Humanitaire : une vie proche de la vie en entreprise

Dossier : SolidaritéMagazine N°705 Mai 2015
Par Alain BÉRÉZIAT (68)

J’ai choi­si de me mettre au ser­vice de la Banque ali­men­taire de l’Hérault (BA34) pour de mul­tiples raisons :

  • retrou­ver vite une saine ges­tion du temps avec quelques demi-jour­nées blo­quées par des acti­vi­tés chaque semaine ;
  • don­ner de mon temps, et si pos­sible de mes savoir-faire à la socié­té et notam­ment aux per­sonnes défa­vo­ri­sées (avec sans doute un léger sen­ti­ment de culpa­bi­li­té d’être un pri­vi­lé­gié car j’ai béné­fi­cié du sys­tème de pré­re­traite de France Télécom) ;
  • retrou­ver un col­lec­tif social et de tra­vail, d’autant que mon épouse avait gar­dé de mul­tiples acti­vi­tés associatives ;
  • replon­ger dans des acti­vi­tés opé­ra­tion­nelles après une fin de car­rière en état-major.

Et mes amis qui m’avaient pré­cé­dé en pré­re­traite ou en retraite m’avaient van­té l’intérêt du béné­vo­lat et l’ambiance à la Banque ali­men­taire de l’Hérault.

REPÈRES

Les Banques alimentaire1 récoltent des denrées alimentaires offertes ou retirées des circuits commerciaux mais sanitairement parfaites, pour les redistribuer aux personnes démunies par l’intermédiaire d’associations ou d’organismes sociaux.
Pour les 8,6 millions de personnes en France vivant sous le seuil de pauvreté, l’aide alimentaire est devenue un complément nécessaire de revenus, notamment pour une part croissante de retraités, de travailleurs pauvres et de jeunes : 15 % sont des travailleurs à bas salaires et 14 % des retraités aux maigres pensions.
Les personnes seules sont les premières bénéficiaires des aides des BA (44 %), les familles monoparentales viennent ensuite (33 %).

Un engagement très opérationnel

Trois mois après mon départ de France Télé­com à l’été 2003, ayant opté pour un enga­ge­ment asso­cia­tif, je sor­tais de mon « entre­tien de recru­te­ment » avec le pré­sident de la BA34 avec la fonc­tion de res­pon­sable de l’équipe de tri-dis­tri­bu­tion des pro­duits frais du jeu­di matin.

“ 8,6 millions de personnes en France vivent sous le seuil de pauvreté ”

J’ai donc plon­gé très vite dans de l’opérationnel pur et dur.

Car le quo­ti­dien du tri-dis­tri­bu­tion, c’est chaque matin, du lun­di au same­di, douze mois par an, la récolte auprès de quinze grandes sur­faces d’environ quatre tonnes de pro­duits frais (fruits et légumes, viande, lai­tages et pâtis­se­rie), le tri sévère et la répar­ti­tion de ces pro­duits entre quinze et vingt CCAS2 ou asso­cia­tions qui viennent en prendre livrai­son en fin de matinée.

Et cela grâce à une équipe d’une ving­taine de béné­voles chaque matin.

Des responsabilités croissantes

Quelques semaines plus tard, j’é­tais de plus res­pon­sable de toutes les équipes de tri-dis­tri­bu­tion et j’en­trais au bureau et au conseil d’ad­mi­nis­tra­tion de la BA34. Car, si toutes les asso­cia­tions ont des dif­fi­cul­tés pour obte­nir des res­sources humaines, il leur est par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile de trou­ver des béné­voles accep­tant des postes de responsabilité.

“ La professionnalisation croissante est inéluctable ”

Élu pré­sident en 2006 de la BA34, j’ai vite pris des res­pon­sa­bi­li­tés natio­nales au sein de la Fédé­ra­tion fran­çaise des banques ali­men­taires (FFBA) : par­ti­ci­pa­tion ou pilo­tage de groupes de tra­vail natio­naux sur le sys­tème d’in­for­ma­tion, la refonte des sta­tuts, la poli­tique de dis­tri­bu­tion, la ges­tion des salariés.

Car la ges­tion du réseau des 98 Banques ali­men­taires et antennes compte de mul­tiples aspects, sou­vent très proches de ceux d’une entre­prise et dans les­quels cha­cun peut uti­le­ment appor­ter son expé­rience, notam­ment de ges­tion et de mana­ge­ment. Natu­rel­le­ment, j’ai été “ hap­pé ” par le conseil d’ad­mi­nis­tra­tion de la FFBA pour deux man­dats de trois ans, et par son bureau.

Des problématiques d’entreprise

La vie au quo­ti­dien dans une asso­cia­tion est très proche de celle d’une entre­prise ; on y retrouve les grands clas­siques et les mêmes petits problèmes :

  • la cir­cu­la­tion de l’in­for­ma­tion et la com­mu­ni­ca­tion avec l’en­semble des bénévoles ;
  • la panique lorsque l’u­nique secré­taire sala­riée est en congé, car bien évi­dem­ment ce sont ces jours-là que s’ac­cu­mulent inci­dents et catastrophe ;
  • la ten­dance natu­relle à pri­vi­lé­gier “ l’urgent ” au détri­ment de “ l’important ” ;
  • la quête dif­fi­cile des attentes de nos “ clients ” que sont les CCAS et asso­cia­tions par­te­naires et la dif­fi­cul­té à les convaincre de s’en­ga­ger dans des démarches qua­li­ta­tives d’ac­com­pa­gne­ment des per­sonnes démunies ;
  • l’é­qui­libre des res­pon­sa­bi­li­tés entre niveau natio­nal (la FFBA est elle-même une asso­cia­tion) et le niveau local (chaque BA est une asso­cia­tion) et le besoin de cohé­rence de ce réseau.

Mais ces dif­fi­cul­tés sont accrues par la fai­blesse des res­sources et sur­tout par un fonc­tion­ne­ment avec un état-major com­po­sé uni­que­ment de béné­voles qui ne peuvent être pré­sents chaque matin dans les bureaux de la BA, alors que son acti­vi­té même est de nature logis­tique, en flux ten­du et en temps réel.

Banque ali­men­taire : Redis­tri­buer à des partenaires.

Des actions qui ont du sens

LE CAS DE L’HÉRAULT

Pour le seul département de l’Hérault, 2 200 tonnes de denrées alimentaires ont été distribuées en 2014, permettant de confectionner environ 4,4 millions de repas au profit de 15 200 personnes.
Cette aide alimentaire représente une valeur marchande de 8 millions d’euros et le coefficient de valeur ajoutée de la BA (rapport entre cette valeur marchande et les aides de fonctionnement reçues de l’État et des collectivités locales) est de 17, grâce au don de marchandises par les industriels, producteurs, grandes et moyennes surfaces et grâce à la solidarité et au dévouement de 210 bénévoles qui représentent 32 équivalents temps plein.
La récupération de denrées a en outre un impact carbone fortement positif : pour l’Hérault le gain est équivalent à la consommation énergétique annuelle d’une ville de 12 000 habitants.

Les BA doivent faire face aux exi­gences crois­santes des pou­voirs publics (ges­tion des matières, tra­ça­bi­li­té des den­rées, règles d’hy­giène et de sécu­ri­té ali­men­taire, four­ni­ture d’in­di­ca­teurs), ce qui leur impose de trou­ver les com­pé­tences idoines et sur­tout de moti­ver leurs bénévoles.

La pro­fes­sion­na­li­sa­tion crois­sante est iné­luc­table, mais elle pose la ques­tion de l’é­qui­libre entre béné­voles et salariés.

Et, comme pour beau­coup d’as­so­cia­tions, la fai­blesse des aides appor­tées par l’É­tat et les col­lec­ti­vi­tés locales impose la recherche de nou­velles sources de finan­ce­ment : fon­da­tion Fon­real créée au niveau natio­nal pour les per­sonnes phy­siques, fonds de dota­tion comme celui créé par la BA34 pour ras­sem­bler vingt entre­prises mécènes.

Fidèles à leur devise, Ensemble, aidons l’homme à se res­tau­rer, les BA s’at­tachent aus­si à four­nir à leurs par­te­naires for­ma­tions et accom­pa­gne­ment et à déve­lop­per des ate­liers cui­sine pour apprendre aux per­sonnes dému­nies à confec­tion­ner des repas sains, équi­li­brés et avec un petit bud­get et les aider à se “ resociabiliser ”.

Les acti­vi­tés dans une asso­cia­tion ne manquent pas, ni en volume, ni en diver­si­té. Mais l’es­sen­tiel est la pro­fonde satis­fac­tion au quo­ti­dien d’ob­te­nir des résul­tats concrets et de conduire des actions qui ont du sens.

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1.
Voir : http://www.banquealimentaire.org/
2. CCAS : Centre com­mu­nal d’ac­tion sociale.

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