L’Agence spatiale européenne, une grande réussite

Dossier : L'EuropeMagazine N°692 Février 2014
Par Jean-Jacques DORDAIN

L’Agence spa­tiale euro­péenne est un sym­bole des suc­cès de l’Europe quand elle unit ses forces. Ce suc­cès est illus­tré par les grands pro­grammes phares, connus de tous, que sont la série des fusées Ariane lan­cées depuis la base spa­tiale de Kou­rou en Guyane fran­çaise et désor­mais le petit lan­ceur Vega ; la par­ti­ci­pa­tion de l’Europe dans la Sta­tion spa­tiale inter­na­tio­nale (ISS) via le module Colum­bus et le ravi­tailleur ATV (Auto­ma­ted trans­fer vehicle) ; mais aus­si l’impressionnante série de mis­sions scien­ti­fiques dédiées à la com­pré­hen­sion de l’Univers, du sys­tème solaire et de notre planète.

Moins visibles, mais tout aus­si réels, sont les suc­cès de l’Agence, en coopé­ra­tion avec l’opérateur euro­péen de satel­lites météo­ro­lo­giques Eumet­sat, sur les séries de satel­lites Meteo­sat en orbite géo­sta­tion­naire et Metop en orbite polaire, qui ont per­mis à l’Europe d’être à l’avant-garde des pré­vi­sions météo.

Le pro­gramme d’observation de la Terre de l’ESA avec ses mis­sions scien­ti­fiques « Explo­ra­teurs de la Terre » consti­tue un autre suc­cès remarquable.

REPÈRES
Les grandes mis­sions scien­ti­fiques de l’ESA ont fait les pre­mières pages des jour­naux du monde entier, avec les pho­tos du noyau de la comète de Hal­ley prises par la sonde Giot­to en 1986, celles de la sur­face de la lune de Saturne, Titan, prises par l’atterrisseur Huy­gens en jan­vier 2005, ou plus récem­ment la carte du rayon­ne­ment fos­sile et des pre­miers ins­tants de l’Univers éta­blie par le satel­lite Planck en avril 2013.

Une relation cruciale avec l’industrie

Les pro­grammes de l’ESA ont ini­tié la mise en place des pre­miers consor­tia indus­triels trans­na­tio­naux euro­péens, à par­tir des­quels l’industrie euro­péenne s’est restruc­tu­rée pour être aujourd’hui com­pé­ti­tive sur le mar­ché mondial.

L’ESA est un client impor­tant et stable pour l’industrie spa­tiale européenne

L’ESA est deve­nue ain­si un par­te­naire essen­tiel de l’industrie euro­péenne et elle a démon­tré la per­ti­nence de sa poli­tique indus­trielle, fon­dée sur le sou­tien à la com­pé­ti­ti­vi­té de l’industrie euro­péenne sur le mar­ché mon­dial, une dis­tri­bu­tion équi­table des acti­vi­tés sur le ter­ri­toire euro­péen et l’utilisation sys­té­ma­tique de la com­pé­ti­tion, en pré­ser­vant les condi­tions de cette com­pé­ti­tion intra-européenne.

Les pro­grammes de déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique de l’ESA, en par­te­na­riat avec les indus­triels et opé­ra­teurs euro­péens, ont pla­cé l’industrie euro­péenne en posi­tion de lea­der sur le mar­ché des satel­lites de télé­com­mu­ni­ca­tions et sur celui des lan­ceurs commerciaux.

Une référence mondiale

La part euro­péenne du mar­ché com­mer­cial des télé­com­mu­ni­ca­tions a aug­men­té de 19% à 33 % au cours de la der­nière décen­nie, et les ser­vices de lan­ce­ment four­nis par Aria­nes­pace sont une réfé­rence mon­diale avec une part de mar­ché qui avoi­sine les 50 %, cela alors que toutes les puis­sances spa­tiales pro­tègent et sub­ven­tionnent leurs lan­ceurs, restrei­gnant d’autant le mar­ché acces­sible à Ariane.

Constel­la­tion Gali­leo. © ESA J. HUART

De plus, l’ESA est un client stable pour l’industrie euro­péenne qui per­met de lis­ser les oscil­la­tions cycliques du mar­ché com­mer­cial, aux­quelles l’industrie euro­péenne demeure très sen­sible en rai­son de sa grande dépen­dance envers le marché.

L’Europe est ain­si deve­nue pre­mière en termes de nombre de mis­sions et de kilo­grammes en orbite par euro public inves­ti dans le spa­tial ; avec un bud­get public très infé­rieur à celui des États-Unis, elle est lea­der dans de très nom­breux domaines scien­ti­fiques et en avance d’une géné­ra­tion d’infrastructure sur les mis­sions de ser­vice public comme la météo­ro­lo­gie par satel­lite citée plus haut.

Au service des citoyens

Météo et Télécoms
L’ESA est à l’origine de grands opé­ra­teurs : Eumet­sat pour la météo, Eutel­sat et Inmar­sat pour les télé­com­mu­ni­ca­tions, Aria­nes­pace pour les lan­ceurs. Tous ont été créés par les États membres de l’ESA afin d’opérer les sys­tèmes déve­lop­pés par l’Agence, et cer­tains sont depuis deve­nus des opé­ra­teurs pri­vés de pre­mier rang dans leurs domaines.

L’impact de ces pro­grammes est bien enten­du stra­té­gique, via l’accès indé­pen­dant de l’Europe à l’espace ou l’accès auto­nome des États et déci­deurs euro­péens à une infor­ma­tion pour l’aide à la déci­sion (par exemple obser­va­tion de la Terre). Il est aus­si pré­pon­dé­rant pour l’accès à la connais­sance scien­ti­fique, tech­nique, et au-delà par la vision que l’espace donne de notre monde et de l’Univers dans lequel il se situe.

Mais sur­tout, les pro­grammes de l’ESA amé­liorent la vie quo­ti­dienne des citoyens euro­péens, d’une part à tra­vers les béné­fices socioé­co­no­miques, directs et indi­rects, des pro­grammes spa­tiaux et d’autre part via les ser­vices qu’ils per­mettent de mettre en œuvre.

Le déve­lop­pe­ment des infra­struc­tures dans le domaine des télé­com­mu­ni­ca­tions a bou­le­ver­sé notre accès à l’information, le ren­dant ins­tan­ta­né et uni­ver­sel et per­met­tant de dif­fu­ser en tout point du globe de grandes quan­ti­tés d’informations.

Gali­leo pro­pose un ser­vice de navi­ga­tion indé­pen­dant du sys­tème amé­ri­cain GPS

Les pro­grammes d’observation de la Terre aident l’agriculteur à irri­guer son champ et à pré­voir ses récoltes, l’urbaniste à pla­ni­fier ses construc­tions, la sécu­ri­té civile à éva­luer les risques et à amé­lio­rer la ges­tion des catas­trophes natu­relles et technologiques.

Le pro­gramme Coper­ni­cus d’observation pour l’environnement et la sécu­ri­té, déve­lop­pé conjoin­te­ment avec l’Union euro­péenne, va ain­si per­mettre de mul­ti­plier ce type de ser­vices et de les rendre pérennes.

L’autre pro­gramme phare de l’Union euro­péenne, Gali­leo, démar­ré avec les États membres de l’ESA et aujourd’hui délé­gué à l’ESA, offri­ra à l’Europe une capa­ci­té auto­nome de posi­tion­ne­ment et de navi­ga­tion – indé­pen­dante du sys­tème amé­ri­cain GPS – avec une plus grande pré­ci­sion et des ser­vices régulés.

Le sys­tème Gali­leo à lui seul devrait per­mettre de créer un mar­ché dans les ser­vices (trans­ports, aide à la per­sonne, finance, etc.) d’une valeur de plu­sieurs dizaines de fois l’investissement public euro­péen initial.

Un modèle exemplaire

Décollage d’Ariane 5.
Décol­lage d’Ariane 5. © ESA/CNES/ARIANESPACE – Pho­to Optique Video CSG

L’Agence spa­tiale euro­péenne a été créée en 1975, regrou­pant deux agences (ESRO et ELDO) qui pré­exis­taient depuis plus de dix ans, via la signa­ture de la Conven­tion de l’ESA par tous les États membres de l’ESRO et l’ELDO, avec pour mis­sion « d’assurer et de déve­lop­per, à des fins exclu­si­ve­ment paci­fiques, la coopé­ra­tion entre États euro­péens dans les domaines de la recherche et de la tech­no­lo­gie spa­tiales et de leurs appli­ca­tions spa­tiales, en vue de leur uti­li­sa­tion à des fins scien­ti­fiques et pour des sys­tèmes spa­tiaux opé­ra­tion­nels d’applications ».

L’ESA, ce sont donc près de cin­quante ans de pro­grammes réus­sis démon­trant le suc­cès d’une méthode d’intégration euro­péenne par­ti­cu­liè­re­ment flexible.

L’ESA est le résul­tat d’un com­pro­mis euro­péen ambi­tieux incar­né par sa Conven­tion : coor­don­ner les efforts natio­naux tout en res­pec­tant les prio­ri­tés de cha­cun. La seule obli­ga­tion des États membres de l’ESA est leur par­ti­ci­pa­tion aux pro­grammes scien­ti­fique et de recherche tech­no­lo­gique de base.

Toutes les autres acti­vi­tés (lan­ceurs, infra­struc­ture, appli­ca­tions) sont facul­ta­tives et repré­sentent aujourd’hui près de 80% des acti­vi­tés de l’ESA. Une telle approche « à la carte » de l’intégration euro­péenne a prou­vé au fil des ans sa robus­tesse et sa flexi­bi­li­té pour déve­lop­per de grandes infra­struc­tures et les mettre au ser­vice des utilisateurs.

Des projets d’envergure

La for­mu­la­tion de la mis­sion de l’Agence dans sa Conven­tion sou­ligne que son objet pre­mier, au-delà de la réa­li­sa­tion d’activités de recherche et déve­lop­pe­ment, est bien la coopé­ra­tion entre ses États membres. En effet, depuis sa créa­tion, la grande réus­site de l’Agence a été de mettre en œuvre des pro­jets d’envergure qui vont au-delà de la capa­ci­té d’un seul État, en coor­don­nant les res­sources de ses États membres, tout en ména­geant la diver­si­té et par­fois la diver­gence de leurs intérêts.

Il ne s’agit pas de faire dis­pa­raître les acti­vi­tés natio­nales, mais de construire une dimen­sion euro­péenne propre et à forte sym­bo­lique, une sym­bo­lique de suc­cès, d’excellence scien­ti­fique et tech­no­lo­gique et de concré­ti­sa­tion du pro­jet européen.

Un lien fort

Cela fait main­te­nant plus de dix ans que l’Union euro­péenne et l’ESA ont enta­mé un pro­ces­sus de coopération.

Construire une dimen­sion euro­péenne propre

Si les deux ins­ti­tu­tions demeurent indé­pen­dantes, avec une ESA agence inter­gou­ver­ne­men­tale de R&D, fon­dée sur la mutua­li­sa­tion des res­sources pour déve­lop­per des pro­jets en com­mun, et l’Union une ins­ti­tu­tion poli­tique avec une approche com­mu­nau­taire, elles par­tagent le même sou­ci de ren­for­cer l’Europe au béné­fice de ses citoyens, et la même com­pré­hen­sion que l’espace est un outil essen­tiel à mettre au ser­vice des poli­tiques publiques, euro­péennes, natio­nales et locales, pour appor­ter les nou­veaux ser­vices dont les citoyens euro­péens ont besoin.

C’est sur ce der­nier point que peut s’illustrer la véri­table com­plé­men­ta­ri­té entre les deux ins­ti­tu­tions. L’ESA a démon­tré l’excellence des infra­struc­tures spa­tiales déve­lop­pées par l’industrie euro­péenne et leur uti­li­sa­tion au ser­vice des citoyens ; il faut main­te­nant que ces infra­struc­tures soient plei­ne­ment connec­tées avec les poli­tiques sec­to­rielles de l’Union euro­péenne, afin de répondre aux besoins de ces poli­tiques en matière de trans­port, d’environnement, de sécu­ri­té, de recherche ou encore d’aide au développement.

L’Europe vue par le satellite Envisat.
L’Europe vue par Envi­sat. © ESA

Des accords mondiaux
La dimen­sion sym­bo­lique de la réus­site euro­péenne por­tée par l’ESA n’a pas échap­pé aux pays d’Europe cen­trale et de l’Est, qui, après avoir rejoint l’UE, intègrent pro­gres­si­ve­ment l’ESA. Conscients qu’ils pou­vaient l’enrichir de leur sou­tien poli­tique, de leur savoir-faire et de leurs contri­bu­tions scien­ti­fiques, héri­tés pour la plu­part d’entre eux de leur coopé­ra­tion avec l’URSS, ils consi­dèrent aus­si l’accession à l’Agence comme le sym­bole de leur appar­te­nance à l’Europe des mis­sions spatiales.
L’ESA est ain­si pas­sée de onze États membres en 1975, date de sa créa­tion, à aujourd’hui vingt États membres. De plus, l’ESA a conclu un accord de coopé­ra­tion avec les autres membres de l’UE.
Enfin, l’ESA a signé un accord d’association avec le Cana­da qui per­met à ce der­nier de contri­buer aux pro­grammes et acti­vi­tés de l’ESA, modèle d’association qui pour­rait être éten­du à d’autres pays, hors Europe, qui sou­haitent rejoindre l’ESA.

Deux beaux enfants

La coopé­ra­tion entre les deux ins­ti­tu­tions, lan­cée au début des années 2000 par la pré­pa­ra­tion de textes conjoints sur les objec­tifs d’une poli­tique spa­tiale euro­péenne, s’est rapi­de­ment concré­ti­sée par la nais­sance de deux « enfants », les pro­grammes Gali­leo et Coper­ni­cus, le pre­mier répon­dant à la poli­tique de trans­port, et le second aux poli­tiques d’environnement et de sécurité.

L’Union aura ain­si pour la pre­mière fois dans son his­toire la pro­prié­té et la charge d’exploitation de ces deux grandes infra­struc­tures. Cette coopé­ra­tion a aus­si été for­ma­li­sée par la conclu­sion d’un accord-cadre entre UE et ESA, entré en vigueur en mai 2004 et actuel­le­ment en cours jusqu’en 2016. En 2009, une nou­velle étape a été fran­chie, avec l’entrée en vigueur du trai­té de Lis­bonne qui confère pour la pre­mière fois à l’Union une com­pé­tence dans le spa­tial et lui enjoint de déve­lop­per une « rela­tion appro­priée » avec l’ESA.

Aujourd’hui, l’ampleur des pro­jets en coopé­ra­tion entre l’Union euro­péenne et l’ESA et l’articulation crois­sante entre les appli­ca­tions spa­tiales et les poli­tiques de l’Union rendent sou­hai­table un ren­for­ce­ment de la relation.

La réussite par la preuve

Le satellite Planck et le fond cosmologique diffus.
Le satel­lite Planck et le fond cos­mo­lo­gique dif­fus.  © ESA AND THE PLANCK COLLABORATION – D. DUCROS

Le monde et le domaine spa­tial conti­nuent à évo­luer. Les acti­vi­tés spa­tiales se glo­ba­lisent. Soixante-dix pays ont aujourd’hui des satel­lites. La com­pé­ti­tion entre les acteurs se ren­force et, dans le même temps, la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale pour des actions glo­bales n’a jamais été aus­si néces­saire, par exemple pour l’exploration du sys­tème solaire, sur la base de mis­sions robo­tiques ou habitées.

Un des grands défis aux­quels l’ESA sera confron­tée dans la pro­chaine décen­nie sera cer­tai­ne­ment de déve­lop­per avec ses par­te­naires inter­na­tio­naux une vision com­mune pour l’exploration et l’après-Station spa­tiale inter­na­tio­nale. Dans cet objec­tif, l’ESA a contri­bué à la mise en place du Forum inter­na­tio­nal sur l’exploration spa­tiale, forum poli­tique ras­sem­blant toutes les grandes puis­sances spa­tiales et qui sera appe­lé à défi­nir une telle vision.

Les réus­sites du sec­teur spa­tial euro­péen, et en par­ti­cu­lier de l’ESA, servent ain­si d’exemple d’une inté­gra­tion réus­sie par la coopé­ra­tion pilo­tée par des pro­jets. Cette réus­site s’étend au-delà de ses États membres et même de l’Europe, l’ESA étant l’agence spa­tiale ayant le plus de pro­grammes en coopé­ra­tions inter­na­tio­nales et ser­vant sou­vent de point d’appui pour construire des pro­grammes à l’échelle mondiale.

Ingénieurs et scientifiques

Soixante-dix pays ont aujourd’hui des satellites

Face à la glo­ba­li­sa­tion des acti­vi­tés spa­tiales, face aux défis indus­triels et tech­no­lo­giques, l’ESA se doit d’évoluer et de s’améliorer en per­ma­nence, tout en conti­nuant à s’élargir à de nou­veaux États membres. L’articulation de son excel­lence tech­nique avec les enjeux de poli­tiques sec­to­rielles por­tés par l’Union euro­péenne lui per­met­tra de ren­for­cer un mar­ché ins­ti­tu­tion­nel euro­péen encore dis­per­sé et de mieux défendre les inté­rêts de l’industrie euro­péenne face aux nou­veaux compétiteurs.

Ses ingé­nieurs et ses scien­ti­fiques, qui per­mettent de conci­lier les risques néces­saires à l’innovation et les suc­cès néces­saires à la cré­di­bi­li­té, sont tout à la fois les atouts et les garants de ces évo­lu­tions futures.

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