La forêt, le bois et l’effet de serre

Dossier : Le bois (suite)Magazine N°581 Janvier 2003
Par Alain CHAUDRON (70)
Par Cyril LOISEL (93)

“Le bois contri­bue à la réduc­tion de l’effet de serre en sto­ckant dura­ble­ment dans les construc­tions le gaz car­bo­nique absor­bé par la forêt. ” (Charte bois-construc­tion-envi­ron­ne­ment, 28 mars 2001)

L’effet de serre1 et le gaz carbonique

Le Groupe inter­gou­ver­ne­men­tal d’ex­perts sur l’É­vo­lu­tion du Cli­mat (GIEC) a publié en 2001 son troi­sième rap­port d’é­va­lua­tion2 (le pré­cé­dent datait de 1995). Ce docu­ment met en avant la cor­ré­la­tion qui existe entre l’aug­men­ta­tion du taux de gaz car­bo­nique (CO2) dans l’at­mo­sphère depuis le début de l’ère indus­trielle et l’aug­men­ta­tion des tem­pé­ra­tures moyennes.

Il montre aus­si que, dans l’hy­po­thèse où l’on par­vien­drait à rame­ner en cent ans les émis­sions de CO2 d’o­ri­gine humaine à leur niveau de 1990, la concen­tra­tion de CO2 dans l’at­mo­sphère et la tem­pé­ra­ture moyenne conti­nue­raient tou­te­fois d’aug­men­ter, à cause de l’i­ner­tie du sys­tème cli­ma­tique, avant de se sta­bi­li­ser à des niveaux supé­rieurs à ceux d’au­jourd’­hui (cf. enca­dré 1). D’où l’im­por­tance et l’ur­gence de cette mesure…

Le gaz car­bo­nique émis dans l’at­mo­sphère, essen­tiel­le­ment par suite de la com­bus­tion d’éner­gie fos­sile, est pour une par­tie fixé par les océans ou la végé­ta­tion ter­restre, grâce à la pho­to-syn­thèse. Le bilan annuel du CO2 dans l’at­mo­sphère est le sui­vant3 (voir aus­si enca­dré 2 pour une pré­sen­ta­tion graphique) :

Bilan moyen annuel du CO2 de 1980 à 1989 et de 1989 à 1998, expri­mé en Gt C/an
(les erreurs indi­quées cor­res­pondent à un inter­valle de confiance de quatre-vingt-dix pour cent)
19​80–1989 1989–19​98
1) Émis­sions dues à l’utilisation des com­bus­tibles fos­siles et à la pro­duc­tion de ciment 5,5 ± 0,5 6,3 ± 0,6 (a)
2) Sto­ckage dans l’atmosphère 3,3 ± 0,2 3,3 ± 0,2
3) Fixa­tion par l’océan 2,0 ± 0,8 2,3 ± 0,8
4) Fixa­tion ter­restre nette = (1) – [(2)+(3)] 0,2 ± 1,0 0,7 ± 1,0
5) Émis­sions dues aux chan­ge­ments d’affectation des terres 1,7 ± 0,8 1,6 ± 0,8 (b)
6) Fixa­tion ter­restre rési­duelle = (4) + (5) 1,9 ± 1,3 2,3 ± 1,3
(a) Il y a lieu de noter que les deux décen­nies consi­dé­rées se che­vauchent sur l’année 1989.
(b) Il s’agit des émis­sions moyennes annuelles pour 1989–1995, années pour les­quelles on dis­pose de données.
N .B . : les émis­sions dues aux chan­ge­ments d’affectation des terres pro­viennent essen­tiel­le­ment de la défo­res­ta­tion tropicale.

Les forêts puits de carbone

Les éco­sys­tèmes ter­restres jouent un rôle impor­tant dans le cycle mon­dial du car­bone en rete­nant le car­bone dans la bio­masse vivante et morte, dans les matières orga­niques en décom­po­si­tion et dans les sols.

Les pro­ces­sus de pho­to­syn­thèse, de res­pi­ra­tion, de trans­pi­ra­tion, de décom­po­si­tion et de com­bus­tion entre­tiennent la cir­cu­la­tion natu­relle du car­bone entre les éco­sys­tèmes et l’at­mo­sphère. Les forêts repré­sentent 80 à 90 % du car­bone sto­cké dans la végé­ta­tion terrestre.

Toutes les forêts sont des réser­voirs de car­bone.

Lorsque le stock de car­bone aug­mente, le flux net de l’at­mo­sphère vers l’é­co­sys­tème est posi­tif : on parle alors de puits de car­bone.

Dans l’autre sens, on parle de source de car­bone.

En 19914, les stocks de car­bone dans la forêt fran­çaise métro­po­li­taine (cou­vrant alors 14,5 Mha) étaient esti­més à 2 000 MtC (mil­lions de tonnes de carbone) :

  • 860 MtC, soit 59 tC/ha en moyenne5, dans la bio­masse aérienne et souterraine ;
  • 1 140 MtC, soit 79 tC/ha en moyenne, dans la litière et les sols.

Le stock dans les pro­duits bois a été esti­mé6 à 54 MtC ; le volume de bois enfoui dans les décharges est du même ordre de gran­deur. Une étude en cours dans le cadre du pro­gramme « Ges­tion des impacts des chan­ge­ments cli­ma­tiques » (GICC), confiée au Centre tech­nique du bois et de l’a­meu­ble­ment (CTBA), devrait per­mettre de pré­ci­ser ces chiffres.

Enca­dré 1
La concen­tra­tion de CO2, la tem­pé­ra­ture et le niveau des mers conti­nuent d’augmenter long­temps après les réduc­tions d’émissions.
(extrait de : Sum­ma­ry for Poli­cy­ma­kers to Cli­mate Change 2001 : Syn­the­sis Report of the IPCC Third Assess­ment Report, IPCC, sep­tembre 2001)

L’é­va­lua­tion des flux de car­bone liés à la bio­masse, aux sols fores­tiers et aux pro­duits bois est assez délicate :

  • pour la bio­masse aérienne, la com­pa­rai­son des don­nées de l’In­ven­taire fores­tier natio­nal (IFN) amène à la conclu­sion d’une aug­men­ta­tion de 10,5 MtC/an pen­dant la période 1980–1990 (l’IFN couvre chaque année envi­ron 10 % des dépar­te­ments fran­çais, ce qui explique que les der­nières sta­tis­tiques agré­gées au plan natio­nal concernent les années 1990) ;
  • pour les sols, quelques esti­ma­tions pour­ront pro­ve­nir à l’a­ve­nir des com­pa­rai­sons des don­nées du Réseau natio­nal de sui­vi à long terme des éco­sys­tèmes fores­tiers (RENECOFOR) ;
  • pour les pro­duits bois, il n’existe pas de dis­po­si­tif de sui­vi natio­nal de l’é­vo­lu­tion des stocks. La durée de vie des pro­duits, avant com­bus­tion ou décom­po­si­tion en décharge, varie de quelques semaines pour le papier jour­nal à quelques siècles pour les plus belles char­pentes… En France, la durée de vie moyenne des pro­duits bois, hors papiers et car­tons, a été esti­mée à dix-huit ans.

L’u­ti­li­sa­tion des pro­duits bois per­met bien de séques­trer du car­bone pen­dant un cer­tain temps. Mais elle per­met aus­si d’en éco­no­mi­ser, puisque la fabri­ca­tion des pro­duits de sub­sti­tu­tion (métaux, ciment, plas­tique…) émet beau­coup plus de gaz à effet de serre. En quelque sorte, on gagne sur les deux tableaux.

De même, l’u­ti­li­sa­tion du bois-éner­gie est un sub­sti­tut aux éner­gies fos­siles et per­met de réduire les émis­sions nettes de gaz à effet de serre.

La com­bus­tion du bois ne dégage pas plus de CO2 que l’arbre n’en a pré­le­vé dans l’at­mo­sphère pour gran­dir. C’est une bonne valo­ri­sa­tion des pro­duits d’é­clair­cie de la forêt, des sous-pro­duits de l’in­dus­trie du bois et des pro­duits en fin de vie, sans contri­bu­tion nette à l’ef­fet de serre.

L’en­ca­dré 3 illustre les consé­quences de tous ces éléments.

La prise en compte de la forêt dans le Protocole de Kyoto

La Conven­tion cadre des Nations unies sur les chan­ge­ments cli­ma­tiques, qui est entrée en vigueur en 1994, a pour objec­tif de sta­bi­li­ser les concen­tra­tions de gaz à effet de serre dans l’at­mo­sphère à un niveau non dan­ge­reux pour l’humanité.

Enca­dré 2
(extrait de : Forêt et chan­ge­ment cli­ma­tique, l’essentiel en 15 pages, ONF, février 2002)

Dans le Pro­to­cole de Kyo­to à cette Conven­tion, 39 pays indus­tria­li­sés et en tran­si­tion s’en­gagent à réduire de 5,2 % en moyenne par rap­port à l’an­née 1990 leurs émis­sions de CO2 et de cinq autres gaz à effet de serre, pour la période 2008–2012.

Ce Pro­to­cole n’est pas encore entré en vigueur ; il doit au préa­lable avoir été rati­fié par 55 Par­ties, repré­sen­tant 55 % des émis­sions en 1990 des pays indus­tria­li­sés et en tran­si­tion (règle des 55/55). Au moment de la rédac­tion de cet article, l’ob­jec­tif affi­ché était qu’il entre en vigueur au moment du Som­met mon­dial du déve­lop­pe­ment durable pré­vu à Johan­nes­burg en sep­tembre 2002, dix ans après le Som­met de la Terre de Rio de Janeiro.

Les Confé­rences des Par­ties de Bonn et Mar­ra­kech (2001) ont, entre autres, pré­ci­sé les condi­tions dans les­quelles les puits de car­bone seront comp­ta­bi­li­sés dans le Pro­to­cole de Kyo­to et pour­ront venir en déduc­tion des enga­ge­ments de réduc­tion des émis­sions. Les règles sont dif­fé­rentes selon qu’il y a, ou non, chan­ge­ment d’af­fec­ta­tion des terres.

Boi­se­ment, reboi­se­ment, déboi­se­ment (avec chan­ge­ment d’af­fec­ta­tion des terres – article 3.3 du Pro­to­cole) : sous cet article, on comp­ta­bi­li­se­ra les aug­men­ta­tions de stocks de car­bone, entre 2008 et 2012, sur les ter­rains boi­sés ou reboi­sés par action directe de l’homme depuis 1990. On en dédui­ra les dimi­nu­tions de stocks de car­bone sur les ter­rains déboi­sés (défri­chés) entre 2008 et 2012.

Cet article a pour but d’en­cou­ra­ger l’ex­ten­sion des sur­faces boi­sées. Mais pour fixer le car­bone libé­ré sous forme de CO2 une année don­née par déboi­se­ment et chan­ge­ment d’af­fec­ta­tion des terres, il faut cin­quante à cent ans de crois­sance d’un boi­se­ment sur une super­fi­cie équi­va­lente7.

Bilan cumu­la­tif de la séques­tra­tion de car­bone et des émis­sions évi­tées, suite au boi­se­ment d’un ter­rain nu et à l’exploitation des arbres à maturité.
Enca­dré 3
(extrait de : Troi­sième rap­port d’évaluation du GIEC, sep­tembre 2001)

Le mode de cal­cul peut abou­tir à un bilan néga­tif pour un pays comme la France où les sur­faces fores­tières aug­mentent (plus de 80 000 ha/an, dont un peu plus de 10 000 ha de boi­se­ments), et où les stocks de car­bone aug­mentent (10,5 MtC/an) : il a donc été déci­dé que, sous cer­taines condi­tions, les éven­tuels débits pour­ront être compensés.

Ges­tion fores­tière (sans chan­ge­ment d’af­fec­ta­tion des terres – article 3.4 du Pro­to­cole) : sous cet article, on pour­ra comp­ta­bi­li­ser les aug­men­ta­tions de stocks de car­bone entre 2008 et 2012 dans les forêts gérées, en se limi­tant aux acti­vi­tés direc­te­ment dues à l’homme depuis 1990. Cette aug­men­ta­tion est pla­fon­née et la France pour­ra béné­fi­cier à ce titre d’un cré­dit de 880 000 tC/an maxi­mal (33 MtC/an pour la Fédé­ra­tion de Russie).

La prise en compte des produits bois dans le Protocole de Kyoto

Les règles en vigueur pour l’é­la­bo­ra­tion des inven­taires natio­naux des émis­sions de gaz à effet de serre favo­risent la valo­ri­sa­tion éner­gé­tique du bois puisque les émis­sions liées à la com­bus­tion de bio­masse ne sont pas comp­ta­bi­li­sées. Elles prennent éga­le­ment en compte la séques­tra­tion de car­bone dans les espaces natu­rels. Mais en revanche, elles n’ap­pré­hendent pas les efforts visant à séques­trer davan­tage de car­bone dans les pro­duits bois.

Même si tous les pays sont d’ac­cord sur le fait qu’il serait légi­time et sou­hai­table que ces efforts soient pris en compte, les avis divergent quant à l’ap­proche à retenir.

Trois approches sont dis­cu­tées dans le cadre de la Conven­tion depuis mars 1996. Il a été déci­dé en novembre der­nier à Mar­ra­kech de recon­si­dé­rer la ques­tion en 2004, lorsque seront dis­cu­tées les moda­li­tés de mise en œuvre pour la deuxième période d’en­ga­ge­ment du Pro­to­cole de Kyoto.

La pre­mière approche, dite des varia­tions de stocks, consiste à comp­ta­bi­li­ser pour chaque pays la varia­tion de stocks de car­bone, d’une part dans les forêts et, d’autre part, dans les pro­duits bois d’une période sur l’autre. Les varia­tions de stocks, reflé­tant des émis­sions ou des absorp­tions nettes de CO2, sont donc attri­buées au pays où elles ont lieu et quand elles ont lieu.

La deuxième approche, dite des flux atmo­sphé­riques, consiste à comp­ta­bi­li­ser, d’une part les absorp­tions nettes en forêt (l’ex­ploi­ta­tion du bois n’é­tant pas consi­dé­rée comme une émis­sion), et, d’autre part, les émis­sions en fin de vie des pro­duits. Cette approche attri­bue donc bien les émis­sions et absorp­tions où et quand elles ont lieu.

La troi­sième approche, dite de la pro­duc­tion, attri­bue l’ab­sorp­tion en forêt au pays où se situe la forêt et l’é­mis­sion en fin de vie des pro­duits bois quand elle a lieu, mais pour le pays où le bois a été produit.

Ces dif­fé­rentes approches ont toutes leur logique interne et per­mettent de comp­ta­bi­li­ser pour l’en­semble des pays les mêmes quan­ti­tés aux mêmes moments. Elles dif­fèrent néan­moins sur l’at­tri­bu­tion entre les pays. Ain­si, en sup­po­sant qu’une forêt néo-zélan­daise four­nisse des meubles au Japon, le bilan des émis­sions et absorp­tions comp­ta­bi­li­sées pour chaque pays sous les dif­fé­rentes approches et à chaque étape est le suivant :

Varia­tions de stock Flux atmo­sphé­riques Pro­duc­tion
Nou­velle-Zélande Japon Nou­velle-Zélande Japon Nou­velle-Zélande Japon
Absorp­tion en forêt
Exploi­ta­tion et exportation
Fin de vie du produit
+ 1​
– 1
-
+ 1
– 1
-
+ 1
-
-
-
-
– 1
+ 1
-
– 1
-
-
-

On constate que l’ap­proche des flux atmo­sphé­riques est plus avan­ta­geuse pour le pays expor­ta­teur, tan­dis que l’ap­proche par les varia­tions de stocks est favo­rable au pays impor­ta­teur. L’ap­proche par la pro­duc­tion four­nit un bilan inter­mé­diaire, mais est plus dif­fi­cile à jus­ti­fier : un pays doit comp­ta­bi­li­ser des émis­sions qui ont lieu hors de son ter­ri­toire et sur les­quelles il n’a aucune prise.

Conclusion

Sans attendre que les déci­sions soient prises au niveau inter­na­tio­nal, la France a ins­crit la pro­mo­tion du bois dans la construc­tion comme une des mesures phare du Plan natio­nal de lutte contre les chan­ge­ments climatiques.

Une Charte « bois – construc­tion – envi­ron­ne­ment » a été signée par les trois ministres concer­nés (Agri­cul­ture, Équi­pe­ment, Recherche) et par les par­te­naires des filières bois et construc­tion le 28 mars 2001. L’ob­jec­tif est d’aug­men­ter de 25 % la part du bois dans les nou­velles construc­tions d’i­ci 2010, ce qui doit per­mettre d’aug­men­ter la séques­tra­tion de 1,8 Mt de CO2 par an.

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1. Voir le numé­ro de mai 2000 de La Jaune et la Rouge.
2. Cli­mate change 2001, trois volumes et un résu­mé pour déci­deurs : voir le site http://www.ipcc.ch
3. Extrait du Rap­port spé­cial du GIEC sur l’u­ti­li­sa­tion des terres, le chan­ge­ment d’af­fec­ta­tion des terres et la fores­te­rie, Résu­mé à l’at­ten­tion des déci­deurs, 2000 (dis­po­nible sur le site cité ci-dessus).
4. DUPOUEY (J.-L.) et PIGNARD (G), Quelques pro­blèmes posés par l’é­va­lua­tion des flux de car­bone fores­tier au niveau natio­nal, Revue fores­tière fran­çaise LIII, 3–4‑2001.
5. Le record est de 180 tC/ha en région Rhône-Alpes pour des peu­ple­ments âgés de Dou­glas (coni­fère ori­gi­naire de l’ouest des États-Unis et du Canada).
6. LOCHU (S), Éva­lua­tion des quan­ti­tés de car­bone sto­cké. Rap­port à la Mis­sion inter­mi­nis­té­rielle de l’Ef­fet de serre, 1998.
7. MIES, Les col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales enga­gées dans la lutte contre les gaz à effet de serre — Mémen­to des déci­deurs, juin 1999.

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