L’audit de Propriété Industrielle

Dossier : La propriété intellectuelle : Défendre la créationMagazine N°672 Février 2012
Par Jacques WARCOIN

REPÈRES

REPÈRES
Les cha­pitres prin­ci­paux de l’audit PI sont au nombre de trois : d’abord l’analyse du por­te­feuille PI de la socié­té ; puis la situa­tion PI des pro­jets internes – par rap­port à la pro­prié­té indus­trielle glo­bale de la socié­té par indi­ca­tion d’un code de « per­ti­nence », et par rap­port à la pro­prié­té indus­trielle de tiers ; ce point est appe­lé com­mu­né­ment « étude de liber­té d’exploitation » (free­dom to ope­rate, FTO) pour des audits plus com­plets ; enfin, une ana­lyse de la stra­té­gie pro­prié­té indus­trielle pour le pré­sent et l’avenir.

Pour mémoire, un por­te­feuille de pro­prié­té indus­trielle com­prend de manière géné­rale trois groupes d’éléments.

Droit euro­péen
L’article 52.2 de la Conven­tion sur le bre­vet euro­péen (CBE) indique que « ne sont pas consi­dé­rés comme des inven­tions […] les pro­grammes d’ordinateur ». Néan­moins, moyen­nant cer­taines pré­cau­tions, un grand nombre de bre­vets pro­té­geant direc­te­ment ou indi­rec­te­ment les pro­grammes d’ordinateur, y com­pris des algo­rithmes, sont accor­dés au niveau euro­péen (G03/08). Il faut donc ne pas omettre de cla­ri­fier la situa­tion PI de tels éléments.

Tout d’abord, la pro­prié­té indus­trielle, qui recouvre des­sins et modèles, bre­vets d’invention, secrets de fabrique, pro­duits semi-conduc­teurs, cer­ti­fi­cats d’obtention végé­tale, marques, appel­la­tions d’origine, topo­lo­gies de semi-conducteurs.

Ensuite, et dans cer­tains cas, l’analyse de la pro­prié­té lit­té­raire et artis­tique (PLA) : droit d’auteur et droits voi­sins, logi­ciels (dans leur forme), base de don­nées (loi 98536). En ce qui concerne les logi­ciels, y com­pris le maté­riel de concep­tion pré­pa­ra­toire, ils sont consi­dé­rés comme des œuvres de l’esprit qui béné­fi­cient, en France, d’une pro­tec­tion par le droit d’auteur (articles L‑112.2 CPI 13 §) dès lors qu’ils satis­font aux condi­tions d’originalité.

Enfin, on n’oubliera pas d’analyser aus­si le savoir-faire, les cahiers de labo­ra­toire et les contrats.

Analyse du portefeuille

L’analyse du por­te­feuille des bre­vets com­prend un état com­plet du sta­tut légal du por­te­feuille des demandes de bre­vets (en cours d’examen) et des bre­vets acceptés.

En l’absence de droit spé­ci­fique, la seule pro­tec­tion du savoir-faire est le secret

On véri­fie notam­ment si les titres sont en vigueur : état de paie­ment des annui­tés et ins­crip­tions à des registres euro­péens ou natio­naux des bre­vets, qui en outre donnent une idée des droits éven­tuels qui ont pu être consen­tis (contrat de licence, ces­sion, nan­tis­se­ment, res­tau­ra­tion si perte de droit à un moment de la vie du bre­vet par exemple). On se pro­cure une copie des élé­ments de pro­cé­dure les plus clas­siques, à savoir le rap­port de recherche et l’opinion pré­li­mi­naire asso­ciée de la demande inter­na­tio­nale (PCT), ain­si que les pièces de pro­cé­dures amé­ri­caines et euro­péennes qui per­mettent, grâce à la recherche d’antériorité réa­li­sée (notam­ment en Europe ou pour le PCT), d’avoir une idée pré­li­mi­naire sur la vali­di­té de l’invention.

Historique des procédures

Les pro­cé­dures éven­tuelles qui ont pu être dili­gen­tées sur les bre­vets accor­dés seront ana­ly­sées : action en nul­li­té, contre­fa­çon ou oppo­si­tion et recours. Les offices natio­naux et l’OEB (Office euro­péen des bre­vets) ont pro­duit ces der­nières années un effort consi­dé­rable de la mise en ligne de ce type d’information, mais aucun lien n’existe encore entre eux. Des sites pri­vés tels que www.darts-ip four­nissent une vision plus glo­bale en réper­to­riant notam­ment, pour un même bre­vet, l’ensemble des arrêts natio­naux en Europe et en éta­blis­sant des sta­tis­tiques utiles pour déter­mi­ner dans quels pays les pro­cé­dures ont abou­ti posi­ti­ve­ment pour l’audité.

Temps moyen d’une pro­cé­dure d’examen

Inven­teurs et brevets
Dans la plu­part des droits, et notam­ment dans le droit fran­çais, le droit au bre­vet appar­tient à l’inventeur. La loi pré­voit une dévo­lu­tion auto­ma­tique des droits des sala­riés inven­teurs à la socié­té qui les emploie, sous réserve que ces inven­teurs aient une mis­sion inven­tive. Il est donc de la plus grande impor­tance de défi­nir qui sont les inven­teurs, car ce sont les droits sur l’invention qui en découlent. L’audit doit véri­fier le lien entre l’inventeur et les titu­laires du bre­vet. En outre, aux États-Unis, une dési­gna­tion volon­tai­re­ment erro­née des inven­teurs peut conduire à l’inopposabilité du bre­vet américain.

Le savoir-faire peut se défi­nir comme « l’ensemble des infor­ma­tions tech­niques non bre­ve­tées qui sont secrètes, sub­stan­tielles, et qui sont iden­ti­fiées de toute manière appro­priée ». Cette caté­go­rie recouvre non seule­ment toutes les infor­ma­tions uti­li­sables, par exemple pour l’optimisation d’une inven­tion bre­ve­tée, mais éga­le­ment celles qui ne sont pas reliées direc­te­ment à un bre­vet mais per­mettent de mettre en place un pro­cess ou un produit.

L’enveloppe Soleau
L’enveloppe Soleau (du nom de son créa­teur), moyen de preuve simple et peu coû­teux, est un pro­duit de l’INPI qui, sans être un titre de pro­prié­té indus­trielle, per­met de dater de façon cer­taine la créa­tion d’une œuvre et de s’identifier comme auteur.

Actuel­le­ment, en l’absence de droit spé­ci­fique, la seule pro­tec­tion du savoir-faire est le secret. Il y a donc lieu, lors de l’audit, de véri­fier si les condi­tions de secret ont bien été prises en compte, au niveau phy­sique (coffre par exemple), juri­dique, notam­ment contrac­tuel­le­ment à l’égard des tiers qui peuvent être aus­si bien des licen­ciés, des orga­nismes offi­ciels, des visi­teurs, des sta­giaires, etc. Il faut éga­le­ment véri­fier le sup­port du savoir-faire, ce sup­port pou­vant être un cahier de labo­ra­toire (tenu confor­mé­ment à une charte), une enve­loppe Soleau ou un dépôt de pli cache­té par exemple.

Contrôler tous les contrats

L’audit doit contrô­ler tous les contrats sur les droits de pro­prié­té indus­trielle. En France, de nom­breuses socié­tés, notam­ment des star­tups, sont créées à par­tir de recherches réa­li­sées au sein d’organismes publics, et le fonc­tion­naire inven­teur sou­haite par­ti­ci­per à la valo­ri­sa­tion de l’invention. Ces contrats conclus avec des fonc­tion­naires ou des agents de l’État sont régis par les articles L413‑1 et 8 (Code de la recherche), aus­si est-il néces­saire de véri­fier qu’ils ont bien reçu l’aval des orga­nismes aux­quels appar­tiennent ces fonc­tion­naires ou agents de l’État.

Les contrats ne doivent pas nuire au déve­lop­pe­ment futur de la société

Il peut être utile aus­si de véri­fier les contrats de tra­vail, de consul­tance, de conseil scien­ti­fique. Il doit être clair dans tous ces contrats que les droits de pro­prié­té indus­trielle doivent pou­voir être acquis ou uti­li­sés par la socié­té. Par­mi les contrats, on trouve des « accords pré­pa­ra­toires » : les accords de confi­den­tia­li­té, dits aus­si non-dis­clo­sure agree­ments, c’est-à-dire des contrats conclus pour échan­ger des infor­ma­tions mais qui peuvent conte­nir des clauses sus­cep­tibles d’entraver les déve­lop­pe­ments de la socié­té, de même que le memo­ran­dum of unders­tan­ding ou la lettre d’intention. Ces contrats ne doivent pas nuire au déve­lop­pe­ment futur de la société.

Pour les contrats de pres­ta­tions de ser­vices ou les contrats de recherche et déve­lop­pe­ment, de même que pour les contrats de trans­fert de tech­no­lo­gie, contrats de savoir-faire, contrats de licence, et éven­tuel­le­ment les ces­sions, il est impor­tant de recher­cher l’impact que peuvent avoir ces contrats sur la valo­ri­sa­tion de la socié­té et sur son déve­lop­pe­ment futur, notam­ment en termes de durée et d’obligations, notam­ment finan­cières. Les clauses de non-concur­rence ou d’exclusivité peuvent avoir une impor­tance – posi­tive ou néga­tive – sur l’évaluation de la société.

Qu’est-ce que le Trai­té de coopé­ra­tion en matière de bre­vets (PCT)?
Le PCT est un trai­té inter­na­tio­nal admi­nis­tré par l’Organisation mon­diale de la pro­prié­té intel­lec­tuelle (OMPI) qui lie plus de 125 pays par­ties à la Conven­tion de Paris. Ce trai­té per­met d’obtenir simul­ta­né­ment la pro­tec­tion d’une inven­tion dans un grand nombre de pays en dépo­sant une demande « inter­na­tio­nale » unique au lieu de dépo­ser plu­sieurs demandes de bre­vet natio­nales ou régio­nales dis­tinctes. La déli­vrance des bre­vets reste sous le contrôle des offices de bre­vets natio­naux ou régio­naux dans ce qu’il est conve­nu d’appeler la « phase nationale ».

Évaluer la situation PI des projets

Il est indis­pen­sable de véri­fier, au regard des pro­jets en déve­lop­pe­ment, envi­sa­gés ou réa­li­sés, si ces pro­jets sont bien cou­verts par la pro­prié­té indus­trielle de la socié­té. Rap­pe­lons que la pro­prié­té indus­trielle doit pro­té­ger les déve­lop­pe­ments de la socié­té ou cou­vrir les déve­lop­pe­ments d’un concur­rent. Un por­te­feuille trop impor­tant peut être le pro­duit d’astuces de pro­cé­dure, sans réel inté­rêt pour la socié­té. Il est donc indis­pen­sable de véri­fier la « per­ti­nence » du por­te­feuille. L’audit peut ain­si per­mettre de faire par la suite un net­toyage du por­te­feuille et de réduire les frais liés au main­tien en vigueur des titres. Il est ensuite indis­pen­sable de véri­fier la liber­té d’exploitation des pro­jets. Cette opé­ra­tion est sou­vent celle qui demande le plus de temps, qui est la plus coû­teuse et la plus hasardeuse.

Dépôts annuels en 2010
France : 16 580
Europe : 150 961
PCT (WO) : 164 300
États-Unis (uti­li­ty patent seule­ment) : 490 226

Dans un pre­mier temps, il faut recher­cher quels sont les bre­vets de tiers qui pour­raient empê­cher la com­mer­cia­li­sa­tion ou la valo­ri­sa­tion des pro­jets de la socié­té dans cha­cun des pays d’exploitation envi­sa­gés, sou­vent les pays euro­péens, les États-Unis et le Japon. Dans un second temps, il fau­dra véri­fier si les bre­vets oppo­sables sont tou­jours en vigueur et valables avant d’entamer la phase des solu­tions. Il faut, du reste, tou­jours gar­der en tête que cette étude devrait être mise à jour très régu­liè­re­ment, car toutes les semaines de nou­velles publi­ca­tions peuvent remettre en cause une conclu­sion positive.

Si des solu­tions s’imposent de façon évi­dente, il fau­dra soit négo­cier, ce qui n’est jamais un pro­ces­sus ins­tan­ta­né, soit envi­sa­ger des pro­cé­dures « conten­tieuses », oppo­si­tion, action en nul­li­té, par exemple, qui sont des pro­ces­sus par­fois assor­tis d’un timing par­ti­cu­lier (oppo­si­tion en Europe au plus tard dans les neuf mois de la déli­vrance du titre) qui peuvent être oné­reux, soit encore attendre, notam­ment lorsque l’on dis­pose de solu­tions alter­na­tives. Quelle que soit la solu­tion, les risques condui­ront à une dimi­nu­tion de la valeur de la socié­té car les inves­tis­seurs n’aiment pas les risques (perte de temps, d’argent).

Mener une analyse stratégique

Quelle que soit la solu­tion, les risques condui­ront à une dimi­nu­tion de la valeur de la société

Dans cer­tains cas, il est éga­le­ment deman­dé que la socié­té puisse expli­ci­ter à la fois sa stra­té­gie pro­prié­té indus­trielle pas­sée et à venir, en termes de type de pro­tec­tion, de choix de cou­ver­ture géo­gra­phique, et quelles en sont les rai­sons. De même, quelles sont les stra­té­gies contrac­tuelles qui ont été déve­lop­pées ou que l’on déve­lop­pe­ra dans l’avenir, et enfin quelles sont les stra­té­gies de pro­prié­té indus­trielle des prin­ci­paux concur­rents, et en quoi les stra­té­gies qui ont été déve­lop­pées par la socié­té per­mettent de s’opposer aux stra­té­gies des concurrents.

Sur ce der­nier point, la car­to­gra­phie des bre­vets, sys­tème très en vogue actuel­le­ment, se révèle comme outil inté­res­sant pour avoir un cer­tain point de vue sur sa propre stra­té­gie ain­si que sur celles des concur­rents. Atten­tion cepen­dant à l’interprétation des résul­tats sui­vant le type et la taille du cor­pus de docu­ments ana­ly­sés. Sans esprit cri­tique, on peut rapi­de­ment tom­ber dans de mau­vaises interprétations.

Jacques War­coin vous invite sur la rubrique « Publi­ca­tions » du Cabi­net Regim­beau, Conseils en Pro­prié­té Industrielle

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