La sécurité ferroviaire, un enjeu international et européen

Dossier : Sécurité des transportsMagazine N°704 Avril 2015
Par Florence ROUSSE (79)

Contrai­re­ment aux autres modes majeurs de trans­port col­lec­tif (aérien ou mari­time), le sec­teur fer­ro­viaire a, depuis ses débuts il y a près de 200 ans, été asso­cié à une dimen­sion essen­tiel­le­ment nationale.

Cette situa­tion s’explique essen­tiel­le­ment par la nature des tra­jets assu­rés, dont la grande majo­ri­té, en par­ti­cu­lier pour le trans­port de voya­geurs, s’effectue au niveau national.

REPÈRES

Longtemps associée à une vision nationale, la sécurité ferroviaire a acquis depuis le début des années 2000 une dimension européenne qui dépasse le champ des opérateurs historiques ferroviaires. La performance en matière de sécurité du système ferroviaire a, depuis la deuxième moitié du XXe siècle, connu une nette amélioration.
Néanmoins, l’abaissement du seuil d’acceptabilité, par la société civile, vis-à-vis des conséquences des accidents graves impliquant des trains fait de la sécurité un enjeu d’avenir. Sur la base de la présentation des particularités et caractéristiques de la sécurité ferroviaire, cet article présente les enjeux nouveaux pour la sécurité qui viendront s’ajouter à l’innovation technologique et à la culture de partage d’expérience qui ont d’ores et déjà permis au système ferroviaire de figurer parmi les moyens de transport les plus sûrs.

Une dimension nationale

En France, après une longue période mar­quée par l’existence de com­pa­gnies régio­nales inté­grées issues des conces­sions d’origine déli­vrées par l’État, la SNCF, créée en 1938, a été, pen­dant près de soixante-dix ans, l’opérateur unique du réseau fer­ré natio­nal, tant pour les ser­vices de trans­port que pour l’infrastructure.

“ La SNCF a été, pendant près de soixante-dix ans, l’opérateur unique du réseau ferré national ”

Du reste, éty­mo­lo­gi­que­ment, le « che­min de fer » désigne l’infrastructure alors que, dès l’origine, ce vocable était employé dans le lan­gage cou­rant pour dési­gner le moyen de trans­port : on voit donc bien que ce sys­tème de trans­port est né sous une forme com­plè­te­ment intégrée.

Un système intégré

La réforme du sys­tème fer­ro­viaire en 1997, avec la créa­tion de RFF (le pro­prié­taire du réseau), ne lui a ôté aucune res­pon­sa­bi­li­té en matière de sécu­ri­té du fait de sa qua­li­té de ges­tion­naire de l’infrastructure délé­gué. Et l’étroitesse tech­nique de l’imbrication mobile-sol est telle que le sys­tème nor­ma­tif s’est déve­lop­pé éga­le­ment de façon inté­grée par­tout dans le monde.

La notion de concur­rence inter­mo­dale ne s’est appuyée sur une sépa­ra­tion for­melle entre la ges­tion de l’infrastructure et l’exploitation des ser­vices de trans­port que récem­ment (il y a une ving­taine d’années).

L’évolution de la sécurité ferroviaire

Les don­nées fran­çaises ou euro­péennes sur les consé­quences des cir­cu­la­tions fer­ro­viaires donnent en pro­por­tion les mêmes résul­tats et per­mettent de mieux com­prendre les par­ti­cu­la­ri­tés des évé­ne­ments qui rentrent dans le champ de la sécu­ri­té ferroviaire.

“ La société accepte de moins en moins les conséquences des accidents collectifs de voyageurs ”

Le pre­mier élé­ment mar­quant concerne la plus grande cause de mor­ta­li­té liée aux cir­cu­la­tions fer­ro­viaires, à savoir les sui­cides avec 80 % de l’ensemble des tués sur le réseau ferré.

Cette par­ti­cu­la­ri­té, qui rend la sécu­ri­té fer­ro­viaire lar­ge­ment influen­cée par une cause exo­gène à la maî­trise des risques induits par la cir­cu­la­tion des trains, est à l’origine de la pré­ci­sion sur les sta­tis­tiques d’accidents fer­ro­viaires et de leurs consé­quences qui exclut assez géné­ra­le­ment direc­te­ment les suicides.

Les passages à niveau

Autre spé­ci­fi­ci­té, une large part d’accidents concerne des col­li­sions aux pas­sages à niveau. Ces évé­ne­ments sont la cause d’un tiers des décès de per­sonnes (hors sui­cides), soit 29 tués en 2013 pour 85 décès au total hors sui­cides. L’interface phy­sique avec le mode de trans­port rou­tier influence donc lar­ge­ment la sécu­ri­té ferroviaire.

“ L’interface physique avec le mode de transport routier influence largement la sécurité ferroviaire ”

Les dif­fi­cul­tés d’actions des acteurs du sys­tème fer­ro­viaire sur ces pro­blé­ma­tiques de pas­sages à niveau sont bien pré­sentes, même si l’effort por­té sur la sen­si­bi­li­sa­tion des usa­gers de la route et le trai­te­ment des confi­gu­ra­tions de pas­sages à niveau à risque sont au coeur des actions inté­grant l’ensemble des acteurs (fer­ro­viaires, pou­voirs publics ou col­lec­ti­vi­tés territoriales).

Der­nier fac­teur exo­gène au sys­tème fer­ro­viaire, le cas des per­sonnes « autres » que l’on retrouve dans le gra­phique d’évolution des per­sonnes tuées ou bles­sées gra­ve­ment depuis 1954.

Cette caté­go­rie, si l’on en exclut les usa­gers de pas­sages à niveau, concerne les per­sonnes non auto­ri­sées à péné­trer dans les emprises fer­ro­viaires et qui, sans que le carac­tère volon­taire d’un acte sui­ci­daire n’ait pu être prou­vé, se font heur­ter par un train. Le nombre de décès induits est éga­le­ment très impor­tant (45 en 2013).

Évo­lu­tion de la mor­ta­li­té sur les réseaux fer­rés, de 1954 à 2014.

Une vraie sécurité intrinsèque

Le gra­phique le montre, ce n’est que depuis les années 1990 que la der­nière caté­go­rie de consé­quences d’accidents (les consé­quences d’accidents sur les voya­geurs ou les per­son­nels des trains) est plus faible que les autres précitées.

DES ACCIDENTS MARQUANTS

Des accidents graves comme le heurt d’un car scolaire en 2008 au niveau de la commune d’Allinges (74) provoquant le décès de 7 personnes et des blessures à 33 autres (dont 3 blessés gravement) ont marqué l’opinion publique.

Il s’agit essen­tiel­le­ment de la sécu­ri­té intrin­sèque de la cir­cu­la­tion des trains, c’est-à-dire des acci­dents de trans­ports fer­ro­viaires aux­quels on pense spon­ta­né­ment : col­li­sion (Flau­jac en 1985) ou déraille­ment (Bré­ti­gny en 2013).

La baisse de ce type d’accident est à mettre au cré­dit à la fois de l’amélioration des carac­té­ris­tiques tech­niques du maté­riel rou­lant ou de la voie mais aus­si, plus pré­ci­sé­ment, du retour d’expérience sur des acci­dents majeurs qui ont vu le déploie­ment de boucles de rat­tra­page aux actions humaines (implan­ta­tion du contrôle de vitesse par balise – KVB en France), pro­grès inter­ve­nu à cette époque.

Il est donc clair que la sécu­ri­té fer­ro­viaire, tout en s’améliorant éga­le­ment au fil du temps pour toutes les caté­go­ries de per­sonnes tuées ou bles­sées gra­ve­ment, a aug­men­té très for­te­ment pour les voya­geurs qui empruntent ce mode de transport.

Pour autant, a contra­rio, la socié­té accepte de moins en moins les consé­quences des acci­dents col­lec­tifs de voya­geurs et per­çoit de plus en plus for­te­ment les enjeux de sécu­ri­té de ce mode de transport.

Contruire l’Europe de la sécurité ferroviaire

Un train dans un passage à niveau
Une large part d’accidents concerne des col­li­sions aux pas­sages à niveau

L’introduction de l’Europe dans les réflexions sur la sécu­ri­té fer­ro­viaire est allée de pair avec le débat sur la concur­rence entre exploi­tants fer­ro­viaires, et est donc récente.

Or, une carac­té­ris­tique forte du sys­tème fer­ro­viaire euro­péen réside à la fois dans l’interface forte entre le mobile (trans­por­tant les voya­geurs ou les mar­chan­dises) et son infra­struc­ture, et dans des choix tech­niques dif­fé­rents d’un pays à l’autre, héri­tant des par­ti­cu­la­ri­tés ou choix tech­no­lo­giques des acteurs his­to­riques nationaux.

Cette situa­tion ain­si que la volon­té de dyna­mi­ser le sec­teur fer­ro­viaire par l’ouverture à la concur­rence des mar­chés de trans­port de voya­geurs et de mar­chan­dises ont conduit à trai­ter la sécu­ri­té de manière d’emblée étroi­te­ment liée avec l’interopérabilité.

Harmoniser les règles

Ain­si, his­to­ri­que­ment à l’origine d’avancées majeures en termes de gain de sécu­ri­té, l’investissement dans les infra­struc­tures s’inscrit éga­le­ment comme une néces­si­té pour conti­nuer le tra­vail de l’interopérabilité des réseaux.

SIX SYSTÈMES D’ÉLECTRIFICATION

Il existe six systèmes d’électrification standardisés différents au niveau européen afin d’assurer l’alimentation des moteurs de tractions des locomotives ou encore une douzaine de systèmes sécurité pour la protection de trains (par contrôle de vitesse par exemple) présents sur les différents réseaux.

Pour autant, le coût de ces opé­ra­tions ne va pas sans créer cer­taines dif­fi­cul­tés rési­dant notam­ment dans la capa­ci­té d’investissement des États membres.

En France, des pro­jets de par­te­na­riats public-pri­vé tentent de trou­ver ponc­tuel­le­ment une réponse, sur le cré­neau par­ti­cu­lier des lignes à grande vitesse (pro­jets des lignes Tours- Bor­deaux, Le Mans-Rennes ain­si que le contour­ne­ment de Nîmes-Mont­pel­lier). Le che­min est tou­te­fois encore long avant d’arriver à des règles euro­péennes har­mo­ni­sées dans le domaine des infrastructures.

Le modèle aérien

Le modèle d’une sécu­ri­té fer­ro­viaire « exter­na­li­sée des acteurs » s’est ins­pi­ré, du fait de sa jeu­nesse, de modèles plus anciens, en par­ti­cu­lier du modèle aérien. La créa­tion de l’agence fer­ro­viaire euro­péenne (ERA) en 2004 ou l’apparition d’une auto­ri­té natio­nale de sécu­ri­té indé­pen­dante des opé­ra­teurs his­to­riques natio­naux, à par­tir de 2006, ont per­mis de faire appa­raître une forme externe de sur­veillance des acti­vi­tés ferroviaires.

L’inspiration en pro­ve­nance du domaine aérien a concrè­te­ment été à l’origine des exi­gences de licence, cer­ti­fi­cat ou agré­ment de sécu­ri­té basé sur un sys­tème de ges­tion de la sécu­ri­té, ou encore du concept de moyen accep­table de conformité.

Il faut sou­li­gner, à ce sujet, la remar­quable adap­ta­bi­li­té du sec­teur fer­ro­viaire, qui a su cher­cher et accep­ter dans un temps somme toute court des concepts et modes de pen­sée nouveaux.

Pour autant, force est de consta­ter que l’acquisition de ces concepts s’est effec­tuée très rapi­de­ment et que l’appropriation de ces élé­ments n’est pas mûre. Un tra­vail impor­tant reste éga­le­ment à faire dans le domaine du retour d’expérience et du par­tage des infor­ma­tions ou don­nées de sécu­ri­té, pour faire béné­fi­cier l’ensemble du sec­teur, et notam­ment les petites struc­tures, d’analyse des risques principaux.

Des compétences rares

Cette dif­fi­cul­té se double pour les nou­veaux acteurs (par exemple les PPP pré­ci­tés, ou encore près de trente socié­tés exploi­tantes de fret fer­ro­viaire, de tailles variées) au pro­blème du trans­fert des com­pé­tences tech­niques pré­sentes à l’origine uni­que­ment chez l’opérateur historique.

Franchissement d'un passage à niveau par un train
En France, le sujet majeur est la mise en place de la réforme fer­ro­viaire du groupe SNCF

Cette ques­tion de la rare­té des com­pé­tences en dehors des opé­ra­teurs his­to­riques, conju­guée avec l’insuffisance d’une régle­men­ta­tion com­mu­né­ment admise qui pour­rait ser­vir de réfé­rence pour la ou les auto­ri­tés char­gées d’instruire des auto­ri­sa­tions, a conduit l’Europe à construire un sys­tème assez com­plexe qui fait lar­ge­ment appel à des enti­tés (qua­li­fiées, d’évaluation, noti­fiées, ou encore dési­gnées, sui­vant les règle­ments) qui sont, ou non, accré­di­tées sui­vant des réfé­ren­tiels de nor­ma­li­sa­tion et par des orga­nismes de nor­ma­li­sa­tion déclarés.

Enfin, un pro­jet de qua­trième paquet fer­ro­viaire trans­fère à l’ERA, dans un délai de cinq ans, une par­tie des com­pé­tences des États dans des condi­tions qui ne sont pas stables et ne consti­tuent qu’une étape dans un pro­ces­sus plus long.

Améliorer et consolider le système français

En France, le sujet majeur dans les deux ou trois années à venir est la mise en place, puis la conso­li­da­tion, de la réforme fer­ro­viaire du groupe SNCF, qui voit les res­pon­sa­bi­li­tés de sécu­ri­té du ges­tion­naire de réseau (SNCF Réseaux) et de l’entreprise fer­ro­viaire (SNCF Mobi­li­tés), sépa­rées et clarifiées.

“ Le secteur ferroviaire a su chercher et accepter des modes de pensée nouveaux ”

Il y a là un vaste chan­tier qui cor­res­pond à une exi­gence forte d’amélioration de la sécu­ri­té fer­ro­viaire pour faire que notre pays non seule­ment amé­liore son rang dans le pelo­ton de tête des pays euro­péens (des indi­ca­teurs euro­péens le placent en 6e posi­tion), mais aus­si y trouve l’occasion d’une modernisation.

L’opérateur his­to­rique sera éga­le­ment confron­té, dans les années à venir, à la concur­rence dans le domaine des voya­geurs, et le pay­sage fran­çais se trans­for­me­ra ain­si pro­gres­si­ve­ment avec un équi­li­brage des risques, des com­pé­tences et des res­pon­sa­bi­li­tés en matière de sécu­ri­té ferroviaire.

Le déve­lop­pe­ment de sys­tèmes tech­niques (notam­ment du sys­tème euro­péen de signa­li­sa­tion ERTMS qui est un objec­tif dans lequel la France devra conti­nuer à s’impliquer), ou de maté­riaux nou­veaux (par exemple l’utilisation de maté­riaux com­po­sites), est un enjeu inter­na­tio­nal et euro­péen, il fait appel à de nou­velles ques­tions en matière de sécu­ri­té et d’analyse des risques, et dans ce domaine les entre­prises fran­çaises et les auto­ri­tés natio­nales de sécu­ri­té ont des sujets de recherche et de réflexions pour peser sur les évo­lu­tions futures.

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