Editorial

Dossier : ÉditorialMagazine N°559 Novembre 2000
Par François AILLERET (X56)

Tout le monde s’ac­corde à consi­dé­rer l’É­cole poly­tech­nique comme une ins­ti­tu­tion typi­que­ment fran­çaise et beau­coup pensent que la com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne est aujourd’­hui exclu­si­ve­ment fran­çaise. Pour­tant au cours du XXe siècle l’É­cole s’est inter­ro­gée à plu­sieurs reprises sur l’op­por­tu­ni­té de s’ou­vrir à des élèves étran­gers. Dès les années 1920, par exemple, l’É­cole se dote d’un concours d’en­trée pour les élèves étran­gers ayant fré­quen­té des classes pré­pa­ra­toires aux grandes écoles. Le mou­ve­ment de mon­dia­li­sa­tion au cours des der­nières décen­nies a ren­du cette inter­ro­ga­tion plus insistante.

Pas éton­nant que Mau­rice Ber­nard, direc­teur de l’en­sei­gne­ment et de la recherche de 1983 à 1990, ait cher­ché à cette époque à mieux savoir quels étran­gers avaient fré­quen­té l’É­cole de 1794 à aujourd’­hui. Il lui est vite appa­ru que seule une recherche his­to­rique ambi­tieuse pou­vait éta­blir quelques cer­ti­tudes sur l’ou­ver­ture inter­na­tio­nale de l’É­cole au cours de deux siècles d’une exis­tence avant tout natio­nale. C’est ain­si qu’en 1986 le direc­teur de l’en­sei­gne­ment et de la recherche et Fran­cine Mas­son, conser­va­teur de la Biblio­thèque de l’X, entrent en contact avec Domi­nique Pestre, his­to­rien recon­nu, res­pon­sable d’un DEA d’his­toires des sciences, et s’ac­cordent avec lui pour enga­ger un étu­diant de qua­li­té à pré­pa­rer une thèse à ce sujet.

La for­ma­tion des élites scien­ti­fiques et tech­niques étran­gères à l’É­cole poly­tech­nique aux XiXe et XXe siècles*, tel est le titre de la thèse remar­quable que Made­moi­selle Anou­sheh Kar­var sou­tient à l’u­ni­ver­si­té de Paris VII-Dide­rot en décembre 1997 (voir le n° 537 de La Jaune et la Rouge). Ce tra­vail, outre qu’il per­met d’a­voir désor­mais une vue pré­cise de la réa­li­té des élèves étran­gers de l’É­cole sur près de deux cents ans, ins­crit ces faits dans l’his­toire de l’ins­ti­tu­tion, de la poli­tique étran­gère de notre pays, des échanges scien­ti­fiques, tech­niques et cultu­rels entre la France et l’é­tran­ger, etc.

En accord avec la direc­tion de l’É­cole, en liai­son avec l’A.X. et avec la Fon­da­tion, Mau­rice Ber­nard pro­pose que soit orga­ni­sée, le 22 octobre 1998, une jour­née d’é­tudes au cours de laquelle les prin­ci­paux résul­tats de la thèse d’A­nou­sheh Kar­var seraient dis­cu­tés, par des his­to­riens d’a­bord, par des acteurs confron­tés aux pro­blèmes actuels de la mon­dia­li­sa­tion ensuite.

Les résul­tats de cette jour­née se tra­duisent par deux séries de documents :

  • d’une part les expo­sés et les débats du matin, de nature his­to­rique, sont publiés dans le numé­ro 21 du Bul­le­tin de la SABIX que j’en­cou­rage les cama­rades inté­res­sés à se pro­cu­rer auprès de la Biblio­thèque de l’École,
  • d’autre part les expo­sés et les dis­cus­sions de l’a­près-midi où les ensei­gne­ments du pas­sé sont confron­tés aux enjeux et aux dif­fi­cul­tés concrètes qu’é­prouve l’É­cole à pra­ti­quer cette ouver­ture inter­na­tio­nale. C’est l’ob­jet du pré­sent numé­ro de La Jaune et la Rouge d’en publier les comptes rendus.


Le gou­ver­ne­ment, sur la pro­po­si­tion du pré­sident du Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion de l’É­cole poly­tech­nique, a adop­té un sché­ma direc­teur qui expli­cite clai­re­ment la volon­té des pou­voirs publics de faire évo­luer l’É­cole et de pro­mou­voir son ouver­ture inter­na­tio­nale. Sa mise en appli­ca­tion pro­gres­sive s’est tra­duite par la créa­tion d’une nou­velle voie d’ad­mis­sion à l’É­cole, dif­fé­rente du concours tra­di­tion­nel » étran­ger « , en même temps que se trouve modi­fiée l’ar­ti­cu­la­tion avec la for­ma­tion com­plé­men­taire en école d’application.

En tant que Pré­sident de l’A.X., comme à titre per­son­nel, j’at­tache une impor­tance excep­tion­nelle à la réus­site de cette ouver­ture. La capa­ci­té à exis­ter en dehors de son aire cultu­relle de nais­sance est une ques­tion de sur­vie, aujourd’­hui pour toute entre­prise, demain pour tout grand éta­blis­se­ment scien­ti­fique. Je sou­haite que la com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne, dans son ensemble, se sente concer­née par les ques­tions dif­fi­ciles mais pas­sion­nantes sou­le­vées dans les articles de ce numé­ro spé­cial. Un des rôles essen­tiels de l’A.X. est de main­te­nir un lien fort entre les géné­ra­tions. Ceux de nos cama­rades, notam­ment les plus jeunes, ceux qui sont pro­fon­dé­ment immer­gés dans la vie inter­na­tio­nale, ont à l’é­vi­dence beau­coup à dire sur la ques­tion. Ils peuvent, ils doivent éta­blir un pont entre leurs expé­riences et les efforts que doit consen­tir l’É­cole pour réa­li­ser cette évolution.

Au-delà de son inté­rêt par­ti­cu­lier rela­tif à une dimen­sion peu connue de l’É­cole poly­tech­nique, ce numé­ro fait en effet appa­raître en fili­grane la ques­tion per­ma­nente de l’é­vo­lu­tion de l’É­cole. Bru­no Bel­hoste, his­to­rien, le meilleur connais­seur de l’his­toire de Poly­tech­nique, s’est clai­re­ment expri­mé sur ce point au cours de cette jour­née d’é­tude : » Si l’ou­ver­ture de l’É­cole poly­tech­nique vers les pays et les élèves étran­gers, euro­péens et extra-euro­péens, est dès aujourd’­hui une pré­oc­cu­pa­tion majeure, si elle doit sans doute deve­nir une prio­ri­té et même une urgence, parce qu’elle condi­tionne, dans un monde glo­ba­li­sé, le main­tien de son sta­tut de grand éta­blis­se­ment scien­ti­fique et tech­nique, pour­ra-t-on long­temps faire l’é­co­no­mie d’une véri­table refondation ? »

Depuis quelques années l’É­cole s’est enga­gée avec déter­mi­na­tion dans une moder­ni­sa­tion en pro­fon­deur dont la mise en œuvre néces­si­te­ra de la clair­voyance, du cou­rage et du souffle. Je sou­haite que les anciens élèves, en lisant les articles qui suivent, soient nom­breux à prendre conscience de cet enjeu essen­tiel et, par leurs avis et leurs réac­tions, contri­buent à pro­mou­voir cette véri­table refondation. 

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* Cette thèse est consul­table à la Biblio­thèque cen­trale de l’X à Palaiseau.

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