se déve­loppe plus len­te­ment que prévu.

Les jeunes pousses et l’innovation

Les grandes entre­prises ont des avan­tages impor­tants quand il s’a­git de tirer par­ti des TIC. Elles ont la capa­ci­té finan­cière néces­saire pour prendre des risques et enga­ger des inves­tis­se­ments à retour long. Elles peuvent pro­po­ser une diver­si­té de car­rières ce qui faci­lite leur recru­te­ment. Elles ont enfin et sur­tout la force de dis­tri­bu­tion, l’i­mage de marque et les réseaux com­mer­ciaux et logis­tiques qui sont néces­saires pour dif­fu­ser et ren­ta­bi­li­ser les ser­vices et pro­duits nouveaux.

Mais les entre­prises nou­velles ont aus­si des atouts : la rapi­di­té de déci­sion, la sou­plesse d’or­ga­ni­sa­tion, la pos­si­bi­li­té d’as­so­cier finan­ciè­re­ment une équipe au suc­cès de son pro­jet, et sur­tout le fait que, dans une grande entre­prise, l’exis­tence d’un por­te­feuille de pro­duits et de clients dont il faut pré­ser­ver la ren­ta­bi­li­té peut frei­ner la mise en œuvre des innovations.

Ces atouts des nou­veaux entrants font que beau­coup des grandes entre­prises du sec­teur des TIC sont récentes et ont démar­ré il y a sou­vent moins de vingt ans. C’est le cas de Cis­co, d’O­racle et de quelques autres four­nis­seurs d’é­qui­pe­ments et de logi­ciels pour Inter­net. Des entre­prises plus anciennes comme IBM ou Alca­tel ont su se repen­ser radi­ca­le­ment et res­ter dans le groupe de tête de leur domaine.

L’im­por­tance des jeunes pousses ne se mesure pas seule­ment au nombre, néces­sai­re­ment très faible, de celles qui deviennent des géants comme Cis­co ou Micro­soft. En effet, beau­coup sont reprises par de plus grands groupes, qui leur apportent les moyens d’un déve­lop­pe­ment indus­triel et com­mer­cial plus rapide. Même les jeunes pousses qui échouent contri­buent au pro­grès de l’en­semble de leur sec­teur par leur expé­rience. Il est donc essen­tiel qu’il y ait un flux sou­te­nu de créa­tion d’en­tre­prises pour que les inno­va­tions se mul­ti­plient et soit diffusées.

Les conditions du développement des jeunes pousses

Pour que les jeunes pousses naissent et se déve­loppent dans le domaine des TIC, il faut un cer­tain nombre de condi­tions que l’on peut regrou­per en trois catégories :

• le tissu scientifique, technique et industriel du pays

Ce tis­su doit être dense et vivant ; c’est dans les uni­ver­si­tés et dans les centres de recherche des entre­prises que naissent les idées, mais aus­si chez des indi­vi­dus hors toutes struc­tures ; il faut donc qu’il y ait dans le pays une offre suf­fi­sante, en nombre et en qua­li­té, de scien­ti­fiques et de tech­ni­ciens pour avoir ces idées et per­mettre ensuite la consti­tu­tion des équipes de mise en œuvre ; pour cela, il faut une masse cri­tique, com­bi­nant uni­ver­si­tés, centres de recherche et entre­prises. Cette com­bi­nai­son explique le suc­cès de la Sili­con Val­ley autour de l’u­ni­ver­si­té de Stan­ford, mais aus­si celui de la dou­zaine d’autres pôles tech­no­lo­giques amé­ri­cains, autour d’u­ni­ver­si­tés et de centres de recherche ; le déve­lop­pe­ment des réseaux de com­mu­ni­ca­tion réduit l’im­por­tance du regrou­pe­ment géo­gra­phique des acteurs, mais sans la supprimer.

• le système de valeurs sociales et de règles administratives et juridiques

Il doit favo­ri­ser les entre­prises en géné­ral et leur créa­tion en par­ti­cu­lier ; c’est par exemple le sta­tut des cher­cheurs et des uni­ver­si­taires, avec la liber­té qu’ils ont ou pas de tirer un avan­tage per­son­nel de leurs inven­tions ; ce sont aus­si les fac­teurs qua­li­ta­tifs, comme la hié­rar­chie des métiers dans l’o­pi­nion popu­laire (par exemple entre le haut fonc­tion­naire et l’en­tre­pre­neur), comme les atti­tudes à l’é­gard de l’en­tre­prise, de l’argent et du suc­cès finan­cier, et comme la tolé­rance de l’é­chec, per­çu comme une expé­rience utile et non comme une marque d’in­com­pé­tence de l’entrepreneur.

• et bien entendu le financement

qui est un élé­ment essen­tiel, aus­si bien au moment de la créa­tion de l’en­tre­prise que par la suite, pour son déve­lop­pe­ment. À cet égard, les pos­si­bi­li­tés de concré­ti­sa­tion de la valeur créée en cas de suc­cès sont essen­tielles, que ce soit par le pla­ce­ment en Bourse ou par la ces­sion à un groupe indus­triel ou finan­cier ; de même, la fis­ca­li­té appli­quée aux inves­tis­seurs et aux sala­riés les plus qua­li­fiés est un élé­ment déter­mi­nant de la moti­va­tion des uns et des autres.

Sur l’en­semble de ces trois sujets, le tis­su tech­nique et scien­ti­fique, le contexte social et régle­men­taire et le finan­ce­ment, les États-Unis béné­fi­cient d’un envi­ron­ne­ment très favo­rable, bien plus que le reste du monde. Cela explique la posi­tion domi­nante qu’ils ont retrou­vée aujourd’­hui dans les tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion, alors que, par exemple, l’in­dus­trie japo­naise de l’in­for­ma­tique parais­sait invin­cible il y a quinze ans.

Le financement des jeunes pousses et le capital-risque

Le finan­ce­ment des jeunes pousses com­porte plu­sieurs étapes : à la créa­tion, ce sont sou­vent les fon­da­teurs et leurs proches plus que les inves­tis­seurs ins­ti­tu­tion­nels qui assurent le démar­rage, si celui-ci n’exige pas tout de suite des fonds impor­tants. C’est le domaine d’in­ter­ven­tion des inves­tis­seurs » pro­vi­den­tiels » – tra­duc­tion de busi­ness angels – diri­geants ou pro­prié­taires d’en­tre­prises ayant à la fois des moyens finan­ciers et de l’ex­pé­rience, et le désir de mettre les deux au ser­vice de la créa­tion d’en­tre­prises. Ces inves­tis­seurs sont par­fois orga­ni­sés en réseau pour ras­sem­bler des fonds plus impor­tants, mais l’in­ves­tis­se­ment total reste sauf excep­tion limi­té, de l’ordre du mil­lion d’euros.

Quand l’in­ves­tis­se­ment, ini­tial ou de déve­lop­pe­ment, atteint la dizaine de mil­lions d’eu­ros ou plus, il sort du domaine des inves­tis­seurs indi­vi­duels, et relève des fonds de capi­tal-risque et de capi­tal déve­lop­pe­ment. Ceux qui gèrent ces fonds se fixent un seuil mini­mum d’in­ter­ven­tion pour amor­tir le coût fixe de l’a­na­lyse et du sui­vi des inves­tis­se­ments. Ils gèrent sou­vent une série de fonds » fer­més « , c’est-à-dire affec­tés à des prises de par­ti­ci­pa­tions spé­ci­fiques. Le pro­duit de la ces­sion des par­ti­ci­pa­tions est dis­tri­bué aux por­teurs de parts du fonds jus­qu’à liqui­da­tion com­plète de celui-ci. La durée de tels fonds peut être d’une dizaine d’an­nées, et les gérants sont rému­né­rés par une part des plus-values réa­li­sées. Le ren­de­ment visé est éle­vé, 25 % de taux annuel au moins, à la mesure du risque et de l’ab­sence de liqui­di­té du placement.

Du fait de ces risques, les fonds inves­tis ne peuvent pas être des dépôts ou des emprunts ban­caires, ce sont néces­sai­re­ment des fonds propres et dans le cas de pla­ce­ment de fonds d’as­su­rance vie ou de fonds de retraite, une frac­tion faible des fonds gérés. Si des banques pra­tiquent ce métier, ce ne peut être qu’a­vec des fonds de ce type, ce qui explique leur rôle limi­té en matière de capital-risque.

Les acteurs sont donc le plus sou­vent des spé­cia­listes, qui font exclu­si­ve­ment ce métier, même s’il s’a­git par­fois de filiales de groupes ban­caires ou d’as­su­rances. Si la per­for­mance moyenne des fonds de capi­tal-risque a été très éle­vée jus­qu’en 2000, il faut gar­der à l’es­prit que, même dans cette période faste, la dis­per­sion des per­for­mances de fonds à fonds a été très grande et qu’un très petit nombre d’in­ves­tis­se­ments très brillants a fait la per­for­mance des meilleurs fonds.

C’est dans le domaine du finan­ce­ment que l’é­cart entre la France et les États-Unis est le plus mar­qué. Ain­si, le mon­tant inves­ti dans le capi­tal-risque – ce qui com­prend les nou­velles tech­no­lo­gies mais ne leur est pas limi­té – est dans un rap­port de vingt entre la France et les États-Unis, soit quatre fois plus que le rap­port des popu­la­tions ou des pro­duits inté­rieurs bruts. Les rai­sons de cet écart sont connues

  • l’im­por­tance des for­tunes pri­vées aux États-Unis, celles des créa­teurs d’en­tre­prises et celles des diri­geants, qui ali­mentent les finan­ce­ments d’a­mor­çage et les fonds d’in­ves­tis­se­ment en capital-risque ;
     
  • l’im­por­tance des fonds de retraite, qui placent une frac­tion de l’é­pargne gérée en actions non cotées ou la confient à des fonds spé­cia­li­sés dans le capi­tal-risque (ce sont d’ailleurs ces fonds amé­ri­cains qui ont inves­ti aus­si en capi­tal-risque dans le reste du monde, notam­ment en France, ce qui veut dire que le rap­port des fonds ali­men­tant le capi­tal-risque entre États-Unis et France est plus près de qua­rante que de vingt) ;
     
  • l’im­por­tance du mar­ché bour­sier, notam­ment le NASDAQ, qui reste un débou­ché natu­rel des jeunes entre­prises et des entre­prises tech­no­lo­giques mal­gré ses excès et la crise actuelle ;
     
  • le tis­su indus­triel qui offre des sor­ties aux inves­tis­seurs quand la Bourse est mau­vaise, grâce aux nom­breuses entre­prises ayant les moyens de faire des acqui­si­tions, y com­pris en les payant avec leurs actions.


Il y a aux États-Unis à la fois une offre de capi­taux longs prêts à assu­mer le risque, et des pos­si­bi­li­tés de valo­ri­sa­tion en cas de suc­cès qui per­mettent, ensemble, d’as­su­rer un finan­ce­ment impor­tant des entre­prises nouvelles.

Situation et perspectives en France

La France a à la fois des atouts et des han­di­caps dans cha­cun des trois domaines évoqués :

• l’environnement scientifique, technique et industriel

C’est là que la situa­tion de la France est poten­tiel­le­ment la meilleure, à la fois au plan de la qua­li­té des Grandes Écoles et de cer­taines uni­ver­si­tés – en mathé­ma­tiques et en infor­ma­tique, mais aus­si en élec­tro­nique, optique, phy­sique du solide – et du fait de l’exis­tence d’un petit nombre d’en­tre­prises de classe mon­diale dans leur domaine (une liste alpha­bé­tique et non exhaus­tive : Alca­tel, Das­sault avia­tion et Das­sault sys­tèmes, EADS, France Télé­com, Tha­lès, Thom­son mul­ti­mé­dia). Ce poten­tiel est moins exploi­té qu’il ne le devrait pour deux rai­sons : les rigi­di­tés du sys­tème de recherche publique et des struc­tures uni­ver­si­taires, qui sont cou­pés du monde des entre­prises, et la fis­ca­li­té des reve­nus, qui pousse les entre­prises fran­çaises à délo­ca­li­ser les emplois qualifiés.

• les valeurs de société et le cadre législatif et réglementaire

Les valeurs d’une socié­té ne se décrètent pas, elles sont le fruit de l’his­toire et ne changent que len­te­ment ; en France, la hié­rar­chie tra­di­tion­nelle dans l’o­pi­nion des acti­vi­tés et des emplois valo­rise plus les tâches de contrôle et de régle­men­ta­tion que celles de pro­duc­tion et l’en­tre­pre­neur n’y occupe pas une place flat­teuse ; les diri­geants et les légis­la­teurs sont encore le plus sou­vent issus de la fonc­tion publique, qui a long­temps atti­ré les meilleurs pro­duits de l’en­sei­gne­ment supé­rieur ; alors qu’un pré­sident amé­ri­cain a pu dire : » the busi­ness of Ame­ri­ca is busi­ness « , c’est le même terme qui est uti­li­sé en France pour les affaires et pour les « affaires » ; la richesse, enfin, est sus­pecte, sauf si elle est héritée.

Le sys­tème fran­çais, qui a per­mis le brillant redres­se­ment des trente glo­rieuses, a contri­bué ensuite au recul rela­tif de la France pen­dant les vingt années sui­vantes. Tout cela a com­men­cé à chan­ger, au moins dans la socié­té civile. Mais notre sys­tème légis­la­tif et régle­men­taire reste mar­qué par la méfiance à l’é­gard de l’en­tre­prise et du marché.

• c’est dans le domaine du financement que la situation de la France est le plus préoccupante

Le finan­ce­ment ban­caire n’est pas en cause, les banques fran­çaises jouent leur rôle quand il s’a­git de finan­cer en cré­dit ou en cré­dit-bail des entre­prises nais­santes, et ce n’est pas à elles de se sub­sti­tuer aux action­naires pour appor­ter les fonds propres néces­saires à ces entre­prises. Elles ont sou­vent des filiales de prise de par­ti­ci­pa­tions directes dans les entre­prises. L’in­ves­tis­se­ment en capi­tal d’a­mor­çage et en capi­tal déve­lop­pe­ment est l’af­faire de struc­tures spé­cia­li­sées, ali­men­tées par la par­tie la plus longue de l’é­pargne. C’est là qu’est la fai­blesse fran­çaise, celle de la part de l’é­pargne des ménages inves­tie à long terme, du fait de l’ab­sence de fonds de retraite et de la lourde fis­ca­li­té sur le capital.

Des dis­po­si­tifs comme le plan d’é­pargne en actions et comme les plans d’é­pargne d’en­tre­prise sont très bons, mais limi­tés et ils ont jus­qu’i­ci ali­men­té le mar­ché des grandes valeurs plus que celui du capi­tal-risque. Le capi­tal-risque ne pou­vant repré­sen­ter qu’une part limi­tée de l’é­pargne inves­tie en actions, seul l’ac­crois­se­ment du volume total de cette épargne per­met son développement.

Or cette épargne à long terme se consti­tue par accu­mu­la­tion, pro­ces­sus que la fis­ca­li­té fran­çaise décou­rage : double taxa­tion des divi­dendes, double taxa­tion de l’é­pargne en vue de la retraite (à l’en­trée et à la sor­tie), taux mar­gi­nal dis­sua­sif de l’im­pôt sur le reve­nu, taux éle­vé de l’im­pôt sur le capi­tal. Nous en avons vu la consé­quence chif­frée : un taux d’in­ves­tis­se­ment en capi­tal-risque quatre fois plus faible qu’aux États-Unis, et en fait encore plus faible si on le cor­rige pour tenir compte de l’o­ri­gine amé­ri­caine d’une par­tie des fonds inves­tis en France.

En conclusion

La France a les moyens de tirer un grand par­ti de la révo­lu­tion indus­trielle que nous vivons, mais elle court aus­si le risque d’un déclin rela­tif. La » matière pre­mière » tech­nique et humaine de nos écoles et de nos entre­prises est bien adap­tée aux besoins de cette révo­lu­tion basée sur l’in­for­ma­tion. Notre envi­ron­ne­ment social et cultu­rel a bien amor­cé une évo­lu­tion vers un sys­tème de valeurs plus favo­rable à l’in­no­va­tion et à l’entreprise.

Mais nos ins­ti­tu­tions et notre sys­tème légis­la­tif, régle­men­taire et fis­cal res­tent mar­qués par une vision méfiante de l’en­tre­prise, des acti­vi­tés mar­chandes et du capi­tal. De ce fait, les sources fran­çaises de capi­tal-risque sont limi­tées, et la France n’est pas la mieux pla­cée pour atti­rer les capi­taux étran­gers. Ceci consti­tue un lourd han­di­cap, et, sauf réformes radi­cales, nous ris­quons de nous retrou­ver dans dix ans par­mi les per­dants de la révo­lu­tion des Tech­no­lo­gies de l’In­for­ma­tion et de la Communication. 

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