En Israël, la chimie du vivant au milieu du désert

Dossier : L'industrie chimique, un renouveauMagazine N°664 Avril 2011
Par Ayalon (Alain) VANICHE (87)

REPÈRES

REPÈRES
Dans un pays déser­tique et sans pétrole, l’in­dus­trie chi­mique s’est déve­lop­pée à par­tir des res­sources miné­rales excep­tion­nelles de la mer Morte. Là où aucune vie n’est pos­sible, au point le plus bas du globe, les pre­miers immi­grants juifs ont fon­dé Dead Sea Works, ancêtre de la socié­té Israel Che­mi­cals, qui contrôle aujourd’­hui un tiers de la pro­duc­tion mon­diale de brome et quelque 10 % de la pro­duc­tion de magné­sium et de potasse.

L’in­dice bour­sier » T A‑25 » des 25 plus grosses capi­ta­li­sa­tions de la Bourse de Tel- Aviv est domi­né par les entre­prises de chi­mie, phar­ma­cie, pétro­chi­mie et désor­mais d’ex­ploi­ta­tion pétrolière.

Le chi­miste Haïm Weiz­mann a été le pre­mier pré­sident d’Is­raël en 1948

Cela parais­sait peu pro­bable il y a cent ans lorsque sont nées les pre­mières entre­prises de la région, avant même la créa­tion de l’É­tat d’Is­raël. Cela ne colle pas non plus avec l’i­mage répan­due aujourd’­hui d’une nation por­tée par ses start-ups.

Les besoins essentiels

La nais­sance de l’É­tat moderne d’Is­raël doit beau­coup à la chi­mie, ou plu­tôt au chi­miste Haïm Weiz­mann qui devint le pre­mier pré­sident de l’É­tat en 1948. L’in­dus­trie chi­mique est alors typique des pays en voie de déve­lop­pe­ment, tour­née vers les besoins essen­tiels d’une nation en guerre avec tous ses voi­sins et boy­cot­tée par les grandes mul­ti­na­tio­nales sous la pres­sion des pays arabes.

Des herbicides à l’agrochimie

La socié­té Agan Che­mi­cal pro­dui­sait, depuis sa créa­tion à Jéru­sa­lem en 1945, des her­bi­cides et du DDT pour l’é­ra­di­ca­tion de la mala­ria en Israël. Elle s’est spé­cia­li­sée dans la répli­ca­tion de spé­cia­li­tés agro­chi­miques tom­bées dans le domaine public, dont l’a­gri­cul­ture nais­sante avait un besoin mas­sif mais qu’elle ne pou­vait pas importer.

La socié­té s’est déve­lop­pée à l’in­ter­na­tio­nal à par­tir des années soixante-dix lorsque l’é­co­no­mie du pays est par­ve­nue à l’âge adulte, pro­fi­tant de la détente sym­bo­li­sée par l’ac­cord de paix avec l’É­gypte en 1979. Le groupe Makh­te­shim Agan est aujourd’­hui en tête de l’a­gro­chi­mie géné­rique dans le monde.

Des chameaux aux génériques

L’af­flux des scien­ti­fiques juifs du monde entier dans les années 1930 a per­mis la nais­sance des pre­miers labo­ra­toires avant la créa­tion de l’É­tat d’Israël.

Les phases de déve­lop­pe­ment du groupe Teva sont très simi­laires : dis­tri­bu­tion de quelques médi­ca­ments à dos de cha­meaux il y a cent ans ; pre­mières usines avec l’af­flux de scien­ti­fiques juifs venus d’Eu­rope dans les années trente ; pro­duc­tion de masse après la créa­tion du pays pour faire face aux pénu­ries d’une popu­la­tion en forte crois­sance sou­mise au boy­cott des groupes phar­ma­ceu­tiques mon­diaux ; conso­li­da­tion en Israël et expor­ta­tions dans les années soixante-dix, quatre-vingt, puis crois­sance externe effré­née à l’in­ter­na­tio­nal depuis les années quatre-vingt-dix.

Le groupe est désor­mais le spé­cia­liste mon­dial des médi­ca­ments géné­riques, emploie 40000 per­sonnes à tra­vers le monde et a déve­lop­pé son propre por­te­feuille de molé­cules ori­gi­nales, à tra­vers le finan­ce­ment de labo­ra­toires universitaires.

Ses médi­ca­ments phares pour le trai­te­ment de la sclé­rose en plaques, de la mala­die de Par­kin­son et de la mala­die d’Alz­hei­mer (médi­ca­ment récem­ment ven­du) sont issus res­pec­ti­ve­ment des éprou­vettes de l’Ins­ti­tut Weiz­mann, du Tech­nion de Haï­fa et de l’U­ni­ver­si­té hébraïque de Jéru­sa­lem, les trois prin­ci­paux centres de recherche israéliens.

Une décou­verte récente de gigan­tesques gise­ments de gaz et sans doute de pétrole

Du pétrole à l’horizon

Le pays compte bien sûr des raf­fi­ne­ries de pétrole, quelques usines de pétro­chi­mie et un peu de chi­mie de spé­cia­li­tés. Il était dif­fi­cile de faire mieux sans pétrole. Mais les choses pour­raient chan­ger du tout au tout, avec la décou­verte récente de gigan­tesques gise­ments de gaz et sans doute de pétrole. Il faut espé­rer que cette sou­daine abon­dance ne nui­ra pas à la fan­tas­tique inven­ti­vi­té for­cée de la chi­mie israélienne.

Créer un marché régional


Concré­tions salines à la sur­face de la mer Morte. Une mer sté­rile qui a don­né nais­sance à l’in­dus­trie chi­mique locale.

L’é­tape sui­vante sera de par­ve­nir à la paix dans la région, qui per­met­tra de créer un mar­ché régio­nal aujourd’­hui inexis­tant. Du point de vue des chi­mistes, les débuts étaient pro­met­teurs. Haïm Weiz­mann avait signé en 1918 un accord avec le prince Fay­çal d’I­rak pour une coha­bi­ta­tion entre les popu­la­tions juives et arabes au Proche-Orient. Ouvriers juifs et arabes tra­vaillaient ensemble dans les années 1930 à l’ex­ploi­ta­tion de la mer Morte, mal­gré les pre­mières dif­fi­cul­tés politiques.

Depuis l’in­dé­pen­dance d’Is­raël, l’A­rab Potash Com­pa­ny, soeur jumelle de Dead Sea Works, exploite les miné­raux de la rive jor­da­nienne de la mer Morte. Israël et la Jor­da­nie, offi­ciel­le­ment en paix depuis 1994, ont des rap­ports com­mer­ciaux limi­tés, et coopèrent de façon sym­bo­lique pour la pré­ser­va­tion de la mer Morte.

De même, l’É­gypte échange peu avec Israël mal­gré l’ac­cord de paix de 1979 : 0,3% de ses impor­ta­tions viennent d’Is­raël, et sont consti­tuées de tex­tiles, médi­ca­ments, engrais, pro­duits chi­miques et pétro­chi­miques. Res­sources natu­relles, tech­no­lo­gies, clients, ter­rains dis­po­nibles : presque toutes les condi­tions sont réunies pour la créa­tion d’un pôle indus­triel puis­sant dans le domaine de la chi­mie, au pro­fit de toutes les popu­la­tions du Proche- Orient. Il manque juste un catalyseur.

Trois prix Nobel de chimie
L’in­dus­trie chi­mique israé­lienne est clai­re­ment » bipo­laire « , entre d’une part le miné­ral pur et d’autre part la chi­mie du vivant. Elle s’ap­puie sur une recherche per­for­mante tour­née vers le monde du vivant, récem­ment hono­rée de trois prix Nobel de chi­mie : Avram Her­sh­ko et Aaron Cie­cha­no­ver du Tech­nion en 2004 pour leurs tra­vaux sur la dégra­da­tion des pro­téines contrô­lée par l’u­bi­qui­tine, puis Ada Yonath de l’Ins­ti­tut Weiz­mann en 2009 pour ses tra­vaux sur la struc­ture des ribosomes.

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