Évocations

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°645 Mai 2009Rédacteur : Jean Salmona (56)

Asso­cier une image à un son, c’est ce que nous fai­sons tous quand nous écou­tons une musique enten­due autre­fois et que nous revoyons la scène plus ou moins floue d’un moment que nous avons vécu. Les musiques de film, certes plus réduc­trices, sont plus évo­ca­trices encore car elles nous remé­morent des images bien défi­nies et bien cadrées, que nous pou­vons revoir iden­tiques à elles-mêmes, pro­vo­quant à volon­té, un peu réchauf­fée peut-être mais tou­jours vivace, l’émotion que nous avons éprou­vée la pre­mière fois que nous avons vu Une par­tie de Cam­pagne ou L’homme qui n’a pas d’étoile.

Laurent Kor­cia – Cinéma
Sous ce titre, Laurent Kor­cia a ras­sem­blé une ving­taine de musiques de films, qu’il joue au pre­mier degré, sans rete­nue, comme un tzi­gane dans un res­tau­rant de Buda­pest, mais avec ce son cha­leu­reux et inimi­table qui est celui de cet excellent vio­lo­niste fran­çais1. Défilent ain­si Ennio Mor­ri­cone, Laz­lo Schif­frin, Nino Rota, Grap­pel­li, Ger­sh­win, Cha­plin (la musique des Temps modernes) et bien d’autres. C’est joué comme c’est écrit, sans impro­vi­sa­tion, puisqu’il s’agit non de créer mais de faire revivre à l’identique. Mar­got, qui aime le mélo­drame, pleurera.

Brahms, Reger, Men­dels­sohn, Jana­cek, Strauss 
Gérard Pou­let, autre vio­lo­niste fran­çais, mais aus­si sobre et rete­nu que Kor­cia est exces­sif, a enre­gis­tré avec la pia­niste Lud­mil­la Ber­lins­kaïa trois sonates peu jouées : une Sonate en fa majeur de Men­dels­sohn, la Sonate de Richard Strauss et celle de Jana­cek2. Un demi-siècle sépare les sonates de Men­dels­sohn et Strauss, mais elles sont incroya­ble­ment proches : par­fai­te­ment clas­siques, lyriques, sans aucun élé­ment nova­teur, mais bien construites, avec des mélo­dies superbes, qui en feraient des musiques tout indi­quées pour un film sur un roman de Sten­dhal. La très belle Sonate de Jana­cek, forte, ori­gi­nale, rien moins que clas­sique, serait par­fai­te­ment en situa­tion dans un film sur la Pre­mière Guerre mondiale.

Max Reger, contem­po­rain de Ravel et Schoen­berg mais mort jeune en 1916, bien peu connu en France, est l’archétype du musi­cien à l’étroit dans les formes clas­siques mais qui ne veut – ou ne peut – pas s’en défaire, et qui par­vient, presque mira­cu­leu­se­ment, à être ori­gi­nal et pro­fon­dé­ment émou­vant grâce à un je-ne-sais-quoi tour­men­té, de feu qui couve sous la cendre, et qui le dis­tingue de ses pré­dé­ces­seurs, notam­ment de Brahms, comme Le Cara­vage est à cent lieues de Michel-Ange et de Raphaël. Alexandre Knia­zev, vio­lon­cel­liste fou­gueux et pré­cis bien connu des habi­tués du Fes­ti­val de La Roque‑d’Anthéron, et Edouard Oga­nes­sian, jouent avec ce qu’il faut de lyrisme inquié­tant les deux Sonates pour vio­lon­celle et pia­no et diverses autres pièces, très beau disque d’initiation à la musique de Max Reger. Musique pour un film de Pabst ?

Et Brahms ? Obsé­dé, comme on le sait, par la figure tuté­laire de Bee­tho­ven et la crainte de ne pas être à la hau­teur, il com­pose son pre­mier qua­tuor en 1873, l’année de nais­sance de Reger, avec le même maté­riau har­mo­nique que Bee­tho­ven, mais quelle dif­fé­rence ! Rythmes syn­co­pés, foi­son­ne­ment des idées mélo­diques, enchaî­ne­ments har­mo­niques en font une œuvre infi­ni­ment plus nova­trice, au fond, que n’importe quelle pièce de musique d’aujourd’hui. L’interprétation du Qua­tuor Arcan­to3 est par­fai­te­ment adap­tée, tour­men­tée, amère, mais sans sacri­fier la tech­nique ni la cohé­sion de l’ensemble. Sur le même disque figure le Quin­tette pour pia­no et cordes avec au pia­no Silke Aven­haus, sans doute le plus beau des quin­tettes avec pia­no, que l’on peut pré­fé­rer à bon droit à ceux de Schu­mann et Dvo­rak, som­met du Roman­tisme alle­mand, joué dans le même esprit, superbe.

Sha­dows of silence
Sous ce titre abs­cons, le pia­niste Leif Ove And­snes a réuni un ensemble de pièces de musique contem­po­raine de Seren­sen et Kur­tag (pour pia­no seul) et deux Concer­tos pour pia­no et orchestre, de Lutos­laws­ki et du com­po­si­teur fran­çais Dal­ba­vie4, pièces qui ont toutes en com­mun d’être écrites sans par­ti pris dog­ma­tique, sen­sibles, intel­li­gentes, et fon­dées sur la recherche de cou­leurs et de timbres, enfin par­fai­te­ment audibles pour un non-ini­tié (à l’exception du Concer­to de Dal­ba­vie). On pré­fé­re­ra les pièces de Seren­sen, un peu dans l’esprit de Satie et qui seraient bien adap­tées à un film d’Alain Resnais.

P.-S. : enfin ! un guide Web des concerts clas­siques à Paris est désor­mais opé­ra­tion­nel : http://www.musique-maestro.fr, créé par notre cama­rade Pétillon (90). Il recense tous les concerts de la Capi­tale, avec un puis­sant moteur de recherche mul­ti­cri­tère. Il sim­pli­fie remar­qua­ble­ment la vie de l’amateur de concerts, et je vous le recom­mande chaleureusement.

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1. 1 CD EMI.
2. 1 CD SAPHIR.
3. 1 CD HARMONIA MUNDI.
4. 1 CD EMI.

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