Événements météorologiques extrêmes et impacts sanitaires

Dossier : Le changement climatique ........................ 1ere partie : Les ImpactsMagazine N°679 Novembre 2012Par : Mathilde PASCAL, Philippe PIRARD et Yvon MOTREFF, épidémiologistes à l’InVS (Institut de veille sanitaire)

REPÈRES

REPÈRES
Les obser­va­tions et modé­li­sa­tions cli­ma­tiques per­mettent aujourd’hui de mieux com­prendre les chan­ge­ments cli­ma­tiques pré­sents et à venir, et les impacts pos­sibles sur la san­té ont été concep­tua­li­sés en dis­tin­guant les impacts des évé­ne­ments météo­ro­lo­giques extrêmes – vague de cha­leur, inon­da­tion, tem­pête, feu de forêt, séche­resse –, l’émergence ou la réémer­gence de mala­dies infec­tieuses, et une modi­fi­ca­tion des expo­si­tions à des risques envi­ron­ne­men­taux (air, eau, rayon­ne­ment UV, ali­men­ta­tion, etc.).

La modé­li­sa­tion a été lar­ge­ment uti­li­sée pour dres­ser un inven­taire des risques sani­taires atten­dus dans les années à venir, dans les pays en voie de déve­lop­pe­ment comme dans les pays développés.

Cinq axes de recherche
Pour faci­li­ter la prise en compte de la san­té dans les poli­tiques d’adaptation, l’OMS a iden­ti­fié cinq axes de recherche à développer :
1) l’évaluation des risques ;
2) l’identification des mesures d’intervention (pré­ven­tion, ges­tion) les plus efficaces ;
3) l’identification des béné­fices ou des risques géné­rés par les mesures d’adaptation ou d’atténuation ;
4) le déve­lop­pe­ment d’outils d’aide à la décision ;
5) le déve­lop­pe­ment d’outils pour quan­ti­fier les coûts des impacts et des actions.

En Europe, il y a désor­mais un consen­sus sur le fait que le chan­ge­ment cli­ma­tique est un fac­teur de modi­fi­ca­tion des expo­si­tions à des risques sani­taires, envi­ron­ne­men­taux et infec­tieux, pou­vant avoir des impacts consi­dé­rables en termes de san­té publique. L’estimation des risques à venir est cepen­dant ren­due com­plexe par la diver­si­té des déter­mi­nants entrant en jeu dans toute ques­tion sani­taire. Ain­si, la san­té pour­ra être affec­tée (posi­ti­ve­ment ou néga­ti­ve­ment) direc­te­ment par le chan­ge­ment cli­ma­tique, mais aus­si par les stra­té­gies d’adaptation et d’atténuation mises en place par d’autres sec­teurs, rela­tifs par exemple à l’habitat, aux dépla­ce­ments, à l’agroalimentaire, etc.

Il pour­rait y avoir des impacts consi­dé­rables en termes de san­té publique

Les impacts com­bi­nés avec les autres chan­ge­ments en cours et à venir dans la socié­té (démo­gra­phiques, socio-éco­no­miques, éco­lo­giques, etc.) sont ain­si dif­fi­ciles à envisager.

Une recherche à développer

La pro­tec­tion de la san­té publique passe par la mise en place de mesures d’adaptation dans l’ensemble des sec­teurs de la société.

La recherche est aujourd’hui por­tée par peu d’équipes, depuis moins d’une dizaine d’années, et peu d’études quan­ti­ta­tives sont dis­po­nibles. Ce qui limite à la fois la prise en compte du risque cli­ma­tique dans les poli­tiques de san­té publique, et celle des impacts sani­taires pos­sibles dans les poli­tiques d’adaptation.

Les évaluations de l’InVS

En France, dif­fé­rentes ini­tia­tives autour de l’adaptation, incluant des volets san­té, ont été menées notam­ment une consul­ta­tion publique sur les besoins d’adaptation et un plan natio­nal d’adaptation. L’Institut de veille sani­taire (InVS) a éva­lué les besoins d’adaptation de ses sys­tèmes de sur­veillance et les besoins de recherche asso­ciés pour la France métropolitaine.

Les conclu­sions de ce tra­vail sont résu­mées ici pour les vagues de cha­leur et les évé­ne­ments météo­ro­lo­giques extrêmes, qui consti­tuent à moyen terme les prin­ci­paux risques sani­taires asso­ciés au cli­mat en France, et ceux pour les­quels on dis­pose des meilleures connaissances.

Les vagues de chaleur

Un plan canicule
Depuis 2004, le Plan natio­nal cani­cule (PNC) per­met d’anticiper les vagues de cha­leur poten­tiel­le­ment dan­ge­reuses pour la san­té, et de pro­mou­voir les mesures de pré­ven­tion et de ges­tion adap­tées. Ce plan est un exemple type d’adaptation réac­tive en réponse à une catas­trophe sanitaire.

Bien que les risques liés à la cha­leur soient connus depuis long­temps, le sys­tème de san­té fran­çais a été pris de court par l’ampleur des consé­quences de la cani­cule de 2003. Une sur­mor­ta­li­té de près de 15 000 décès a été obser­vée entre le 1er et le 20 août, tou­chant prin­ci­pa­le­ment les zones urbaines, les per­sonnes âgées, les per­sonnes souf­frant de mala­dies chro­niques et les per­sonnes très isolées.

Il est néces­saire de prendre en compte l’influence des fac­teurs sociaux

Cepen­dant, les dif­fé­rences phy­sio­lo­giques ne peuvent expli­quer à elles seules les dif­fé­rences d’impact obser­vées lors des vagues de cha­leur, et il est néces­saire de prendre en compte l’influence des fac­teurs sociaux, de l’habitat et des îlots de cha­leur urbains.

Risque croissant

Sur­veillance sanitaire
La sur­veillance sani­taire est défi­nie comme « la col­lecte conti­nue et sys­té­ma­tique, l’analyse et l’interprétation de don­nées essen­tielles pour la pla­ni­fi­ca­tion, la mise en place et l’évaluation des pra­tiques en san­té publique, étroi­te­ment asso­ciée à la dif­fu­sion en temps oppor­tun de ces don­nées à ceux qui en ont besoin ».
Elle peut contri­buer au sui­vi et à la com­pré­hen­sion des impacts sani­taires du chan­ge­ment cli­ma­tique par la consti­tu­tion de séries de don­nées exploi­tables sur de longues périodes de temps, appor­ter des élé­ments pour hié­rar­chi­ser les actions d’adaptation, les mettre en œuvre et éva­luer leur effi­ca­ci­té, et enfin anti­ci­per les menaces émergentes.

Dans les années à venir, on peut rai­son­na­ble­ment s’attendre à une aug­men­ta­tion de la fré­quence et de l’intensité des vagues de cha­leur. Dans le même temps, la popu­la­tion va vieillir de manière signi­fi­ca­tive, avec un tri­ple­ment du nombre de per­sonnes de plus de 75 ans d’ici 2050. La vul­né­ra­bi­li­té aux vagues de cha­leur devrait donc aug­men­ter, mais pour­rait être réduite par des com­por­te­ments indi­vi­duels et sociaux adap­tés. L’hypothèse actuelle est que ces com­por­te­ments se déve­loppent grâce à des inter­ven­tions directes à l’image du PNC, mais aus­si indi­rec­te­ment, via une adap­ta­tion « incons­ciente » à un risque gran­dis­sant (appe­lé aus­si acclimatation).

Questions à résoudre

Mal­gré une lit­té­ra­ture abon­dante sur les impacts des vagues de cha­leur, de nom­breuses ques­tions se posent encore sur l’évaluation des risques. Une des plus pré­gnantes actuel­le­ment est de savoir s’il est pos­sible de mettre en évi­dence des chan­ge­ments au cours du temps dans la rela­tion entre tem­pé­ra­ture et mor­ta­li­té ou mor­bi­di­té, ce qui per­met­trait de mieux com­prendre la part des inter­ven­tions et de l’acclimatation. Ces infor­ma­tions pour­raient par exemple faire évo­luer les sys­tèmes d’alerte, pour prendre en compte l’adaptation de la popu­la­tion tout en res­tant effi­caces (c’est-à-dire dimi­nuer le nombre d’alertes inutiles).

Il faut pré­pa­rer l’organisation d’actions de ges­tion de la crise

De même, il serait utile d’étudier les fac­teurs de risques de décès pen­dant les vagues de cha­leur, comme cela avait été fait après 2003, afin de mettre en évi­dence d’éventuels nou­veaux com­por­te­ments à risque et d’adapter les mesures de pré­ven­tion et le PNC.

Au-delà de l’impact immé­diat des vagues de cha­leur se pose éga­le­ment la ques­tion des impacts à long terme d’une expo­si­tion répé­tée à des tem­pé­ra­tures très élevées.

Des impacts sanitaires multiples

Relation entre mortalité eet tempearature ambiante lors de la canicule 2003Les évé­ne­ments météo­ro­lo­giques extrêmes loca­li­sés comme les fortes pré­ci­pi­ta­tions, inon­da­tions, séche­resses, tem­pêtes et cyclones pour­raient éga­le­ment aug­men­ter en fré­quence et en inten­si­té. Com­pa­rés aux vagues de cha­leur, ces évé­ne­ments se carac­té­risent par leur vio­lence phy­sique, res­sen­tie par la popu­la­tion et se tra­duisent par des impacts visibles : des­truc­tion, désor­ga­ni­sa­tion maté­rielle, sociale et éco­no­mique. Ils entraînent sou­vent un choc sévère, une rup­ture bru­tale envi­ron­ne­men­tale et psy­cho­so­ciale qui dépasse les pos­si­bi­li­tés de la com­mu­nau­té affec­tée à faire face. Leurs impacts sani­taires sont ain­si plus larges que les seuls décès et trau­ma­tismes phy­siques immé­diats. Les bou­le­ver­se­ments de l’environnement secon­daires à la catas­trophe (condi­tions d’hébergement dégra­dées, par exemple) sont sus­cep­tibles d’aggraver l’impact sanitaire.

Enfin, dans cer­tains cas, l’événement extrême peut s’accompagner d’une catas­trophe indus­trielle avec pos­sible libé­ra­tion de sub­stances toxiques.Par exemple, des épi­dé­mies d’intoxication au monoxyde de car­bone ont été obser­vées suite à des inon­da­tions (États-Unis) ou à des épi­sodes de vents vio­lents (tem­pête Klaus). Les pertes de vies humaines, les dégâts maté­riels impor­tants (loge­ment, outil de tra­vail) ont des impacts psy­cho­lo­giques sévères, et les condi­tions dans les­quelles les per­sonnes affec­tées doivent se réin­sé­rer après une catas­trophe natu­relle ajoutent un stress pro­lon­gé aux consé­quences directes de la catas­trophe (perte de loge­ment, etc.).

Actions de fond

Pour faire face à cette com­plexi­té, l’adaptation doit se fon­der sur la mise en place d’actions de fond pour réduire la vul­né­ra­bi­li­té, par exemple en tra­vaillant sur la concep­tion des villes, des habi­ta­tions, l’adaptation des cultures agri­coles, etc.

Étu­dier les vulnérabilités
Il fau­drait mieux com­prendre les vul­né­ra­bi­li­tés sociales et envi­ron­ne­men­tales à la cha­leur, et sur­veiller leurs évo­lu­tions. Par exemple, en Cali­for­nie, des car­to­gra­phies du nombre de per­sonnes de plus de 65 ans, du nombre de per­sonnes vivant sous le seuil de pau­vre­té, et des îlots de cha­leur urbains, per­mettent de repé­rer les zones les plus à risque. De telles études pour­raient être menées en France, et croi­sées avec les études sur les îlots de cha­leur urbains, afin de cibler des actions de pré­ven­tion dans les zones a prio­ri les plus à risque.

Dans le même temps, il faut pré­pa­rer l’organisation d’actions de ges­tion de la crise et de ses consé­quences à moyen et long terme. L’épidémiologie est un des outils qui faci­litent cette orga­ni­sa­tion, notam­ment en détec­tant et en aler­tant pré­co­ce­ment sur un phé­no­mène de san­té inha­bi­tuel, en quan­ti­fiant l’impact sani­taire de l’événement, et en décri­vant les popu­la­tions expo­sées. Cela per­met d’orienter et d’évaluer les actions de pré­ven­tion et de prise en charge de ces évé­ne­ments inhabituels.

Les expé­riences pas­sées montrent que l’analyse épi­dé­mio­lo­gique de l’impact des évé­ne­ments extrêmes a sou­vent été par­tielle et incom­plète. L’objet du pro­gramme de pré­pa­ra­tion de la réponse épi­dé­mio­lo­gique aux acci­dents indus­triels et catas­trophes de l’InVS est de déve­lop­per dif­fé­rents outils pour pré­pa­rer cette sur­veillance glo­bale en amont. Immé­dia­te­ment après l’événement, les outils uti­li­sés sont simples, faci­le­ment adap­tables au contexte local, et apportent des élé­ments fac­tuels utiles pour la prévention.

Mobiliser les épidémiologistes

Catas­trophes et stress
L’impact de san­té men­tale des catas­trophes à la fois sur le court et sur le long terme a été mis en évi­dence à plu­sieurs reprises en France (inon­da­tions de la Somme en 1999, inon­da­tions du Gard en 2002) et à l’étranger (oura­gan Katrina).

À moyen terme, les études épi­dé­mio­lo­giques doivent pré­ci­ser la nature de l’impact, éva­luer son impor­tance et en suivre les ten­dances spa­tiales et tem­po­relles. Pour cela, il fau­dra se don­ner les moyens de lan­cer ces études très rapi­de­ment après la sur­ve­nue de l’événement, avant que les popu­la­tions ne soient dis­per­sées et per­dues de vue, tant que les mesures d’exposition sont encore pos­sibles et moins liées au biais de mémoire. Ain­si, l’adaptation passe aus­si par une meilleure inté­gra­tion des épi­dé­mio­lo­gistes dans les centres de ges­tion de crise, par exemple au sein de la cel­lule régio­nale d’appuis de l’agence régio­nale de san­té qui est en inter­ac­tion étroite et per­ma­nente avec la préfecture.

Vers une nécessaire interdisciplinarité

Ces exemples montrent que les impacts pos­sibles sur la san­té dépendent du contexte envi­ron­ne­men­tal, social, tech­no­lo­gique et éco­no­mique dans lequel inter­viennent les évé­ne­ments extrêmes.

Effets induits
L’analyse des motifs de recours aux urgences, ren­sei­gnés en texte libre à l’hôpital de Montde- Mar­san, a per­mis de mettre en évi­dence un nombre impor­tant de visites en lien avec l’utilisation d’une tron­çon­neuse dans le mois après la tem­pête Klaus qui a dure­ment frap­pé le dépar­te­ment fores­tier des Landes.
Les inves­ti­ga­tions menées dans le cadre du sys­tème de sur­veillance des intoxi­ca­tions au CO suite à la tem­pête Klaus, où 109 épi­sodes d’intoxication au CO ont été dénom­brés, ont mon­tré que la majo­ri­té de ceux-ci était liée à l’utilisation de groupes élec­tro­gènes comme source pal­lia­tive d’électricité.

Les mêmes conclu­sions s’appliquent lorsqu’on étu­die des risques liés à des agents infec­tieux, ou envi­ron­ne­men­taux : le cli­mat n’est qu’un déter­mi­nant par­mi d’autres de l’exposition, et il est impor­tant de prendre en compte l’ensemble des autres déter­mi­nants, en par­ti­cu­liers sociaux et démo­gra­phiques, lorsqu’on veut éva­luer un risque et déve­lop­per des poli­tiques d’adaptation effi­caces. Aus­si les épi­dé­mio­lo­gistes ne peuvent-ils plus inter­pré­ter seuls la masse des don­nées dis­po­nibles, et les futures études sur les impacts sani­taires du chan­ge­ment cli­ma­tique seron­telles néces­sai­re­ment interdisciplinaires.

Les col­la­bo­ra­tions pour­ront se faire avec des cli­ma­to­logues, pour mieux éva­luer les risques à venir, mais éga­le­ment avec d’autres dis­ci­plines : archi­tectes et urba­nistes pour réduire les îlots de cha­leur urbains, sciences humaines et sociales pour com­prendre la diver­si­té des vul­né­ra­bi­li­tés au sein de la popu­la­tion et pro­po­ser des pré­ven­tions adap­tées, éco­no­mistes pour quan­ti­fier les coûts d’un évé­ne­ment dans sa globalité.

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jean laher­rere X51répondre
23 novembre 2012 à 16 h 04 min

moyenne décen­nale
dans le gra­phique écarts des tem­pé­ra­tures la moyenne décen­nale doit être pla­cé au milieu et non a la fin de la décen­nie, car alors le pic des années 40 se trouve en 1950
la moyenne décen­nale est donc déca­lé par a rap­port a la valeur annuelle
il y a trom­pe­rie car la moyenne montre une mon­tée jus­qu’en 2010 alors que les valeurs annuelles montrent un pla­teau depuis 1998
jean laher­rere X51

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