La renaissance du Château Lagrange

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°544 Avril 1999Rédacteur : Laurens DELPECH

L’histoire du Châ­teau Lagrange, troi­sième cru clas­sé de Saint-Julien, peut appa­raître comme une vali­da­tion a pos­te­rio­ri du clas­se­ment de 1855. Voi­ci en effet un vin d’illustre ori­gine, qui était tom­bé bien bas parce que ses pro­prié­taires ne pou­vaient ou ne vou­laient s’en occu­per, et qui, depuis son rachat par Sun­to­ry, est rede­ve­nu un des tout pre­miers crus de Saint-Julien. Le par­cours récent de Lagrange montre que trois condi­tions doivent être réunies pour faire un grand vin : un grand ter­roir, les moyens d’investir en atten­dant dix ou quinze ans pour voir les pre­miers retours sur inves­tis­se­ment et une bonne stra­té­gie appli­quée sur le ter­rain par une équipe de qualité.

Le rachat par Suntory

Sun­to­ry est le pre­mier groupe japo­nais et le qua­trième mon­dial dans le domaine des bois­sons et spi­ri­tueux (avant LVMH et Per­nod-Ricard). Le groupe pro­duit des alcools (whis­ky), des soft drinks, des pro­duits ali­men­taires et du vin. C’est le pre­mier pro­duc­teur de vin japo­nais, avec un vignoble de 150 hec­tares, au pied du Fuji Yama. Par ailleurs, Sun­to­ry dis­tri­bue au Japon plus de quatre cent mille caisses par an de vins et de cham­pagnes français.

Cette bonne connais­sance du monde du vin a ame­né Sun­to­ry à s’intéresser à l’acquisition de vignes en France, non pas pour des rai­sons spé­cu­la­tives mais avec une vision à long terme. Sun­to­ry a rache­té Lagrange en 1983 pour 54 mil­lions de francs et a inves­ti dans la pro­prié­té, depuis cette date, plus de 200 mil­lions de francs. Les pre­miers pro­fits ne sont pas atten­dus avant deux ou trois ans, si tout va bien… Il faut avoir les reins solides pour déve­lop­per un grand cru du Médoc…

Un terroir d’exception

Lagrange s’étend sur 157 hec­tares, dont 113 hec­tares de poten­tiel de vignes sur graves “ gunt­ziennes ” par­ti­cu­liè­re­ment adap­tées à la pro­duc­tion de grands vins. Ces 157 hec­tares d’un seul tenant en font un des plus grands domaines du Médoc. En 1983, sur les 157 hec­tares du domaine, seuls 57 étaient plan­tés de vignes, moi­tié mer­lot et moi­tié caber­net-sau­vi­gnon. Une pro­por­tion tout à fait inha­bi­tuelle à Saint-Julien. Lors des replan­ta­tions, qui se sont éche­lon­nées de 1985 à 1988, l’objectif a été d’obtenir une pro­por­tion de cépages plus en har­mo­nie avec le ter­roir. Il y a aujourd’hui 113 hec­tares de vignes, dont 66 % de caber­net-sau­vi­gnon, 27 % de mer­lot et 7 % de petit verdot.

Les méthodes cultu­rales pri­vi­lé­gient la recherche de la qua­li­té. Le choix de clones et de porte-greffes adap­tés au sol de Lagrange, la pra­tique d’une taille sévère et l’habitude de l’éclaircissage en juillet, pour éli­mi­ner les grappes excé­den­taires, per­mettent de pro­duire peu pour récol­ter une belle matière pre­mière, bien concen­trée. Les ven­danges sont manuelles, pour une meilleure sélec­tion des grappes arri­vées à pleine matu­ri­té et le tri est fait dans les vignes, avant l’envoi au cuvier, pour éli­mi­ner les grappes défectueuses.

De nou­veaux chais d’une super­fi­cie de 2 800 mètres car­rés ont été construits. Il y a 56 cuves, ce qui per­met de faire des sélec­tions en fonc­tion des ter­roirs, des cépages et de l’âge des par­celles, ce qui est évi­dem­ment un atout au moment de l’assemblage. Ce n’est qu’après dégus­ta­tion du conte­nu de chaque cuve qu’est assem­blé le vin de Lagrange. En rai­son du nombre impor­tant de jeunes vignes, consé­quence de la poli­tique de replan­ta­tion, l’élaboration d’un Second Vin “ Les Fiefs de Lagrange ” s’est imposée.

Lagrange est éle­vé pen­dant seize à vingt mois pour 60% dans des fûts de chêne neufs et pour 40 % dans des fûts ayant déjà connu un vin. Les Fiefs subissent un éle­vage com­pa­rable, mais la pro­por­tion de bois neuf est moindre (15 %). Le chai, d’une capa­ci­té de plus de 6 000 bar­riques est cli­ma­ti­sé. Lagrange dis­pose de sa propre chaîne d’embouteillage, un fait assez rare pour être signa­lé, ce qui per­met de veiller jusqu’au bout au contrôle de la qualité…

Le vin

À tra­vers les varia­tions des mil­lé­simes, Lagrange est un vin de longue garde, bien typé Saint-Julien : riche et mûr, avec un beau sub­strat tan­nique et une pointe d’acidité qui garan­tit la fraî­cheur et l’équilibre.

Voi­ci nos com­men­taires sur un cer­tain nombre de mil­lé­simes du grand vin et du second vin.

  • Fiefs de Lagrange 1996
    Rouge bor­deaux. Nez intense avec des nuances grillées, presque fumées et une légère pointe ani­male. Attaque douce, évo­lu­tion tan­nique bien équi­li­brée qui se ter­mine sur une finale savou­reuse avec des nuances de fruit. Beau­coup de puis­sance dans ce vin pro­mis à un bel avenir.
  • Fiefs de Lagrange 1993
    Rouge bor­deaux. Nez d’intensité moyenne avec des arômes de bour­geons de cas­sis. Attaque nette, les tanins sont légè­re­ment aus­tères. Per­sis­tance fumée évo­quant le caber­net avec une note florale.
  • Châ­teau Lagrange 1996
    Rouge sombre. Bonne inten­si­té. Nez frui­té, fine­ment boi­sé, avec des notes cho­co­la­tées. Attaque souple et grasse (forte pro­por­tion de mer­lot dans l’assemblage) qui se déve­loppe en bouche sur de beaux tanins bien mûrs, enro­bés par le bois. Finale per­sis­tante, réglis­sée, fraîche et florale.
  • Châ­teau Lagrange 1993
    Cou­leur pourpre. Nez frui­té avec des nuances de fumé et de cuir. Attaque nette et moel­leuse. Bonne concen­tra­tion. Savou­reuse per­sis­tance, avec des arômes de fruits secs, de cerise.
  • Châ­teau Lagrange 1990
    Rouge sombre, reflets noirs. Nez intense, très riche. Gelée de mûres, cas­sis, vanille, épices (poivre). Attaque nette qui se déve­loppe sur une struc­ture frui­tée avec des tanins bien équi­li­brés. Superbe finale, très com­plexe où se mêlent les saveurs de fruits et d’épices. Grand vin.

Châ­teau Lagrange,
32250 Saint-Julien-Bey­che­velle Tél. : 05.56.73.38.38.

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