La santé environnementale en France : un bilan, des propositions

Dossier : Environnement et santé publiqueMagazine N°546 Juin/Juillet 1999
Par Pierre-Yves SAINT (78)

Les enjeux de la santé environnementale

Ces enjeux ont été mis en évi­dence dans les articles pré­cé­dents et en par­ti­cu­lier celui d’A. Cico­lel­la. Plu­sieurs points méritent d’être soulignés.

L’imbrication des équilibres écologiques et des enjeux sanitaires

La com­mis­sion « san­té et envi­ron­ne­ment » de l’OMS décla­rait en clô­ture de ses tra­vaux dans le cadre de la confé­rence de Rio que « le déve­lop­pe­ment qu’im­plique la pro­tec­tion de la san­té exige le res­pect de l’en­vi­ron­ne­ment par­mi bien sûr beau­coup d’autres condi­tions, alors qu’un déve­lop­pe­ment qui igno­re­rait l’en­vi­ron­ne­ment condui­rait fata­le­ment à por­ter atteinte à la san­té de l’homme ».

L’illus­tra­tion emblé­ma­tique de cette affir­ma­tion est la catas­trophe de la mer d’A­ral. Entre 1970 et 1990, des pra­tiques agri­coles désas­treuses ont pro­vo­qué l’as­sè­che­ment par­tiel de la mer d’A­ral et le déver­se­ment de 118 000 tonnes d’en­grais et de défo­liants dans l’en­vi­ron­ne­ment régio­nal. Cette catas­trophe éco­lo­gique (recul de la mer de 50 à 80 km, pas­sage de l’am­pli­tude ther­mique annuelle de 60 °C à 100 °C) a entraî­né une catas­trophe sani­taire : aug­men­ta­tion de 60 % de la mor­ta­li­té infan­tile, inci­dence de cer­tains can­cers sept fois supé­rieure à la moyenne sovié­tique, épi­dé­mies récur­rentes dues à la mau­vaise qua­li­té de l’eau3.

La prise de conscience récente4 des risques liés à la pré­sence de per­tur­ba­teurs endo­cri­niens dans l’en­vi­ron­ne­ment est éga­le­ment un exemple d’im­bri­ca­tion entre les pré­oc­cu­pa­tions éco­lo­giques et l’ap­proche des risques sani­taires : les pre­mières per­tur­ba­tions de la repro­duc­tion asso­ciées à ces sub­stances ont été obser­vées pour les espèces ani­males. Compte tenu des incer­ti­tudes, l’é­va­lua­tion des risques pour l’homme implique une étude glo­bale du com­por­te­ment de ces sub­stances et donc une démarche d’é­va­lua­tion des risques pour l’en­vi­ron­ne­ment et les espèces qui y vivent.

D’autres exemples peuvent être cités (pol­luants orga­niques per­sis­tants). Une approche trop stric­te­ment sani­taire et qui igno­re­rait la com­plexi­té des équi­libres éco­lo­giques et donc l’é­ven­tua­li­té d’ef­fets éloi­gnés des causes pre­mières dans le temps et dans l’es­pace n’est pas viable. De ce point de vue, la san­té envi­ron­ne­men­tale est liée au concept plus large de sécu­ri­té envi­ron­ne­men­tale où la mise en sécu­ri­té des dif­fé­rents com­par­ti­ments de l’en­vi­ron­ne­ment (espaces natu­rels, lieux de vie, lieux de tra­vail) consti­tue la pre­mière ligne de défense pour l’homme.

Les dangers d’une hiérarchisation médiatique des risques

La mon­tée des pré­oc­cu­pa­tions liées à la pol­lu­tion de l’air, les débats autour du prin­cipe de pré­cau­tion ont mis en avant les risques sani­taires liés à l’ex­po­si­tion à de faibles doses de pol­luants issus de sources dif­fuses. L’é­va­lua­tion et la ges­tion de ces risques consti­tuent effec­ti­ve­ment le pro­blème le plus dif­fi­cile auquel sont confron­tés les scien­ti­fiques, les experts et les pou­voirs publics. L’en­semble de la popu­la­tion étant poten­tiel­le­ment expo­sé à ces risques, leur média­ti­sa­tion est forte.

L’at­ten­tion est donc rela­ti­ve­ment détour­née des risques sani­taires « clas­siques », par exemple ceux liés aux pol­lu­tions chro­niques ou acci­den­telles pro­ve­nant de sites indus­triels, ceux-ci étant sup­po­sés connus et maî­tri­sés. Or cette connais­sance et cette maî­trise ne peuvent être conser­vées que par un effort per­ma­nent de recherche, d’é­va­lua­tion et de pré­ven­tion incluant la pers­pec­tive des effets à long terme et l’im­por­tance crois­sante du fac­teur humain dans le risque.

Les enjeux se mesurent à l’échelle européenne et internationale

Au niveau inter­na­tio­nal, les acteurs prin­ci­paux de la san­té envi­ron­ne­men­tale sont l’OMS, l’OCDE et l’U­nion euro­péenne. Le poids de la France appa­raît par­ti­cu­liè­re­ment faible. Ain­si, en matière de pro­duc­tion de connais­sances, on constate, comme le montre le tableau ci-contre, que la part rela­tive du domaine san­té-envi­ron­ne­ment tra­duit un retard glo­bal de l’U­nion euro­péenne par rap­port aux USA mais sur­tout une posi­tion très faible de la France au sein de l’U­nion euro­péenne5.

Au niveau euro­péen, le prin­cipe de pré­cau­tion en matière de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment et de la san­té des per­sonnes (art. 130‑R du trai­té de Maas­tricht) ins­pire les direc­tives et règle­ments : il est par­ti­cu­liè­re­ment impor­tant que la France puisse appli­quer ce prin­cipe par une éva­lua­tion et une ges­tion des risques qui prennent en compte les don­nées spé­ci­fiques au contexte natio­nal, notam­ment celles rela­tives au mode de vie.

Par ailleurs, la France a pris, dans le cadre de l’ac­cord d’Hel­sin­ki de 1996 sur la san­té et l’en­vi­ron­ne­ment, un cer­tain nombre d’en­ga­ge­ments qu’elle se doit d’ho­no­rer et qui four­nissent un cadre de réfé­rence pour la mise en œuvre d’une poli­tique en san­té envi­ron­ne­men­tale. Un pre­mier plan d’ac­tion devra être éta­bli et publié au cours du pre­mier tri­mestre 1999 et être pré­sen­té à la confé­rence orga­ni­sée à Londres en juin 1999 par l’Or­ga­ni­sa­tion mon­diale de la san­té et l’U­nion européenne.

Le nouveau paradigme d’évaluation et de gestion des risques : ses contraintes spécifiques

Le sché­ma de l’é­va­lua­tion des risques a été pré­sen­té dans l’ar­ticle d’A. Cico­lel­la. La ges­tion des risques, abou­tis­se­ment de ce sché­ma, est com­plexe et doit s’ap­puyer sur les étapes sui­vantes : l’é­la­bo­ra­tion de solu­tions et de leurs alter­na­tives, afin de pré­pa­rer un choix réel ; l’é­tude com­pa­ra­tive des avan­tages et incon­vé­nients de ces solu­tions au regard des aspects sani­taires, envi­ron­ne­men­taux, admi­nis­tra­tifs, juri­diques, sociaux, poli­tiques et éco­no­miques (ana­lyse coût/bénéfice) ; le choix d’une solu­tion, par réfé­rence à des objec­tifs ou des contraintes déter­mi­nées et le mieux expli­ci­tées pos­sible, la mise en œuvre de la déci­sion ; enfin, l’é­va­lua­tion de son effi­ca­ci­té. Des contraintes spé­ci­fiques condi­tionnent l’ef­fi­ca­ci­té de cette démarche d’é­va­lua­tion et de ges­tion des risques. Ce sont principalement :

La nécessaire séparation entre les fonctions d’évaluation et de gestion des risques

Les inter­lo­cu­teurs de la mis­sion par­le­men­taire ont été una­nimes sur ce point : il appa­raît indis­pen­sable que les contraintes poli­tiques, éco­no­miques ou sociales qui pèsent sur les déci­deurs ne biaisent pas le tra­vail d’é­va­lua­tion des risques.

A contra­rio, les experts char­gés de l’é­va­lua­tion ne doivent pas exer­cer de pres­sions sur le déci­deur, car celui-ci doit tenir compte d’en­jeux autres que sani­taires et environnementaux.

Par ailleurs, le « lan­ceur d’a­lerte » doit être pro­té­gé des pres­sions, voire des menaces qui peuvent être exer­cées contre lui au cas où les résul­tats de l’ex­per­tise iraient à l’en­contre des inté­rêts publics ou privés.

L’existence de risques de nature différente, en fonction du degré d’incertitude scientifique

  • Le risque iden­ti­fié, dont la preuve est éta­blie de manière convain­cante : sa ges­tion relève de la pré­ven­tion. C’est par exemple le cas du satur­nisme ou de l’amiante.
  • Le risque contro­ver­sé, pour lequel le débat scien­ti­fique est lar­ge­ment nour­ri sans pour autant débou­cher sur un consen­sus : sa ges­tion relève de la pré­cau­tion « forte » (cas des dioxines). Il doit déclen­cher une action pro­por­tion­née à son « casier scien­ti­fique », appré­cié en termes de gra­vi­té et d’ir­ré­ver­si­bi­li­té par une exper­tise contradictoire.
  • Le risque émergent, pour lequel le débat scien­ti­fique en est à ses pré­misses : sa ges­tion relève de la pré­cau­tion « faible ». Son degré de gra­vi­té et d’ir­ré­ver­si­bi­li­té est lar­ge­ment incon­nu. L’ac­tion doit être enga­gée de manière limi­tée et expé­ri­men­tale et accom­pa­gnée par la mise en place d’un sys­tème de veille spé­ci­fique à ce risque. Il est en effet néces­saire de pou­voir orga­ni­ser la réver­si­bi­li­té au cas où la pro­gres­sion des connais­sances ren­drait celle-ci indis­pen­sable (cas des orga­nismes géné­ti­que­ment modi­fiés). La mise en évi­dence des risques émer­gents est donc d’une impor­tance cruciale.


La capa­ci­té à détec­ter des « signaux faibles » sani­taires et envi­ron­ne­men­taux mais aus­si une veille scien­ti­fique effi­cace en sont des condi­tions indispensables.

La faiblesse globale du dispositif public français

Face à ces enjeux et à la mobi­li­sa­tion crois­sante des moyens au niveau euro­péen et inter­na­tio­nal, le constat d’une fai­blesse glo­bale du dis­po­si­tif public fran­çais s’impose.

La faiblesse de la recherche fondamentale et appliquée

Les dis­ci­plines de base du champ san­té-envi­ron­ne­ment, qui relèvent d’une approche glo­bale de l’homme et de sa rela­tion à l’en­vi­ron­ne­ment, sont mar­gi­na­li­sées au sein de la recherche publique : la toxi­co­lo­gie, l’é­co­toxi­co­lo­gie, l’é­co­lo­gie micro­bienne res­tent sous-déve­lop­pées. En dépit de la créa­tion de l’IVS (cf. article de M. Jouan), les moyens consa­crés à l’é­pi­dé­mio­lo­gie en France res­tent très infé­rieurs, toutes pro­por­tions gar­dées, à ceux consa­crés par les autres pays (USA, Pays-Bas, pays scandinaves).

L’é­tude glo­bale des fac­teurs de l’ex­po­si­tion humaine aux dan­gers, ou « expo­lo­gie », est entiè­re­ment à déve­lop­per en France alors que des tra­vaux sont menés aux USA depuis quinze ans. De plus, les approches inter­dis­ci­pli­naires indis­pen­sables ne sont guère pré­sentes dans les prio­ri­tés des grands orga­nismes de recherche, en dehors d’i­ni­tia­tives ponc­tuelles. Les cher­cheurs tra­vaillant à l’in­ter­face san­té-envi­ron­ne­ment se trouvent à la marge d’un sys­tème qui ne valo­rise pas cette activité.

La faiblesse de l’organisation de l’expertise

Au sein des grands orga­nismes de recherche tels que le CNRS, l’IN­SERM, l’IN­RA…, ou des orga­nismes d’ap­pui aux poli­tiques publiques tels que l’INRS, l’I­NE­RIS, le BRGM, le CEMAGREF…, les experts sont avant tout des cher­cheurs, éva­lués sur la base de leurs publi­ca­tions et non de leur par­ti­ci­pa­tion à l’expertise.

Cette par­ti­ci­pa­tion est peu ou pas rému­né­rée. Elle devient même contre-pro­duc­tive pour leur car­rière. Les cher­cheurs ne sont donc pas inci­tés à par­ti­ci­per à l’ex­per­tise au niveau natio­nal ou inter­na­tio­nal. La fai­blesse de la recherche en san­té envi­ron­ne­men­tale pré­cé­dem­ment évo­quée s’a­joute à ce constat géné­ral : l’ex­per­tise fran­çaise dans ce domaine cumule les handicaps.

Pour assu­rer la trans­pa­rence et la sta­bi­li­té des pro­cé­dures d’ex­per­tise, il est néces­saire de garan­tir une auto­no­mie et une indé­pen­dance fortes aux experts et aux comi­tés d’ex­perts, vis-à-vis des dif­fé­rentes sources d’in­fluence pos­sibles. Il faut donc que des per­sonnes sachent orga­ni­ser les pro­cé­dures d’ex­per­tise. Cette com­pé­tence d’or­ga­ni­sa­teur de l’ex­per­tise n’est pas actuel­le­ment recon­nue comme telle en France.

La dispersion de la veille environnementale

En matière de san­té envi­ron­ne­men­tale, la veille vise à détec­ter les per­tur­ba­tions envi­ron­ne­men­tales sus­cep­tibles de pré­fi­gu­rer des risques sani­taires ou des effets sur la san­té sus­cep­tibles d’être cau­sés par des fac­teurs envi­ron­ne­men­taux. Le volet sani­taire de la veille est désor­mais orga­ni­sé autour de l’IVS suite à la loi de sécu­ri­té sani­taire du 1er juillet 1998 dont les décrets d’ap­pli­ca­tion ont été récem­ment publiés.

Le volet envi­ron­ne­men­tal est, lui, frac­tion­né entre plu­sieurs orga­nismes et obser­va­toires de l’en­vi­ron­ne­ment : le BRGM, le CEMAGREF, l’I­FRE­MER, l’A­DEME, les agences de l’eau, les réseaux de mesure de la qua­li­té de l’air ain­si que l’Ins­ti­tut fran­çais de l’en­vi­ron­ne­ment (IFEN) pour la cen­tra­li­sa­tion des don­nées et les aspects patri­mo­niaux de l’environnement.

La faiblesse de l’évaluation des risques

Le tra­vail d’é­va­lua­tion des risques com­porte deux aspects essentiels :

  • la col­lecte des don­nées scien­ti­fiques et leur uti­li­sa­tion dans un cadre métho­do­lo­gique. Ce tra­vail intel­lec­tuel est rela­ti­ve­ment lourd et sou­vent sous-esti­mé, par­ti­cu­liè­re­ment en regard des coûts induits par les déci­sions qu’il prépare,
  • la pro­duc­tion de don­nées, par­ti­cu­liè­re­ment celles liées à l’é­va­lua­tion des expo­si­tions qui sont en géné­ral spé­ci­fiques de la popu­la­tion expo­sée au risque étudié.


Si l’on se limite au pro­blème essen­tiel de l’im­pact sani­taire et envi­ron­ne­men­tal des sub­stances chi­miques, les orga­nismes d’é­va­lua­tion des risques sont essen­tiel­le­ment l’I­NE­RIS et l’INRS, aux­quels s’a­joutent l’IVS, l’IN­RA, le CSTB, l’I­FRE­MER et l’IN­RETS. Pour arri­ver au niveau des pays les plus actifs dans ce domaine (USA, Pays-Bas), les moyens dis­po­nibles en France au sein de ces dif­fé­rents orga­nismes devraient être mul­ti­pliés par quatre.

Une absence de vision globale des enjeux et un manque d’impulsion politique forte

Au sein du dis­po­si­tif fran­çais, aucun orga­nisme ou minis­tère n’est char­gé d’é­ta­blir une hié­rar­chi­sa­tion expli­cite des risques ni de la défi­ni­tion des prio­ri­tés de ges­tion de ces mêmes risques.

Ce n’est pas le cas par exemple aux Pays-Bas où un orga­nisme, le RIVM, est char­gé de cette mis­sion. Par consé­quent, les poli­tiques et les admi­nis­tra­tions réagissent à l’ur­gence mais ne sont pas en mesure d’an­ti­ci­per les risques, ni de per­ce­voir les risques émer­gents. Cela tient à l’ab­sence de pro­cé­dures de veille et d’a­lerte centralisées.

Il paraît nor­mal que de nom­breux minis­tères dif­fé­rents soient concer­nés par la san­té envi­ron­ne­men­tale : outre les minis­tères char­gés de la san­té et de l’en­vi­ron­ne­ment inter­viennent ceux char­gés de l’emploi, de l’a­gri­cul­ture, de l’é­qui­pe­ment et du loge­ment, de l’é­co­no­mie, des finances et de l’in­dus­trie. Il serait même para­doxal que ce sujet de nature trans­ver­sale ne soit pas écla­té entre plu­sieurs administrations.

Néan­moins, on constate entre les admi­nis­tra­tions prin­ci­pa­le­ment concer­nées (envi­ron­ne­ment et san­té) des dif­fi­cul­tés rela­tion­nelles et des cloi­son­ne­ments, du fait notam­ment de l’ab­sence de culture com­mune et de lan­gage com­mun. La coopé­ra­tion et la coor­di­na­tion existent mais dépendent davan­tage des inter­lo­cu­teurs et des circonstances.

Cette situa­tion est regret­table, d’au­tant que les moyens de chaque minis­tère sont faibles. Elle est même dif­fi­ci­le­ment com­pré­hen­sible, si l’on consi­dère que ces deux minis­tères œuvrent dans le sens d’une inter­na­li­sa­tion crois­sante des coûts (sani­taires, envi­ron­ne­men­taux) et devraient pou­voir adop­ter des posi­tions com­munes face aux minis­tères » amé­na­geurs « , natu­rel­le­ment résis­tants à cette tendance.

Ce manque d’im­pul­sion poli­tique et la fai­blesse des moyens publics qui en résulte se tra­duisent par une insuf­fi­sante par­ti­ci­pa­tion de la France dans les prin­ci­pales ins­tances inter­na­tio­nales (Union euro­péenne, OMS, OCDE) qui fixent les normes, règles ou valeurs guides pour les risques sani­taires liés à l’en­vi­ron­ne­ment. Cette situa­tion est pré­ju­di­ciable à la France, qui n’est pas à même de faire valoir son point de vue.

Or les déci­sions prises dans ces ins­tances peuvent avoir des consé­quences éco­no­miques et sani­taires impor­tantes. À titre d’exemple, les négo­cia­tions en cours du pro­to­cole mon­dial sur les pol­lu­tions trans­fron­tières par les pol­luants orga­niques per­sis­tants (POP) se déroulent sans que la France ait pu, en amont, mobi­li­ser une exper­tise suf­fi­sante pour peser sur les débats. Les choix en dis­cus­sion sur les modèles de dis­per­sion des POP à rete­nir pour fixer les enga­ge­ments des pays signa­taires pour­raient entraî­ner un sur­coût de 12 MdF par an pour la France6

Les propositions du rapport parlementaire

Ce constat de fai­blesse glo­bale ne doit pas bien sûr mas­quer les nom­breuses réa­li­sa­tions exis­tantes, par exemple dans le domaine de l’eau où les cri­tiques pré­cé­dem­ment recen­sées doivent être par­fois atté­nuées ou consi­dé­rées comme non pertinentes.

Il n’en demeure pas moins que ce constat est una­nime et que la mise en évi­dence de cette una­ni­mi­té, et en corol­laire de l’ur­gence de l’ac­tion, a été cer­tai­ne­ment le résul­tat le plus impor­tant de la mis­sion par­le­men­taire. Outre des pro­po­si­tions rela­tives au ren­for­ce­ment de la recherche et de l’ex­per­tise ain­si qu’à l’a­mé­lio­ra­tion du débat public et de l’in­for­ma­tion, les dépu­tés ont recom­man­dé au Pre­mier ministre :

  • la mise en place d’un plan natio­nal plu­ri­an­nuel en san­té-envi­ron­ne­ment, notam­ment dans la pers­pec­tive de la confé­rence de Londres et de ses suites,
  • la for­ma­li­sa­tion de la coopé­ra­tion inter­mi­nis­té­rielle par la créa­tion d’un comi­té de liai­son thé­ma­tique réunis­sant les prin­ci­paux direc­teurs d’ad­mi­nis­tra­tion concernés,
  • la créa­tion d’un Haut Comi­té Scien­ti­fique en san­té envi­ron­ne­men­tale, char­gé en par­ti­cu­lier de coor­don­ner les tra­vaux des dif­fé­rents comi­tés exis­tants (CPP, CSHPF, CSC…) dans le domaine de la san­té environnementale,
  • le ren­for­ce­ment de la veille par le déve­lop­pe­ment de l’IVS et la créa­tion de l’Ins­ti­tut de Veille Envi­ron­ne­men­tale (IVE) à par­tir de l’IFEN,
  • le déve­lop­pe­ment et la coor­di­na­tion de l’é­va­lua­tion des risques par la créa­tion d’une Agence de sécu­ri­té sani­taire envi­ron­ne­men­tale à par­tir de l’I­NE­RIS et de l’INRS.

    Commentaires sur les propositions

    Les trois pre­mières pro­po­si­tions ont, pour autant qu’on puisse en juger, fait l’ob­jet d’un large consen­sus. La créa­tion de l’IVE appa­raît éga­le­ment comme une réponse appro­priée au besoin crois­sant de ren­for­ce­ment et de coor­di­na­tion des fonc­tions de veille.

    La der­nière pro­po­si­tion (créer une Agence de sécu­ri­té sani­taire envi­ron­ne­men­tale) s’ap­puie sur une démarche plus poli­tique que tech­nique, peut-être du fait que la mis­sion par­le­men­taire n’a pas dis­po­sé du temps néces­saire pour conduire une inves­ti­ga­tion détaillée des pro­blèmes que sou­lève une telle pro­po­si­tion. Ces pro­blèmes sont de trois ordres.

    En pre­mier lieu, il est indis­pen­sable, quel que soit le scé­na­rio choi­si, de ren­for­cer la capa­ci­té d’ex­per­tise natio­nale dans ce domaine, ce qui sup­pose à la fois un méca­nisme de finan­ce­ment de res­sources sup­plé­men­taires et une meilleure coor­di­na­tion des moyens exis­tants au sein d’or­ga­nismes de recherche et d’ex­per­tise, moyens dont la dis­per­sion res­te­ra en grande par­tie inévitable.

    La nou­velle TGAP peut-elle consti­tuer à elle seule une réponse légi­time, s’il s’a­git essen­tiel­le­ment d’une ini­tia­tive de poli­tique sani­taire ? L’A­gence éven­tuelle doit-elle avoir voca­tion à coor­don­ner l’ac­tion, ou au contraire à réa­li­ser elle-même une bonne par­tie du tra­vail, tout en ayant un rôle de coor­di­na­tion à l’é­gard des orga­nismes les plus exté­rieurs au dispositif ?

    En second lieu, le champ de com­pé­tence de cette Agence fait inévi­ta­ble­ment l’ob­jet d’un débat : se réduit-il à un objec­tif stric­te­ment sani­taire, ou au contraire doit-il per­mettre de ren­for­cer l’ac­tion de l’É­tat au regard de l’en­vi­ron­ne­ment, dans une pers­pec­tive indi­recte de pré­ven­tion en amont des risques sani­taires ? Dans l’un ou l’autre cas, com­ment s’in­sé­re­ra cette nou­velle Agence dans le dis­po­si­tif exis­tant de pré­ven­tion des risques envi­ron­ne­men­taux et sanitaires ?

    Enfin, on ne sau­rait trop insis­ter sur le besoin de cré­di­bi­li­té du dis­po­si­tif fran­çais de pré­ven­tion des risques dans le cadre euro­péen. La par­cel­li­sa­tion des moyens et centres de déci­sion au niveau fran­çais, face à des orga­nismes sou­vent mieux cen­tra­li­sés et dotés de moyens d’ex­per­tise consi­dé­rables chez nos par­te­naires, est-elle un choix gagnant pour opti­mi­ser notre influence à Bruxelles ?

    Deux voies de pro­grès seraient à explorer :

    • la pre­mière, prag­ma­tique et avec une ambi­tion poli­tique sur le moyen terme, consis­te­rait à favo­ri­ser un rap­pro­che­ment pro­gres­sif des prin­ci­paux acteurs concer­nés (INRS, INERIS, IVS, IFEN, Agence de sécu­ri­té sani­taire), pour construire à terme, à par­tir d’or­ga­nismes aux sta­tuts et mis­sions aujourd’­hui très divers, un pôle d’ex­per­tise puis­sant et respecté ;
    • la seconde, plus volon­ta­riste, consis­te­rait à créer une « Grande Agence », à carac­tère inter­mi­nis­té­riel, com­pé­tente pour l’en­semble du champ d’ex­per­tise des risques liés à l’en­vi­ron­ne­ment, et sus­cep­tible d’af­fec­ter la sécu­ri­té (acci­dents indus­triels, ou met­tant en cause les sys­tèmes de trans­port), la san­té humaine (impact des sub­stances chi­miques notam­ment), ou la pré­ser­va­tion des éco­sys­tèmes, elle-même sou­vent liée à long terme aux enjeux de san­té publique.

    ___________________________________
    1. Contac­ter Clau­dine Bouygues au 01.40.63.75.12.
    2. http://www.aschieri.net
    3. D. Ore­ch­kine, La Recherche, n° 226, nov. 1990, p. 1380–1388.
    4. Le pre­mier texte lar­ge­ment dif­fu­sé, Wey­bridge report on endo­crin dis­rup­tors, date de 1997.
    5. IFEN : L’é­tat de l’en­vi­ron­ne­ment en France, édi­tion 1994–1995, p. 330.
    6. Source : rap­port d’é­tape n° 5 « cost effec­tive control of aci­ci­fi­ca­tion and ground level ozone » réa­li­sé par l’In­ter­na­tio­nal Ins­ti­tute for Sys­tem Ana­ly­sis pour la DG XI.

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