Henry PURCELL : Didon et Enée

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°655 Mai 2010Par : Sarah Connolly, Christopher Hogwood, Covent Garden

Didon et Énée est un opé­ra court, dense, qui syn­thé­tise en une heure tout le style de Pur­cell. Écrit dans les années 1680, il a été igno­ré du temps de Pur­cell et peu repré­sen­té jusqu’au ving­tième siècle. Il est même pro­bable que la plus ancienne par­ti­tion retrou­vée, datant de la fin XVIIIe, est incom­plète. Le sujet, repris depuis par Ber­lioz dans sa deuxième par­tie des Troyens, est tiré de l’Énéide de Vir­gile. Énée, res­ca­pé de la chute de Troie avec son père et son fils, s’arrête à Car­thage sur le che­min de la future Rome. L’amour qu’il par­tage avec la reine Didon est contra­rié par le des­tin d’Énée qui est de par­tir éta­blir une lignée sur les rives du Tibre, d’où naî­tra l’Empire romain. Didon déses­pé­rée en mour­ra, et les futurs Car­tha­gi­nois devien­dront enne­mis héré­di­taires des futurs Romains pour plu­sieurs siècles.

Coffret du DVD Didon et ÉnéeChris­to­pher Hog­wood fait par­tie de ces musi­ciens qui ont très tôt (il y a plus de trente ans) pris le relais des pion­niers des inter­pré­ta­tions baroques à l’ancienne, sur ins­tru­ments d’époque avec le style et les phra­sés de cette période, ces pion­niers de ce grand mou­ve­ment étant N. Har­non­court et G. Leon­hardt dans les années soixante. Hog­wood, avec Pin­nock, W. Chris­tie, F. Brüg­gen et bien d’autres, a contri­bué à géné­ra­li­ser ce mou­ve­ment et à rendre désor­mais ana­chro­niques les inter­pré­ta­tions des œuvres des années 1650–1780 par un orchestre moderne comme les réa­li­saient Kara­jan, Klem­pe­rer, Beecham…

La pro­duc­tion fil­mée à Covent Gar­den en 2009 est très inté­res­sante. Les décors sont sim­plis­simes mais suf­fi­sants, et la pro­duc­tion vaut prin­ci­pa­le­ment pour ce que l’on en entend, la mise en scène et les cho­ré­gra­phies de Wayne McGre­gor, qui animent les pas­sages pure­ment ins­tru­men­taux et les chœurs. Les décors sont sobres, éco­no­miques, voire mini­ma­listes car McGre­gor consi­dère que la musique a déjà un énorme impact émo­tion­nel. Il a choi­si d’animer les chan­teurs pour que leurs mou­ve­ments accom­pagnent le chant (McGre­gor explique lors d’une inter­view qu’il uti­lise le fait que 80% de la com­mu­ni­ca­tion passe sous forme gestuelle).

Musi­ca­le­ment, on l’a com­pris, nous avons, avec Chris­to­pher Hog­wood à la direc­tion, l’assurance d’avoir la res­ti­tu­tion qui nous semble aujourd’hui la plus fidèle à l’interprétation telle qu’elle se réa­li­sait à l’époque. Tous les chan­teurs ont une pro­non­cia­tion par­faite (nous sommes à Londres!), et nous recom­man­dons for­te­ment de regar­der cet opé­ra avec les sous-titres en anglais, très bien faits car fidèles mais pas enva­his­sants, ce qui per­met de par­fai­te­ment pro­fi­ter du chant.

Sarah Connol­ly est magni­fique, dans la lignée des grandes Didon qui l’ont pré­cé­dées, toutes les grandes mez­zos du XXe siècle, dont Kath­leen Fer­rier, Tere­sa Ber­gan­za, J. Baker, S. Gra­ham. La mort de Didon au troi­sième acte, sur une pas­sa­caille lente, est en par­ti­cu­lier ter­ri­ble­ment émouvante.

L’image est magni­fique : on se régale avec les cos­tumes natu­rels, les mou­ve­ments des chœurs et des dan­seurs. Les sor­cières (inven­tion de Pur­cell et de son libret­tiste, absentes chez Vir­gile) sont repré­sen­tées de façon ori­gi­nale : deux sœurs sia­moises se res­sem­blant natu­rel­le­ment mais de cou­leur de peau dif­fé­rente. Elles nous épargnent les outrances vocales géné­ra­le­ment asso­ciées à ce rôle. Vrai­ment un très beau spec­tacle, beau concen­tré de l’art de Pur­cell, à conseiller sans hésiter.

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