Portrait de Dominique Duly

Dominique Duly (86), la solitude du coureur de fond

Dossier : TrajectoiresMagazine N°707 Septembre 2015
Par Pierre LASZLO

Son atten­tion sou­te­nue ? Son adap­ta­bi­li­té, son apti­tude à rebon­dir ? Sa joie de vivre ? Voi­ci ce que Domi­nique Duly en dit : « J’ai eu la chance d’avoir un envi­ron­ne­ment fami­lial très équi­li­bré, avec beau­coup d’affection, de sti­mu­la­tion intel­lec­tuelle, et un bon sens de l’humour.

Mes parents et mes grands-parents – sur­tout ma grand-mère Mar­celle qui vivait avec notre famille – ont su me trans­mettre, sans misé­ra­bi­lisme et sans don­ner de sen­ti­ment de culpa­bi­li­té, les évé­ne­ments tristes qui ont été le lot de leur géné­ra­tion et qui m’ont fait prendre conscience com­bien nos géné­ra­tions sont pri­vi­lé­giées : his­toires de guerre, de maman morte trop jeune faute de trans­port rapide de la cam­pagne où elle vivait jusqu’à l’hôpital de la ville voi­sine, his­toires de faim aussi. »

Deux ans d’avance

« Mon ins­ti­tu­trice en mater­nelle de quatre à cinq ans fut Mme Dau­ge­ron. Elle eut deux rôles cru­ciaux. Après une ten­ta­tive d’intégration ratée dans une autre mater­nelle où j’étais très mal­heu­reux, sa classe m’offrit un envi­ron­ne­ment agréable et sti­mu­lant où je me suis d’emblée sen­ti très bien.

Ensuite, ayant détec­té que j’étais en avance pour mon âge, elle pro­po­sa une éva­lua­tion à mes parents, au bout de laquelle il fut déci­dé, avec l’appui de cette ins­ti­tu­trice, que je saute deux classes. Je n’ai jamais per­du cette avance par la suite. »

L’école de la République

Puis l’école de la Répu­blique : « J’ai sui­vi les cours du secon­daire au lycée Hono­ré-de-Bal­zac, à Issou­dun. C’était un lycée de pro­vince rela­ti­ve­ment petit (nous étions moins de 20 en Ter­mi­nale C), avec de nom­breux pro­fes­seurs d’une qua­li­té excep­tion­nelle, autant dans les matières scien­ti­fiques que littéraires.

“Le regard des visiteurs profanait le repos des morts, et l’archéologue était responsable de cette profanation”

Ensuite, je fis ma pré­pa à Louis-le-Grand. Avec un hom­mage par­ti­cu­lier à mes pro­fes­seurs de Maths sup M. Bloch en mathé­ma­tiques et M. Mour­lion en phy­sique, qui ont su me don­ner confiance en moi, alors que je ramais pour me mettre au niveau. »

Après l’X, Domi­nique Duly choi­sit une for­ma­tion par la recherche, d’abord à Oxford sous la direc­tion de Robert J. P. Williams, puis à Gre­noble, un doc­to­rat en métal­lur­gie, sous la direc­tion d’Yves Bré­chet (81) – appre­nant aus­si son métier d’Erik Ness, de l’université de Trond­heim, avec des stages post­doc­to­raux à l’université McMas­ter et à Cambridge.

Endurance

L’endurance lui est une quête, lors de ran­don­nées en mon­tagne, de courses à pied du type semi-mara­thon, ou dans l’obstination du scien­ti­fique. Il devint cher­cheur en métal­lur­gie, mais au moins un autre choix s’offrait : « J’ai tou­jours été fas­ci­né par l’archéologie et j’ai même envi­sa­gé d’en faire mon métier. Encore une acti­vi­té de cher­cheur et encore un tra­vail d’endurance.

« Les deux choses qui m’en ont dis­sua­dé : le risque de pas­ser une vie à faire des fouilles sans rien trou­ver de très inté­res­sant, et un cer­tain malaise en face de restes humains (osse­ments, momies) que j’ai pu voir dans les musées, avec l’impression que les regards des visi­teurs pro­fa­naient le der­nier repos des morts et que l’archéologue était res­pon­sable de cette profanation. »

De la recherche à la finance

Fin 1994, il entra au centre de recherches de Péchi­ney, et y super­vi­sa des pro­jets de R & D. Au bout de cinq ans, du fait de la conquête par les Russes du mar­ché de l’aluminium en Europe occi­den­tale, Péchi­ney devait restruc­tu­rer son centre de recherches. Mais entre-temps, Duly s’était conquis une habi­li­ta­tion à diri­ger des recherches en métallurgie.

Après un MBA à l’Insead, Duly, à la suite d’une annonce dans La Jaune et la Rouge, fut recru­té en 2001 par la banque d’affaires japo­naise Nomu­ra. Il y fut d’abord char­gé de fusions-acqui­si­tions, entre la France et le Japon.

Tou­jours chez Nomu­ra, de 2002 à 2007, Duly fut char­gé d’affaires auprès d’une clien­tèle fran­çaise de grands comptes indus­triels, finan­ciers ou du sec­teur public réa­li­sant des opé­ra­tions d’envergure sur les mar­chés de capi­taux tant obli­ga­taires que d’actions, et par­ti­ci­pa à des opé­ra­tions d’un mon­tant glo­bal d’une dizaine de mil­liards d’euros.

Il lan­ça le négoce de pro­duits déri­vés, basés sur les dif­fé­ren­tiels de taux d’intérêt auprès des muni­ci­pa­li­tés et par­ti­ci­pa à l’émission de la toute pre­mière obli­ga­tion ados­sée à des actifs (CDO square) de cette banque Nomura.

Parler en milliards d’euros

Puis, durant une période pour lui féconde, deve­nu asso­cié puis direc­teur asso­cié, tou­jours chez Nomu­ra, il eut en charge les rela­tions quo­ti­diennes avec la direc­tion du Tré­sor : « L’un de mes sou­ve­nirs les plus mar­quants est ma par­ti­ci­pa­tion au pro­gramme de finan­ce­ment du Trésor.

“Rigoureux mais visionnaire, brillant dans l’appréhension de la complexité ; philanthrope idéaliste et enthousiaste.”

À par­tir de 2004, Nomu­ra est deve­nue l’une des banques dites « SVT », char­gées du pla­ce­ment des titres de la dette de l’État fran­çais. Deux fois par mois, des réunions au minis­tère des Finances, à Ber­cy, réunis­saient un repré­sen­tant de chaque SVT et l’équipe du Tré­sor en charge de l’émission de la dette, afin de par­ler de l’appétit espé­ré des inves­tis­seurs pour les pro­chaines émis­sions de dette.

J’avais l’honneur de repré­sen­ter Nomu­ra et au début, c’est très impres­sion­nant de par­ti­ci­per à des réunions où l’on parle seule­ment en mil­liards d’euros. »

Avant les subprimes

De Nomu­ra, Domi­nique Duly pas­sa dans une autre banque d’affaires, Stan­dard Char­te­red, de 2007 à 2009. Il ne ces­sa de voya­ger entre la Chine, l’Angleterre et le Pakis­tan. Il y mit en place des finan­ce­ments pour de grands pro­jets d’énergie éolienne et solaire et pour des équi­pe­men­tiers du secteur.

Quand il appli­qua sa rigueur de rai­son­ne­ment et sa puis­sance de tra­vail à l’analyse mathé­ma­tique de pro­duits déri­vés sur la place de Londres, il ne leur trou­va aucune sta­bi­li­té asymp­to­tique, et s’en inquié­ta. Ce bien avant que l’affaire des sub­primes ne prouve la noci­vi­té de tels produits.

Fut-ce en par­tie la crise finan­cière de 2008 qui s’ensuivit ? Il revint à Gre­noble et se lan­ça dans le déve­lop­pe­ment de pro­jets pho­to­vol­taïques. Sun­po­wer France le recru­ta pour diri­ger ses projets.

Depuis sep­tembre 2011, Domi­nique Duly vit à Curi­ti­ba, au sud du Bré­sil. Il est res­pon­sable pour ce pays de l’activité de conseil stra­té­gique et finan­cier du groupe Pöy­ry pour l’énergie et la sylviculture.


Uu Brésil inattendu

« Au Bré­sil, loin des images conve­nues, j’ai décou­vert un peuple capable de faire preuve d’un per­fec­tion­nisme et d’une inno­va­tion éton­nants. Cela se retrouve dans les défi­lés du Car­na­val, une véri­table com­pé­ti­tion s’écoulant sur plu­sieurs nuits et que je suis désor­mais avec une véri­table pas­sion, mais aus­si dans plu­sieurs sec­teurs éco­no­miques, tels que l’exploitation et la trans­for­ma­tion des res­sources naturelles.

J’ai la chance aujourd’hui dans mon tra­vail d’aider par­fois des entre­prises fran­çaises à venir tirer par­ti de cette richesse non seule­ment natu­relle mais aus­si intel­lec­tuelle du Bré­sil et mon sou­hait le plus cher serait de voir encore plus d’investisseurs fran­çais au Brésil. »


Un scientifique au tempérament d’artiste

Domi­nique Duly, ses pro­pos le montrent, com­bine modes­tie et luci­di­té. Ne trans­pa­raissent pas, sauf si on le connaît déjà, sa force de carac­tère, sa gen­tillesse, son auto­ri­té morale.

C’est un scien­ti­fique au tem­pé­ra­ment d’artiste : appli­quant un cadre intel­lec­tuel rigou­reux mais vision­naire, brillant dans l’appréhension de la com­plexi­té ; phi­lan­thrope idéa­liste et enthou­siaste, trop sou­vent déçu par les fai­blesses de ses pro­chains, mais jamais blasé.

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