Jacques Delacour (45), 1924–2003

Dossier : ExpressionsMagazine N°587 Septembre 2003Par : Raphaël Aris (42 B)

On m’a deman­dé d’é­crire cette notice à la mémoire de Jacques Dela­cour, décé­dé le 22 mars 2003. D’où me vient cet honneur ?

Bien que d’une pro­mo­tion voi­sine de la sienne, je ne le connais­sais pas beau­coup, ne l’ayant guère ren­con­tré qu’une dizaine de fois dans ma vie et ne connais­sant pas per­son­nel­le­ment sa famille. Mais cha­cune de ces ren­contres m’a lais­sé un sou­ve­nir inou­bliable : celui qui naît de pro­pos échan­gés en par­faite trans­pa­rence, où cha­cun ouvre à l’autre le fond de son cœur. C’est ain­si que je crois pou­voir dire que nous étions pro­fon­dé­ment amis, de cette ami­tié qui naît d’une par­faite com­pré­hen­sion mutuelle.

Jacques DELACOUR et René NAVARRE, fondateur de l’IFP, en visite au centre expérimental de l’IFP à Solaize.
Jacques DELACOUR et René NAVARRE, fon­da­teur de l’IFP, en visite au centre expé­ri­men­tal de l’IFP à Solaize.

Jacques Dela­cour a été un grand ingé­nieur ; de la race de ceux qui créent et qui s’en­gagent. Quelle qu’ait été sa voca­tion per­son­nelle, j’i­ma­gine que les années qu’il a pas­sées au sein de la Socié­té de Pros­pec­tion Élec­trique auprès de Mar­cel Schlum­ber­ger l’ont confir­mé dans sa pas­sion pour ce que l’on appelle main­te­nant la « Recherche et Déve­lop­pe­ment » et qui devrait être l’es­sence même du métier d’ingénieur.

Entré à l’Ins­ti­tut fran­çais du pétrole (IFP) après le décès de Mar­cel Schlum­ber­ger, il y a consa­cré toute sa car­rière comme direc­teur des pro­grammes de recherches en forage/ pro­duc­tion. Par­mi les grands pro­jets dont il fut le pro­mo­teur, les plus connus sont :

  • les conduites flexibles, d’a­bord conçues comme conduites de forage dans le Flexo­fo­rage, qui ont abou­ti aux conduites de col­lecte de pro­duc­tion de Coflexip ;
  • le posi­tion­ne­ment dyna­mique, appli­qué d’a­bord au navire de recon­nais­sance géo­tech­nique Téré­bel, dont les déve­lop­pe­ments per­mettent main­te­nant de forer au large de l’An­go­la par 3 000 mètres de fond ;
  • le clip riser, tube de connexion entre le fond et la sur­face à joints clampés ;
  • les maté­riaux com­po­sites assu­rant l’al­lé­ge­ment des conduites.


Mais le der­nier grand pro­jet qu’il a lan­cé et dont j’ai lon­gue­ment par­lé avec lui alors que je venais de prendre la pré­si­dence du grou­pe­ment des entre­prises para­pé­tro­lieres (GEP) fut le pom­page poly­pha­sique. Per­met­tant de pro­pul­ser simul­ta­né­ment un mélange de pétrole, de gaz et d’eau depuis une tête de forage sous-marine jus­qu’à une sta­tion de trai­te­ment située à plu­sieurs kilo­mètres de dis­tance, ce nou­veau type de pompe, conçu à l’o­ri­gine avec le concours de Total, a per­mis de repen­ser pro­fon­dé­ment l’ar­chi­tec­ture de la mise en pro­duc­tion des champs d’hy­dro­car­bures sous-marins.

Jacques Dela­cour était un grand inno­va­teur et nous devons gar­der en mémoire ce qu’il disait du binôme » Recherche et Déve­lop­pe­ment » : la France sait bien gérer le pre­mier de ces deux termes mais n’ac­corde pas au second le poids finan­cier et mana­gé­rial qu’il mérite.

Le sou­ve­nir de Mar­cel Schlum­ber­ger, méca­ni­cien avi­sé ayant su trans­for­mer le pro­jet vision­naire de son frère Conrad (X 1898), le phy­si­cien, en une réa­li­sa­tion indus­trielle qui fait encore aujourd’­hui du groupe Schlum­ber­ger la réfé­rence mon­diale du para­pé­tro­lier, ce sou­ve­nir a dû ins­pi­rer la stra­té­gie que Jacques Dela­cour sou­hai­tait appli­quer à l’IFP en matière d’in­no­va­tion tech­no­lo­gique. Ayant épou­sé une nièce et filleule de Conrad, il a ren­du hom­mage aux deux frères dans les colonnes de La Jaune et la Rouge (novembre 1992) et était admi­nis­tra­teur de la Fon­da­tion » Musée Schlum­ber­ger » consa­crée à la mémoire de ces deux grands précurseurs.

Notre pro­fes­sion com­mune, le para­pé­tro­lier, affronte encore aujourd’­hui des défis redou­tables pour faire face aux besoins éner­gé­tiques d’une popu­la­tion mon­diale crois­sant en nombre et en richesse sans déna­tu­rer son envi­ron­ne­ment. La France y tient une place bien supé­rieure à celle que la nature lui a accor­dée en matière de res­sources d’hy­dro­car­bures. Pour main­te­nir ce rang il importe que l’ins­pi­ra­tion qui a gui­dé Jacques Dela­cour tout au long de sa car­rière fasse école pour tous ceux, et ils sont encore nom­breux, qui œuvrent dans ce domaine ou envi­sagent de lui consa­crer leurs talents.

Comme Conrad et Mar­cel Schlum­ber­ger ont su le faire il y a près d’un siècle, puis­sions-nous, en France ou dans le cadre euro­péen, com­bi­ner le génie vision­naire du pre­mier et le sens indus­triel du second pour tou­jours réus­sir, dans nos matches inter­na­tio­naux de Recherche et Déve­lop­pe­ment, à » trans­for­mer l’essai » !

J’ai le sen­ti­ment pro­fond qu’en expri­mant ce sou­hait je tra­duis, quelques mois après qu’il nous ait quit­tés, le cœur de la pen­sée de Jacques Delacour.

N. B. Jacques Dela­cour a publié dans La Jaune et Rouge d’a­vril et mai 1993 un « Libre pro­pos » rela­tant ses aven­tures pétro­lières en URSS et en juin/juillet 1995 un « Libre pro­pos » sur « L’île à hélice » rap­pro­chant le roman de Jules Verne de l’é­po­pée du< posi­tion­ne­ment dynamique.

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