Vue générale du site de Kinshasa, peu après l’indépendance.

Kinshasa, ma ville… état des lieux et perspectives

Dossier : L'Afrique centraleMagazine N°565 Mai 2001
Par Léon de SAINT MOULIN

Rétrospective historique

Rétrospective historique

L’ex­pan­sion urbaine de Kin­sha­sa est à situer dans le cadre mon­dial d’une crois­sance de la popu­la­tion sans pré­cé­dent. En 1800, la popu­la­tion du monde n’at­tei­gnait pas encore 1 mil­liard d’hommes. Les 2 mil­liards ont été fran­chis en 1925 et les 3 mil­liards en 1963. Le rythme s’in­ten­si­fia alors et nous avons pas­sé les 4 mil­liards en 1976, les 5 mil­liards en 1987 et les 6 mil­liards le 12 octobre 1999. L’Eu­rope qui avait consti­tué près du quart de la popu­la­tion mon­diale jusque 1940 est tom­bée à 16 % en 1980 et à 12 % aujourd’­hui. L’A­frique compte déjà 800 mil­lions d’hommes et elle est le conti­nent dont l’ex­pan­sion est la plus forte.

Année Population
1920
1940
1945
1950
1960
1966
1975
1986
2000
25 000
50 000
100 000
200 000
400 000
800 000
1 600 000
3 000 000
6 000 000

L’ex­pan­sion démo­gra­phique de Kin­sha­sa s’ins­crit dans ce contexte. La popu­la­tion de la ville a pra­ti­que­ment dou­blé huit fois depuis 1920, selon le tableau ci-contre. Cet accrois­se­ment est tel qu’il y a aujourd’­hui en vie à Kin­sha­sa plus de per­sonnes qu’on y en a enter­rées depuis le XVIe siècle et sans doute depuis l’Antiquité.

Les chiffres pré­sen­tés sont assez solides. L’Ins­ti­tut natio­nal de la sta­tis­tique a notam­ment réa­li­sé des enquêtes socio­dé­mo­gra­phiques de bonne qua­li­té en 1955, 1967 et 1975, ain­si qu’un recen­se­ment scien­ti­fique de la popu­la­tion en 19841.

De tels tra­vaux n’é­ta­blissent pas seule­ment des chiffres de popu­la­tion, mais des taux de crois­sance qui démontrent leur cohé­rence et qui per­mettent de les extra­po­ler. Le main­tien d’un rythme rapide d’ex­pan­sion, de l’ordre de 5 % par an, est en outre attes­té par l’ex­ten­sion de la super­fi­cie bâtie, qui res­sort des pho­tos aériennes et des images enre­gis­trées par satellites.

Qui construit la ville ?

Sur le plan admi­nis­tra­tif, la ville a été orga­ni­sée en 11 com­munes en 1957, pour les pre­mières consul­ta­tions élec­to­rales. Les deux com­munes de Matete et de Ndji­li y ont été inté­grées en 1959, puis celle de Lem­ba en 1966. L’or­ga­ni­sa­tion actuelle en 24 com­munes date de 1968, lorsque la ville absor­ba le sec­teur des Baté­kés et la chef­fe­rie Ban­ka­na, qui rele­vaient aupa­ra­vant du ter­ri­toire de Kasangulu.


Vue géné­rale du site de Kin­sha­sa, peu après l’indépendance. © VILLES EN DÉVELOPPEMENT (ISTED)

L’ex­ten­sion spatiale

L’ar­ticle du Père de Saint Mou­lin com­pre­nait une inter­pré­ta­tion vivante et fort inté­res­sante d’une image Spot de mars 1995 et de deux images Land­sat d’août 1978 (sai­son sèche) et 1979 (sai­son des pluies).
L’au­teur y mon­trait à quel point un connais­seur pers­pi­cace et obser­va­teur peut aujourd’­hui tirer par­ti des docu­ments issus de la télédétection.
Il sem­blait à la revue et à l’au­teur que ces docu­ments seraient faciles à obte­nir dans des délais rai­son­nables. Cela n’a pas été le cas. Or, sans ces images, et par­ti­cu­liè­re­ment la scène Spot, les com­men­taires ne pou­vaient pas être com­pris. La revue a donc pris la déci­sion de sup­pri­mer ce pas­sage, tout en le regret­tant infi­ni­ment, pour l’au­teur et pour ses lec­teurs, et pré­sente ses excuses au Père de Saint Moulin.
On retien­dra très som­mai­re­ment de l’a­na­lyse faite par l’au­teur que l’ex­ten­sion spa­tiale de la ville conti­nue mais qu’elle connaît des phases de gon­fle­ment puis de relaxa­tion qui ne coïn­cident pas avec les croîts démo­gra­phiques. Ain­si » au moment de l’in­dé­pen­dance, l’oc­cu­pa­tion de ter­rains pré­cé­dem­ment inter­dits avait dou­blé la super­fi­cie de la ville, alors que sa popu­la­tion n’a­vait aug­men­té que de 50 %. Ce n’est qu’à par­tir de 1969 que l’ex­ten­sion a repris. »
L’au­teur signale aus­si le rôle du cita­din à l’é­gard de l’en­vi­ron­ne­ment natu­rel : » Le contraste ain­si mis en relief par l’i­mage montre que le rôle de l’homme est loin d’être entiè­re­ment néga­tif dans l’é­co­lo­gie. Le Kinois déboise à la péri­phé­rie de la ville, mais il plante là où il s’ins­talle et cer­tains sites sont plus verts aujourd’­hui qu’ils ne l’é­taient avant leur urbanisation. »


Mais la ville de Kin­sha­sa a davan­tage été construite par sa popu­la­tion que par ses diri­geants. La plu­part des quar­tiers lotis depuis 1960 l’ont été sans inter­ven­tion des auto­ri­tés supé­rieures et ce sont sou­vent les habi­tants qui assurent eux-mêmes les tra­vaux néces­saires de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment et de lutte contre les éro­sions. L’au­to­ri­té urbaine a, par contre, eu le mérite de conce­voir à très grandes dimen­sions le réseau pri­maire de la ville. La cir­cu­la­tion à longue dis­tance est ain­si plus aisée que les liai­sons entre quar­tiers ne se situant pas sur les grands axes. Cela se tra­duit dans le pay­sage par les emprises très larges des voies qui forment un réseau de grand maillage per­for­mant : le bou­le­vard Lumum­ba a ori­gi­nel­le­ment été tra­cé avec une emprise de 170 mètres.

C’est sur le même modèle qu’ont été conçus l’au­to­route de la Nsele et l’a­mé­na­ge­ment de l’a­ve­nue Kasa-Vubu de Ban­da­lung­wa à Kin­tam­bo. Sur le plan socio­psy­cho­lo­gique, cette forte prio­ri­té don­née au réseau pri­maire entraîne une assez grande uni­té de l’o­pi­nion publique et une dif­fu­sion extrê­me­ment rapide des infor­ma­tions à Kinshasa.

Le rôle de la popu­la­tion dans le fonc­tion­ne­ment de la ville est tout aus­si grand que dans sa construc­tion. Bien des ser­vices publics ne sont assu­rés que par le dévoue­ment et le savoir-faire de nom­breux agents, sou­vent sans res­sources admi­nis­tra­tives et même impayés. Les trans­ports en com­mun sont, eux, essen­tiel­le­ment orga­ni­sés par des pri­vés sous la forme de camion­nettes amé­na­gées en taxi-bus.

KINSHASA : Vue de deux zones d’extension à des époques différentes de leur remplissage.
Vue de deux zones d’extension à des époques dif­fé­rentes de leur rem­plis­sage.  © VILLES EN DÉVELOPPEMENT (ISTED)

Carte-Croquis de KINSHASA

Un dynamisme vraiment humain

Cette rapide ana­lyse montre que Kin­sha­sa n’est pas seule­ment une ville en crois­sance démo­gra­phique rapide, mais un lieu de pro­fonde trans­for­ma­tion culturelle.

La popu­la­tion s’y forme à de nou­veaux modes de ges­tion col­lec­tive. Elle est assez consciente que le bien com­mun est l’en­semble des condi­tions qui per­mettent aux per­sonnes d’at­teindre mieux et plus faci­le­ment leur plein épa­nouis­se­ment. Les Kinois savent se mobi­li­ser pour des actions com­munes de pro­mo­tion de ce bien commun.

Kinshasa, ville de gaîté et d’indépendance d’esprit, lieu de transformation culturelle.
Kin­sha­sa, ville de gaî­té et d’indépendance d’esprit, lieu de trans­for­ma­tion cultu­relle. © VILLES EN DÉVELOPPEMENT (ISTED)

Mal­gré les défi­ciences, la ville de Kin­sha­sa a lar­ge­ment béné­fi­cié des conquêtes sociales du xxe siècle : le relè­ve­ment du niveau de com­pré­hen­sion des pro­blèmes de la vie, lié à la géné­ra­li­sa­tion de l’en­sei­gne­ment, une maî­trise assez large des pro­blèmes de san­té, un sens éveillé des droits de l’homme, le déve­lop­pe­ment d’un tis­su social assez dense d’as­so­cia­tions diverses, par­fois très larges, et l’ac­cep­ta­tion du plu­ra­lisme culturel.

Mais simul­ta­né­ment, de nom­breux Kinois ont décou­vert que l’ap­pa­reil de l’É­tat peut être uti­li­sé comme un ins­tru­ment de prédation.

Il n’est pas rare que des ges­tion­naires ou des déten­teurs d’une par­celle d’au­to­ri­té en abusent pour extor­quer des rede­vances indues et plus encore pour mettre à charge de l’ins­ti­tu­tion qu’ils devraient pro­mou­voir des enga­ge­ments ou des ser­vices injus­ti­fiés. Si cette pra­tique est lar­ge­ment » admise « , sa dénon­cia­tion fré­quente jusque dans les médias par des cari­ca­tures, des sketches et des groupes de dis­cus­sion indique qu’elle n’est pas légi­ti­mée. Un vrai natio­na­lisme s’en­ra­cine pro­fon­dé­ment dans la ville de Kin­sha­sa et explique sa réac­tion face à une ten­ta­tive de domi­na­tion extérieure.

L’im­por­tance des grands réseaux que nous venons de sou­li­gner ne carac­té­rise pas seule­ment la ville, mais la vie de ses habi­tants. Kin­sha­sa est une ville en mou­ve­ment. Si on peut dénom­brer 25 000 à 50 000 véhi­cules par jour sur les grands axes, c’est que plu­sieurs mil­lions de per­sonnes s’y déplacent tous les jours au rythme de l’en­sei­gne­ment, des bureaux, des affaires et des évé­ne­ments de la vie sociale. Et l’ex­ten­sion de la ville ne cesse d’al­lon­ger les réseaux sociaux.

Kin­sha­sa était la capi­tale vers laquelle conver­geaient les pro­duits du réseau flu­vial bien avant le xixe siècle, mais la colo­ni­sa­tion en a éten­du l’au­to­ri­té jus­qu’aux grands lacs à l’Est, jus­qu’à la crête de par­tage des bas­sins du Congo et du Zam­bèze au Sud-Est et jus­qu’au Kwan­go plus à l’Ouest. Capi­tale poli­tique, Kin­sha­sa est aus­si deve­nue capi­tale cultu­relle, qui fait dan­ser à son rythme non seule­ment la Répu­blique démo­cra­tique du Congo mais une bonne part de l’A­frique et de nom­breux milieux de jeunes.

Au niveau de la trans­for­ma­tion cultu­relle, le chan­ge­ment le plus pro­fond est peut-être celui de la notion de com­mu­nau­té. En beau­coup de domaines, l’in­di­vi­du y a acquis une auto­no­mie que les milieux moins urba­ni­sés ne connaissent pas. Le fait est asso­cié à une nou­velle dimen­sion de l’ap­par­te­nance sociale et à une nou­velle concep­tion de l’au­to­ri­té sociale.

Pour le Kinois comme pour l’homme de la tra­di­tion, la terre appar­tient fon­da­men­ta­le­ment à la com­mu­nau­té, mais la com­mu­nau­té est deve­nue la nation. L’au­to­ri­té publique est aus­si trans­for­mée : elle est hié­rar­chi­sée et son degré supé­rieur n’est plus local ni eth­nique, mais natio­nal. Cet élar­gis­se­ment des hori­zons et des ambi­tions s’ins­crit en outre dans une per­cep­tion de plus en plus éveillée des dimen­sions inter­na­tio­nales des pro­blèmes de la ville. Kin­sha­sa n’a pas seule­ment gran­di au niveau démo­gra­phique et à celui des réseaux sociaux. On y pense aus­si de plus en plus grand.

La conclu­sion est que, mal­gré la pau­vre­té et les déla­bre­ments plus sou­vent sou­li­gnés, Kin­sha­sa est une grande ville en pleine expan­sion. Si son ave­nir dépend aus­si de l’é­vo­lu­tion mon­diale, elle vit sur­tout par la force de ses habi­tants et par le dévoue­ment exem­plaire d’un cer­tain nombre de ses agents, aux yeux des­quels elle est une ville d’espérance.

________________________________
1. Congo belge, AIMO, Enquêtes démo­gra­phiques, fas­ci­cule n° 1, Cité Indi­gène de Léo­pold­ville (mai-juillet 1955), Léo­pold­ville, sep­tembre 1957 ; fas­ci­cule n° 2, Ter­ri­toire sub­ur­bain de Léo­pold­ville (août 1955, Matete et Ndji­li inclus), Léo­pold­ville, octobre 1957. Ins­ti­tut natio­nal de la sta­tis­tique, Étude socio­dé­mo­gra­phique de Kin­sha­sa 1967, Rap­port géné­ral, Kin­sha­sa, 1969. J. HOUYOUX et KINAVWUIDI Niwem­bo, Kin­sha­sa 1975, Kin­sha­sa-Bruxelles, 1975. Ins­ti­tut natio­nal de la sta­tis­tique, Recen­se­ment scien­ti­fique de la popu­la­tion, juillet 1984, Carac­té­ris­tiques démo­gra­phiques, vol. 1 Zaïre/Kinshasa, Kin­sha­sa. Pour l’ex­tra­po­la­tion, S. NGONDO a Pit­shan­denge, B. TAMBASHE Ole­ko et L. de SAINT MOULIN, Pers­pec­tives démo­gra­phiques du Zaïre 1984–1999 et Popu­la­tion d’âge élec­to­ral en 1993 et 1994, Kin­sha­sa, 1992.

Commentaire

Ajouter un commentaire

Tshi­bam­ba Kapin­ga­mu­lume Etienne-Erosrépondre
8 avril 2016 à 22 h 01 min

Je suis content de quelques
Je suis content de quelques infor­ma­tions démo­gra­fiques de mon Pays don­nées par le Pro­fes­seur Père Léon de Saint Mou­lin ce n’est pas mal du tout c’est bon mais pas très vrai.

Répondre