Éditorial : 1998 – 2003

Dossier : Télécommunications : la libéralisationMagazine N°585 Mai 2003
Par Laurent PAPIERNIK (92)

1998–2003 : en cinq ans, le sec­teur des télé­com­mu­ni­ca­tions a vécu une suc­ces­sion d’é­vé­ne­ments qui ont trans­for­mé sa phy­sio­no­mie, ses clients et son orga­ni­sa­tion. Sous l’im­pul­sion de direc­tives adop­tées au début des années quatre-vingt-dix par l’U­nion euro­péenne, l’an­cien mono­pole des télé­com­mu­ni­ca­tions a lais­sé la place à des entre­prises pri­vées, dont la valo­ri­sa­tion a atteint des som­mets pour aujourd’­hui se situer à des niveaux exces­si­ve­ment bas. Ce numé­ro de La Jaune et la Rouge revoit ce quin­quen­nat sous le regard d’ac­teurs et de témoins de ces transformations.

L’an­née 1998 a été pré­pa­rée dans la plus grande eupho­rie par ceux qui s’ap­prê­taient à conqué­rir de nou­veaux clients. Le tra­vail avait été pré­pa­ré dès l’an­née pré­cé­dente par l’Au­to­ri­té de régu­la­tion des télé­com­mu­ni­ca­tions qui devait prendre en charge la régu­la­tion du sec­teur ; ce concept nou­veau en France d’in­ter­ven­tion publique au moyen d’une auto­ri­té indé­pen­dante du gou­ver­ne­ment (par ailleurs action­naire de l’an­cien mono­pole) est détaillé par son ancien pré­sident M. Jean-Michel Hubert (59).

Sous le cou­vert des règles et tarifs défi­nis par l’ART, le mar­ché s’est ouvert assez for­te­ment dans plu­sieurs direc­tions, et en pre­mier lieu au pro­fit de la télé­pho­nie longue dis­tance. Il s’a­git là d’un suc­cès puisque les parts de mar­ché de l’an­cien mono­pole sont pas­sées de près de 100 % à moins de 65 % durant la période. Cette ouver­ture est retra­cée par Richard Lalande (67) à la fois dans ses suc­cès et ses limites. Car France Télé­com s’est bat­tue avec force pour ne pas voir la tota­li­té de ses clients disparaître.

D’autres types d’ac­ti­vi­tés se sont déve­lop­pés, comme le Tra­ding Télé­com, qui traite la minute télé­pho­nique inter­na­tio­nale comme une matière pre­mière qui s’a­chète et s’é­change sur une bourse, à l’i­mage du sucre, du fer ou du char­bon. Voi­là qui fai­sait défi­ni­ti­ve­ment ren­trer ce sec­teur autre­fois pro­té­gé dans le domaine du libre-échange ! Arnaud Beau­re­gard (85) pré­sente les enjeux et le contexte de cette activité.

La concur­rence, de par la baisse des tarifs et la diver­si­té des offres qu’elle engendre, a aus­si per­mis le déve­lop­pe­ment et la moder­ni­sa­tion des sys­tèmes d’in­for­ma­tion. Nico­las Aubé (93) nous retrace com­ment ce foi­son­ne­ment d’offres abor­dables a révo­lu­tion­né l’or­ga­ni­sa­tion de la billet­te­rie des théâtres fran­çais, et ain­si faci­li­té le rem­plis­sage des salles de spec­tacle. L’ou­ver­ture du mar­ché a donc eu des réper­cus­sions bien au-delà du seul mar­ché de la téléphonie.

Au fur et à mesure des années, la concur­rence s’est déve­lop­pée pour se heur­ter en 2001 à la réa­li­té tech­nique des réseaux, mais aus­si à la volon­té de l’o­pé­ra­teur his­to­rique qui ne vou­lait pas don­ner accès à la par­tie la plus capil­laire, la plus dense et aus­si la plus coû­teuse de son réseau : la boucle locale. Il s’a­git en fait des 30 mil­lions de lignes d’a­bon­nés qui courent sous les trot­toirs, sur les poteaux et le long des façades. Les textes euro­péens et natio­naux pré­voyaient pour­tant que cette infra­struc­ture, construite pour l’es­sen­tiel durant ces trente der­nières années et sous le régime du mono­pole, devait pou­voir être uti­li­sée par tous, à des tarifs et condi­tions per­met­tant une concur­rence saine et viable pour offrir le haut débit aux abon­nés, jusque-là limi­té aux per­for­mances du réseau télé­pho­nique et de ses com­mu­ta­teurs, à savoir envi­ron 64 kb/s. Fleur Thes­mar (92) et Oli­vier Ans­tett (86) nous font par­ta­ger la bataille qu’ils ont menée pour qu’en France les consom­ma­teurs aient le choix du four­nis­seur de télé­pho­nie locale, longue dis­tance et d’ac­cès Inter­net haut débit.

Pen­dant cette période, France Télé­com n’est pas res­tée pas­sive. À l’in­ter­na­tio­nal, elle a mené une poli­tique d’ex­pan­sion qui la met aujourd’­hui en situa­tion déli­cate. En France, elle s’est orga­ni­sée pour occu­per ce rôle unique de pre­mier four­nis­seur (et de loin) de ser­vices au public, mais aus­si pre­mier four­nis­seur et concur­rent des opé­ra­teurs alter­na­tifs. La régle­men­ta­tion asy­mé­trique fait peser sur cet acteur des contraintes par­fois contra­dic­toires avec les­quelles Jean-Daniel Lal­le­mand (70) a appris à vivre. Il nous pré­sente la dif­fi­cul­té d’être celui qui avait tout et aus­si celui qui doit tout à ses concurrents.

La spé­cu­la­tion ayant embra­sé le sec­teur de la télé­pho­nie mobile avec pour consé­quences des valo­ri­sa­tions bour­sières exces­sives des équi­pe­men­tiers et opé­ra­teurs, ain­si que des tarifs pro­hi­bi­tifs des licences don­nant le droit d’u­ti­li­ser le domaine public hert­zien, a pris vio­lem­ment fin en 2001. Le sec­teur tra­verse depuis un marasme qui donne lieu à une forte conso­li­da­tion et laisse la tota­li­té de celui-ci dans l’ex­pec­ta­tive. Un numé­ro ulté­rieur de La Jaune et la Rouge revien­dra sur la genèse de cette folle aven­ture et sur la dure réa­li­té de la conso­li­da­tion du marché.

En 2003, il ne reste que quelques opé­ra­teurs, alors que plus de cent avaient sol­li­ci­té une licence en 1998. Et pour­tant les consom­ma­teurs ne sont pas encore satis­faits et réclament plus de débit, plus d’é­co­no­mie et sur­tout plus de cou­ver­ture. La concur­rence s’est en effet déve­lop­pée en pre­mier lieu pour cou­vrir les zones denses en clients. Cer­tains réseaux longue dis­tance posés le long des auto­routes, voies navi­gables ou che­mins de fer tra­versent certes les régions fran­çaises ; mais peu, à l’ins­tar de leurs homo­logues rou­tiers ou fer­ro­viaires, s’ar­rêtent pour des­ser­vir les villes tra­ver­sées. Les élus locaux, sou­te­nus par le gou­ver­ne­ment, ont sou­hai­té pal­lier cette défi­cience et orga­ni­ser pour les zones insuf­fi­sam­ment équi­pées une offre abor­dable de ser­vices de télé­com­mu­ni­ca­tions à haut débit. Gabrielle Gau­they (82), membre du col­lège de l’ART et ancienne direc­trice des tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion (TIC) à la Caisse des Dépôts et Consi­gna­tions, nous expose les enjeux de cette inter­ven­tion publique, atten­due à la fois par les élus comme solu­tion à la frac­ture numé­rique, mais aus­si par les opé­ra­teurs comme bal­lon d’oxy­gène s’ils arrivent à se posi­tion­ner comme construc­teurs ou exploi­tants de ces nou­velles infrastructures.

Et la mue du sec­teur n’est pas encore ter­mi­née. En juillet 2003, un nou­veau contexte légis­la­tif et régle­men­taire devrait voir le jour pour fondre tous les opé­ra­teurs de com­mu­ni­ca­tion (télé­vi­sion numé­rique, radio­té­lé­pho­nie, télé­pho­nie) dans le creu­set des » opé­ra­teurs de ser­vices de com­mu­ni­ca­tions élec­tro­niques « . Ce sta­tut unique défi­ni par de nou­velles direc­tives euro­péennes assou­pli­ra mais aus­si uni­fie­ra le sta­tut des opé­ra­teurs et câblo-opé­ra­teurs, à une époque où la télé­vi­sion à la demande trans­mise par l’in­ter­mé­diaire d’une simple ligne télé­pho­nique et l’ac­cès à Inter­net par les réseaux câblés sont presque deve­nus des bana­li­tés. La tech­no­lo­gie, elle, conti­nue d’a­van­cer et le WiFi (accès local sans fil haut débit à des réseaux locaux de don­nées publics ou pri­vés) ne man­que­ra pas d’en­trer dans les mœurs comme les télé­phones sans fil sont entrés dans nos poches et nos foyers.

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