Le drone Patroller de Sagem.

Droniser un avion : les enjeux et les atouts

Dossier : Les dronesMagazine N°718 Octobre 2016
Par Patrick DURIEUX
Par Sylvain POUILLARD (95)

Si l’aéronef non équi­pé ne repré­sente qu’une faible par­tie de l’in­ves­tis­se­ment d’un drone, la réuti­li­sa­tion d’un avion exis­tant, avec sa mise au point, per­met des gains impor­tants dans le cycle de déve­lop­pe­ment. Il ne faut pas oublier cepen­dant d’a­dap­ter cer­taines pièces, les ren­for­cer ou les allé­ger selon l’usage. 

Le choix d’un aéro­nef issu du monde de l’aéronautique civile s’explique par une contri­bu­tion signi­fi­ca­tive à la réduc­tion des coûts et délais de déve­lop­pe­ment du sys­tème de drones. 

“ Une contribution significative à la réduction des coûts et des délais de développement ”

L’effet est notable éga­le­ment sur les coûts de fabri­ca­tion et de main­te­nance, puisque l’aéronef et ses com­po­sants sont pro­duits dans des volumes plus importants. 

La mise au point et la cer­ti­fi­ca­tion sont aus­si plus courtes. Ce sché­ma indus­triel rac­cour­cit signi­fi­ca­ti­ve­ment les délais de mise sur le marché. 

On consi­dère habi­tuel­le­ment que l’aéronef non équi­pé ne repré­sente que 10 % envi­ron du coût total de pro­duc­tion d’un sys­tème de drones. 

En revanche, son déve­lop­pe­ment et sa mise au point repré­sentent une part beau­coup plus impor­tante, et la dro­ni­sa­tion d’un aéro­nef exis­tant per­met de la réduire de plus de 50 %, ce qui peut repré­sen­ter jusqu’à deux ans sur le cycle de déve­lop­pe­ment com­plet du système. 

REPÈRES

La France fut un pays pionnier dans la dronisation des aéronefs. C’est un concept que l’on doit à la Marine qui souhaitait dès 1920 un engin télépiloté pour délivrer une torpille. Le prototype était un biplan télécommandé. Un pilote était embarqué à bord pour reprendre les commandes en cas de problème.
L’histoire des drones retient aussi le QueenBee de la Royal Navy, dérivé du De Havilland Tiger Moth. Le bruit caractéristique de son moteur a donné le nom drone (« bourdon » en anglais).

UN INTÉRÊT TECHNIQUE ET OPÉRATIONNEL

Dis­po­ser d’une machine déjà au point per­met à l’industriel de se concen­trer sur des élé­ments essen­tiels : les sys­tèmes de mis­sion du drone (sta­tion de contrôle, charges utiles, liai­sons de don­nées, contrôle du vol). 

Autre avan­tage : dis­po­ser d’une machine dont le com­por­te­ment est déjà connu et dont les com­po­sants ont déjà été fiabilisés. 

Mais alors, pour­quoi dro­ni­ser un aéro­nef s’il répond déjà au besoin opérationnel ? 

« DIRTY, DANGEROUS, DULL »

« Dir­ty, dan­ge­rous, dull » (sales, dan­ge­reuses, ennuyeuses) : ce slo­gan résume bien les mis­sions dévo­lues à des drones plu­tôt qu’à des solu­tions de sur­veillance pilotées. 

La machine dro­ni­sée offre des capa­ci­tés supé­rieures à la machine d’origine en termes de capa­ci­té d’emport de cap­teurs et d’endurance (l’opérateur est rem­pla­cé par du car­bu­rant ou des cap­teurs sup­plé­men­taires), sans expo­ser les opé­ra­teurs aux risques de la mission. 

Les endu­rances cou­ram­ment atteintes dépassent les limites phy­sio­lo­giques accep­tables pour un pilote. Par ailleurs, la sta­tion de contrôle offre des capa­ci­tés de trai­te­ment per­met­tant l’exploitation et la dis­sé­mi­na­tion des don­nées cap­teurs, avec beau­coup moins de contraintes qu’une solu­tion embarquée. 

STANDARDS DE CERTIFICATION


Le drone Patrol­ler de Sagem.

La démarche de dro­ni­sa­tion répond très favo­ra­ble­ment aux besoins de cer­ti­fi­ca­tion du sys­tème de drones. S’agissant de l’aéronef, les stan­dards de cer­ti­fi­ca­tion des drones défi­nis actuel­le­ment s’appuient sur les stan­dards de l’aéronautique civile. 

Le stan­dard mili­taire OTAN de cer­ti­fi­ca­tion des drones, le Sta­nag 4671, est lui-même direc­te­ment déri­vé du stan­dard civil des avions légers EASA CS 23. 

L’utilisation d’un aéro­nef cer­ti­fié pour les appli­ca­tions civiles per­met de cou­vrir d’emblée une part impor­tante des exi­gences du stan­dard de cer­ti­fi­ca­tion des drones, un niveau pou­vant atteindre jusqu’à 50 % dans cer­tains cas, cette part étant liée au niveau de trans­for­ma­tion appor­té à l’aéronef d’origine.

TROIS ENJEUX

Le pre­mier enjeu est de gérer l’intégration des sys­tèmes de dro­ni­sa­tion dans l’aéronef, celui-ci n’étant sou­vent pas conçu dès l’origine pour être téléopéré. 

Par­mi les dif­fé­rences les plus évi­dentes entre un aéro­nef pilo­té et son déri­vé « dro­ni­sé », on trouve le sys­tème de contrôle du vol, un sys­tème élec­trique ren­for­cé et des sys­tèmes de liai­sons de don­nées, des cap­teurs et équi­pe­ments spécifiques. 

CONTRÔLER LE VOL

Le sys­tème de contrôle du vol est consti­tué de cap­teurs, de cal­cu­la­teurs et d’actionneurs reliés aux gou­vernes de la machine d’origine. Le niveau d’intégration dépend de l’usage du sys­tème de drones. 

“ Les endurances atteintes dépassent les limites physiologiques acceptables pour un pilote ”

Lorsqu’une uti­li­sa­tion pilo­tée reste envi­sa­gée dans un sys­tème OPV, le sys­tème de contrôle du vol est ins­tal­lé sur les com­mandes de vol exis­tantes. Le prin­ci­pal enjeu est alors d’assurer la sécu­ri­té des vols pilo­tés en ren­dant ce sys­tème trans­pa­rent pour le pilote. 

Lorsque l’utilisation OPV n’est pas requise, le sys­tème de contrôle du vol peut rem­pla­cer en tout ou par­tie les com­mandes de vol de la machine d’origine. Dans tous les cas, l’implantation des action­neurs sur les com­mandes de vol de la machine d’origine doit pré­voir les accès pour la maintenance. 

RENFORCER LE SYSTÈME ÉLECTRIQUE

DES DRONES PILOTABLES

Certains drones ont la capacité d’opérer avec un pilote à bord. On parle alors d’OPV pour Optionally Piloted Vehicle. Cette démarche n’est pas sans intérêt au regard de la réglementation actuelle imposant aux gros drones de voler dans des volumes aériens ségrégués vis-à-vis des autres aéronefs. Cette approche facilite la mise au point, la validation et la qualification du système de drones en offrant une plus grande flexibilité vis-à-vis des autorisations de vol.
En ce qui concerne les opérations, elle étend le champ d’action du drone aux zones non ségréguées et donc aux espaces ouverts à la circulation aérienne générale dans l’attente des dispositifs embarqués « Voir et Éviter » qui permettront l’évitement automatique.

Les aéro­nefs légers pilo­tés n’ont géné­ra­le­ment pas besoin d’une impor­tante capa­ci­té de géné­ra­tion élec­trique. Sui­vant la moder­ni­té de ses équi­pe­ments, le tableau de bord d’un avion léger consomme de quelques dizaines à quelques cen­taines de watts. 

Pour sa part, le déri­vé dro­ni­sé consom­me­ra entre dix et vingt fois plus pour ali­men­ter tous ses équi­pe­ments élec­tro­niques. Le sys­tème élec­trique de l’aéronef d’origine doit donc être ren­for­cé : aug­men­ta­tion de la puis­sance pour répondre au besoin, mais éga­le­ment aug­men­ta­tion de la fiabilité. 

En effet, si une panne élec­trique n’a géné­ra­le­ment pas de consé­quences graves sur un avion léger en vol à vue, une panne élec­trique totale aurait des consé­quences catas­tro­phiques pour un drone. 

DES ÉQUIPEMENTS SPÉCIFIQUES

Le sys­tème de liai­sons de don­nées est une com­po­sante essen­tielle du sys­tème de drones. Les liai­sons de don­nées relient l’aéronef à son sys­tème de contrôle au sol. 

L’intégration des antennes sur l’aéronef consti­tue un enjeu impor­tant pour évi­ter les mas­quages et assu­rer une bonne dis­po­ni­bi­li­té des liaisons. 

D’autre part, les cap­teurs de l’aéronef d’origine sont géné­ra­le­ment insuf­fi­sants pour une uti­li­sa­tion sans pilote. En effet, l’environnement ou cer­taines situa­tions d’urgence peuvent être beau­coup moins bien per­çus par un télé­opé­ra­teur au sol que par un pilote qui, lui, uti­lise ses cinq sens. 

Des cap­teurs sup­plé­men­taires sont néces­saires pour la sur­veillance de la moto­ri­sa­tion (par exemple mesure des vibra­tions, cap­teur d’incendie) et on ajoute éga­le­ment des cap­teurs d’environnement (par exemple une sonde de détec­tion du givrage). 

En matière d’équipements de mis­sion, la plu­part des drones d’observation sont équi­pés de camé­ras orien­tables stabilisées. 

À la dif­fé­rence d’un drone qui peut être conçu autour de la charge utile, l’aéronef dro­ni­sé doit veiller à inté­grer celle-ci en évi­tant les mas­quages qui nuisent à la qua­li­té de l’observation.

L’intégration de ces charges utiles a géné­ra­le­ment un effet sur l’aérodynamique. Il faut en tenir compte dans la mise au point du sys­tème de contrôle du vol. 

GÉRER DES DOMAINES DE VOL DIFFÉRENTS

Les domaines de vol de l’aéronef habi­té et de l’aéronef dro­ni­sé sont assez dif­fé­rents. L’avion léger pilo­té est conçu pour résis­ter typi­que­ment à des manœuvres à quatre « G ». 

Station sol du système drone Patroller.
Sta­tion sol du sys­tème Patrol­ler.

En revanche, un drone d’observation limite ses manœuvres à des valeurs bien plus faibles et néan­moins suf­fi­santes, typi­que­ment moins de deux « G ». Alors que le train d’atterrissage d’un avion pilo­té est conçu pour résis­ter à un atter­ris­sage dur, le sys­tème d’atterrissage auto­ma­tique du drone rend ce cas très rare. 

Cer­taines carac­té­ris­tiques méca­niques d’origine peuvent ain­si appa­raître sur­di­men­sion­nées par rap­port à une uti­li­sa­tion « drone », avec un impact néga­tif sur la masse et donc sur les per­for­mances par rap­port à un aéro­nef conçu d’emblée pour une appli­ca­tion drone. Une dro­ni­sa­tion réus­sie doit donc exploi­ter plei­ne­ment ces caractéristiques. 

Ain­si, des réserves méca­niques peuvent être conver­ties en aug­men­ta­tion de la masse au décol­lage, ce qui per­met d’augmenter l’endurance ou la capa­ci­té d’emport de charges de mission. 

De la même façon, des réserves méca­niques sur le train d’atterrissage peuvent se tra­duire par une capa­ci­té à opé­rer à par­tir de pistes sommaires. 

MAINTENIR LA DOUBLE NAVIGABILITÉ

“ Les domaines de vol de l’aéronef habité et de l’aéronef dronisé sont assez différents ”

Dans le cas d’un aéro­nef option­nel­le­ment pilo­té, la navi­ga­bi­li­té, c’est-à-dire l’aptitude au vol, doit être main­te­nue pour les deux modes d’utilisation.

Il est en par­ti­cu­lier néces­saire de garan­tir que l’utilisation en mode inha­bi­té ne génère pas de condi­tions pou­vant nuire à la sécu­ri­té lors d’une uti­li­sa­tion avec pilote. 

UNE APPROCHE PERTINENTE

La trans­for­ma­tion en drone d’un aéro­nef conçu pour une uti­li­sa­tion avec pilote est une approche per­ti­nente et prag­ma­tique dans la concep­tion des sys­tèmes de drones. 

Dans le pay­sage des drones, le cas par­ti­cu­lier de l’aéronef option­nel­le­ment pilo­té contri­bue­ra cer­tai­ne­ment à atté­nuer peu à peu la fron­tière opé­ra­tion­nelle et régle­men­taire qui sépare encore le monde des drones du monde des aéro­nefs pilotés. 

LE PATROLLER, UNE DRONISATION RÉUSSIE

Le drone Patroller en vol

Le Patrol­ler est un sys­tème de drones mul­ti­cap­teurs des­ti­né à des mis­sions de sur­veillance de longue endu­rance pour des appli­ca­tions mili­taires et de sécurité. 

Il a été conçu sur la base de l’expérience acquise par Safran dans le domaine des drones (vingt-cinq ans dans les drones tac­tiques), par­ti­cu­liè­re­ment neuf années d’opérations exté­rieures de ses clients en Afghanistan. 

Il a été déve­lop­pé avec deux objec­tifs : répondre aux besoins mili­taires (ren­sei­gne­ment, appui à la manoeuvre aéro­ter­restre par la détec­tion, loca­li­sa­tion, iden­ti­fi­ca­tion et dési­gna­tion d’objectifs) ; rem­plir des mis­sions de sécu­ri­té ter­ri­to­riale (sur­veillance de fron­tières et d’approches mari­times, sur­veillance d’infrastructures ou de sites sen­sibles éten­dus, lutte contre les tra­fics illi­cites, l’immigration clan­des­tine ou encore la pol­lu­tion maritime). 

Des­si­nant l’avenir d’une filière indus­trielle natio­nale, le Patrol­ler a été rete­nu par le minis­tère de la Défense pour le pro­gramme de Sys­tème de drones tac­tiques de l’Armée de terre début 2016. 

UN CHOIX DICTÉ PAR DES CRITÈRES PRÉCIS 

Le Patrol­ler repose sur la pla­te­forme de l’avion léger ES15 de la socié­té Stemme- Eca­rys. L’aéronef béné­fi­cie de très bonnes per­for­mances de vol et de la com­pé­tence recon­nue de Stemme dans le domaine des avions de performance. 

Les prin­ci­paux cri­tères de choix ont été : 

  • la robus­tesse – c’est une carac­té­ris­tique des aéro­nefs légers des­ti­nés à une uti­li­sa­tion habi­tuelle à par­tir de pistes non revêtues – ; 
  • la faci­li­té de mon­tage, de démon­tage et de transport ; 
  • la faci­li­té de maintenance ; 
  • la cer­ti­fi­ca­tion avion léger EASA CS 23 ; 
  • la capa­ci­té d’emport supé­rieure à 250 kg et la faible consom­ma­tion de car­bu­rant pour obte­nir une endu­rance en vol de classe 20 h. 

D’autres cri­tères ont éga­le­ment joué : 

  • l’avion est silen­cieux, ce qui per­met d’observer sans être détecté ; 
  • il offre une grande capa­ci­té d’emport de cap­teurs sous les ailes et un large volume facile d’accès pour inté­grer les équi­pe­ments de dro­ni­sa­tion dans le fuselage ; 
  • son train d’atterrissage rétrac­table per­met de ne pas mas­quer le champ de vue du cap­teur optro­nique inté­gré sous le fuselage ; 
  • il béné­fi­cie d’une plage de cen­trage large, per­met­tant une grande flexi­bi­li­té pour l’emport d’une large gamme de capteurs. 

UN PROCESSUS D’INTRONISATION RAPIDE

Grâce à la réuti­li­sa­tion de briques tech­no­lo­giques exis­tantes, la dro­ni­sa­tion s’est dérou­lée rapi­de­ment avec de pre­miers essais de décol­lage et d’atterrissage auto­ma­tique en 2009, juste un an après le début du programme. 

Les essais de mise au point du sys­tème de contrôle du vol se sont pour­sui­vis jusqu’en 2011 avec deux cam­pagnes sur le site d’Istres de DGA Essais en vol. 

La capa­ci­té d’opérer de façon option­nel­le­ment pilo­tée a été main­te­nue. Elle contri­bue à faci­li­ter gran­de­ment les phases de déve­lop­pe­ment et de qualification. 

Commentaire

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Ericrépondre
26 juin 2017 à 9 h 39 min

J’ai même lu récem­ment qu
J’ai même lu récem­ment qu’Air­bus avait impri­mé un drone…stupéfiant

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