Efficacité économique et justice sociale selon Maurice Allais

Dossier : Fiscalité : les nouvelles formulesMagazine N°687 Septembre 2013
Par Philippe BOURCIER de CARBON (61)

Consi­dé­rant qu’un État impar­tial consti­tuait le garant en der­nier res­sort du bien com­mun des socié­tés et de leur péren­ni­té, les réflexions de Mau­rice Allais étaient gui­dées par le sou­ci de tarir les reve­nus « indus » qui ne pro­ve­naient pas de réels ser­vices éco­no­miques appor­tés à la col­lec­ti­vi­té, en éli­mi­nant fis­ca­le­ment les situa­tions de rentes.

Il pro­pose tout par­ti­cu­liè­re­ment de rétro­cé­der à l’État la rente annuelle de la créa­tion de mon­naie ex nihi­lo engen­drée par le sys­tème du cré­dit pra­ti­qué par le sec­teur ban­caire et finan­cier actuel.

REPÈRES
Mau­rice Allais (31), dis­pa­ru en 2010, est le seul éco­no­miste fran­çais titu­laire du prix Nobel de sciences éco­no­miques. Il lui a été décer­né en 1988 pour « ses contri­bu­tions à la théo­rie des mar­chés et à l’utilisation effi­cace des res­sources ». Cet esprit ency­clo­pé­dique et rigou­reux est éga­le­ment recon­nu pour avoir offert une refonte cohé­rente des prin­ci­paux pans de la théo­rie éco­no­mique, de la théo­rie de l’équilibre, des mar­chés et de l’intérêt, à la théo­rie de la mon­naie et des anticipations.

Réformer le système bancaire et financier

Mau­rice Allais pro­pose, en préa­lable à toute refonte de la fis­ca­li­té, la réforme du sys­tème ban­caire et finan­cier. Cette réforme doit s’appuyer sur deux principes.

La créa­tion moné­taire doit rele­ver de l’État et de l’État seul. Toute créa­tion moné­taire autre que la mon­naie de base par la banque cen­trale indé­pen­dante des gou­ver­ne­ments doit être ren­due impos­sible, de manière que dis­pa­raissent les « faux droits » résul­tant actuel­le­ment de la créa­tion moné­taire ban­caire. Tout finan­ce­ment d’investissement à un terme don­né doit être assu­ré par des emprunts à des termes plus longs, ou tout au moins de même terme.

Banques de dépôts, de prêt et d’affaires

Les prin­cipes de la réforme du sys­tème du cré­dit que pro­pose Allais peuvent donc se résu­mer comme il l’écrit lui-même :

« Cette double condi­tion implique une modi­fi­ca­tion pro­fonde des struc­tures ban­caires et finan­cières repo­sant sur la dis­so­cia­tion totale des acti­vi­tés ban­caires telles qu’elles se constatent aujourd’hui, et leur attri­bu­tion selon trois caté­go­ries d’établissements dis­tincts et indépendants :

La créa­tion moné­taire doit rele­ver de l’État et de l’État seul

  • des banques de dépôts assu­rant seule­ment, à l’exclusion de toute opé­ra­tion de prêt, les encais­se­ments et les paie­ments, et la garde des dépôts de leurs clients, les frais cor­res­pon­dants étant fac­tu­rés à ces der­niers, et les comptes des clients ne pou­vant com­por­ter aucun découvert ;
  • des banques de prêt emprun­tant à des termes don­nés et prê­tant les fonds emprun­tés à des termes plus courts, le mon­tant glo­bal des prêts ne pou­vant excé­der le mon­tant glo­bal des fonds empruntés ;
  • des banques d’affaires emprun­tant direc­te­ment auprès du public, ou aux banques de prêt et inves­tis­sant les fonds emprun­tés dans les entreprises.

« Dans son prin­cipe, une telle réforme ren­drait impos­sible la créa­tion moné­taire et de pou­voir d’achat ex nihi­lo par le sys­tème ban­caire, ain­si que l’emprunt à court terme pour finan­cer des prêts de terme plus long.

Elle ne per­met­trait que des prêts de matu­ri­té plus courte que celle cor­res­pon­dant aux fonds emprun­tés. Les banques de prêt et les banques d’affaires ser­vi­raient d’intermédiaires entre les épar­gnants et les emprun­teurs. Elles seraient sou­mises à une obli­ga­tion impé­ra­tive : emprun­ter à long terme pour prê­ter à plus court terme, à l’inverse de ce qui se passe aujourd’hui. »

Une condition de survie

« Une telle orga­ni­sa­tion du sys­tème ban­caire et finan­cier per­met­trait la réa­li­sa­tion simul­ta­née de six condi­tions tout à fait fondamentales :

  • l’impossibilité de toute créa­tion moné­taire en dehors de celle de la mon­naie de base par les auto­ri­tés moné­taires indé­pen­dantes des gouvernements ;
  • la sup­pres­sion de tout dés­équi­libre résul­tant du finan­ce­ment d’investissements à long terme à par­tir d’emprunts à court ou à moyen terme ;
  • l’expansion de la masse moné­taire glo­bale, consti­tuée uni­que­ment par la mon­naie de base, au taux sou­hai­té par les auto­ri­tés moné­taires indé­pen­dantes des gouvernements ;
  • une réduc­tion majeure, sinon totale, de l’amplitude des fluc­tua­tions conjoncturelles ;
  • l’attribution à l’État des gains pro­ve­nant de la créa­tion moné­taire, et l’allégement en consé­quence des impôts actuels ;
  • un contrôle aisé par l’opinion publique et par le Par­le­ment de la créa­tion moné­taire et de ses implications.

Cette réforme appa­raît comme une condi­tion néces­saire de sur­vie d’une éco­no­mie décen­tra­li­sée et de son efficacité. »

Dès lors, la fis­ca­li­té doit être refon­dée en consi­dé­rant que les impôts payés par les ménages et les entre­prises sont « la rému­né­ra­tion des ser­vices de toutes sortes que leur rend l’État et qu’il est seul à même de leur rendre ».

Les sept prin­cipes de la fiscalité

  • Prin­cipe indi­vi­dua­liste : l’impôt ne doit pas recher­cher l’égalité des condi­tions, mais celle des chances.
  • Prin­cipe de non-dis­cri­mi­na­tion : l’impôt doit être éta­bli sui­vant des règles qui soient les mêmes pour tous.
  • Prin­cipe d’imper­son­na­li­té : l’impôt ne doit pas impli­quer des recherches inqui­si­to­riales sur les personnes.
  • Prin­cipe de neu­tra­li­té et d’efficacité éco­no­miques : l’impôt ne doit pas péna­li­ser les choix les plus effi­caces pour l’économie. Les entre­prises en perte devraient être péna­li­sées, et non celles qui font des bénéfices.
  • Prin­cipe de légi­ti­mi­té : l’impôt doit frap­per autant que pos­sible les reve­nus « non gagnés » qui ne cor­res­pondent pas à un ser­vice effec­ti­ve­ment ren­du tels, par exemple, ceux pro­ve­nant de l’appropriation des plus-values fon­cières résul­tant de la crois­sance démographique.
  • Prin­cipe d’exclu­sion d’une double impo­si­tion : un reve­nu ou un bien ne sau­rait être taxé plu­sieurs fois.
  • Prin­cipe de non-arbi­traire et de trans­pa­rence : le sys­tème fis­cal doit répondre à des prin­cipes simples et peu coû­teux d’application.

Une fiscalité tripolaire

Allais pro­pose la sup­pres­sion totale des impôts actuels sur les reve­nus des per­sonnes phy­siques, sur les entre­prises, sur les suc­ces­sions et dona­tions, comme sur le patri­moine et les plus-values. On les rem­pla­ce­rait par une fis­ca­li­té tri­po­laire répon­dant aux « sept prin­cipes » (voir enca­dré ci-dessus).

Peu vul­né­rable à la fraude, elle se prê­te­rait à un contrôle facile du Parlement.

Il pro­pose donc une taxe annuelle de l’ordre de 2% sur les seuls biens phy­siques, à l’exclusion des créances, actions et obli­ga­tions notam­ment, à l’exclusion de toute double impo­si­tion et de toute exemption.

L’impôt doit être éta­bli sui­vant des règles qui soient les mêmes pour tous

Il pro­pose aus­si l’attribution à l’État, et à l’État seul, des pro­fits pro­ve­nant actuel­le­ment de l’augmentation de la masse moné­taire par la créa­tion des moyens de paie­ment issus du méca­nisme actuel du cré­dit, selon les prin­cipes de la réforme pro­po­sée (de l’ordre de 4% à 5% du reve­nu natio­nal en régime de crois­sance de 4 % et d’inflation de 2 %).

Allais pro­pose enfin une taxe géné­rale sur les biens de consom­ma­tion de taux uni­forme pour assu­rer les dépenses publiques non cou­vertes par les deux postes pré­cé­dents. Il pré­cise que, « contrai­re­ment à ce que l’on pour­rait pen­ser, les charges cor­res­pon­dant à l’impôt pro­po­sé sur le capi­tal ne dif­fé­re­raient que d’un quart envi­ron de celles qui le grèvent déjà en réa­li­té dans le sys­tème actuel ».

Des ordres de grandeur réalistes

Allais chiffre avec réa­lisme les ordres de gran­deur de ses réformes, et prend bien soin de pré­sen­ter le cata­logue des prin­ci­pales objec­tions qui leur ont été oppo­sées pour les réfu­ter une à une. Il démontre com­ment cette double réforme consti­tue­rait un puis­sant sti­mu­lant au retour de la crois­sance éco­no­mique en mobi­li­sant les ini­tia­tives éco­no­mi­que­ment les plus effi­caces, ouvrant ain­si la voie à une nou­velle ère de pros­pé­ri­té et de justice.

Par une double réforme du cré­dit et de la fis­ca­li­té répon­dant aux prin­cipes clai­re­ment énon­cés ici, la France offri­rait au monde un exemple libé­ra­teur d’une puis­sance irré­sis­tible face aux oppres­sions qui semblent vou­loir aujourd’hui effron­té­ment s’affranchir de tout contrôle des peuples, dans une dan­ge­reuse hubrys.

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