La Maison du lac

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°573 Mars 2002Par : la Compagnie Valère Desailly, dans une mise en scène de Georges WilsonRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Il est pos­sible de pro­duire des films où il ne se passe rien et qui soient pour­tant d’un charme infi­ni. Je songe, entre autres, à cet Arbre aux sabots, qui nous enchan­ta jadis avec ses vues pai­sibles, en noir et blanc, de la cam­pagne ita­lienne. On tuait le cochon, des enfants jouaient dans une cour de ferme, le soir des­cen­dait sur un bos­quet d’yeuses chères à Virgile…

Cela est beau­coup plus dif­fi­cile au théâtre et je n’ai pas pré­sent à l’esprit d’exemples réus­sis du genre, à sup­po­ser qu’il en existe. Au théâtre de la Made­leine, Jean Desailly et Simone Valère s’y sont pour­tant essayés en mon­tant La Mai­son du lac, d’un auteur amé­ri­cain contem­po­rain, Ernest Thomp­son, dans une adap­ta­tion fran­çaise de Pol Quen­tin. N’ayant pas sous la main le texte ori­gi­nal, je ne peux savoir si cette adap­ta­tion est fidèle. Le contraire se ren­contre par­fois. En tout cas, elle est, de soi, excel­lente : les dia­logues coulent de source et chaque per­son­nage s’exprime dans le lan­gage propre à son âge et à sa condi­tion. La marque d’une solide maî­trise des deux langues.

Non seule­ment Jean Desailly et Simone Valère sont, comme d’habitude, par­faits mais les autres comé­diens (Pao­la Lan­zi, Ber­nard Car­pen­tier, Patrice Latronche, Pierre Kala­fate) montrent autant d’aisance que les deux vieux rou­tiers de la scène. Et pour­tant, on s’ennuie un peu.

Un couple âgé – l’époux fête ses quatre-vingts ans – ouvre sa mai­son de vacances au bord du lac. Elle est aus­si usée qu’eux : une porte jaillit de ses gonds si on la brusque, le télé­phone cra­chote à sou­hait. Ils attendent leur fille divor­cée et son nou­veau com­pa­gnon du moment, un den­tiste. Père et fille ont peu d’atomes cro­chus. Petite, son père l’appelait Bou­boule, car elle était aus­si large que haute. Ses idées d’adolescente, contre la peine de mort, la guerre du Viêt­nam, heur­taient son père, brave Amé­ri­cain conser­va­teur, qui n’aime rien tant que pêcher sur le lac avec son bateau, mais dont le bon sens nar­quois, tein­té d’ironie bla­sée, ne ces­saient de bles­ser la jeune fille.

La mère, éper­due de tendre ado­ra­tion devant son mari, s’efforçait, et s’efforce tou­jours, d’arrondir les angles.

Arrive la fille, maus­sade et bou­deuse, sui­vie du fils du den­tiste, le jeune Billy, ado­les­cent en bas­kets et cas­quette à l’envers, presque inca­pable de s’exprimer autre­ment que par de brèves ono­ma­to­pées, mais stu­pé­fait qu’il n’y ait pas la télé dans la mai­son du lac. Il s’en console en se tré­mous­sant au rythme de son bala­deur. Puis vient le den­tiste, tiré à quatre épingles, pas­sa­ble­ment ahu­ri par l’inconfort bon enfant du lieu.

Or voi­là que Billy se pas­sionne pour la pêche en bateau avec cette sorte de grand-père adop­tif et bour­ru que devient pour lui le vieil Amé­ri­cain. Puis tous s’en vont, et les deux vieux ferment la mai­son du lac, non sans peine à cause d’un bref inci­dent car­diaque frap­pant le père après qu’il a vou­lu col­ti­ner une caisse trop lourde.

C’est tout. C’est char­mant, ou plu­tôt, ce serait char­mant s’il s’agissait d’un roman, disons d’une longue nou­velle, à la façon inti­miste d’une Kathe­rine Mans­field pour res­ter dans l’orbite anglo-saxonne. Mais j’ai peur que cela ne suf­fise pas à faire du bon théâtre, robuste et consistant.

Cer­tains cri­tiques ont cru devoir attri­buer ce demi-échec à la mise en scène. Elle est de Georges Wil­son, et je ne vois pas, pour ma part, ce qu’on peut lui repro­cher, à moins que, défor­més par de fré­quentes extra­va­gances, les cri­tiques en viennent à confondre sim­pli­ci­té et platitude.

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