La France, élève médiocre mais en progrès de la classe européenne

Dossier : L’administrationMagazine N°682 Février 2013
Par Jérôme VIGNON (64)

On évoque volon­tiers la masse légis­la­tive euro­péenne qui s’applique dans notre pays. On s’intéresse plus rare­ment à la qua­li­té de sa mise en oeuvre, un point pour­tant essen­tiel, puisque, hor­mis dans le domaine agri­cole, la grande majo­ri­té de la légis­la­tion euro­péenne n’est pas direc­te­ment applicable.

Elle se pré­sente sous la forme de « direc­tives », autre­ment dit de lois dont les moda­li­tés pré­cises demandent à être « trans­po­sées » dans la légis­la­tion natio­nale. Le droit euro­péen, une fois adop­té par le légis­la­teur, Par­le­ment euro­péen et Conseil des Ministres, s’impose au droit natio­nal selon une ancienne juris­pru­dence du Conseil d’État : c’est ce qui fait dire par­fois que l’ordre juri­dique euro­péen a des aspects fédéraux.

Mais l’exécutif natio­nal est ensuite res­pon­sable de l’inscription des direc­tives dans le droit fran­çais, ce qui s’accomplit le plus sou­vent par voie réglementaire.

REPÈRES
On dis­tingue deux caté­go­ries d’actes légis­la­tifs euro­péens : les règle­ments, nom­breux dans le domaine finan­cier, qui s’appliquent direc­te­ment, et les direc­tives qui défi­nissent des prin­cipes ou des obli­ga­tions dont la mise en œuvre demande une tra­duc­tion (trans­po­si­tion) dans la légis­la­tion nationale.

Des rapports annuels au Parlement européen

« Gar­dienne de l’application des trai­tés euro­péens », la Com­mis­sion euro­péenne doit veiller à ce que ces trans­po­si­tions soient effec­tives dans tous les États membres, pas­sé un délai que pré­cise chaque direc­tive. Il y va non seule­ment de l’égalité de concur­rence entre les États, mais aus­si de la citoyen­ne­té euro­péenne basée sur l’existence des droits ouverts par ces direc­tives dans toute l’Union.

Entre 2005 et 2009 la France gagne trois places au clas­se­ment des meilleures per­for­mances européennes

Depuis que ses pou­voirs légis­la­tifs ont été ren­for­cés, le Par­le­ment euro­péen, qui incarne la citoyen­ne­té euro­péenne, exige de la Com­mis­sion des rap­ports annuels publics, régu­liers et pré­cis sur « l’application du droit communautaire ».

De l’examen du plus récent de ces rap­ports qui porte sur l’année 2011 il est dif­fi­cile de ne pas rete­nir l’impression que notre pays se classe plu­tôt dans les moins bons élèves. À chaque stade du contrôle de qua­li­té (voir enca­dré sur l’organisation juri­dique de ce contrôle), la France est mal pla­cée : onzième pour le retard à la trans­po­si­tion des direc­tives avec trente textes en souf­france fin 2011, elle est qua­trième pour le nombre de plaintes dépo­sées pour mau­vaise appli­ca­tion des direc­tives, cin­quième avec 95 pro­cé­dures d’infraction en cours (y com­pris les retards de trans­po­si­tion), seconde dans la caté­go­rie des grands États membres avec 7 condam­na­tions pro­non­cées par la Cour de jus­tice après sai­sine de la Com­mis­sion européenne.

Des progrès notables

Il y a dix ans, la situa­tion était encore plus défa­vo­rable : nous étions alors en tête par­mi les cinq plus grands pays pour le nombre de dos­siers d’infractions (191) comme pour le nombre « d’avis moti­vés » (125), second der­rière l‘Italie pour le nombre de sai­sines de la Cour de jus­tice (53).

Amendes salées
Nos retards nous ont valu cer­taines condam­na­tions spec­ta­cu­laires, car assor­ties d’astreintes finan­cières : ain­si de la non-appli­ca­tion de la direc­tive sur la pro­tec­tion des oiseaux sau­vages (appli­cable en 1984, pre­mier juge­ment de la Cour en 1988, amende de 108 000 euros par jour en 1998), ou encore, amende pour la non-appli­ca­tion des mesures de contrôle des­ti­nées à la pro­tec­tion des réserves de pêche (direc­tive appli­cable en 1984, pre­mier juge­ment de la Cour en 1991, astreinte de 305 000 euros par jour ayant conduit à la mise en oeuvre cor­recte des contrôles en 2001).

Au cours de la der­nière décen­nie cepen­dant, le Secré­ta­riat géné­ral des Affaires euro­péennes (SGAE) char­gé de coor­don­ner l’application des règles euro­péennes par les dif­fé­rents minis­tères fran­çais a accom­pli des efforts notables pour dimi­nuer les retards et réduire, en coopé­ra­tion avec la Com­mis­sion, les cas de mau­vaise appli­ca­tion : entre 2005 et 2009 la France gagne trois places au clas­se­ment des meilleures per­for­mances européennes.

Aujourd’hui l’environnement ne semble plus être la cause prin­ci­pale des pro­cé­dures d’infraction impu­tables à la France mais plu­tôt la fis­ca­li­té avec 19 % des cas recen­sés fin 2011, avant l’environnement (16 %), le mar­ché inté­rieur et les trans­ports, cha­cun pour 14 %.

En cause, la déli­cate mise en oeuvre de la libé­ra­li­sa­tion de l’énergie et des télé­com­mu­ni­ca­tions qui s’accommode mal de taxa­tions spé­ci­fiques péna­li­sant des opé­ra­teurs extérieurs.

Pesanteurs politiques

À regar­der de près les cas lourds de mau­vaise appli­ca­tion du droit com­mu­nau­taire sur une plus longue période, on peut faire l’hypothèse que nos dys­fonc­tion­ne­ments ne tiennent pas à des négli­gences admi­nis­tra­tives ou à une insuf­fi­sance de moyens. Selon l’OCDE, la France reste par­mi les pre­miers pays pour l’importance de sa fonc­tion publique (22% de la popu­la­tion active, dont 46 % au titre de l’administration cen­trale en 2005).

Un écho de nos dif­fi­cul­tés à mener les réformes de structure

Les cas les plus dif­fi­ciles reflètent les pro­tec­tions dont béné­fi­cient cer­taines pro­fes­sions pro­té­gées, y com­pris les postes de res­pon­sa­bi­li­té dans la fonc­tion publique, qui, en dehors des domaines réga­liens, sont en prin­cipe acces­sibles aux Euro­péens de diplôme comparable.

Ils sont aus­si liés à l’influence dont jouissent encore cer­tains groupes de pres­sion auprès de leur minis­tère de « tutelle ». Mais ce der­nier cas devrait être nuancé.

En matière d’environnement, les accords conclus à Bruxelles par le Conseil des ministres avec le sou­tien de la France n’ont pas tou­jours été pré­cé­dés d’études d’impact suf­fi­santes reflé­tant la réa­li­té des situa­tions locales et le temps néces­saire à des adap­ta­tions complexes.

Les dif­fi­cul­tés de la France en matière de trans­po­si­tion du droit euro­péen appa­raissent sou­vent comme un écho de ses dif­fi­cul­tés internes à mener les réformes de struc­ture conçues loin de la base.

Une sur­veillance stric­te­ment définie

La sur­veillance par la Com­mis­sion euro­péenne de l’application cor­recte du droit euro­péen par les États membres obéit à des règles juri­diques strictes défi­nies aux articles 258 et 260 du Trai­té sur le fonc­tion­ne­ment de l’UE (TFUE). Dans une phase pré­con­ten­tieuse (art 250), la Com­mis­sion est sus­cep­tible d’ouvrir une pro­cé­dure d’infraction à l’encontre d’un État membre pour « défaut d’application » de la légis­la­tion euro­péenne, essen­tiel­le­ment le retard de trans­po­si­tion ou la mau­vaise trans­po­si­tion d’une directive.

Les cas de mau­vaise trans­po­si­tion sont déce­lés par la Com­mis­sion le plus sou­vent sur base de plaintes reçues, éma­nant de tout citoyen d’un État s’estimant vic­time d’une mau­vaise appli­ca­tion, soit sur base d’une enquête menée à son ini­tia­tive. Si la plainte semble vali­dée par les expli­ca­tions four­nies par l’État membre, la Com­mis­sion émet « une mise en demeure » qui ouvre une phase de négo­cia­tion avec l’État membre pour lui per­mettre de prendre des dis­po­si­tions correctrices.

À défaut de cor­rec­tifs suf­fi­sants, la Com­mis­sion émet un avis moti­vé annon­çant l’imminence d’une sai­sine de la Cour de jus­tice. Un délai s’ouvre au terme duquel démarre éven­tuel­le­ment la pro­cé­dure conten­tieuse. La Com­mis­sion sai­sit la Cour, si encore néces­saire. C’est la Cour et non la Com­mis­sion qui juge s’il y a eu en effet mau­vaise appli­ca­tion du droit européen.

En cas de résis­tance per­sis­tante d’un État, une seconde sai­sine est pos­sible de la part de la Com­mis­sion sur base de l’article 260 du Trai­té (TFUE). Elle est alors assor­tie de pro­po­si­tions de sanc­tions finan­cières que seule la Cour est habi­li­tée à déci­der. Ces sanc­tions ou astreintes sont cal­cu­lées en fonc­tion de la gra­vi­té et de la durée de l’infraction. Elles peuvent être très lourdes et conduisent géné­ra­le­ment à un règle­ment du litige.

Commentaire

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Louis Mol­la­retrépondre
11 février 2013 à 17 h 58 min

article de Jérôme Vignon sur les direc­tives euro­péennes
Ques­tion :
Les amendes salées sont-elles effec­ti­ve­ment payées (ex. non-appli­ca­tion des mesures de contrôle des­ti­nées à la pro­tec­tion des réserves de pêche) ?
Merci
LM

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