Évolution du climat : du passé récent vers le futur

Dossier : L'effet de serreMagazine N°555 Mai 2000
Par Jean JOUZEL
Par Claude LORIUS

Nous appuyant lar­ge­ment sur les conclu­sions du rap­port qui traite des aspects scien­ti­fiques du chan­ge­ment cli­ma­tique (groupe 1), nous nous pro­po­sons de faire le point sur ce pro­blème du réchauf­fe­ment cli­ma­tique dû à l’ef­fet de serre addi­tion­nel qui résulte des acti­vi­tés humaines. Nous exa­mi­nons ensuite de quelle façon l’é­tude des cli­mats du pas­sé a contri­bué à ce débat sur l’é­vo­lu­tion future du cli­mat et les rai­sons pour les­quelles elle devrait conti­nuer à y tenir une place importante.

Un degré de confiance qui augmente

Le constat de l’aug­men­ta­tion conti­nue de la concen­tra­tion des gaz à effet de serre et du fait que cette aug­men­ta­tion résulte des acti­vi­tés humaines fait désor­mais l’ob­jet d’un consen­sus au sein du monde scien­ti­fique. Il est à pla­cer aux rangs des certitudes.

Les années récentes ont été par­mi les plus chaudes depuis 1860 (le début de la période d’ins­tru­men­ta­tion) et ce, mal­gré l’ef­fet de refroi­dis­se­ment dû à l’é­rup­tion vol­ca­nique du mont Pina­tu­bo en 1991. L’an­née 1997 a bat­tu le record pré­cé­dem­ment déte­nu par l’an­née 1995 et sera bat­tue par 1998. En moyenne glo­bale, la tem­pé­ra­ture de sur­face a aug­men­té de 0,3 à 0,6 °C envi­ron depuis la fin du XIXe siècle.

L’aug­men­ta­tion signi­fi­ca­tive du niveau de la mer obser­vée au cours des 100 der­nières années (10 à 25 cm) est, en grande par­tie, impu­table à la dila­ta­tion ther­mique de l’o­céan qui a résul­té de cette aug­men­ta­tion de tem­pé­ra­ture et, à un degré moindre, à la fonte des gla­ciers. D’autres carac­té­ris­tiques, comme l’aug­men­ta­tion plus impor­tante des tem­pé­ra­tures noc­turnes que des tem­pé­ra­tures diurnes, sont bien documentées.

Et même si les don­nées sont sur cer­tains points insuf­fi­santes – par exemple, pour déter­mi­ner si des modi­fi­ca­tions de la varia­bi­li­té du cli­mat ou de la fré­quence des évé­ne­ments météo­ro­lo­giques extrêmes se sont pro­duites à l’é­chelle glo­bale – les experts s’ac­cordent en 1995, comme ils l’a­vaient fait dans le pre­mier rap­port GIEC publié en 1990, pour affir­mer que le réchauf­fe­ment du cli­mat est une réalité.

Des modèles plus pointus

L’une des avan­cées signi­fi­ca­tives de la période récente a été la prise en compte du for­çage radia­tif néga­tif (effet de refroi­dis­se­ment) pro­vo­qué par les aéro­sols d’o­ri­gine humaine (les­quels sont les fruits de la pol­lu­tion « locale » : pous­sières, SO2). Désor­mais plei­ne­ment recon­nu, celui-ci reste encore dif­fi­cile à cer­ner avec précision.

Ces aéro­sols (essen­tiel­le­ment for­més de com­po­sés sou­frés) sont pré­sents sous forme de par­ti­cules micro­sco­piques en sus­pen­sion dans l’air. Ils pro­viennent, en par­ti­cu­lier, de l’u­ti­li­sa­tion des com­bus­tibles fos­siles, et ont entraî­né un for­çage néga­tif direct d’en­vi­ron 0,5 W.m‑2 en moyenne glo­bale, ain­si que, pro­ba­ble­ment, un for­çage néga­tif indi­rect d’une valeur comparable.

Le refroi­dis­se­ment sus­cep­tible d’en résul­ter suit rapi­de­ment l’aug­men­ta­tion ou la dimi­nu­tion des émis­sions et est concen­tré sur cer­taines régions et zones sub­con­ti­nen­tales, alors que le réchauf­fe­ment lié à l’aug­men­ta­tion de l’ef­fet de serre pré­sente un carac­tère glo­bal. Si l’on com­bine les deux effets dans les modèles cli­ma­tiques, on constate que la simu­la­tion des carac­té­ris­tiques – géo­gra­phiques, sai­son­nières et ver­ti­cales – des champs de tem­pé­ra­ture s’a­mé­liore nota­ble­ment par rap­port au cas où seul l’ef­fet de serre est pris en considération.

La com­pa­rai­son entre réchauf­fe­ment pré­dit et obser­vé depuis 1860 a été éga­le­ment signi­fi­ca­ti­ve­ment amé­lio­rée par la prise en compte des aéro­sols sou­frés qui, en outre, donne une expli­ca­tion plau­sible du fait que la tem­pé­ra­ture se réchauffe plus la nuit que le jour (le for­çage lié aux aéro­sols n’in­ter­vient que le jour, car il n’in­ter­vient que sur la par­tie visible du rayonnement).

Des séries historiques mieux documentées

À ceci s’a­joute une meilleure connais­sance des varia­tions du cli­mat au cours des der­niers siècles. Dif­fé­rents indi­ca­teurs conduisent les spé­cia­listes des cli­mats du pas­sé à indi­quer que la tem­pé­ra­ture de l’air, en moyenne glo­bale, est au moins aus­si éle­vée au XXe siècle qu’elle ne l’a été à toute autre époque entre la période actuelle et 1400 après J.-C. Des tra­vaux récents (Mann et al., 1998) confirment ce diag­nos­tic (IPCC, 1996) et indiquent que trois des huit der­nières années ont été, dans l’hé­mi­sphère nord, plus chaudes que n’im­porte quelle autre année depuis cette date.

Sou­li­gnons, cepen­dant, que beau­coup reste à faire dans ce domaine de la varia­bi­li­té dite « récente » du cli­mat ; à titre d’exemple, les chan­ge­ments asso­ciés au petit âge gla­ciaire qu’a connu l’Eu­rope entre les XVe et XIXe siècles res­tent insuf­fi­sam­ment docu­men­tés à l’é­chelle glo­bale (Brad­ley et al., 1996).

Enfin, ce fais­ceau d’élé­ments est com­plé­té par des études sta­tis­tiques, dont la plu­part ont per­mis de détec­ter des chan­ge­ments signi­fi­ca­tifs démon­trant que le réchauf­fe­ment obser­vé n’est vrai­sem­bla­ble­ment pas d’o­ri­gine uni­que­ment natu­relle. Aucun de ces élé­ments ne consti­tue en soi une preuve, mais c’est leur conver­gence qui a conduit les scien­ti­fiques à sug­gé­rer qu’il y a « une influence per­cep­tible de l’homme sur le cli­mat glo­bal ». Les dis­cus­sions qui ont eu lieu à la confé­rence du Pro­gramme de recherche sur le cli­mat (qui s’est tenue à Genève en août 1997) indiquent que ce diag­nos­tic, et l’es­prit de pru­dence qui l’ac­com­pagne, n’ont pas de rai­son d’être modifiés.

Le climat du XXIe siècle ?

Qu’en est-il main­te­nant des pré­dic­tions pour le XXIe siècle ? Exa­mi­nons d’a­bord celles rela­tives à l’aug­men­ta­tion des concen­tra­tions des gaz à effet de serre. Le GIEC a éta­bli un ensemble de scé­na­rios d’é­mis­sions basés sur dif­fé­rentes hypo­thèses concer­nant la crois­sance démo­gra­phique et éco­no­mique, l’ex­ploi­ta­tion des sols, les pro­grès tech­no­lo­giques et l’ap­pro­vi­sion­ne­ment éner­gé­tique, et la façon dont les dif­fé­rentes sources d’éner­gie contri­bue­ront à cet appro­vi­sion­ne­ment entre 1990 et 2100.

Le scé­na­rio cor­res­pon­dant aux taux d’é­mis­sions les plus éle­vés (lS92a), est carac­té­ri­sé par une aug­men­ta­tion rapide de la popu­la­tion, une crois­sance forte et un appro­vi­sion­ne­ment éner­gé­tique lar­ge­ment basé sur l’u­ti­li­sa­tion des com­bus­tibles fos­siles1 ; il condui­rait, à la fin du siècle pro­chain, à un tri­ple­ment de la concen­tra­tion du CO2 par rap­port à sa valeur pré­in­dus­trielle (de 280 ppmv, par­ties par mil­lion en volume à 840 ppmv).

Le scé­na­rio le plus contrai­gnant (lS92c) est basé sur l’hy­po­thèse d’une aug­men­ta­tion peu impor­tante de la popu­la­tion, d’une crois­sance éco­no­mique faible et d’un appro­vi­sion­ne­ment éner­gé­tique très diver­si­fié ; ce scé­na­rio, qui cor­res­pond à des émis­sions proches, voire infé­rieures, à leur niveau actuel, conduit néan­moins à une aug­men­ta­tion signi­fi­ca­tive de la teneur en CO2 à la fin du siècle pro­chain (proche de 500 ppmv).

Il est donc impor­tant de noter que, même si un effort est accom­pli en faveur d’un main­tien des émis­sions à leur niveau actuel (aux envi­rons de 6 mil­liards de tonnes de car­bone), les concen­tra­tions auront néan­moins presque dou­blé en 2100. Les modèles indiquent, en outre, que l’ob­jec­tif d’une sta­bi­li­sa­tion de la concen­tra­tion en CO2 ne peut être atteint que si les émis­sions redes­cendent, à un moment don­né, en des­sous de leur niveau actuel.

Pour cha­cun de ces scé­na­rios, l’ac­crois­se­ment du for­çage radia­tif est ensuite cal­cu­lé entre 1750 et la fin du siècle pro­chain, en tenant compte des autres gaz à effet de serre (dont l’o­zone) et des aéro­sols. Sui­vant les scé­na­rios, cet accrois­se­ment varie de 4 à 8 W.m2 ; dans le cas extrême, ceci cor­res­pond à une per­tur­ba­tion du bilan éner­gé­tique de notre pla­nète supé­rieur à 3%.

Les modèles cli­ma­tiques sont alors uti­li­sés pour pré­dire l’é­vo­lu­tion du cli­mat. Ces pré­dic­tions ont été réa­li­sées à par­tir de dif­fé­rentes hypo­thèses sur la « sen­si­bi­li­té du cli­mat » (défi­nie comme l’aug­men­ta­tion de tem­pé­ra­ture qui résul­te­rait d’un dou­ble­ment de la teneur en CO2 une fois l’é­qui­libre cli­ma­tique atteint). Le large domaine des « sen­si­bi­li­tés » choi­sies (de 1,5 à 4,5 °C, avec une valeur la plus pro­bable de 2,5 °C) témoigne de nos incer­ti­tudes quant à la réac­tion du cli­mat vis-à-vis d’une aug­men­ta­tion des gaz à effet de serre.

En fait, la tâche du modé­li­sa­teur serait simple s’il suf­fi­sait de tenir compte de l’ef­fet radia­tif direct : une aug­men­ta­tion de 4 W.m2, cor­res­pon­dant à peu près à un dou­ble­ment de la teneur en CO2, indui­rait, une fois l’é­qui­libre atteint, un réchauf­fe­ment moyen de 1,2 °C. Mais les choses sont plus com­plexes. Le réchauf­fe­ment ini­tial de l’at­mo­sphère se trans­met peu à peu à l’o­céan, avec deux consé­quences : un accrois­se­ment de l’é­va­po­ra­tion et une dimi­nu­tion de la glace de mer.

L’une et l’autre ampli­fient le réchauf­fe­ment ini­tial à tra­vers, d’une part, l’aug­men­ta­tion de la vapeur d’eau atmo­sphé­rique et, d’autre part, la dis­pa­ri­tion de sur­faces for­te­ment réflé­chis­santes. Et sur­tout, les modi­fi­ca­tions induites au niveau des nuages sont mal connues et peuvent avoir des effets anta­go­nistes, sui­vant le type de nuages et leur altitude.

Les valeurs de la sen­si­bi­li­té du cli­mat men­tion­nées ci-des­sus, toutes supé­rieures à 1,2 °C, indiquent que le for­çage radia­tif direct est dans tous les cas ampli­fié. Leur grande dis­per­sion est, quant à elle, lar­ge­ment liée à la façon dont les modèles prennent en compte le rôle des nuages.

Les conclu­sions les plus impor­tantes du rap­port du GIEC (IPCC, 1996) concernent la tem­pé­ra­ture moyenne de la pla­nète et le niveau de la mer.

Dans l’hy­po­thèse du scé­na­rio moyen du GIEC (IS92e) avec la valeur la plus pro­bable de la « sen­si­bi­li­té du cli­mat » et la prise en compte de l’aug­men­ta­tion de la concen­tra­tion d’aé­ro­sols, l’aug­men­ta­tion pré­dite de la tem­pé­ra­ture moyenne glo­bale à la sur­face est d’en­vi­ron 2 °C entre 1990 et 2100.

Le scé­na­rio d’é­mis­sion le plus bas (lS92c), avec une faible valeur de la « sen­si­bi­li­té du cli­mat » et la prise en compte de l’in­ci­dence de la pro­gres­sion pré­vue de la concen­tra­tion d’aé­ro­sols (qui sont un reflet de la pol­lu­tion locale), conduit à pré­dire un réchauf­fe­ment d’en­vi­ron 1 °C en 2100.

Le scé­na­rio d’é­mis­sion le plus éle­vé (IS92a) et une valeur forte de la « sen­si­bi­li­té du cli­mat », conduisent à pré­dire un réchauf­fe­ment de 3,5 °C envi­ron, qui pour­rait aller jus­qu’à 4,5 °C si les aéro­sols étaient main­te­nus à leur niveau actuel. Dans tous les cas de figure, la rapi­di­té du réchauf­fe­ment serait pro­ba­ble­ment plus éle­vée qu’elle ne l’a été à toute autre période depuis 10.000 ans.

Une élé­va­tion du niveau moyen de la mer est pré­vue, en rai­son du réchauf­fe­ment des océans et de la fonte des gla­ciers de mon­tagne. La valeur la plus pro­bable est de 50 cm, avec des valeurs extrêmes de 15 et 95 cm, indi­quant l’in­cer­ti­tude atta­chée à cette pré­dic­tion. Une par­tie de l’in­cer­ti­tude est due à celle asso­ciée à la « sen­si­bi­li­té du cli­mat », mais une plus large part résulte de notre connais­sance insuf­fi­sante du cycle hydro­lo­gique dans les régions polaires.

En cas de réchauf­fe­ment, l’at­mo­sphère polaire contien­drait plus de vapeur d’eau et on peut s’at­tendre à une aug­men­ta­tion des chutes de neige sur le Groen­land et l’An­tarc­tique. Ce phé­no­mène ten­drait à dimi­nuer l’é­lé­va­tion du niveau de la mer due à la dila­ta­tion de l’o­céan, tout au moins pour quelques siècles, jus­qu’à ce que l’ac­crois­se­ment de la fonte des glaces ne devienne plus impor­tant que l’aug­men­ta­tion de l’accumulation.

En fait, de grandes incer­ti­tudes sont liées à notre mau­vaise connais­sance des bilans de masse du Groen­land, et sur­tout de l’An­tarc­tique, ain­si que de leur évo­lu­tion future en cas de réchauf­fe­ment cli­ma­tique. En atten­dant de dis­po­ser de don­nées satel­li­taires suf­fi­sam­ment pré­cises, il n’est pas pos­sible de savoir si le volume des calottes gla­ciaires aug­mente ou dimi­nue. Il est aus­si très dif­fi­cile d’é­ta­blir un lien éven­tuel entre la débâcle récente d’im­menses ice­bergs autour de la pénin­sule Antarc­tique et le réchauf­fe­ment du cli­mat obser­vé dans cette région (Vau­ghan et Doake, 1996).

Notons qu’en rai­son de l’i­ner­tie ther­mique des océans, la tem­pé­ra­ture moyenne et le niveau de la mer conti­nue­raient à aug­men­ter au-delà de 2100, même si la concen­tra­tion des gaz à effet de serre s’est alors sta­bi­li­sée. La tem­pé­ra­ture n’au­rait alors pro­gres­sé que de 50 à 90 % vers son point d’é­qui­libre ; le niveau de la mer conti­nue­rait à s’é­le­ver pen­dant de nom­breux siècles.

Une autre conclu­sion inté­res­sante concerne le ren­for­ce­ment du cycle hydro­lo­gique, qui résul­te­rait de l’é­lé­va­tion de la tem­pé­ra­ture. Celui-ci pour­rait entraî­ner l’ag­gra­va­tion des séche­resses et/ou des inon­da­tions à cer­tains endroits et une dimi­nu­tion de leur inten­si­té dans d’autres.

Des incertitudes et des risques de « surprises »

Les modé­li­sa­teurs sont bien conscients des dif­fé­rentes sources d’in­cer­ti­tude. Dans les pré­dic­tions pré­sen­tées dans le rap­port du GIEC, ils ont eu pour objec­tif de lar­ge­ment les prendre en compte dans leurs esti­ma­tions rela­tives à la tem­pé­ra­ture moyenne de la pla­nète et au niveau de la mer. Celles-ci peuvent donc être consi­dé­rées comme fiables, dans les limites indi­quées ci-dessus.

Cepen­dant, dans l’é­tat actuel des connais­sances, la confiance est moindre dans les pré­dic­tions cli­ma­tiques à l’é­chelle régio­nale et dans celles qui concernent les pré­ci­pi­ta­tions et le cycle hydrologique.

Mais les experts attirent aus­si l’at­ten­tion, et ceci est un point tout à fait nou­veau, sur la pos­si­bi­li­té de « sur­prises cli­ma­tiques ». Cette notion doit beau­coup à la décou­verte, par des carot­tages gla­ciaires au Groen­land, de l’exis­tence de varia­tions cli­ma­tiques rapides au cours de la der­nière période gla­ciaire et de la tran­si­tion qui a conduit, il y a un peu plus de 10.000 ans, au cli­mat actuel.

On a en effet consta­té que cette région a connu à cette époque un réchauf­fe­ment des tem­pé­ra­tures de 10 °C envi­ron en quelques dizaines d’an­nées ; les chan­ge­ments du taux de pré­ci­pi­ta­tion et de la cir­cu­la­tion atmo­sphé­rique qui les accom­pagnent sont éga­le­ment impor­tants et encore plus brusques.

Le retour vers les condi­tions froides fut d’a­bord lent, puis rela­ti­ve­ment rapide. Ces séquences en « dent de scie » d’une durée de 500 à 2 000 ans se répètent une ving­taine de fois au cours de la der­nière période gla­ciaire (sur 100.000 ans environ).

Des résul­tats récents montrent que celles-ci ne sont pas limi­tées au Groen­land. D’a­bord, leur struc­ture appa­raît extrê­me­ment simi­laire à celles des évé­ne­ments rapides mis en évi­dence dans des sédi­ments marins de l’At­lan­tique Nord (Bond et al., 1993).

Ensuite, à cha­cune d’entre elles cor­res­pond géné­ra­le­ment une aug­men­ta­tion signi­fi­ca­tive (de l’ordre de 50%) des teneurs en méthane de l’at­mo­sphère ; celles-ci témoignent très pro­ba­ble­ment de varia­tions du cycle hydro­lo­gique conti­nen­tal aux basses lati­tudes (la pro­duc­tion « natu­relle » du méthane est liée à l’é­ten­due des zones inon­dées) et sug­gèrent que ces évé­ne­ments rapides ont influen­cé le cli­mat de l’hé­mi­sphère nord dans son ensemble (Chap­pel­laz et al., 1993).

De plus, l’a­na­lyse des sédi­ments marins montre qu’il y a un lien entre ces évé­ne­ments et la décharge mas­sive d’i­ce­bergs pro­ve­nant des grandes calottes qui exis­taient alors dans l’hé­mi­sphère nord (Bond et al., 1993). Cette arri­vée d’é­normes quan­ti­tés d’eau douce aurait alors contri­bué à modi­fier la cir­cu­la­tion océa­nique et par là même le cli­mat, four­nis­sant ain­si une expli­ca­tion rai­son­nable à l’exis­tence d’ins­ta­bi­li­tés cli­ma­tiques en période glaciaire.

La décou­verte de varia­tions cli­ma­tiques rapides, très pro­ba­ble­ment liées à des chan­ge­ments de cir­cu­la­tion océa­nique, a atti­ré l’at­ten­tion les experts du GIEC sur la pos­si­bi­li­té que des fluc­tua­tions rapides et de grande ampleur sur­viennent dans le futur, de façon inat­ten­due. De telles sur­prises seraient syno­nymes de véri­table bou­le­ver­se­ment cli­ma­tique (en cas, par exemple, de modi­fi­ca­tion notable des cou­rants marins comme le Gulf Stream).

Des simu­la­tions récentes y apportent une cer­taine cré­di­bi­li­té, indi­quant par exemple que le risque de modi­fi­ca­tion de la cir­cu­la­tion ther­mo­ha­line2 aug­mente en fonc­tion à la fois du niveau de sta­bi­li­sa­tion du CO2 et du rythme d’ac­crois­se­ment des concen­tra­tions condui­sant à cette sta­bi­li­sa­tion (Sto­cker et Schmit­ter, 1997).

Mais, même si de telles modi­fi­ca­tions ne deve­naient jamais réa­li­té, les consé­quences du réchauf­fe­ment régu­lier qui résul­te­rait de l’aug­men­ta­tion de l’ef­fet de serre en l’ab­sence de toute sur­prise, ana­ly­sées de façon détaillée dans le rap­port du groupe 2 du GIEC, sont suf­fi­sam­ment bien éta­blies pour qu’elles soient consi­dé­rées très sérieusement.

Les données du passé : un élément essentiel dans le débat sur l’évolution du climat

Cette notion de sur­prise cli­ma­tique découle direc­te­ment des décou­vertes réa­li­sées, pour l’es­sen­tiel, au cours des cinq der­nières années, par les gla­cio­logues, les paléo-océa­no­graphes et les paléo­cli­ma­to­lo­gistes continentaux.

Mais l’in­té­rêt des recherches conduites s’é­tend bien au-delà de ce seul aspect des varia­tions cli­ma­tiques majeures sur­ve­nant à l’é­chelle d’une vie humaine (et même plus rapidement).

Dans ce domaine de la varia­bi­li­té du cli­mat, une connais­sance détaillée des fluc­tua­tions au cours des der­niers siècles et mil­lé­naires est cri­tique vis-à-vis de la détec­tion du signal anthro­pique. Grâce aux études réa­li­sées en milieu marin (coraux) et conti­nen­tal (cernes d’arbres), ain­si qu’à par­tir de séries gla­ciaires, cette connais­sance a pro­gres­sé et per­met de mieux situer le réchauf­fe­ment obser­vé au cours du XXè siècle dans sa pers­pec­tive his­to­rique. Elle reste cepen­dant très insuf­fi­sante, en par­ti­cu­lier sur le plan de la cou­ver­ture géographique.

L’in­té­rêt des glaces polaires pour recons­ti­tuer les varia­tions des concen­tra­tions des gaz à effet de serre depuis le début de l’ère indus­trielle a déjà été men­tion­né. Pour ces études por­tant sur des varia­tions rela­ti­ve­ment récentes, les don­nées pro­viennent de sites à forte accu­mu­la­tion de neige (sites côtiers de l’An­tarc­tique, en par­ti­cu­lier). Il est éga­le­ment essen­tiel d’é­va­luer les autres com­po­santes du for­çage cli­ma­tique, qu’elles soient d’o­ri­gine natu­relle (aéro­sols vol­ca­niques, acti­vi­té solaire) ou anthro­pique (aéro­sols pro­duits par l’ac­ti­vi­té humaine).

Les glaces polaires contiennent sur cha­cun de ces aspects des infor­ma­tions per­ti­nentes. Ain­si, elles enre­gistrent, de façon fidèle, le calen­drier et l’in­ten­si­té des érup­tions vol­ca­niques ; la concen­tra­tion des iso­topes cos­mo­gé­niques (pro­ve­nant du rayon­ne­ment cos­mique) y témoigne des varia­tions de l’ac­ti­vi­té solaire.

De façon inté­res­sante, il appa­raît que la « sen­si­bi­li­té du cli­mat » dépend rela­ti­ve­ment peu de la période cli­ma­tique consi­dé­rée ; elle peut donc être éva­luée à par­tir des don­nées du pas­sé ; cette approche ne requiert pas que soit com­plè­te­ment déchif­frée la com­plexi­té des méca­nismes des grands chan­ge­ments climatiques.

Varia­tion, au cours des der­niers cent cin­quante mille ans, de la concen­tra­tion en gaz car­bo­nique (en haut), de la dif­fé­rence de tem­pé­ra­ture au-des­sus de J’An­tarc­tique (la tem­pé­ra­ture actuelle est d’en­vi­ron – 55°C), de la teneur en méthane (au milieu) et de la teneur en oxy­gène 18 de l’o­céan (en bas, échelle de gauche), indi­ca­teur du niveau de la mer (en bas, échelle de droite). Cette figure est adap­tée de Ray­naud et al. (1993).

Il suf­fit, lorsque l’on se borne à cet aspect « sensibi1ité du cli­mat » que puissent être cor­rec­te­ment esti­més les dif­fé­rents for­çages qui opèrent, par exemple, à l’é­chelle des grands chan­ge­ments cli­ma­tiques. C’est le cas pour le der­nier cycle gla­ciaire-inter­gla­ciaire grâce, en par­ti­cu­lier, au forage Antarc­tique de Vos­tok qui a per­mis de recons­ti­tuer l’his­toire des varia­tions natu­relles du gaz car­bo­nique et du méthane et de mettre en évi­dence (figure 9) leur lien avec les grandes fluc­tua­tions gla­ciaires et inter­gla­ciaires (Lorius et al., 1990 ; Ray­naud et al., 1993, pour un récent article de synthèse).

Au regard de ces « paléo­don­nées », une valeur de 3 à 4 °C pour la « sen­si­bi­li­té du cli­mat », située dans la four­chette uti­li­sée dans les pré­dic­tions du GIEC, appa­raît tout à fait réa­liste. Nous recon­nais­sons que cette approche a des limites, liées, en par­ti­cu­lier, au niveau de l’es­ti­ma­tion pré­cise de la varia­tion de tem­pé­ra­ture moyenne de la pla­nète dans le pas­sé et au fait que l’in­for­ma­tion ain­si déduite sur les rétro­ac­tions cli­ma­tiques n’est pas direc­te­ment extra­po­lable au réchauf­fe­ment cli­ma­tique (Ram­stein et al., 1998).

Cepen­dant, elle illustre bien le résul­tat clé mis en évi­dence, à des degrés divers, par l’en­semble des modèles cli­ma­tiques : ce sont des méca­nismes d’am­pli­fi­ca­tion vis-à-vis du for­çage radia­tif lié à l’ef­fet de serre anthro­po­gé­nique (et non d’at­té­nua­tion) qui devraient opé­rer au cours des pro­chaines décen­nies. D’ailleurs, les résul­tats obte­nus à Vos­tok ont joué un rôle impor­tant dans la prise de conscience de ce pro­blème du réchauf­fe­ment cli­ma­tique lié à l’aug­men­ta­tion des gaz à effet de serre.

L’ex­ten­sion récente de ce forage, qui couvre désor­mais quatre cycles cli­ma­tiques (Petit et al., 1997), devrait per­mettre d’en­ri­chir notre connais­sance des inter­ac­tions entre cli­mat et effet de serre dans le passé.

Les enre­gis­tre­ments paléo­cli­ma­tiques contiennent éga­le­ment des infor­ma­tions sur les méca­nismes du climat.

Les séries marines ont démon­tré l’im­por­tance des varia­tions d’in­so­la­tion (Hays et al., 1976 ; lmbrie et al., 1992, 1993) et des chan­ge­ments de cir­cu­la­tion océa­nique (Duples­sy et al., 1992 ; Labey­rie et al., 1992).

Le rôle de l’in­so­la­tion est éga­le­ment mis en évi­dence dans les séries gla­ciaires (Wael­broeck et al., 1995, Jou­zel et al., 1996), aus­si bien (figure 10) dans l’en­re­gis­tre­ment des varia­tions de la tem­pé­ra­ture que dans celui de la com­po­si­tion iso­to­pique de l’oxy­gène de l’air. Cette der­nière dépend du volume des glaces conti­nen­tales, mais aus­si du cycle hydro­lo­gique (rythme des mous­sons), qui sont l’un et l’autre influen­cés par les chan­ge­ments d’insolation.

Les glaces polaires contiennent aus­si des infor­ma­tions sur l’in­ten­si­té de la cir­cu­la­tion atmo­sphé­rique (Petit et al., 1990). Les paléo­cli­ma­to­lo­gistes portent actuel­le­ment une atten­tion par­ti­cu­lière aux rôles res­pec­tifs de l’at­mo­sphère et de l’o­céan dans le trans­fert inter­hé­mi­sphé­rique des signaux cli­ma­tiques, ceux par exemple asso­ciés aux tran­si­tions cli­ma­tiques et aux varia­tions rapides (Jou­zel et al., 1995 ; Sowers et Ben­der, 1995 ; Yiou et al., 1995 ; Yiou et al., 1997 ; Blu­nier et al., 1998).

Enfin, glaces polaires et sédi­ments témoignent des inter­ac­tions entre cli­mat et cycles bio­géo­chi­miques (gaz car­bo­nique, méthane…), d’une part, et entre cli­mat et chi­mie atmo­sphé­rique, d’autre part.

Notre com­mu­nau­té scien­ti­fique a plei­ne­ment pris conscience de l’in­té­rêt de mieux docu­men­ter les varia­tions pas­sées du cli­mat, d’en iden­ti­fier causes et méca­nismes, et de les modé­li­ser de façon réa­liste. Une place de plus en plus impor­tante est désor­mais faite à ces recherches dans les grands pro­grammes inter­na­tio­naux dédiés à l’é­tude du chan­ge­ment global.

Dès son lan­ce­ment, au milieu des années 1980, le pro­gramme inter­na­tio­nal Bio­sphère Géo­sphère (PIGB) a inté­gré cette dimen­sion paléo­cli­ma­tique à tra­vers le pro­jet PAGES (PAst Glo­bal changEs). Le Pro­gramme de recherche mon­dial sur le cli­mat vient, pour la pre­mière fois, de la prendre en compte dans une des actions qu’il coor­donne (CLIVAR : CLl­mate VARia­bi­li­ty and predictability).

Ce pro­gramme, dont l’ob­jec­tif est d’a­mé­lio­rer la com­pré­hen­sion du sys­tème cli­ma­tique, de mieux en appré­hen­der la varia­bi­li­té, sai­son­nière et inter­an­nuelle, et de pré­dire son évo­lu­tion à plus long terme en réponse aux modi­fi­ca­tions induites par les acti­vi­tés humaines, accorde une belle place à l’é­tude du cli­mat pas­sé de notre pla­nète (CLIVAR, 1997).

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1. À quelques réserves près concer­nant la popu­la­tion (dont on consi­dère désor­mais comme pos­sible une sta­bi­li­sa­tion vers le milieu du siècle pro­chain) cela cor­res­pond à la pro­lon­ga­tion ten­dan­cielle de ce qui se passe maintenant.
2. Ce terme désigne des cou­rants de convec­tion entre sur­face et océan profond.

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