L’après Solvablilité 2

Dossier : Dossier FFEMagazine N°702 Février 2015
Par François BEUGIN (95)
Par Samuel MAMAN (00)

Pouvez-vous dire brièvement ce qu’est un actuaire ?

C’est un spé­cia­liste du cal­cul des pro­ba­bi­li­tés et de la sta­tis­tique, évo­luant dans le sec­teur des assu­rances mais aus­si des banques et de la ges­tion d’actifs, où il traite de la mesure et de l’évaluation des risques et de la valo­ri­sa­tion des acti­vi­tés de ces acteurs.

Concrètement, quelles sont vos missions ?

L’une de nos mis­sions en tant qu’actuaire-conseil est de contri­buer, avec les com­mis­saires aux comptes, à revoir les états finan­ciers des assu­reurs, notam­ment le pas­sif de leur bilan : pro­vi­sions tech­niques et pro­vi­sions « spéciales ».

L’assureur prend en effet des enga­ge­ments vis-à-vis de ses assu­rés sur un hori­zon de temps sou­vent assez long. Dans ce contexte, il faut véri­fier que ses pro­vi­sions pour y faire face sont conformes à la régle­men­ta­tion et s’assurer que les para­mètres de cal­cul sont conformes aux meilleures pra­tiques, notam­ment actuarielles.

Par ailleurs, nous appor­tons notre juge­ment d’expert sur ce qui n’est pas direc­te­ment dans la régle­men­ta­tion ou ce qu’il faut y lire « entre les lignes ». Cette pre­mière mis­sion est très tech­nique et très for­ma­trice car nous sommes ame­nés à revoir et à mettre en pers­pec­tive des cal­culs et ana­lyses sou­vent com­plexes réa­li­sés par nos clients, tout en y appré­hen­dant les sujets d’actualité qui animent le marché.

Nos autres mis­sions consistent par exemple à revoir la valeur éco­no­mique (dite valeur intrin­sèque ou « embed­ded value ») du por­te­feuille d’un assu­reur et de la cer­ti­fier. Dans ce cadre, le tra­vail consiste à la revoir, la bench­mar­ker et cer­ti­fier que cette valeur est cal­cu­lée confor­mé­ment aux recom­man­da­tions du CFO Forum1.

Nous don­nons donc de l’assurance à nos clients qui publient leurs chiffres, notam­ment sur les sujets d’assurance-vie, car l’embedded value est l’un des moyens pour éva­luer la bonne san­té de l’entreprise : elle a une valeur prospective.

En effet, il faut gar­der en tête que les risques que les clients confient à leurs assu­reurs sont ceux-là mêmes qui sont reflé­tés dans les états finan­ciers de ces der­niers. Ils com­posent typi­que­ment 90 % du bilan d’un assu­reur. Notre rôle, comme pour la mis­sion pré­cé­dem­ment illus­trée sur les pro­vi­sions des assu­reurs, est donc d’apporter du confort et de l’assurance aux inves­tis­seurs et régulateurs.

Quels sont les impacts de Solvabilité 2 sur votre métier ?

Ce qui anime nos clients nous anime éga­le­ment. Nous tra­vaillons donc beau­coup, au quo­ti­dien, en plus des mis­sions déjà évo­quées, sur Sol­va­bi­li­té 2 qui est le futur cadre pru­den­tiel euro­péen s’appliquant au sec­teur de l’assurance. Sa mise en place imminente2 décuple le nombre de nos mis­sions autour de ce sujet.

Cette régle­men­ta­tion incite les assu­reurs à mieux connaître et éva­luer les risques encou­rus par leurs acti­vi­tés dans le but de mieux pro­té­ger les consom­ma­teurs et d’harmoniser la régle­men­ta­tion en terme de sol­va­bi­li­té et de mesure des risques au niveau européen.

Pour y par­ve­nir, elle s’appuie sur trois piliers :

  • Pilier 1 – L’adéquation entre les fonds propres de l’assureur par rap­port au besoin en capi­tal qui res­sort de ses risques. Sur ce point, notre tra­vail consiste à aider les assu­reurs à créer des modèles internes, ou à adap­ter la for­mule stan­dard pro­po­sée par la régle­men­ta­tion car elle n’est sou­vent pas com­plè­te­ment adap­tée, pour répondre à cette exi­gence quantitative.
  • Pilier 2 – Le client doit aus­si ana­ly­ser l’entièreté du spectre de ses risques pour démon­trer que sur l’horizon de temps – sou­vent celui de son busi­ness plan éta­bli sur 3 ou 5 ans ans – il pour­ra faire face, grâce à tous ses fonds propres, à ses risques et à des sce­na­rios adverses les concernant.
    Sol­va­bi­li­té 2 requiert en outre que le mana­ge­ment et les diri­geants d’assurance fassent vali­der par leurs conseils d’administration (ou équi­valent) les options stra­té­giques rete­nues ain­si que les indi­ca­teurs de mesure (l’appétit aux risques, le retour­cible sur capi­tal, le ratio de cou­ver­ture en capi­tal, etc.). L’actuaire étend ici de plus en plus son domaine d’intervention vers la ges­tion des risques au sein des com­pa­gnies d’assurance.
  • Pilier 3 – Il s’agit prin­ci­pa­le­ment d’activités de repor­ting auprès du super­vi­seur des infor­ma­tions col­lec­tées dans les piliers 1 et 2. Une par­tie de ce repor­ting sera publiée sur le marché.

Ce qu’il faut com­prendre est que ces trois piliers de Sol­va­bi­li­té 2 consti­tuent cha­cun à leur échelle une véri­table révo­lu­tion dans le sec­teur de l’assurance, en termes de sché­mas de cal­cul, d’horizon de temps, de mise en abîme du pro­cess pour le conseil d’administration, d’implication des gou­ver­nants de la socié­té, de repor­ting et de transparence.

Les actuaires sont très for­te­ment impli­qués sur cha­cun de ces piliers, alors qu’on les avait his­to­ri­que­ment plu­tôt retrou­vés impli­qués sur le pilier quan­ti­ta­tif et sur une par­tie du pilier 3 (repor­ting régle­men­taire) : l’actuaire étend son inter­ven­tion non seule­ment vers les risques comme déjà indi­qué, mais aus­si vers la stra­té­gie et la conduite glo­bale de l’activité ain­si que vers la res­ti­tu­tion externe de ces tra­vaux étendus.

Comment expliquer Solvabilité 2 dans un secteur peu impacté par la crise ?

Certes, l’Assurance est un sec­teur qui a réus­si à sur­mon­ter les dif­fé­rentes crises. Il n’y a pas eu de grosses faillites liées aux acti­vi­tés d’assurance pro­pre­ment dites, puisque le cycle de pro­duc­tion est inversé.

En effet, si les banques ont natu­rel­le­ment peu de liqui­di­tés par rap­port à leurs bilans (elles sont prê­teuses plus qu’elles ne gardent les actifs de leurs clients), les assu­reurs, eux, ont des liqui­di­tés impor­tantes (ils encaissent d’abord les primes en début de période avant de payer d’éventuels sinistres ultérieurement).

Ain­si, même dans l’éventualité où beau­coup d’assurés vou­draient reti­rer leur argent, les assu­reurs pour­raient y sub­ve­nir. Cette éven­tua­li­té reste tou­te­fois peu pro­bable, car les assu­rances béné­fi­cient d’un capi­tal-confiance très impor­tant, leurs pro­duits étant pour la plu­part des pro­duits refuges (ex : l’assurance-vie) ou « obli­ga­toires » (ex : assu­rance auto ou habitation).

Alors, com­ment expli­quer l’arrivée de Sol­va­bi­li­té 2 ? Mal­gré tous leurs atouts, dans un contexte de crise mon­diale, ils ont dû ras­su­rer le mar­ché et se doter d’un cadre unique de super­vi­sion et d’analyse de leurs risques et de leur sol­va­bi­li­té, là où le modèle ancien de Sol­va­bi­li­té 1 avait certes fait ses preuves sur le long terme mais aus­si mon­tré ses limites sur le plan de la mesure de la com­plé­tude des risques.

Quelle place tient la finance quantitative dans l’actuariat ?

La finance quan­ti­ta­tive est un atout pré­cieux pour l’actuariat, notam­ment lorsqu’il s’agit de quan­ti­fier la valeur des actifs des assu­reurs, de pré­pa­rer des sce­na­rios éco­no­miques pour les cal­culs pros­pec­tifs, y com­pris des enga­ge­ments des assu­reurs. Nous tra­vaillons d’ailleurs au quo­ti­dien avec nos col­lègues Ingé­nieurs finan­ciers du pôle RVMS dont je suis co-responsable.

Samuel Maman (00) témoigne : « Si la mesure des risques du pas­sif consti­tue le cœur de métier de l’actuariat, la ges­tion des risques de l’actif consti­tue quant à elle le busi­ness model des banques. Celles-ci ont par consé­quent défi­ni et mis en œuvre des dis­po­si­tifs de ges­tion des risques et des méthodes quan­ti­ta­tives déve­lop­pées pour mesu­rer les risques sous-jacents, notam­ment les risques de marché.

Or l’ensemble des assu­reurs, et plus par­ti­cu­liè­re­ment les assu­reurs vie, est expo­sé au risque rela­tif à la valo­ri­sa­tion des actifs déte­nus en face des pas­sifs des assu­rés. Ain­si le recours à des mesures pré­cises et adé­quates est néces­saire à une ges­tion saine de l’activité de l’assureur. Par consé­quent, l’intervention conjointe d’actuaires et d’ingénieurs quan­ti­ta­tifs per­met d’assurer que les deux com­po­santes du bilan de l’assureur sont consi­dé­rées avec le niveau de sophis­ti­ca­tion approprié.

Cette même logique s’applique lors des inter­ven­tions sur les modèles internes déve­lop­pés par les assu­reurs pour Sol­va­bi­li­té 2, qui com­portent notam­ment des modules liés aux risques de marché. »

Y a‑t-il d’autres gros enjeux après Solvabilité 2 ?

Dès l’entrée en vigueur de Sol­va­bi­li­té 2, l’optimisation du capi­tal sous ce nou­vel régime pru­den­tiel sera au cœur des pré­oc­cu­pa­tions des assu­reurs puisque les modèles déve­lop­pés pour Sol­va­bi­li­té per­met­tront des ana­lyses très fines des capi­taux mobilisés.

A la clef, des réflexions autour de leur poli­tique de réas­su­rance mais aus­si de leur gamme-cible de pro­duits et de lignes d’activité et donc un accrois­se­ment du volume de fusions, acqui­si­tions, trans­ferts ou mise en run-off de por­te­feuilles : bref, de quoi conti­nuer d’occuper les actuaires pen­dant encore longtemps !

Des sujets nou­veaux pour les­quels nous sommes très com­pé­tents en tant qu’actuaires sont appa­rus récem­ment. Je pense notam­ment au Big data. En effet, nous sommes armés tant d’un point de vue tech­nique que d’un point de vue éco­no­mique pour manier des don­nées de masse.

Internes aux sys­tèmes de ges­tion des assu­reurs ou acces­sibles à l’extérieur (« open data »), les don­nées sont par­tout et de plus en nom­breuses : le défi pour les assu­reurs va être de savoir les exploi­ter afin de pro­po­ser non seule­ment des offres encore plus per­ti­nentes à des assu­rés-consom­ma­teurs de plus en plus exi­geants et aver­tis, mais aus­si de mieux appré­hen­der leurs risques.

Ain­si, les primes d’assurance vont cer­tai­ne­ment être modu­lées à l’avenir encore plus fine­ment en fonc­tion du risque qu’un pros­pect repré­sente mais ensuite aus­si par les risques qu’il prend lors de la vie du contrat (ex : cap­teurs embarqués).

L’actuaire est natu­rel­le­ment dou­ble­ment armé pour aider les assu­reurs à fran­chir le pas : sur le plan tech­nique, il est un sta­tis­ti­cien, un éco­no­mètre et un spé­cia­liste de la modé­li­sa­tion ; sur le plan indus­triel, il connaît très bien les pro­duits, les risques et les clients dans le sec­teur de l’Assurance.

À ce titre, je pense que la pro­fes­sion d’actuaire va se réin­ven­ter, notam­ment avec l’apparition des pre­miers « actuaires data scien­tists », vraie oppor­tu­ni­té pour la com­mu­nau­té des actuaires de sor­tir du sec­teur des ser­vices finan­ciers et de s’aventurer dans d’autres sec­teurs indus­triels (éner­gie, grande consom­ma­tion, san­té publique, télé­com­mu­ni­ca­tion2, …) où sa maî­trise du trai­te­ment des don­nées de masse et des modèles sera instrumentale.

Et puis l’activité nor­ma­tive va res­ter dense dans les pro­chaines années (IFRS 9, IFRS 4 phase 2…) ! Tous ces sujets vont conti­nuer d’animer la com­mu­nau­té finan­cière, notam­ment les assu­reurs et les actuaires …

En résu­mé, plu­sieurs révo­lu­tions sont en marche pour le sec­teur de l’assurance : Sol­va­bi­li­té 2, Big Data, évo­lu­tions des IFRS etc. Et les actuaires sont idéa­le­ment pla­cés pour en tirer pro­fit, à condi­tion de savoir s’adapter à ces chan­ge­ments et de sor­tir de leur zone de confort his­to­rique : la muta­tion de la pro­fes­sion est déjà en marche !

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1. Regrou­pe­ment de 14 assu­reurs ayant édic­té des prin­cipes com­muns pour le cal­cul de l’embedded value.
2. Son entrée en vigueur offi­cielle est pré­vue pour le 1er jan­vier 2016 au niveau européen.

EN BREF

Le pôle « Risk & Value Measurement Services » de PwC France répond aux enjeux de modélisation, de mesure, d’évaluation et de gestion des risques et de la valorisation des assureurs et des banques, en s’appuyant sur l’expertise de ses 45 actuaires et 20 ingénieurs financiers.
Plus globalement, PwC est présent à travers 157 pays et compte plus de 195 000 collaborateurs dans le monde, dont 5 000 personnes en France et en Afrique francophone. PwC dispose également d’un des premiers réseaux d’actuaires au monde (plus de 1 000 dans le monde entier, dont la moitié en zone Europe).

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