La qualité des eaux en France : progrès et préoccupations

Dossier : Les eaux continentalesMagazine N°698 Octobre 2014
Par Christian FEUILLET
Par Aurélie DUBOIS
Par Laurence LACOUTURE

Des efforts qui portent leurs fruits

La pol­lu­tion des cours d’eau par les macro­pol­luants d’origine urbaine a glo­ba­le­ment dimi­nué de moi­tié depuis la fin des années 1990 (figure 1), prin­ci­pa­le­ment grâce à l’amélioration du trai­te­ment des eaux rési­duaires usées.

Tou­te­fois, mal­gré ces amé­lio­ra­tions, les ortho­phos­phates et l’ammonium ne res­pectent pas, loca­le­ment, les normes de qua­li­té défi­nies par la DCE.

L’excès de phos­phore peut être à l’origine de phé­no­mènes d’eutrophisation dans les cours d’eau et les plans d’eau.

Figure 1.
Évo­lu­tion de la pol­lu­tion des cours d’eau de métro­pole par les macro­pol­luants entre 1998 et 2012.
Source : agences de l’eau – Météo-France – MEDDE – Direc­tion de l’eau. Trai­te­ment : SOeS.

Surveiller les pollutions diffuses

Les évo­lu­tions sont moins nettes concer­nant les pol­lu­tions dif­fuses. C’est notam­ment les cas des pol­luants très majo­ri­tai­re­ment d’origine agri­cole. Ain­si, sur la décen­nie 2000, la teneur en nitrates est glo­ba­le­ment stable dans les cours d’eau (figure 2).

“ Les macropolluants d’origine urbaine ont diminué de moitié depuis la fin des années 1990 ”

Compte tenu des temps de trans­fert, elle a conti­nué à aug­men­ter dans les eaux sou­ter­raines au début des années 2000 pour se sta­bi­li­ser depuis. Une baisse semble s’amorcer depuis le début des années 2010, mais elle reste à confir­mer en rai­son de l’influence de la plu­vio­mé­trie, les nitrates étant moins pré­sents dans les eaux les années sèches.

Des pro­grès sont enre­gis­trés loca­le­ment, notam­ment dans l’ouest de la France, mais ils sont sou­vent insuf­fi­sants pour assu­rer une recon­quête de la qua­li­té des eaux et mettre un terme aux phé­no­mènes d’eutrophisation des côtes et de marées vertes. Ils sont éga­le­ment contre­ba­lan­cés par des dégra­da­tions dans d’autres secteurs.

Les enjeux de la pol­lu­tion par les nitrates sont à la fois sani­taires, condui­sant à la régle­men­ta­tion de leur teneur dans l’eau potable, envi­ron­ne­men­taux avec l’eutrophisation des cours d’eau, et éco­no­miques, la lutte contre cette pol­lu­tion indui­sant des coûts importants.

Des phytosanitaires toujours très répandus

Figure 2.
Évo­lu­tion des teneurs en nitrates dans les eaux conti­nen­tales métro­po­li­taines entre 1996 et 2012.
Évolution des teneurs en nitrates dans les eaux
Source : agences de l’eau – BRGM, banque de don­nées Ades – Réseaux RCS, RCO – Météo-France, MEDDTL/DEB – Trai­te­ment : SOeS,
note : France métro­po­li­taine, indice base 100 en 1996.

Si les pes­ti­cides sont majo­ri­tai­re­ment uti­li­sés en agri­cul­ture, ils font éga­le­ment l’objet d’un usage non agri­cole par les ges­tion­naires d’équipements ou de réseaux de trans­port, les col­lec­ti­vi­tés locales ou les particuliers.

Les sub­stances actives des pes­ti­cides et les molé­cules issues de leur dégra­da­tion, appe­lées méta­bo­lites, sont sus­cep­tibles de se retrou­ver dans les dif­fé­rents com­par­ti­ments de l’environnement (air, sol, eaux, sédi­ments, etc.) ain­si que dans les ali­ments et donc dans la chaîne ali­men­taire. Même si elles ont ini­tia­le­ment un rôle sani­taire contre les orga­nismes nui­sibles aux récoltes, elles pré­sentent in fine, par leur migra­tion dans les dif­fé­rents milieux, des dan­gers plus ou moins impor­tants pour l’homme et les éco­sys­tèmes, avec un impact immé­diat ou à long terme.

Des pro­duits phy­to­sa­ni­taires, ou leurs rési­dus, ont été détec­tés en 2011 dans 93 % des points sui­vis dans les cours d’eau et dans 63 % des points d’eaux souterraines.

Ce constat est pra­ti­que­ment le même depuis que les pre­miers bilans ont été réa­li­sés à la fin des années 1990. Cette conta­mi­na­tion est prin­ci­pa­le­ment due à des her­bi­cides en métro­pole et à des insec­ti­cides outre-mer.

“ La lutte contre les nitrates induit des coûts importants ”

Si les teneurs mesu­rées sont par­fois très faibles, elles tra­duisent néan­moins une dis­per­sion impor­tante des pes­ti­cides dans les milieux aquatiques.

Présence importante de produits de dégradation dans les eaux souterraines

En 2011, les normes de qua­li­té défi­nies dans le cadre de la DCE n’étaient pas res­pec­tées sur 4 % des points de sui­vi en cours d’eau et 18 % en eaux sou­ter­raines. Cette dif­fé­rence s’explique par des normes por­tant sur l’ensemble des pes­ti­cides dans les eaux sou­ter­raines alors qu’elles ne concernent que quelques sub­stances dans les cours d’eau, pour la plu­part déjà interdites.

On observe une dimi­nu­tion des molé­cules inter­dites dans les cours d’eau alors qu’elles per­sistent et s’accumulent dans les eaux sou­ter­raines, notam­ment sous forme de nom­breux pro­duits de dégra­da­tion (figure 3).

Figure 3.
Pes­ti­cides les plus quantifié​s dans les nappes de France métro­po­li­taine en 2011.
En pour­cen­tage d‘analyses quan­ti­fiées par substance.
Pesticides les plus quantifiés dans les nappes d'eau de France
Note : H = Herbic​ide ou son rési­du ; F = Fongicide.
Source : agences de l’eau – BRGM, banque Ades – Mesures sur réseaux DCE, RCS et RCO. Trai­te­ment : SOeS, 2013.

Micropolluants et polluants émergents

D’autres micro­pol­luants, uti­li­sés lors de pro­ces­sus indus­triels ou entrant dans la com­po­si­tion de nom­breux pro­duits d’usage indus­triel, agri­cole ou domes­tique, sont très pré­sents dans les milieux aqua­tiques, même s’ils le sont un peu moins que les pesticides.

“ Des molécules interdites persistent et s’accumulent dans les eaux souterraines ”

C’est le cas des hydro­car­bures aro­ma­tiques poly­cy­cliques (HAP) qui, du fait de leur toxi­ci­té, sont sou­mis à des normes de qua­li­té très strictes et qui, dans les cours d’eau, les dépassent fréquemment.

Leurs ori­gines, dif­fuses et mul­tiples comme la com­bus­tion de bois ou d’hydrocarbures, ain­si que le poids de cer­taines pol­lu­tions indus­trielles his­to­riques, en font une pol­lu­tion ubi­quiste et dif­fi­ci­le­ment maîtrisable.

Les eaux sou­ter­raines sont moins tou­chées. Des com­po­sés phé­no­liques et des com­po­sés orga­no­ha­lo­gé­nés vola­tils (COHV) sont néan­moins mesu­rés sur 17 % des points de sui­vi des nappes.

Les « pol­luants émer­gents » font l’objet d’une pré­oc­cu­pa­tion récente même si leur usage est par­fois ancien. Ils ont fait l’objet de cam­pagnes de mesures en 2011 et 2012 afin de mieux cer­ner leur pré­sence dans les milieux aquatiques.

Ces sub­stances, jusqu’alors peu sur­veillées, relèvent d’usages très variés : médi­ca­ments, sub­stances à usage indus­triel ou domes­tique comme les cos­mé­tiques, sub­stances dan­ge­reuses à usages mul­tiples, listes com­plé­men­taires de pes­ti­cides, etc.

Suivre la flore et la faune

Traitement des cultures.
Trai­te­ment des cultures.

La flore (phy­to­planc­ton, diato­mées, macro­phytes) et la faune (inver­té­brés, pois­sons) sont des élé­ments à part entière du sui­vi de la qua­li­té des eaux de sur­face. Sur la période 2009–2010, près de 56 % des points de sui­vi de la qua­li­té pis­ci­cole des cours d’eau pré­sentent un bon, voire un excellent état.

Depuis 2001, l’évolution reste rela­ti­ve­ment stable, avec tou­te­fois une légère amé­lio­ra­tion les der­nières années. De fortes dis­pa­ri­tés existent cepen­dant entre les bas­sins hydrographiques.

Outre la qua­li­té chi­mique et phy­si­co­chi­mique de l’eau, les pois­sons sont sen­sibles au régime hydro­lo­gique et à l’état phy­sique des cours d’eau.

La France dans la moyennne européenne

En 2013, 44 % des masses d’eau de sur­face étaient en bon état éco­lo­gique et 50 % en bon état chi­mique. Paral­lè­le­ment, 67 % des masses d’eau sou­ter­raine avaient atteint le « bon état chi­mique » (figure 4).

Tou­te­fois, compte tenu de connais­sances encore par­tielles et d’une sur­veillance qui ne peut être exhaus­tive, la qua­li­fi­ca­tion de l’état éco­lo­gique des masses d’eau de sur­face est mar­quée par une forte incer­ti­tude, avec la moi­tié de ces masses d’eau qua­li­fiées avec un faible niveau de confiance.

“ La moyenne européenne cache une grande disparité ”

Par ailleurs, les métho­do­lo­gies d’évaluation de l’état et les réfé­ren­tiels (masses d’eau, seuils d’interprétation, etc.) évo­luent en fonc­tion des connais­sances acquises. Si ces évo­lu­tions concourent à une meilleure appré­cia­tion de l’état des milieux aqua­tiques, elles peuvent rendre dif­fi­cile, voire impos­sible, la com­pa­rai­son dans le temps des dif­fé­rents états des lieux.

Si l’on se réfère à l’évaluation 2009, pour laquelle des don­nées sont dis­po­nibles pour l’ensemble de l’UE, la pro­por­tion des eaux de sur­face fran­çaises en bon état éco­lo­gique (41,4 %) est com­pa­rable à la moyenne euro­péenne de 38,8 %.

En revanche, la situa­tion des eaux sou­ter­raines fran­çaises est moins bonne qu’au niveau euro­péen, où 80 % d’entre elles sont en bon état chi­mique, contre 59 % en France. La moyenne euro­péenne cache tou­te­fois une grande disparité.

Mal­gré des cri­tères d’évaluation défi­nis par la direc­tive-cadre euro­péenne (DCE), les approches peuvent être assez dif­fé­rentes d’un pays à l’autre, tant dans la façon de décrire les masses d’eau que dans la manière de rap­por­ter leur état.

Figure 4.​
État éco­lo­gique et chi­mique des masses d‘eau de sur­face et sou­ter­raines fran­çaises en 2013.
État éco­lo­gique des masses d’eau de sur­face fran­çaises en 2013 État chi­mique des masses d’eau de sur­face fran­çaises en 2013 État chi­mique des masses d’eau sou­ter­raine fran­çaises en 2013
Note : état des lieux 2013, à par­tir des don­nées de 2011 de la France entière, hors Gua­de­loupe, Mar­ti­nique et Mayotte. L’état quan­ti­ta­tif des eaux sou­ter­raines est pré­sen­té dans la par­tie du rap­port consa­crée aux res­sources natu­relles (voir chap. “Res­source en eau”). Source : Agences de l’eau – offices de l’eau – One­ma, mars 2014. Trai­te­ment : SOeS, 2014.

Prélèvement d’eau en rivière.
Pré­lè­ve­ment d’eau en rivière.

POUR EN SAVOIR PLUS

Les infor­ma­tions pré­sen­tées dans le pré­sent article sont déve­lop­pées dans le rap­port sur l’état de l’environnement 2014, publié en sep­tembre 2014 par le Ser­vice de l’observation et des sta­tis­tiques (SOeS) du minis­tère de l’Écologie, du Déve­lop­pe­ment durable et de l’Énergie.
Les don­nées uti­li­sées sont issues du sys­tème d’information sur l’eau (SIE).
Sites Inter­net : Eau­france, le por­tail de l’Eau
Ser­vice de l’Observation et des Statistiques
L’essentiel sur l’environnement :
– Rubrique > Milieux > Eau.

Commentaire

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19740234répondre
20 octobre 2014 à 7 h 21 min

La qua­li­té des publi­ca­tions de « La jaune et la rouge » ?

Auteur du com­men­taire : Anne Spi­te­ri (74)

Je suis très cho­quée par le manque d’es­prit cri­tique, d’in­dé­pen­dance et d’ou­ver­ture de cet article de « La jaune et la rouge » sur la qua­li­té des eaux (on n’é­voque même pas le manque de per­ti­nence des sta­tis­tiques et gra­phiques pré­sen­tés avec la dés­in­for­ma­tion qui en résulte, ni le manque de per­ti­nence de la défi­ni­tion et du cal­cul d’un « bon état chi­mique » sim­pliste et réduc­teur inca­pable de tra­duire la réa­li­té de la conta­mi­na­tion chi­mique et de la toxi­ci­té des eaux et qui ne prend même pas en compte les cock­tails de sub­stances, etc.). Pas de scien­ti­fiques inter­ro­gés sur le sujet ?
C’est d’au­tant plus cho­quant que « La jaune et la rouge » publiait en novembre 2011 l’ar­ticle Faut-il mesu­rer l’en­vi­ron­ne­ment ? où le chef du SOeS de l’é­poque recon­nais­sait lui-même « la qua­li­té des résul­tats laisse sans doute à dési­rer dans cer­tains cas ; elle est en deçà de ce qu’on peut trou­ver en sta­tis­tiques éco­no­miques et sociales ou en don­nées scien­ti­fiques. Il fau­dra à l’avenir recou­rir à des méthodes de mesure plus rigou­reuses pour amé­lio­rer la pré­ci­sion des résul­tats ». Selon moi, le terme par­ti­cu­liè­re­ment vague « dans cer­tains cas » concerne for­cé­ment au moins l’eau, l’in­ter­view ayant été réa­li­sé après la publi­ca­tion du site Eau-Evo­lu­tion et de ses cri­tiques étayées sur la sur­veillance et l’é­va­lua­tion de l’é­tat réel des eaux…

Dans ces condi­tions, je pense indis­pen­sable de com­plé­ter la rubrique « POUR EN SAVOIR PLUS » ; vous trou­ve­rez ci-des­sous quelques liens don­nant le point de vue indé­pen­dant d’une poly­tech­ni­cienne qui a été char­gée de mis­sion eau à l’I­fen (ex SOeS) avant sa trans­for­ma­tion en ser­vice sta­tis­tique SOeS du Minis­tère de l’écologie :

L’eau, tou­jours source de vie ? L’é­tat réel des eaux et des don­nées sur l’eau : Une syn­thèse indé­pen­dante, réa­li­sée à par­tir des don­nées brutes publiques dis­po­nibles, sur l’é­tat réel des eaux et sur les pro­blé­ma­tiques de la sur­veillance et de l’é­va­lua­tion de cet état. Ce docu­ment porte un inté­rêt tout par­ti­cu­lier sur la pol­lu­tion chi­mique géné­ra­li­sée et sur les aspects glo­baux et cumu­lés des dégra­da­tions. Il montre que les infor­ma­tions publiques sont défi­cientes par rap­port aux enjeux et aux don­nées exis­tantes, elles-mêmes très par­tielles et insuffisantes.

Atlas et livre noir de la qua­li­té de l’eau en France : Un livre noir de la qua­li­té de l’eau en France à tra­vers un atlas de cartes de qua­li­té des eaux super­fi­cielles et sou­ter­raines et des sédi­ments. Ces cartes des pol­lu­tions par les macro­pol­luants ou les micro­pol­luants chi­miques, ain­si que de leur mesure, montrent l’am­pleur des dégra­da­tions de l’é­tat des eaux. Elles montrent aus­si l’in­ca­pa­ci­té de l’E­tat à pro­té­ger et à sur­veiller effi­ca­ce­ment la res­source en eau pour­tant décla­rée patri­mo­niale depuis 1992.

Les grandes faillites de l’E­tat sur l’eau et les milieux aqua­tiques : Les grandes faillites de l’E­tat sur l’eau et les milieux aqua­tiques sont au nombre de quatre. Ces man­que­ments concernent la pro­tec­tion de la res­source patri­mo­niale en eau, la sur­veillance (don­nées brutes) de la res­source patri­mo­niale en eau, l’in­for­ma­tion sur l’é­tat réel de la res­source patri­mo­niale en eau, et la révi­sion de nos modèles archaïques de pres­sion agri­cole, indus­trielle et domes­tique afin de les rendre durables.

Et pour les ama­teurs, on ne peut pas pas­ser sous silence le der­nier livre de Marc Lai­mé Le lob­by de l’eau (« Le lob­by de l’eau c’est moins d’une cen­taine de per­sonnes en France, élus demi-soldes de la poli­tique natio­nale, mais véri­tables « barons de l’eau », hauts fonc­tion­naires des grands corps de l’Etat, membres d’associations socio pro­fes­sion­nelles du sec­teur, repré­sen­tants de l’agriculture, de l’industrie, de l’énergie, des mul­ti­na­tio­nales fran­çaises de l’eau, des ins­ti­tuts de recherche spé­cia­li­sés… Omni­pré­sents, mono­po­li­sant toutes les ins­tances de déci­sion, éri­geant les conflits d’intérêts en mode de gou­ver­ne­ment, les membres du lob­by de l’eau ont pré­ci­pi­té une crise finan­cière, envi­ron­ne­men­tale, sani­taire, aux consé­quences catas­tro­phiques à l’horizon des toutes pro­chaines années »).

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