Hyacinthe de Bougainville

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°578 Octobre 2002Par : Bulletin n° 31 de la SabixRédacteur : Jean-Paul DEVILLIERS (57)

La liber­té nous fut enfin ren­due ; pour la der­nière fois nos voiles se déployèrent et à l’instant de ren­trer au port, après vingt-huit mois d’absence, ennuis, contra­rié­tés, impa­tiences, tout fut oublié. Il en fut bien­tôt de même du voyage et des voya­geurs.”

Ain­si Hya­cinthe de Bou­gain­ville, poly­tech­ni­cien de la pro­mo­tion 1799, conclut-il la rela­tion de son expé­di­tion autour du monde conduite entre le 2 mars 1824 et le 24 juin 1826. Le ton quelque peu désa­bu­sé de la der­nière phrase se com­prend : mal­gré la réus­site de sa mis­sion et les ser­vices ren­dus tout au long de sa car­rière de marin, le nom de l’auteur demeure igno­ré de la plu­part des Fran­çais, ses mérites étant éclip­sés par la gloire de son père, le célèbre navi­ga­teur Louis Antoine de Bougainville.

Même les ouvrages trai­tant de l’histoire de l’École poly­tech­nique et de ses anciens élèves oublient le plus sou­vent de rap­pe­ler la mémoire de Hya­cinthe de Bou­gain­ville, dont les tra­vaux tiennent pour­tant une place très hono­rable dans l’exploration géné­rale du globe menée au temps des grands voiliers.

Pour­tant le marin avait jadis offert à la Biblio­thèque de l’École un exem­plaire dédi­ca­cé de son remar­quable compte ren­du de voyage et il s’imposait de lui rendre enfin jus­tice. C’est pour­quoi, lors de la der­nière Assem­blée de la Sabix, Chris­tian Mar­bach, qui pré­side aus­si l’Association fran­çaise de coopé­ra­tion en recherche indus­trielle avec l’Australie, a pro­non­cé un expo­sé com­mé­mo­ra­tif en pré­sence de l’Ambassadeur d’Australie en France, et en pré­sence d’un des­cen­dant du navi­ga­teur, Hen­ri de Bro­nac de Bou­gain­ville, poly­tech­ni­cien de la pro­mo­tion 1971.

En outre, la Sabix consacre à Hya­cinthe de Bou­gain­ville le bul­le­tin numé­ro 31, com­po­sé prin­ci­pa­le­ment de deux articles. Le pre­mier est dû à Étienne Taille­mite, ins­pec­teur géné­ral hono­raire des Archives de France et membre de l’académie de Marine, renom­mé notam­ment pour ses recherches et ses publi­ca­tions sur l’histoire de la marine et des grands navi­ga­teurs. Inti­tu­lé Un marin poly­tech­ni­cien autour du monde, ce texte est un récit objec­tif, concis et dense, de la car­rière de l’officier.

Né en 1781, celui-ci embarque en octobre 1800 sur la cor­vette Le Géo­graphe sous les ordres de Nico­las Bau­din pour un pre­mier périple dont il revient en 1803. Après une longue suite d’affectations à la mer, nom­mé com­man­dant de la fré­gate La Thé­tis, il dirige entre 1824 et 1826 l’expédition autour du monde dont il rap­porte de riches col­lec­tions d’histoire natu­relle, de nom­breuses amé­lio­ra­tions des cartes marines, et une abon­dante mois­son de ren­sei­gne­ments d’ordre éco­no­mique et com­mer­cial. L’article pas­sion­nant d’Étienne Taille­mite nous rap­pelle les hasards de la navi­ga­tion, les épreuves endu­rées par les équi­pages, et nous ins­truit de la situa­tion éco­no­mique et poli­tique dans le monde au début du XIXe siècle, spé­cia­le­ment en Asie et en Océanie.

Dans le second article, inti­tu­lé Voyage en Hya­cin­thie, Chris­tian Mar­bach déve­loppe son expo­sé com­mé­mo­ra­tif. Ce texte se pré­sente non pas comme une bio­gra­phie ordon­née par une chro­no­lo­gie métho­dique, mais plu­tôt comme une pro­me­nade intel­lec­tuelle autour d’un por­trait où se mêle natu­rel­le­ment une part de subjectivité.

L’auteur, qui asso­cie étroi­te­ment le lec­teur à son enquête, a d’abord cher­ché les traces de son héros dans les biblio­thèques et les centres d’archives, puis il a pris contact avec la famille de Bou­gain­ville. Mais il a pour­sui­vi aus­si l’ombre de Hya­cinthe jusque sur les rivages de Kan­ga­roo Island et de la Tas­ma­nie, en s’interrogeant sur les rêves et les sen­ti­ments d’un jeune aspi­rant qui aban­don­na pré­ma­tu­ré­ment l’étude des sciences et choi­sit les aven­tures de la navi­ga­tion au long cours.

L’espace des pay­sages aus­tra­liens sert en effet d’arrièreplan à cet essai ; car si Hya­cinthe a sillon­né toutes les mers du monde, c’est aux bords de ce conti­nent qu’il a connu ses pre­mières aven­tures et c’est sur les mêmes côtes qu’il a fait la preuve, vingt ans plus tard, de ses pleines capa­ci­tés à rem­plir une mis­sion com­plexe et dif­fi­cile. La faune, la flore et la poé­sie qui imprègne les vastes pers­pec­tives de ce grand pays l’ont séduit en 1825 comme en 1801. Il a admi­ré le dyna­misme de Syd­ney et l’hospitalité des habi­tants qui l’ont accueilli avec générosité.

Chris­tian Mar­bach ne masque pas non plus son attrait pour le pays, ni l’estime et l’amitié qu’il res­sent pour ses inter­lo­cu­teurs aus­tra­liens. Plus géné­ra­le­ment son texte est accom­pa­gné de nom­breuses réflexions pre­nant appui sur ses propres rémi­nis­cences ou ses expé­riences pro­fes­sion­nelles, qui servent de réfé­rences aux appré­cia­tions sub­jec­tives et per­son­nelles por­tées sur les com­por­te­ments des per­son­nages du Voyage en Hya­cin­thie.

Car le pro­ta­go­niste n’est pas seul, à ses côtés appa­raissent à grands traits les per­son­na­li­tés les plus atta­chantes par­mi celles qui ont croi­sé ou influen­cé sa carrière.

Des marins d’abord : l’illustre Louis Antoine de Bou­gain­ville ; l’énergique Nico­las Bau­din dont la ren­contre avec son concur­rent anglais Flin­ders au large de la terre de Die­men a été l’objet cette année d’une com­mé­mo­ra­tion offi­cielle ; La Pérouse à la mémoire duquel Hya­cinthe fait éri­ger un monu­ment à Bota­ny Bay ; Claude de Frey­ci­net et Rose, sa jeune et cou­ra­geuse épouse pré­sente à ses côtés dans le périple mou­ve­men­té de L’Uranie et le nau­frage sur les récifs des Malouines.

Mais aus­si un ministre, Gas­pard de Cler­mont-Ton­nerre, poly­tech­ni­cien de la même pro­mo­tion 1799, qui donne l’ordre d’organiser la croi­sière de 1824, aban­donne la car­rière poli­tique en 1830 par fidé­li­té aux Bour­bons, et consacre ses der­nières années à la tra­duc­tion des oeuvres d’Isocrate.

Des bota­nistes, des zoo­lo­gistes, des car­to­graphes, des des­si­na­teurs, qui ont assu­ré le suc­cès scien­ti­fique des expé­di­tions et coopé­ré à l’édition des magni­fiques ouvrages illus­trés, impri­més au début du XIXe siècle afin de faire connaître les échan­tillons de flore et de faune col­lec­tés sur des terres encore incon­nues… Hom­mage est ain­si ren­du à Les­son, Ber­nier, Lesueur, Petit…

Car Hya­cinthe de Bou­gain­ville, homme accom­pli, marin, diplo­mate, com­mer­çant, orga­ni­sa­teur… coopère avec des artistes et des savants émi­nents, et prend part au mou­ve­ment géné­ral de décou­verte du monde, qui s’accélère au XIXe siècle dans toutes les dis­ci­plines. Le bul­le­tin 31 de la Sabix s’adresse donc à tous ceux qui s’intéressent à la géo­gra­phie, à l’histoire de l’invention du globe par la marine à voiles, et à ceux que font rêver les grands rivages aus­tra­liens, encore intacts et désertiques.

Signa­lons que cette livrai­son contient aus­si une courte notice adres­sée par Pierre Kreit­mann (X 1932) et rédi­gée par une jour­na­liste japo­naise, afin de pré­sen­ter le livre qu’elle a écrit au sujet du séjour au Japon de Louis Kreit­mann (X 1870), envoyé dans ce pays en 1876, dans le cadre de la Mis­sion mili­taire fran­çaise de Coopération.

Commentaire

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prud­homme philipperépondre
2 juillet 2016 à 8 h 52 min

noto­rié­té
A en juger au prix astro­no­mique de sa rela­tion de voyage sur ABeBook.com sa noto­rié­té a dépas­sé la renom­mée de son père. Il semble très connu aux Etats-Unis d’où sont ven­dus la majeure par­tie de ces livres anciens. Mais en France on ignore sou­vent les gens de talent !!!

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