France-Allemagne : un destin européen au XXe siècle. Rappel d’un passé présent

Dossier : L'AllemagneMagazine N°531 Janvier 1998
Par Ingo KOLBOOM

Tels furent les pro­pos d’in­tro­duc­tion de Fritz Stahl, his­to­rien de l’art, dans son livre sur Paris, publié en 1928. Paroles naïves ? Comme celles du méde­cin et écri­vain Gott­fried Benn qui raconte, en 1930, qu’il a fait depuis la guerre quatre voyages plus ou moins grands en France et qu’il n’a nulle part remar­qué une ani­mo­si­té « contre nous en tant qu’Al­le­mands ». Et Gott­fried Benn de plai­der lui aus­si pour le rap­pro­che­ment entre les deux pays. Paroles naïves ? Comme celles de Hein­rich Mann sur les « États-Unis d’Eu­rope » en 1924 ? Ou celles de Josef Pon­ten sur le Rhin, inter­pré­té par lui comme le fleuve supra­na­tio­nal, sym­bole d’une nou­velle Europe ? 

Ils furent nom­breux, plus nom­breux qu’a­vant 1914, les hommes de lettres d’a­près-guerre en Alle­magne, en France, dans l’Eu­rope tout entière, à repen­ser l’Eu­rope. La grande bar­ba­rie conti­nen­tale avait recréé une com­mu­nau­té spi­ri­tuelle qui redé­cou­vrait la « forge de l’i­dée » nom­mée Europe. Elle était en cela fidèle au tes­ta­ment lyrique d’É­mile Verhae­ren dont l’é­cra­se­ment en gare de Rouen sem­blait tra­gi­que­ment reflé­ter le des­tin des der­niers Euro­péens dans cette guerre fra­tri­cide : « Si nous nous admi­rons vrai­ment les uns les autres / Du fond même de notre ardeur et notre foi, / Vous les pen­siers, vous les savants, vous, les apôtres / Pour les temps qui vien­dront, vous extrai­rez la loi. » 

Mais les Romain Rol­land et André Gide en France, les Una­mu­no en Espagne, les T.S. Eliot en Grande-Bre­tagne – pour ne citer que quelques noms – étaient-ils alors les der­niers Euro­péens qui avaient sur­vé­cu à un monde qui venait de s’é­crou­ler ? Ou furent-ils les pré­cur­seurs d’un nou­veau genre euro­péen – nés trop tôt ? Leurs textes, ins­pi­rés par une nou­velle cer­ti­tude et prêts à insuf­fler une âme à l’i­déal d’une pen­sée et d’une action euro­péenne com­munes, furent-ils des textes de rêveurs ? Ces « pen­siers et savants » n’é­taient certes pas dupes. Ils voyaient très bien ce qui se pas­sait autour d’eux. 

Et les Alle­mands euro­péens étaient bien conscients des pro­blèmes fran­co-alle­mands d’ordre poli­tique et psy­cho­lo­gique qu’en­traî­nait le trai­té de Ver­sailles, le « dik­tat », l’oc­cu­pa­tion de la Ruhr. Hein­rich Mann par exemple, mal­gré sa force vision­naire, res­tait tout à fait lucide. « Cha­cun de nos pays sent encore la grande puis­sance dans ses veines – et il n’est plus une véri­table grande puis­sance… Notre sen­ti­ment ne cor­res­pond pas aux faits. Nous avons le sen­ti­ment d’être les plus déve­lop­pés et de le res­ter mal­gré la dis­corde inté­rieure, mal­gré le déclin évident », écrit-il dans son mani­feste VSE (États-Unis de l’Eu­rope), en 1924. 

Est-ce pour cette même rai­son que ces mêmes hommes et femmes voyaient luci­de­ment que, sans entente entre la France et l’Al­le­magne, rien n’al­lait plus en Europe ? Lorsque la bou­che­rie de Ver­dun bat­tait son plein, Annette Kolb, l’é­cri­vaine alsa­cienne, pré­di­sait que les gar­diens du Rhin se lève­raient un jour comme les gar­diens de l’Eu­rope dès que celle-ci serait unie par un péril com­mun. Hein­rich Mann quand à lui ne per­dit pas cette cer­ti­tude durant l’oc­cu­pa­tion de la Ruhr : « Si l’Eu­rope veut deve­nir une : d’a­bord nous deux ! Nous sommes la racine. Le conti­nent s’u­nit à par­tir de nous, les autres ne peuvent que nous suivre. Nous sommes res­pon­sables de nous-mêmes et du reste. » 

Son com­pa­triote Ste­fan Zweig, la même année, publia son livre monu­men­tal sur Romain Rol­land qu’il pré­sen­ta au public alle­mand comme « la conscience de l’Eu­rope ». Zweig, cette autre conscience euro­péenne, fit redé­cou­vrir aux siens Jean-Chris­tophe, dont la pre­mière tra­duc­tion alle­mande avait paru en pleine guerre mon­diale, en 1917, et qui connut dans l’Al­le­magne des années 20 un suc­cès énorme. 

L’Eu­rope lit­té­raire et intel­lec­tuelle, en sur­saut moral, se voyait en avance sur le poli­tique. C’est vrai de l’en­semble du monde poli­tique qui vivait toutes les cris­pa­tions d’une époque qui, elle, ne savait pas encore vivre la paix. En effet, Locar­no, ce petit feu de l’es­poir euro­péen, n’eut lieu qu’une année après la publi­ca­tion du mani­feste de Hein­rich Mann. Mais à relire son texte, nous redé­cou­vrons une éton­nante source d’ins­pi­ra­tion poli­tique. C’est Édouard Her­riot lui-même, ce chef de file du Car­tel des gauches, qui lui prête ses pen­sées sur l’Eu­rope : « Le patrio­tisme perd son impor­tance sacrée quand il devient agi­ta­tion impu­dique. … Nous allons essayer de créer les États-Unis d’Eu­rope. Et si cela ne réus­sit pas encore nous nous don­ne­rons au moins la peine de vivre en voi­sins pacifiques. » 

Locar­no ne fut pas la divine sur­prise. Bien que limi­tés dans leur influence et agis­sant sur un ter­rain on ne peut plus dif­fi­cile, des élé­ments pro­met­teurs et de bonne volon­té étaient pré­sents dès la fin de la guerre et de chaque côté du Rhin. Le ter­rain était pré­pa­ré non seule­ment par­mi une par­tie des élites cultu­relles mais aus­si, de plus en plus, par­mi les mou­ve­ments de jeunes et d’an­ciens com­bat­tants. Il ne man­quait que les acteurs capables de trans­for­mer cet esprit en politique. 

Un inci­dent heu­reux fit que deux vrais hommes d’É­tat – cha­cun à sa manière enfant du XIXe siècle – se trou­vèrent de part et d’autre du Rhin et s’u­nirent pour pré­ser­ver la paix en Europe : d’un côté Aris­tide Briand, l’an­cien anar­cho-syn­di­ca­liste, qui fit occu­per en 1921 Duis­burg, Ruh­rort et Düs­sel­dorf pour finir par consta­ter l’i­so­le­ment de la France dû à une poli­tique de contrainte pure et simple envers l’Al­le­magne ; de l’autre Gus­tav Stre­se­mann, l’an­cien monar­chiste, qui souf­frait tant de l’ef­fon­dre­ment du Reich que cela le trans­for­ma en un répu­bli­cain de raison. 

Cha­cun avo­cat des inté­rêts redé­fi­nis de son pays, ils s’ap­pli­quèrent en com­mun à stop­per une poli­tique bien fran­çaise qui consis­tait à impo­ser à l’Al­le­magne humi­liée l’ap­pli­ca­tion inté­grale du trai­té de Ver­sailles. Les deux natio­na­listes se mirent à apprendre une langue, celle de l’Eu­rope. « Pen­sez-vous que je serais allé sans gêne à Locar­no pour y ren­con­trer des ministres alle­mands ? J’y suis allé quand même, et les Alle­mands sont venus éga­le­ment. Et nous avons par­lé en tant qu” Euro­péens. C’est une nou­velle langue ! Il va fal­loir l’ap­prendre », dit Briand devant la Chambre.

Leur « Locar­no » fut le prin­temps des années 20, l’an­ti­ci­pa­tion d’une poli­tique d’en­tente fran­co-alle­mande et d’un sys­tème de sécu­ri­té euro­péenne qui – grâce à la sagesse de Briand – sut même réin­clure les États-Unis à l’oc­ca­sion du dixième anni­ver­saire de leur entrée en guerre. Mais ce bel envol devint un échec tra­gique. N’al­lons pas répé­ter ici les leçons des manuels d’his­toire sur l’é­chec d’une poli­tique qui paraît – a pos­te­rio­ri – une course contre les réa­li­tés euro­péennes elles-mêmes et sur­tout contre les réa­li­tés alle­mandes. La vision d’une fédé­ra­tion euro­péenne, lan­cée une pre­mière fois par le comte de Cou­den­hove-Kaler­gie en 1924 et pro­je­tée une der­nière fois par Briand en mai 1930 finit par voler en éclats dès la pre­mière crise éco­no­mique mon­diale. La mort de Stre­se­mann en 1929, puis celle de Briand en 1932 marquent assu­ré­ment la fin d’une courte période por­tant en elle les germes d’une véri­table poli­tique anti-Ver­sailles. Cette der­nière était en quelque sorte celle d’un sys­tème de paix dont le fonc­tion­ne­ment repose sur le res­pect mutuel des États signa­taires, sur une poli­tique assi­due de récon­ci­lia­tion morale, en par­ti­cu­lier entre la France et l’Al­le­magne, et de coopé­ra­tion poli­tique et économique. 

Certes, nous savons par la suite que ce pre­mier essai de rap­pro­che­ment fran­co-alle­mand dès 1924 repo­sait sur des bases insuf­fi­santes. Certes, les mou­ve­ments de récon­ci­lia­tion alle­mands et fran­çais comme les mou­ve­ments euro­péens dans d’autres pays se déve­lop­paient dans la dis­per­sion et dans la confu­sion. Mais com­ment conduire une poli­tique de bonnes inten­tions vers son suc­cès si le cadre glo­bal reste mar­qué par une logique bien dif­fé­rente. Celle-là res­tait tou­jours celle des trai­tés de Ver­sailles, Saint-Ger­main, Tri­anon, Sèvres et Neuilly ; ces trai­tés n’a­vaient ni la sagesse clas­sique d’un congrès de Vienne qui avait su ins­tau­rer un équi­libre conti­nen­tal sans humi­lia­tion du vain­cu, ni l’au­dace des concep­tions du pré­sident amé­ri­cain, Woo­drow Wil­son, qui avait vou­lu jeter les bases d’un nou­vel ordre moral entre les États et les peuples et ancrer cette Europe désta­bi­li­sée dans un sys­tème de sécu­ri­té mondial. 

L’es­prit des trai­tés, en par­ti­cu­lier celui de Ver­sailles qui réglait le sort de l’Al­le­magne, n’é­tait-il pas domi­né par le désir fran­çais (et polo­nais et ita­lien) de conte­nir l’Al­le­magne vain­cue en l’i­so­lant, l’a­bais­sant, l’hu­mi­liant ? Le nou­vel équi­libre euro­péen à la fran­çaise mora­li­sa le vain­cu – ce que le congrès de Vienne avait su évi­ter quand il s’a­gis­sait de réin­té­grer une France dou­ble­ment vain­cue dans une Europe res­tau­rée. En même temps le congrès de Vienne n’a­vait pas vou­lu mettre en place une nou­velle morale inter­na­tio­nale mais un tis­su clas­sique de sécu­ri­té conti­nen­tale qui ne fai­sait que ren­for­cer la méfiance de l’autre et au-delà le sen­ti­ment d’in­sé­cu­ri­té de cha­cun des États. 

Le rejet conti­nen­tal des idées de Wil­son, pre­mier essai d’une alliance euro-amé­ri­caine dont une Alle­magne démo­cra­tique aurait fait par­tie, a cer­tai­ne­ment contri­bué à la vic­toire de l’i­so­la­tion­nisme amé­ri­cain. Ce triomphe du conti­nen­ta­lisme euro­péen s’ef­fec­tua au détri­ment de la jeune démo­cra­tie alle­mande condam­née à vivre avec les stig­mates de la culpa­bi­li­té et de la « tra­hi­son » de Ver­sailles. L’Eu­rope conti­nen­tale sor­tait d’une guerre dont l’is­sue déci­sive se régla en dehors de ses fron­tières. Même déla­brée et impuis­sante elle n’é­tait cepen­dant pas suf­fi­sam­ment affai­blie pour renon­cer à une poli­tique d’é­qui­libre conven­tion­nel dont la force motrice était la méfiance mutuelle et – nou­vel élé­ment – la puni­tion morale d’une nation entière. 

Le résul­tat est bien connu. Ce ne fut pas la paix mais une paix avor­tée. Un tel sys­tème de contain­ment dans le cadre d’une Europe poli­ti­que­ment réduite ne pou­vait réus­sir dans sa tâche à paci­fier le titan alle­mand ligo­té. Au contraire, ce fut la meilleure façon de lui insuf­fler l’es­prit de revanche et de dis­cré­di­ter les forces poli­tiques nou­velles en Alle­magne qui cher­chaient l’en­tente avec les anciens enne­mis. Ain­si la poli­tique alle­mande se voyait-elle dou­ble­ment invi­tée – de l’ex­té­rieur et de l’in­té­rieur – à reprendre une poli­tique clas­sique de puissance. 

Et celle-ci finit par se diri­ger contre une France qui lais­sait rapi­de­ment der­rière elle le sta­tut d’une puis­sance vic­to­rieuse de 1918. La France veillait avec d’au­tant plus de méfiance sur les autres, en par­ti­cu­lier sur l’Al­le­magne, qu’elle n’a­vait plus les moyens de réa­li­ser ses propres ambi­tions de puis­sance domi­nante. Son retrait der­rière une ligne Magi­not fut l’ex­pres­sion suprême d’une poli­tique dont l’is­sue sera l’im­puis­sance et l’isolement. 

Ce fut à une autre guerre d’en­sei­gner défi­ni­ti­ve­ment à l’Eu­rope qu’elle n’exis­tait plus comme centre de déci­sion mon­dial et de lui faire com­prendre que le conti­nent n’a­vait plus de place pour une lutte pour l’hé­gé­mo­nie. Les hommes de bonne volon­té dans l’Eu­rope d’a­près 1945 n’é­taient sans doute pas plus nom­breux que leurs pré­cur­seurs des années 20. Et nous igno­rons quel aurait été leur sort si le dos­sier Europe avait été encore une affaire pure­ment européenne. 

La France à la fois vain­cue et vic­to­rieuse n’a­vait même plus le choix entre « Ver­sailles » et « Locar­no ». Le Reich alle­mand n’exis­tait plus, l’an­cien ordre euro­péen avait dis­pa­ru lui aus­si. Mor­ce­lée, dif­fa­mée, sans contours, l’Al­le­magne avait ces­sé d’é­veiller la peur. Son sort n’é­tait plus qu’un dos­sier euro­péen amoin­dri, pas­sé direc­te­ment aux mains des nou­velles grandes puis­sances mon­diales. L’une, l’U­nion sovié­tique, à l’est de l’Eu­rope, se met­tait à kid­nap­per sa proie euro­péenne pour en faire un otage à long terme. L’autre, à l’ouest, les États-Unis, une deuxième fois venue de loin pour sau­ve­gar­der l’Eu­rope, ne vou­lait plus la lâcher. Ce qui en res­tait était trop faible pour recom­men­cer le jeu d’antan. 

Doré­na­vant, des hommes réso­lus des deux côtés du Rhin et dans les autres pays de l’Eu­rope occi­den­tale eurent le vent en poupe pour réa­li­ser un rêve et une ruse dont on avait vu la nais­sance dans les années 20. Cette fois, l’Eu­rope n’a­vait plus la force d’empêcher sa propre paci­fi­ca­tion. Dès lors, les anciennes puis­sances euro­péennes vivaient avec l’é­vi­dence de ne plus être de véri­tables grandes puis­sances, cha­cune à sa manière. Cette fois, les sen­ti­ments allaient de pair avec les faits, à vitesse variable. La récon­ci­lia­tion fran­co-alle­mande après la Deuxième Guerre mon­diale fut donc à la fois le fruit de la défaite fran­çaise en 1940 et de la défaite alle­mande en 1945, un fruit de la guerre froide et de la bonne volon­té de ceux dont l’ex­pé­rience juvé­nile pui­sait dans les heurts de l’entre-deux-guerres pour en faire des aver­tis pour toujours. 

La nou­velle rai­son fran­co-alle­mande, pour s’im­po­ser à l’Eu­rope, eut besoin de cette com­pli­ci­té de cir­cons­tances. Elle contri­bua mani­fes­te­ment à l’Ouest à mettre en œuvre une Europe « morale », telle que l’a­vait vai­ne­ment sou­hai­tée Georges Duha­mel dans les années 30, capable de jeter les bases d’une construc­tion euro­péenne poli­tique, à la fois chan­tier éco­no­mique et lieu de trans­for­ma­tion psy­cho­lo­gique des êtres humains. Mais l’his­toire de cette construc­tion ne fut point une voie royale, plu­tôt un lacis de che­mins vici­naux mal­gré un Rhin deve­nu, cette fois-ci, fleuve supra­na­tio­nal, sym­bole même d’une nou­velle Europe en naissance. 

L’é­chec de la CED, la mésen­tente fran­co-alle­mande juste après la signa­ture du trai­té fran­co-alle­mand, la poli­tique de la « chaise vide » de la France à Bruxelles dans les années 60, l’é­chec du plan Wer­ner sur l’u­nion moné­taire début des années 70, la moro­si­té euro­péenne au début des années 80, la brouille fran­co-alle­mande à la veille de l’u­ni­fi­ca­tion, les cafards de Maas­tricht, les ruines de Sara­je­vo en témoignent. 

Et la longue exis­tence du rideau de fer en Europe et du Mur en Alle­magne ne fut-elle pas le monu­ment-monstre d’une crise de longue durée ? L’é­chec ou la crise, comme acte de nais­sance du futur suc­cès, ne serait-ce pas là le secret du renou­veau conti­nu européen ? 

Et huit ans après la chute du Mur au cœur de l’Eu­rope nous conti­nuons à fer­mer la longue période d’a­près-guerre. Ni l’Eu­rope ni l’Al­le­magne ne sont plus, aujourd’­hui, orphe­lines de leur sort. La séré­ni­té amère de l’his­toire a fini par nous retrou­ver le des­sein d’une Europe qui embrasse de nou­veau sa taille d’an­tan. Mais les len­de­mains de cette der­nière ne chantent pas gra­tui­te­ment, et sa gran­deur ne fait pas for­cé­ment le bon­heur des siens. Elle se doit de culti­ver sa mémoire, sa propre forge de l’i­dée qu’elle se fait d’elle-même, mémoire qui ne connaît point les paren­thèses, ni celles de la joie ni celles de la colère. Qu’elle reste à l’é­coute de l’a­pa­tride Ivan Goll, poète de langue fran­çaise et alle­mande, qui appe­lait, en 1938, le cyclope,
« Frère au front poli
Rebâ­tit l’Europe
Le rêve aboli (…)
Et sous les médailles
D’astres redorés
Suis les funérailles
D’un siècle abhorré. »

Et que cette Europe rebâ­tie soit moins unie par un péril com­mun que par un inté­rêt propre. Et qu’elle ne soit plus trop grande ni pour la France ni pour l’Al­le­magne. Toutes les deux auront l’Eu­rope qu’elles mériteront.

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