Enseigner en milieu carcéral

Dossier : Formation humaine et militaire à l’XMagazine N°708 Octobre 2015
Par Igor SGUARIO (13)

Mon choix de stage a été mûre­ment réflé­chi. Bien que pas­sion­né de sport et d’entraide, j’ai déci­dé de m’orienter vers le social. En effet, à l’issue de deux années de classe pré­pa­ra­toire, au cours des­quelles ma réus­site per­son­nelle occu­pait toutes mes jour­nées sans excep­tion, il me parais­sait néces­saire de consa­crer mon temps aux autres.

Inté­res­sé par l’enseignement, j’ai choi­si l’univers car­cé­ral, car c’est à mon avis un sec­teur lais­sé-pour- compte, mal­gré son impor­tance incon­tes­table et les ques­tions qu’il soulève.

REPÈRES

Le taux d’illettrisme en prison est de 10,9 %, supérieur à la moyenne nationale, actuellement de l’ordre de 7 %. Le manque d’éducation pourrait donc être un facteur favorisant la délinquance et la condamnation pénale conduisant à l’incarcération.

Défi personnel

Je ne nie­rai pas les pré­ju­gés que j’avais avant mon entrée dans la mai­son d’arrêt, ni la crainte qui m’oppressait. En ce sens, je me suis fixé un défi per­son­nel, celui de m’impliquer dans un milieu qui sem­blait dif­fi­cile pour essayer d’y appor­ter mes savoir-faire.

Néan­moins, j’ai été en fait peu inquié­té par les déte­nus eux-mêmes, qui sont dans l’ensemble volon­taires et motivés.

Des contraintes à prendre en compte

Au cours de mon stage, j’ai rapi­de­ment com­pris que l’enseignement en mai­son d’arrêt est dif­fi­cile à orga­ni­ser face à une popu­la­tion sans cesse renou­ve­lée et qui ne com­prend pas néces­sai­re­ment les béné­fices que peut appor­ter un sui­vi régu­lier des cours, ou même tout sim­ple­ment face aux contraintes de la prison.

“ Le plus souvent, seulement la moitié des détenus inscrits sont présents ”

L’assiduité des déte­nus est le pre­mier fac­teur limi­tant l’efficacité de l’enseignement. En effet, le plus sou­vent, seule­ment la moi­tié des déte­nus ins­crits sont pré­sents. Les rai­sons des absences sont mul­tiples. Le manque d’envie, qui peut pro­ve­nir d’une baisse de moti­va­tion ou d’une ren­contre fami­liale désta­bi­li­sante, ou le fait que l’horaire du cours coïn­cide avec une autre acti­vi­té consti­tuent les prin­ci­paux fac­teurs d’absence. Cela peut sem­bler étrange au pre­mier abord.

Avant de décou­vrir l’univers car­cé­ral de l’intérieur, je pen­sais qu’il per­met­tait de cor­ri­ger les déte­nus en leur impo­sant un cadre rigide avec des règles bien déter­mi­nées et incon­tour­nables, notam­ment l’obligation d’assister aux cours aux­quels ils se sont inscrits.

J’ai pu consta­ter que la réa­li­té est tout autre. En effet, mal­gré la pri­va­tion de liber­té par l’emprisonnement, les déte­nus conservent tout de même une cer­taine marge de manœuvre qui peut nuire à leur future réin­ser­tion. C’est ain­si qu’un déte­nu ins­crit à l’école peut choi­sir de ne pas venir s’il ne le sou­haite pas.

Par consé­quent, les déte­nus perdent le sens des res­pon­sa­bi­li­tés et d’une vie ryth­mée. J’ai éga­le­ment consta­té qu’à cer­tains moments les sur­veillants n’ont pas appe­lé un déte­nu. Men­songe ou réa­li­té ? Oubli ou acte volon­taire ? Ces deux ques­tions res­tent en suspens.

Quoi qu’il en soit, cet accès par­fois com­pro­mis aux cours rend l’enseignement dif­fi­cile pour deux rai­sons. D’une part le déte­nu four­nit un tra­vail dis­con­ti­nu, et d’autre part le pro­fes­seur doit ensei­gner à un public sans cesse différent.

Manques de motivation

HANDICAPS STRUCTURELS

Une même classe regroupe des personnes de niveaux très différents, chaque détenu ayant suivi son propre parcours. Ainsi, deux difficultés se présentent au formateur.
En premier lieu, assurer un cours progressif se révèle impossible, puisqu’il faut à chaque fois reprendre les bases pour ceux qui n’ont pas été présents au cours précédent. Il faudrait donc réussir à faire acquérir une notion différente à chaque cours, et indépendante d’autres qui ne sont pas acquises par certains élèves. Bien évidemment, cela n’est généralement pas possible, et la progression générale se trouve ralentie par le besoin incessant de revenir sur une notion vue lors d’un cours antérieur.
En second lieu, la classe présentant des niveaux hétérogènes, certains thèmes sont parfois ardus pour certains et trop simples pour d’autres. Ces derniers sont alors en général peu intéressés par le cours.

L’environnement car­cé­ral consti­tue un obs­tacle majeur à l’impact de l’enseignement en pri­son. L’inscription d’un déte­nu à un cours se fait sur la base du volon­ta­riat. Le déte­nu envoie une lettre de moti­va­tion basique et obtient un ren­dez-vous avec la direc­trice du centre sco­laire ou un pro­fes­seur, qui a pour objec­tif de cer­ner les besoins du déte­nu et de repé­rer ceux qui pour­raient poser problème.

Il est néan­moins à noter que tout déte­nu sui­vant régu­liè­re­ment un cours obtient des réduc­tions de peine. C’est la rai­son pour laquelle j’ai par­fois dû faire face à un public peu moti­vé, comp­tant quelques élèves per­tur­ba­teurs qui refu­saient de tra­vailler, ce qui a par­fois conduit à des situa­tions de crise.

Je pense notam­ment à la fois où un déte­nu, bra­vant mon inter­dic­tion, a allu­mé une ciga­rette en plein cours.

Un contexte peu favorable

Com­ment réagir face à un public sus­cep­tible de conte­nir des indi­vi­dus dan­ge­reux, sans pour autant perdre la face ? Devais-je inter­ve­nir phy­si­que­ment ? Ou peut-être était-il mieux de ne rien faire ? La réponse est com­plexe, et per­met de com­prendre que la mai­son d’arrêt consti­tue un cadre peu favo­rable à la trans­mis­sion d’un savoir.

J’aimerais éga­le­ment men­tion­ner l’événement qui a mis fin pré­ma­tu­ré­ment à mon stage : la décou­verte d’une gre­nade au pied des murs de la mai­son d’arrêt. Cette der­nière n’a heu­reu­se­ment pas pu explo­ser, mais a pro­vo­qué une grève impor­tante des sur­veillants, cri­ti­quant le peu de sécu­ri­té dont ils bénéficiaient.

Un monde inconnu

Ces six mois pas­sés à la mai­son d’arrêt de La Talau­dière m’ont per­mis de décou­vrir le milieu car­cé­ral, jusqu’alors tota­le­ment incon­nu pour moi. J’ai ain­si consta­té que le public accueilli au centre sco­laire est très dif­fé­rent des sté­réo­types, et qu’on peut y ren­con­trer des per­sonnes inté­res­santes et moti­vées, qui sou­haitent s’améliorer.

“ La plupart ont peu connu le système scolaire, ou en ont été rejetés ”

Ces ren­contres sont très riches en expé­rience humaine. J’ai éga­le­ment pu obser­ver les dif­fi­cul­tés consi­dé­rables que ren­contre l’enseignement en pri­son, à la fois maté­rielles, mais aus­si humaines. Ces der­nières viennent prin­ci­pa­le­ment des élèves, dont la plu­part ont peu connu le sys­tème sco­laire, ou en ont été rejetés.

L’organisation de la pri­son elle-même pose aus­si un cer­tain nombre de contraintes qui per­turbent l’enseignement.

Néan­moins, mal­gré toutes ces dif­fi­cul­tés, j’ai été sur­pris d’observer que les per­sonnes tra­vaillant à la mai­son d’arrêt res­tent moti­vées et appré­cient leur métier. Enfin, ce stage m’a ouvert à de nom­breuses ques­tions de socié­té concer­nant la ges­tion des peines en France.

Je pense que, dans un objec­tif de réin­ser­tion, la ges­tion des déte­nus en mai­son d’arrêt pour­rait être plus effi­cace. Mais je crois éga­le­ment à pré­sent que la pri­va­tion de liber­té n’est pas tou­jours la puni­tion la plus adap­tée, à la fois pour le déte­nu, et pour la société.

Commentaire

Ajouter un commentaire

Payetrépondre
3 avril 2018 à 8 h 47 min

ensei­gner en pri­son
Bon­jour,
Je réside en région PACA et ne sais pas com­ment je dois m’y prendre afin d’en­sei­gner en prison.
Avez-vous des contacts ?
Merci

Répondre