Jules Verne et les sciences

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°608 Octobre 2005Par : Michel CLAMEN (57)Rédacteur : Philippe RÉMON-BEAUVAIS (57)

Dans notre tra­di­tion popu­laire, Jules Verne est un pré­cur­seur génial : inven­tions, inno­va­tions tech­niques, véhi­cules d’exploration du monde. Et cent ans après, il sus­cite tou­jours ana­lyses, réflexions, recons­ti­tu­tions ou expositions.

Qu’en est-il exac­te­ment ? Jules Verne a‑t-il été un nou­veau Léo­nard de Vin­ci ? A‑t-il été le créa­teur de la pros­pec­tive scien­ti­fique et tech­nique ? Quelle a été la per­ti­nence de ses anti­ci­pa­tions pré­mo­ni­toires ? S’est-il par­fois trom­pé, en quoi et pourquoi ?

C’est à ces ques­tions que notre cama­rade Michel Cla­men cherche à répondre dans son ouvrage ; il s’appuie à la fois sur une vaste culture, sur l’évolution des sciences et tech­niques ces der­niers siècles et sur une connais­sance exhaus­tive et appro­fon­die des œuvres de Jules Verne et de sa façon de travailler.

Michel Cla­men passe en revue métho­di­que­ment l’ensemble des domaines tech­niques et scien­ti­fiques connus aujourd’hui, en com­pa­rant sans com­plai­sance les inven­tions de Jules Verne d’une part au savoir de l’époque et d’autre part aux pro­grès acquis ces cent der­nières années.

Il met en évi­dence que Jules Verne a été avant tout un remar­quable conteur, qu’il a su mettre la science au ser­vice d’aventures extra­or­di­naires, à l’époque où l’opinion publique s’intéressait tant à l’émergence des tech­niques du début de la révo­lu­tion indus­trielle qu’aux pro­grès de l’exploration de la pla­nète et de l’espace ; et il montre que Jules Verne appuie ses inven­tions sur le savoir du moment, grâce à un tra­vail méti­cu­leux de recherche docu­men­taire, com­plé­té de dis­cus­sions avec ses rela­tions dans le milieu scientifique.

Jules Verne tra­duit la façon dont l’élite bour­geoise de son époque voyait les sciences et les décou­vertes, mais son sou­ci n’était pro­ba­ble­ment pas la pros­pec­tive systématique.

Pour­tant cer­taines pré­mo­ni­tions de Jules Verne se sont révé­lées éton­nam­ment justes, et ceux qui ont eu l’occasion de faire de la pros­pec­tive conti­nue­ront de s’étonner de voir que cer­taines idées de Jules Verne se sont réa­li­sées cin­quante ans plus tard (Nau­ti­lus, loca­li­sa­tion de la base de lan­ce­ment du voyage sur la Lune), alors que la vali­di­té des études pros­pec­tives dépasse rare­ment un hori­zon à vingt ou vingt-cinq ans.

Michel Cla­men ana­lyse éga­le­ment les limites des inven­tions de Jules Verne : inven­tions uniques, offrant des per­for­mances incon­nues voire extra­va­gantes, pour quelques exploits extra­or­di­naires, sans trop se sou­cier de la réa­li­té des pro­blèmes pra­tiques de réa­li­sa­tion, de coûts et de logis­tique, ni des pers­pec­tives de déve­lop­pe­ment ulté­rieur ou d’utilisation à une plus large échelle, en lais­sant pas­ser quelques invrai­sem­blances qui, vou­lues ou non, pimentent le récit.

Il montre aus­si que Jules Verne s’est inté­res­sé à quelques sciences et tech­niques par­ti­cu­lières de la phy­sique et de la chi­mie, mais qu’il n’a guère exploi­té d’autres domaines qui, depuis, révo­lu­tionnent le monde, tels le trai­te­ment et la trans­mis­sion des infor­ma­tions, ou les nano­tech­no­lo­gies. Les sciences humaines, qui émer­geaient dans leur diver­si­té à la fin du XIXe siècle, sont lar­ge­ment absentes ; ain­si, s’agissant de mener des pro­jets assez com­plexes, Michel Cla­men s’étonne que Jules Verne ne se pré­oc­cupe pas du mana­ge­ment d’affaires et d’équipes.

Au contraire, il sou­ligne que ces pro­jets sont l’œuvre d’inventeurs géniaux mais soli­taires, sou­vent en conflit avec le monde scien­ti­fique et qui avaient com­pris que le savoir apporte le pou­voir. D’ailleurs ses études de carac­tères et confron­ta­tions de per­son­na­li­tés ajoutent à l’intérêt de ses récits.

Les ana­lyses de Michel Cla­men nous montrent que les récits de Jules Verne étaient d’abord extra­or­di­naires et pleins d’imprévus pour accro­cher le lec­teur, ce que sou­hai­tait avant tout l’éditeur Het­zel, un pré­cur­seur du marketing.

L’ouvrage de Michel Cla­men, très inté­res­sant sur le fond, est aus­si très facile à lire : des cha­pitres courts et struc­tu­rés, un style pré­cis et enle­vé, un fran­çais rigou­reux, des enca­drés nom­breux rap­pe­lant les thèmes des ouvrages de Jules Verne, des illus­tra­tions com­pa­ra­tives de l’époque et d’aujourd’hui, des rap­pels syn­thé­tiques de l’histoire des sciences.

Après avoir lu l’ouvrage de Michel Cla­men, beau­coup seront ten­tés de relire Jules Verne avec un autre regard.

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