CD : L’Enfant prodigue de Debussy et L’Enfant et les sortilèges de Ravel

Guerre et musique

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°725 Mai 2017Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Les guerres devraient avoir sur la lit­té­ra­ture, la musique, la pein­ture, le ciné­ma, un impact d’autant plus fort qu’elles sont plus dévas­ta­trices. Or, la guerre de 14–18 – la « Grande Guerre » – semble avoir eu sur l’art euro­péen un impact plus struc­tu­rant que la Deuxième Guerre mon­diale, pour­tant net­te­ment plus meurtrière. 

Peut-être est-ce que la bou­che­rie de 14–18 suc­cé­dait dans une bonne par­tie de l’Europe à plus de qua­rante ans de paix et de pros­pé­ri­té, tan­dis qu’une période de vingt-deux ans seule­ment sépa­rait les deux guerres, période rien moins que pai­sible, trou­blée d’agitations, de crise éco­no­mique, de guerres civiles. 

Tout se passe comme si l’apocalypse de 39–45 avait été anti­ci­pée, inté­rio­ri­sée. Il n’y aura pas eu d’« années folles » après la Deuxième Guerre mondiale. 

AVANT-GUERRE, APRÈS-GUERRE

En 1884, Debus­sy com­pose la can­tate L’Enfant pro­digue pour le Prix de Rome, qu’il obtient. 

C’est dans les années 1920 que Ravel (qui n’eut jamais le Prix de Rome) écrit L’Enfant et les sor­ti­lèges, opé­ra en un acte sur un livret de Colette, après en avoir esquis­sé en 1916 la com­po­si­tion, inter­rom­pue pour par­tir au front. 

Les deux œuvres viennent d’être enre­gis­trées par le Chœur, la Maî­trise et l’Orchestre phil­har­mo­nique de Radio France, avec une pléiade de solistes par­mi les­quels Natha­lie Stutz­mann, Rober­to Ala­gna, Jean-Fran­çois Lapointe1.

C’est là le cou­plage astu­cieux de deux œuvres exquises et pro­fon­dé­ment dif­fé­rentes dans leur esprit et leur facture. 

CD : Entrez dans la danse joué par Anne QueffélecCelle de Debus­sy, sur une para­bole biblique, est sereine et quelque peu aca­dé­mique ; celle de Ravel, qui met en scène un enfant insup­por­table qui casse tout, qui va être puni par les créa­tures qu’il a mal­me­nées et qui est sau­vé in extre­mis par sa maman, est une musique com­plexe, très tra­vaillée, mer­veilleu­se­ment orches­trée et rien moins que pai­sible : la guerre, peut-on pen­ser, est pas­sée par là, Freud aussi. 

Avant-guerre, années folles : Anne Quef­fé­lec a eu l’excellente idée de ras­sem­bler en un disque sous le titre « Entrez dans la danse » 24 pièces pour pia­no com­po­sées entre 1900 et 1930 de Ropartz, Schmitt, Pier­né, Chaus­son, Saint- Saëns, et aus­si de Fau­ré, Ravel, Debus­sy, Satie, Cha­brier, Hahn, Pou­lenc… et Mom­pou2 (dont cer­taines à 4 mains avec Gas­pard Dehaene). 

Aux côtés de quelques pièces bien connues, Le pas espa­gnol de Fau­ré ou Feuillet d’album de Cha­brier figurent des rare­tés comme Danse de l’Amour et de l’Ennui de Rey­nal­do Hahn, le Bal fan­tôme de Pou­lenc, la Pavane de Chaus­son. Mais toutes sont mar­quées de ce « je ne sais quoi » cher à Jan­ké­lé­vitch, une incer­ti­tude, la pres­cience du drame qui va venir ou la volon­té d’oublier la catas­trophe qui a eu lieu, la mélan­co­lie du « rien ne sera jamais plus comme avant ». 

Anne Quef­fé­lec joue avec élé­gance et finesse ces musiques très fran­çaises. Un très beau disque. 

LA GUERRE

Sous le titre « Les Musi­ciens et la Grande Guerre », WW1 Music a entre­pris une ambi­tieuse col­lec­tion de 30 disques (dont les pre­miers ont été cités naguère dans ces colonnes). 

CD : Maudite guerreIl s’agit d’œuvres com­po­sées pen­dant le conflit, dans les années qui l’ont pré­cé­dé ou près l’Armistice.

Deux nou­veaux volumes viennent d’être publiés : Mau­dite Guerre3, et Dans les Ser­vices de San­té4, le pia­no mobi­li­sé.

CD : Dans les Services de SantéLe pre­mier ras­semble des lie­der de com­po­si­teurs appar­te­nant à des pays bel­li­gé­rants dont Ives, Webern, Puc­ci­ni, Lehar, Leon­ca­val­lo, Korn­gold, Hin­de­mith, Wein­gart­ner, Eis­ler, Richard Strauss, par Fion­nua­la McCar­thy et Klaus Häger, accom­pa­gnés par Karo­la Theill. 

Le second est consa­cré à des pièces pour pia­no com­po­sées pen­dant le conflit par Jacques Ibert, Roger Ducasse, Albert Rous­sel, Charles Koe­chlin, Déodat de Séve­rac, Ravel, Jacques de La Presle. 

Par­mi ces pièces, toutes à décou­vrir, on note­ra Varia­tions sur un cho­ral de Ducasse, le très dense Pré­lude de Ravel, la superbe Deuxième Sonate de Jean Huré. 

BRAHMS – SEXTUORS

CD : Les Sextuors de BrahmsLe Fes­ti­val de Pâques d’Aix-en-Provence 2017 sera ter­mi­né lorsque seront publiées ces lignes. 

Simul­ta­né­ment sort un disque enre­gis­tré « live » au fes­ti­val de 2016, les deux Sex­tuors de Brahms, par Renaud et Gau­tier Capu­çon, Chris­toph Koncz, Marie Chi­lemme, Gérard Caus­sé et Cle­mens Hagen5.

Ceux qui ont eu la chance d’assister au concert d’avril 2017 ont eu la joie de décou­vrir que la magie de la ren­contre avait don­né nais­sance, le temps d’un soir, à un ensemble qui renou­ve­lait de manière ines­pé­rée celui consti­tué dans les années 1950 par Casals au Fes­ti­val de Prades et dont le disque avait conser­vé le souvenir. 

Pas ques­tion de guerre, ici – même si l’un des Sex­tuors garde la bles­sure pour Brahms d’une rup­ture amou­reuse – mais de cette paix de l’âme que savent si bien ins­til­ler Renaud Capu­çon et son Fes­ti­val où l’on com­mu­nie chaque année dans le bon­heur de la musique et la joie collective. 

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1. 2 CD ERATO
2. 1 CD MIRARE
3. 1 CD WW1 MUSIC
4. 1 CD WW1 MUSIC
5. 1 CD ERATO

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